Dans ces années 1950, dans les fermes il y avait des animaux et la mort était familière aux enfants: les lapins qu'on trucidait d'un coup sur la nuque, les poules qu'on tuait d'un vif coup de couteau pour recueillir le sang frais et vite poêlé pour une délicieuse "sanquette", et le cochon...En janvier chaque famille tuait son cochon et le "mataïre" (le tueur) se déplaçait de ferme en ferme. Ce rituel était le seul qui m'insupportât, car l'animal souffrait et je me cachais, un oreiller sur la tête...Ensuite le reste ne m'impressionnait pas.
Qu'est ce que cela a à voir avec la route?
La drôle de maison le petit mas |
Et bien oui, je vais vous inviter à pousser la porte d'une drôle de maison...
Mais avant cela je vais vous amener dans un passé pas trop lointain, juste vieux de 5 ans, à Frechendech, un petit village d' Ariège, en Couserans. Frechendech est un des villages les plus froids car il ne voit pas le soleil de novembre à mars et le givre est son tapis de sol de prédilection...
Ce jour de février 2011, j'allais randonner et j'ai traversé Frechendech blanchi de gel.
Frechendech : les granges |
Les toits du village glacé fumaient de ces feux qui brûlent sans discontinuer en pays froids.
Dans une de ces maisons, des hommes s'activaient bruyamment et je suis allée à leur rencontre, pénétrant dans l'antre sacré où ils oeuvraient devant les dépouilles , ou ce qu'il en restait, des 4 cochons tués le matin.
En buvant de la tisane brûlante !
Un excellent accueil dans un univers fantastique, oublié depuis l'enfance. Avec les odeurs.
Dans la pièce à côté, les femmes travaillaient au conditionnement et à la cuisson de pâtés, saucisses et autres boudins, dans un bruissement de ruche et une hostilité flagrante à l'égard de "l'étrangère" qui ne fut pas invitée à entrer, bien au contraire, incitée, sans un mot, à déguerpir devant une armée de figures revêches...
On en était restés là, les hommes un peu penauds et moi pressée de prendre la tangente...
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Or, samedi dernier, je prenais mes quartiers pour la nuit au bord d'une minuscule route de montagne, dans mon département, devant ce petit mas fort ancien. Je m'approchai d'un homme qui me regardait depuis le pas de la porte, afin de lui demander si je pouvais passer la nuit sur ce bord de route, et, par l'entrebaillement de la porte, j'aperçus un énorme jambon .
- "C'est le dépeçage de la chasse?" lui demandai-je .
- "Non, on a tué le cochon" me répondit-il.
Je regagnai mon camion et m'installai pour la longue soirée , mais , d'un coup, je me ravisai et allai pousser la porte du mas.
- " Puis je faire des photos ? cela me rappelle mon enfance..."
Et j'en eus l'entière liberté, avec leurs explications en prime.
Un gros cochon de la variété "pata negra" (la meilleure), 160 kg, avait été tué la veille.
Ce jour là, les deux hommes avaient passé la journée à préparer et cuire ce qui allait améliorer l'ordinaire de l'année à venir.
Une armée de boudins, un énorme jambon,
Du lard qui restera nature (la ventrêche) ou bien poivré et salé (la cansalada)
Des jarrets:
De la graisse qui sera cuite et rangée en pots pour remplacer avantageusement huile ou beurre.
Et puis un mélange de gros boudins, les "dios" noirs, blancs ou roses.
C'est savoureux ! Et quel parfum baigne la pièce rustique!
Le mas est, en fait, la maison de chasse, où les chasseurs se réunissent pour dépecer leurs prises.
Il n'y a qu'une seule pièce, aux murs très hauts et à la vaste cheminée.
Aux solives du plafond est suspendu le palan pour soulever sans peine les grosses prises.
Le palan au plafond |
Dans un filet sont enfermés les boudins qui vont cuire 40 minutes dans un bac en zinc.
Avant que d'aller rejoindre leurs confrères déjà cuits.
Alors que les pâtés et autres côtelettes et viandes fraîches...ont déjà quitté les lieux à bord de la fourgonnette...dommage...
Un sac de petits boudins noirs |
C'est cuit ! |
Deux générations |
Je ne peux passer sous silence les odeurs, que dis-je ? les parfums...ces parfums qu'on ne peut oublier au delà des décennies.
J'avise au mur une panoplie de couteaux : ce sont ceux des chasseurs.
-"Mais , me dit le maître de céans, je vais vous montrer quelque chose de rare !"...Et il me présente ce bloc de couteaux plantés dans un billot de bois. Ils sont plus que centenaires, ajoute t'il, fabriqués maison, on n'y voit aucune estampille : ce sont les couteaux des ancêtres.
Chacun a sa fonction et sa lame (faite maison) travaillée dans ce but . Couteaux à dépecer, à découper, à désosser, plus ou moins longs, plus ou moins larges.
Et le surprenant couteau à tuer, à la lame effilée et affûtée des deux côtés.
Cependant aujourd'hui la mort n'est plus barbare, elle n'est plus donnée par le couteau et une arme à feu la remplace ...pour une "mort plus douce"...
Le couteau du "mataïre" |
Le lendemain matin, l'hiver m'a rejointe, il neige sur le mas endormi veillé par les quatre chiens.
Tu as réveillé en moi par ton conte les histoires du passé. ..le passé de mes grands parents vignerons qui tuaient volailles lapins et bien sûr le cochon ..ce fameux cochon que l'on dépeçait morceaux par morceaux pour le conserver toute l'année. Une caves sous terre servait à entreposer toutes ces bonnes choses.et le lendemain avec tous le village c'était la fête du boudin ..des grands chaudrons sur des feux en fonte et l'odeur quand le boudin cuisant mais le mieux c'était la dégustation. ..des tables étaient dressés et chaud le boudin nous était servi ...quel délice ! !! Si frais si nature avec un bon vin rouge du Bugey des caves du pays ...je sens encore ces bonnes odeurs ...quant à la fabrication du saucisson tous participaient toujours en fête. .de l'accordéon en accompagnement ...mon frère celui de Nouméa DCD aujourd'hui était boucher charcutier ...et tous ces couteaux m'ont rappellé les siens ...merci pour avoir pousser ses murs et le passé à surgit soudain revoyant ses personnes chères à mon enfance et ma jeunesse ...bonne nuit bises ..caresses à ta tribu ...
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RépondreSupprimerCoucou Annie, j'ai supprimé ton com en double. J'ai lu avec attention ton écrit : tout est dit, j'y étais , j'entendais l'accordéon, j'ai vu la fête, qui n'existait pas dans ma ferme. Il y avait ce jus de cuisson mêlé de morceaux de boudin qu'on appelait le "barbouffat" (plutôt le braoubouffat) dont on se délectait, brûlant et qui avait un goût jamais plus retrouvé. J'ai de suite posé la question à ces messieurs mais m'ont ils répondu les filets ont déteint, on ne peut en faire...Cependant il y avait l'odeur.Tu as évoqué de bien jolis souvenirs, je savais que mon texte et mes images parleraient à certains...Bisous
SupprimerMerci pour ra réponse, oui tous ces souvenirs , mais je ne voyais pas tuer le cochon... les grandes personnes ne voulaient pas d'enfants ...et c'est bien , je voyais volaille lapins cela me suffisait... les odeurs !!! inoubliables , dans l'Ain un petit village, une amie m'a dit que les habitants en septembre continuaient cette fête du boudin, une rencontre de tous les habitants du bourg et aussi alentours, comme la fête des galettes aux sucres et à la crème ...La Bresse n'est pas loin, donc beaucoup de crème comme dans le boudin ...
SupprimerNous on était acceptés en tant qu'enfants peut être même oubliés dans l'agitation, car il fallait faire vite,la journée était chargée. Au mas on faisait ça entre voisins . Chacun avait son cochon mais je crois qu'on faisait jours séparés.De la crème dans le boudin ? ici pas de vaches ni de lait ni de crème donc: le midi ne mettait de crème nulle part ! Quand je vois qu'au restaurant il y en a partout...
SupprimerCe récit est magnifique et me rappelle aussi cette "matança" chez mon oncle dans un petit village du "alt Ampurdan". J'étais enfant. Je me souviens encore des cris "humains" de la bête que l'on saigne, le gros bac où se déversait le sang...puis les brassées de paille enflammées qui brûlaient les soies, la peau que les hommes râclaient. Mais encore les boyaux lavés dans le torrent et qui devenaient saucissons, boudins et d'autres charcuteries excellentes. Ce mal à l'épaule que j'ai eu,adolescent, à force de tourner la manivelle du hachoir avec son embout prolongé de ce boyau surveillé par une vieille femme autoritaire. Les odeurs d'un "perol", les grailloux que l'on mangeait. Les discussions animées entre hommes "amb un got de vi cla a la ma", la rougeur des visages. Les recommandations des aïeules aux plus jeunes. Le froid dehors, les oliviers brassés par la tramuntana, la baie de Roses qui scintillait au loin..Tant de beaux souvenirs inoubliables. Merci Amédine. Tout est si émouvant dans tes phrases, ce ressenti si fort qui déteint sur tes lecteurs. Encore merci. ASP
RépondreSupprimerC'est tellement beau ce que tu écris que j'ai envie de revenir à ce temps là,et pourtant je ne suis pas passéiste. certains commentaires à mes articles de blog mériteraient un recueil de textes. J'ai vu le hachoir dans ce mas : il est ...électrique !!!Merci pour ton texte qui étaye le mien.
Supprimeroh !!! oui je l'ai tourné aussi ce hachoir, et que de bonheur... dans ces récits ...Merci.
SupprimerJ'ai lu très rapidement... J'ai noté au début "je me cachais, un oreiller sur la tête". Eh bien moi, quand ma compagne tue un cochon ou de la volaille, je vais faire un tour dans le jardin. Ma compagne, "paysanne" de Raiatea, a l'habitude, fille aînée de 14 enfants, c'est elle qui s'occupait d'eux, toujours dans les champs ou à la pêche avec son père et rarement à l'école. Dés ses 21 ans, elle est partie pour Tahiti et m'a rencontré peu après. Elle a appris à lire, à écrire, à compter mais à toujours la main pour la cuisine, la volaille et les quelques cochons que nous avons eu. Ce texte m'a peu accroché mais réveille en moi des souvenirs.
RépondreSupprimerT'a peu accroché ? je pensais qu'il parlerait à tes souvenirs de jeunesse...peu accroché pourquoi ? Oui, je me cachais et j'ai encore dans les oreilles les cris du dernier cochon, à bonne distance de ma chambre haut perchée au grenier. Plus jeune, cela ne me faisait rien, cette année là ma sensibilité s'est réveillée
SupprimerEn fait ma jeunesse c'est passée à Montpellier. 2 fois en vacances dans le Lot, nous ne logions pas à la ferme des grands parents mais dans la maison qu'un cousin nous prêtait, un citadin lui aussi. Nos journées se passaient en baignades dans les ruisseaux, pêche, promenades dans les collines et en bicyclette. Je n'ai été témoin du traitement du cochon qu'en Polynésie...
SupprimerC'est vrai que la matança à Montpellier ou en ville, cela ferait très incorrect Mais tu as vu en Polynésie d'autres "faits d'armes" ...tiens rien que le fait que ce soit ta vahine qui tue le cochon : c'est extraordinaire ça, ici aucune femme ne le ferait !
SupprimerComme toi, j'allais me cacher le plus loin possible lorsque chez mon oncle on tuait le cochon. Ici on dit "mattanza" (abattage) comme dans l'Ariège mais avec 2 T.
RépondreSupprimerAlors oui, c'est beaucoup de souvenirs, je me cachais mais après je sortais vite pour manger les tous premiers boudins chauds et puis les jours suivants, les terrines et pâtés croustades et puis et puis.....chez nous il y a aussi le porcelet que l'on farci avec la viande et les abats et pleins d'épices, fenouil, beaucoup de poivre etc, etc, après il est cuit reconstitué à la broche, c'est la porchetta niçoise, très différente des autres.
Plus tard, j'ai appris à me servir du hachoir et à désosser (avec les couteaux jaunes) et à faire les pâtés, les saucissons, la pancetta (ventrèche) les caillettes aux herbes.
Le bloc de couteaux est magnifique, une belle preuve du passé. Ici aussi nous faisions la fête. Un bien joli bon dans le passé.
Mais tu vois, je pense que je ne pourrais plus......
Gros bisous Lison.
Belle journée
Finalement mon blog parle aux souvenirs et les commentaires me plaisent à lirer comme j'ai aimé à rédiger. C'est interactif un blog et riche d'expériences : merci Mireille pour ton témoignage et j'aime la pancetta .
SupprimerCoucou chère Lison!
RépondreSupprimerC'est la vraie vie chez toi!
J'aime manger tout mais pas des boudins ...je sais bien que c'est une spécialité comme chez nous mais jamais mangé!
Des couteaux sont magnifique et très rustique!
Merci pour ce beau billet!
Bonne journée Lison!
Je t'embrasse très fort!
Bien sûr les goûts ne se discutent pas : je ne mange pas les escargots et on dit que c'est très bon. Alors que j'aime beaucoup le boudin. Il y a aussi une éducation des goûts faite dans l'enfance. merci pour ta visite dans le sud de France par mon blog; je t'embrasse...
SupprimerJe n'ai pas connu tout cela, je n'aurais d'ailleurs pas aimé y assister, mais il y a quelques années, le voisin d'à côté tuait le cochon. Je fermais toutes les fenêtres et mettais de la musique pour ne pas entendre les cris de la bête...
RépondreSupprimerMerci pour ce billet, Lison. Bisous.
Oui ce sont les cris qui m'ont traumatisée mais je mange du cochon sans état d'âme...alors que je ne peux avaler un escargot. remarque le supplice de l'escargot est inacceptable, si gradations il y a dans les supplices. Bisous
SupprimerJ'adore lire la narration des souvenirs , elle est empreinte de sensibilité , de bonheur , d'affection. Je n'ai pas vécu ni côtoyé ces rites , vivant dans un pays étranger , mais j'ai d'autres beaux souvenirs.
RépondreSupprimerCes souvenirs font partie du patrimoine de la société.
Belle soirée, bises Lison