samedi 8 juin 2019

Chercheuse d'eau dans la Cesse, Hérault.

(Suite de l'article précédent)
Je quittai donc les grottes et la corniche par un sentier escarpé plongeant directement dans la rivière La Cesse. Le sentier termine par une vieille corde à noeuds censée rassurer les moins hardis.
Me voici donc dans le lit blanc de la rivière à sec. Je rappelle que cette rivière perd ses eaux le 21 juin chaque année au même endroit (en amont de là où je me trouve, au Moulin de Monsieur) et ressurgit  20 km  en aval , Entre Agel et Bize,  au "Moulin de Madame". Des eaux qui suivent leur cours de façon souterraine. Donc là où je me trouve l'eau a déjà disparu et je compte bien la retrouver. Cela facilitera mon parcours, à pied sec.




Le lit de la Cesse, je vais le remonter à pied entre deux hautes falaises (dont celle d'où je viens) emplies de corniches et de grottes, mais les rives sont très boisées et je vais marcher entre deux haies vertes où danse le vent et chantent les oiseaux, mes seuls compagnons de route.





Je parcourrai en tout 1.3 km vers l'amont et 1.8 km au retour. Plus de 3 km dans un monde à part, surchauffé, blanc et vert, dont le paysage sera le sol. Et quel sol ! Outre le fait que ce soit un échantillonnage de pierres de tous calibres, il sera intéressant de lire comment l'eau parcourt ce lit : j'y lirai la puissance, les mouvements, les différentes forces, les obstacles, le travail de sape ou de remblaiement, j'y lirai l'oeuvre des millénaires, voire des millions d'années, dans les cavernes, failles, crevasses et grottes. J'y lirai les affluents, petits torrents aériens ou creusés en galeries dans la roche. J'y lirai les éboulements, les effondrements, les lieux de fragilité ou de puissance et stabilité .








Lit jonché de rocs et d'arbres morts ou vifs



Je lirai la vraie vie de la route de l'eau.
Mais pas que cela : j'y découvrirai le monde végétal soumis à ces grands tumultes des crues en milieu aussi accidenté, des arbres ou ce qu'il en reste logés dans d'invraisemblables endroits, enfouis dans d'étroites cavernes, coincés triturés malmenés, indécrochables.

Arbres coincés dans les failles et cavernes

Et puis ceux qui ont survécu, vivent couchés, redressant vers le ciel leurs branches maigres, ceux qui ont été arrachés , trimballés puis se sont ancrés, peut être pas pour leur dernier voyage. Ceux que je devine enfouis sous des couches de gravats  et dont une étonnante branche surgit vers le ciel. Peupliers pour la plupart, qui malgré leur position de contorsionnistes vont puiser dans le sous sol l'eau invisible.

Des arbres partout



Survivant avec courage
Mais quel livre de botanique ! Quel paysage  au ras du sol !

Pendant ce temps, ceux qui échappent aux crues couvrent les pentes, colonisent les corniches, poussent dans la roche, suspendus dans le vide mais gaillards.




Je cherche l'eau et je trouve le langage des arbres et de la roche.

Je cherche l'eau et économise la mienne, il fait si chaud !
Je cherche l'eau et n'entends pas le moindre gazouillis.
Mais voilà qu'au détour d'un virage, quelque chose me dit qu'elle n'est pas loin, quelque chose a changé dans l'air que je respire, même dans l'odeur de l'air. J'improvise un pendule : le verdict tombe, 3.50 m sous la surface. On se rapproche...



Il y a comme quelque chose de différent dans l'air
Cela m'incite à avancer, le lit s'élargit, les berges affichent un minéral tourment et soudain je la vois, sans transition : une étendue d'eau où se reflète un figuier. Cela bruisse d'insectes goulus, et puis l'eau elle même se partage en deux; un bras se fond dans le sable, l'autre descend en petit ruisseau et va se perdre sous la falaise. Je mesure...1 m sous la surface.

ça y est ; elle est ici !

Désormais je vais pouvoir me rafraîchir, patauger, remonter le courant et me baigner ! Car la rivière au fil des mètres prend une belle taille.


Pour remonter le courant, je remonte tout ce que je peux à pied sec. Je suis au niveau du défilé , du congost diraient les catalans, et c'est vraiment un joli endroit. Lorsque je dois quitter mes chaussures je fais la pause et je me baigne. Fraîche certes, mais le soleil est assez chaud pour me dorer sur les rochers. Je poursuivrai ensuite ma remontée du cours doré, moussu et glissant, nu pieds dans l'eau mais le sol est difficile et fait mal.


Une eau si agréable





Le demi tour s'impose : une surprise m'attend; en quelques 45 minutes de mon farniente, la rivière a reculé de 5 mètres environ. Le petit bras chantant est sec à son tour. Plus tard, je mesurerai sur une carte, la rivière doit encore reculer d'1 km. (Actuellement, quelques jours plus tard, elle a bien reculé encore).



Le retour sera aussi plaisant que l'aller; j'ai fait le plein d'eau au cas où , le chemin à l'envers a toujours un autre visage, permet d'autres découvertes : ainsi les rochers les plus instables, les plus gros encombrant le lit de la rivière sont d'énormes marbres à alvéolines. D'autres gros blocs révèlent de plus anciens effondrements sur lesquels l'érosion a fait son gros travail.

De sable, galets et...

Blocs d'effondrement : marbres à alvéolines
Détail 


Superposition de marbres : blancs et noirs
Les grimpeurs tout là haut sont en pleine action, l'un d'eux a pris la voie la plus difficile, peine et ahane, puis plonge dans le vide au bout de sa corde, remonte et je le suivrai jusqu'à son arrivée au sommet.



























Je décide de continuer jusqu'au Moulin d'Azam qui aurait du être mon chemin du matin et de là remonter sur le plateau. J'ai 400 m de parcours en rivière, ce sera le plus spectaculaire de tout mon voyage : des blocs d'alvéolines monstrueux obstruent le lit, je me glisse entre eux, profitant des toboggans à sec d'un marbre gris et strié, qui fait des cuvettes où des dizaines de guêpes tètent la moindre humidité. Je passe entre elles qui oublient de me piquer.



Cuvettes pour guêpes assoiffées





Bloc très surprenant




Cavernes entre les blocs








Tout est blanc, éblouissant le regard dans cette lumière crue sous un ciel d'encre bleu marine.















Des abris sous roche, des cavernes encombrent les rives, il y a deux ou trois passages "dantesques". Simplement magnifiques. Mais quel est donc ce parfum qui arrive à mes narines ? Je le connais trop bien mais est ce possible ? Et oui, des pieds de vigne sauvage s'enroulent aux peupliers, venus de très loin, émigrants ayant choisi leur insolite royaume. Improbable destination. Bien ancrés dans ce sol étonnant et décidés à y rester. Eux aussi me content leur histoire. Une crue les a arrachés à leur terre d'origine. Mais la vigne sauvage est un des plus résistants végétaux qui soient.

Cep de vigne sauvage

Les jardins du lit : saules, peupliers et vigne

Je reconnais le lieu où en février je traversais une rivière glacée : le Moulin d' Azam. Mon parcours est fini, il me reste à regagner ma voiture, simple formalité que de remonter sur le Causse.

Le moulin d' Azam
Retour sur le Causse

Mais ce n'est pas si simple d'en rester là; je consacrerai une partie de l'après midi à retourner me baigner au fond du canyon en un autre lieu aussi caché (Moulin de Monsieur) et pour finir, malgré mes jambes usées, je ne peux quitter Minerve sans aller faire la traversée à sec des Petit et Grand Pont: là aussi quel étonnement après ce paysage hivernal noyé d'eau. Quel relief du sol au plafond, quel ballet des oiseaux nichant dans la moindre anfractuosité de la roche, quel écho se répercutant sous les voûtes, quels passages grandioses!
Les Ponts de Minerve, parfaitement asséchés:







En chiffres : 
Total de la balade du jour , 2 juin : 11,5 km
En rivière: 4 km
Pour les ponts : 1.6 km
Falaises et sentiers : 2.3 km
Moulin de Monsieur et rivière (non conté) 3.6 km



4 commentaires:

  1. C'est beau et tellement bien écrit qu'on crois être à tes côtés. Merci Amedine. B
    B

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    1. Bisous, et merci BB, je pars (à nouveau) pour l'Ariège cette fois

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  2. quelle beauté toutes ces grottes ! Joli final et surtout grand soulagement pour les pieds j'imagine. Nous sommes à présent comme des enfants qui attendent impatiemment ton retour de randonnées, pour découvrir ce que tu nous as découvert !Bises Chris

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    1. ET bien je dis alors "au suivant" qui risque d'être fort décevant ! Affaire à suivre

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