lundi 2 janvier 2023

Aveyron : Chaos dans la brume du Causse

 La brume épaisse et mouillée avait investi la vallée, comblant les vides et faisant se rejoindre les deux Causses par un tapis moelleux et immobile. 







Sur le plateau, qui s'ensoleillait, des langues de brume rôdaient dans la moindre ondulation du terrain, tandis que je roulais pour gagner l'autre extrémité, l'autre vallée. 

Causse Noir

Puis, insidieuse la brume m'enveloppa, presque à mon insu et je devins une petite bulle blanche, promenant ses pâles lumières dans un Causse qui de Noir devenait blanc. Les pins ressemblaient à de longs cierges aux mille nuances de gris, j'étais seule, pas un véhicule, il semblait que je fusse isolée du monde; il en serait de même sous le soleil, le Causse en hiver est un désert. A perte de vue. Là je n'y vois rien.

Causse noir ainsi nommé à cause de ses forêts

Je stoppai au bout de la petite route déserte, le site était fermé par des barrières mais non interdit et j'empruntai la petite voie menant aux parkings, puis à la billetterie. Aucun gardien, aucun bruit, la brume épaissie rendait fantomatique le décor restreint. Un plan dressé par Martel en 1883, un joyau mais un véritable labyrinthe, me fit frissonner. Montpellier le Vieux.


le magnifique plan de 1883




Ma route croisait à nouveau celle de Martel, mais ce dessin, tourmenté et inquiétant, dans cette brume qui me rendait invisible, m'angoissa. 

Pourtant j'avais fait tout ce chemin, bravé la brume épaisse et le soir tombant hier sur le chaos de Nîmes le Vieux...oui, mais incomparables les deux sites. Un peu plus loin un plan moderne et simplifié s'ornait de serpents de couleurs, les sentiers de découverte. Le balisage me rassura et je fis mon choix. Pas de vert, c'est le Belvédère et on n'y voit pas à 30 mètres. J'optai pour le rouge, parce qu'il traversait le coeur du sujet et je pris soin de le photographier. D'entrée "la couleur" si l'on peut dire, fut annoncée. 


Le plan actuel avec les circuits

Le plan de Martel


Le sentier étroit et tortueux, assez glissant car rocheux, serpentait entre des monstres de pierre haut perchés dont l'un me regardait de son oeil unique. Des filins rejoignaient ces curieux personnages, je devinai une via ferrata et des tyroliennes. 



Ici aussi il y a des filins

Via Ferrata façon araignée



Grâce à la via ferrata on entre dans l'oeil du Cyclope


J'étais entourée de silhouettes estompées par la brume, comme à peine esquissées, sans relief, sans griffures, sans plaies ni bosses caractéristiques de ces géants de pierres. 





Oui j'étais dans la Cité des Pierres, soit le chaos dolomitique de Montpellier le Vieux, "Lou clapàs vièlh" son nom d'avant. Je poursuivais mon chemin, gagnée par une euphorie teintée d'anxiété : j'étais seule dans ce décor immense et constrictif, j'avais la sensation d'embrasser le site, comme autrefois dans les grandes montagnes, et en même temps de n'être qu'une petite fourmi à la merci du moindre incident. Rien ne m'eut fait revenir sur mes pas, cependant. L'été le site fourmille de visiteurs, un petit train conduit ceux qui ne peuvent marcher, sur une piste panoramique et, ce jour, seule au monde, dans un cocon de grisaille au décor restreint et aux lointains effacés, je finis par me sentir bien. 

Escaliers de pierre


Rachitique et vaillant


Décor sauvage et noyé






 Un écran s'était formé entre la vie et moi, entre "en bas" et moi, entre la furie de Noël et moi.


 Très escarpé et accidenté le site est fait d'immenses monolithes séparés ou juxtaposés, émergeant de la forêt, tout l'inverse de celui de Nîmes le Vieux, posé bien à plat, quasi sans arbres et traversé en boucle par un unique sentier.

2 images de Nîmes le Vieux .





 Ici, l'immensité est effrayante quand on est seul, même balisée de couleurs vives. Les passages difficiles sont sécurisés par des escaliers métalliques et je me retrouve au sommet d'un géant de pierre, sauf que, arrivée en haut, le décor encore visible d'en bas n'existe plus, je flotte comme sur une proue de navire au dessus d'une mer étale. Du décor je ne verrai jamais rien, juste deviner, par places. Mille nuances de gris colorent les monstres privés de relief et des griffures de la vie, fut elle une vie de pierre.


Une porte



Parcours sécurisé

Conciliabules minéraux

L'obélique

Je perds mes repères, je ne fais plus que suivre : aucun bruit ambiant (hier soir la vie du hameau me guidait), aucune voiture sur une proche route, aucun rai de lumière pouvant indiquer l'est ou le sud, je ne serais pas surprise de voir arriver un dinosaure, plus vraisemblablement un sanglier; l'arrivée d'un humain me ferait sursauter ! Il n'en sera rien. Je marche dans un univers très limité et fantomatique où l'anxiété a cédé le pas au ravissement. 

Le décor par grand bleu doit être superbe

Une sensation unique d'être seule ici, devenue comme ces roches, lisse, nette, sans griffures ni aspérités, sans les douleurs de cette mauvaise année, lavée, lissée en surface comme en profondeur, reposée, rénovée peut être, en tout cas, nouvelle... J'en oublie même de soliloquer tant je suis dans un bain de douceur. Le plan consulté va m'amener à faire des choix, j'opte pour du jaune. J'étais partie pour une heure, voilà 40 mn que je marche et je suis loin. A chaque embranchement de sentier, un plan renseigne le promeneur, donc, comme le vert n'offre aucun point de vue ce jour, je reviens par le jaune. Il commence par un monolithe et continue par la superbe "Porte de Mycènes" qui servit de décor de cinéma. 

La Porte de Mycènes




Ce sentier jaune se divise en deux, une branche longue vers  les Géants de Pierres et la partie plus courte vire à l'orange, annoncé "difficile". 

La cathédrale

 Bien sûr je me méfie de ces qualificatifs qui sont destinés à des marcheurs non confirmés, mais la prudence s'impose. Le site devient escarpé, sentier grimpant et glissant. on devine les anciens chemins d'eau, l'eau et l'érosion qui sculptèrent ces roches pendant des millions d'années, une centaine, dissolvant les parties tendres et laissant pour la postérité ces ruines abîmées. Ce parcours beaucoup plus escarpé peut faire grandir l'anxiété, un tel jour de brume. 




J'accroche aux branches et je noie dans la ouate les relents d'anxiété qui me visitent parfois et j'avance, je monte et soudain, une bifurcation "bleue" munie d'un bout de corde m'invite à aller voir ailleurs. Cet ailleurs sera somptueux. Somptueux d'angoisse, de beauté, de sauvagerie, cette fois je quitte le Causse, j'entre dans un pays surnaturel. Les géants de pierre sont rapprochés, élancés, percés d'orifices, séparés par d'étroits goulets (les canoles) où se glisse une "obscure clarté" comme disait si bien Corneille et que la stylistique définit comme "oxymore". Oui c'est vraiment cette impression d'obscurité allant s'épaississant et de clarté laiteuse à la fois, peut être que j'y vois de plus en plus clair depuis que je m'enfonce dans ces ténèbres diurnes ? Comme pour une éclipse, comme si quelque chose de moi s'éclipsait...les affres de 2022...assurément. Une année particulièrement éprouvante.




Le site se nomme Labyrinthe




Une canole (faille)

Haut perché le veilleur



Arboretum muet pour le moment

Ce parcours "bleu", bien nommé "Labyrinthe" est décoré de panneaux absolument vierges mais l'un d'eux dévoilera sa face cachée : sous la protection hivernale, c'est un descriptif d'arboretum. Il faudra revenir après l'ouverture du site ! Le circuit bleu fait une boucle et rejoint le sentier orange à une magnifique "balme", voute à encorbellement fermée par un mur. 

La balma ou grotte


Le site en comporte quelques unes, vestiges d'une vie très ancienne; l'une d'elles servit de gîte à Martel qui passa avec ses deux équipiers des journées dans le site à le visiter, le dessiner, le mesurer, le cartographier et le baptiser. Martel a 25 ans, est déjà connu pour ses découvertes dans les gorges du Tarn; invité par un propriétaire local et un géographe, il va redécouvrir ce site abandonné depuis le Moyen Age. Martel ne se rendra dans le Verdon que 21 ans plus tard. Passer des jours et des nuits ici, sans le moindre sentier relève de l'exploit ! 



Avec ce relief se construisaient les balmes








Le camp de Martel




Je retrouve le sentier orange,  et une petite bifurcation discrète m'attire; allons voir. Un antre sombre dans un massif rocheux est tranché par une canole dans laquelle je me glisse; j'avais gardé un souvenir impérissable de celles, impressionnantes, du Larzac. Elle a son rocher coincé elle aussi, ses flancs rapprochés; ses voisines sont soit obturées soit si fines que s'y faufiler est impossible.  


ça devient sérieux !

Une belle canole



Bien étroite

Une balme 

Canole : on ne passe pas !

Quelques abris sous roche se cachent, je reviens sur mes pas, et, lorsque "Parking 15 mn" attire mon regard, je suis presque déçue d'arriver déjà. Le soleil vient m'accueillir, le site montre son immensité, je pourrais presque repartir, aller tutoyer "le vert" et ses vues époustouflantes sans doute, mais non...restons sous le charme de ce que je viens de vivre pendant deux pleines heures. Baignée par la clarté laiteuse de la brume qui m'a enveloppée tout autant qu'elle a adouci le chaos ruiniforme de mon décor. Un beau cadeau de Noël, en somme.


Le site quand je le quitte retrouve son relief et le soleil


Le Roc de Capluc, vallée de la Jonte

Les rives de la vallée de la Dourbie


Un peu plus tard, un unique promeneur se garera près de moi, allant à son tour visiter et sa première question sera : "Je ne risque pas de me perdre ?". Je lui donnerai quelques conseils pour le rassurer, en l'assurant qu'en suivant le plan et les couleurs, il reviendra sain et sauf de cette jungle ! Le soleil est avec lui, il lui manquera le fantastique, il gagnera les points de vue.

Environs de MIllau


Viaduc de Millau au couchant



En chiffres
Petites balades pédestres : 10/12 km environ
La route : 670 km
Le point culminant : Mont Aigoual 1567 m
Les Causses : Méjean et Noir
Les Cévennes : Gard et Lozère
Les Départements de la route : 66 - 11- 12- 34- 30- 48 

Coucher de soleil sur le Causse de Larzac


10 commentaires:

  1. Encore une balade dans l'état d'esprit des découvreurs du lieu, les balisage en plus. Merci pour ton talent à raconter les choses !

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    1. Merci Dom qui connais très bien ces lieux magnifiques et tant d'autres bien plus mystérieux

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  2. Merci pour cette escapade, moi qui croyais connaître l,Aveyron je suis servi

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  3. Ces roches ruiniformes sont encore plus fantomatiques avec cette atmosphère brumeuse. Nous avions visité ce lieu avec le soleil c’était une impression tout à fait différente qui s’en dégageait. Ton texte ajoute du mystère à ce lieu insolite, de belles photos comme toujours, un bon moment de lecture. Josy.

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    1. Merci Josy, j'ai quand même bien envie de le revoir sous un soleil radieux, et passée cette première visite impressionnante il est vrai, profiter à fond de tous les circuits. En plus ce n'est pas loin

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  4. Encore une merveilleuse, fantomatique, quasi angoissante balade où tu aurais pu rencontrer quelques lutins !? Merci,; encore une fois, de nous offrir de merveilleuses photos et un récit limpide et prenant. ASP

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    1. Oui c'était quand même angoissant, je l'avoue, avec ces géants de pierre et cette jungle végétale. Merci pour les compliments de l'écrivain. Bises cher ASP

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