mercredi 28 juillet 2021

Aude, Pays de Sault, le sentier de Bigne Soule

 Que signifie "Bigne soule "?  Impossible d'en trouver le sens...Même en ayant parcouru ce très vieux chemin muletier dans les deux sens, je n'en ai pas trouvé le sens.. Hormis une déformation de vigne del soula.

La météo avait annoncé "passages nuageux" sauf qu'au lieu de passer, ils se sont arrêtés. Ils n'ont pas gêné ma randonnée, ils ont gardé une hauteur suffisante et de toute façon en dehors de ce chemin je ne pouvais pas passer ailleurs.

Imaginez une hauteur conséquente de pente, 400 m abrupts au possible, entre arbres et monstres rocheux, un sentier qui depuis des siècles s'est frayé passage au prix de 50 lacets, a quelque peu souffert, mais tient bon, accroché à la muraille croulante, et vous  transporte  au rythme de pas hésitants tant le sol est malaisé, rocailleux, granuleux, incommode et attirant à la fois, sur plus de 2 km . Non loin du Sentier du Curé, mon précédent récit.

Et voilà le décor

Imaginez le silence, la solitude, la sauvage beauté des lieux, et vous aurez presque tout. Le reste c'est les sensations que chacun pourrait y trouver. 

Imaginez un sentier dont on sait qu'il existe, qu'il a même existé en tant que chemin de randonnée et dont pourtant on est incapable de trouver l'entrée qu'on le prenne d'en haut ou d'en bas. Un vrai puzzle, sans GPS, je n'ai jamais autant cherché, j'ai trouvé, en bas, mais sans la moindre certitude. J'ai supputé, en haut, mais en vain, la cohérence excluait ma recherche. Finalement c'est un habitant du village qui m'a mise sur la voie. Ensuite ça va de soi. C'est qu'ils le gardent jalousement leur sentier désaffecté.

Une nuit au cimetière du Clat, petit village de facture espagnole posé sur un haut plateau doré comme des foins bien mûrs, maisons basses battues des vents, des pluies et des brumes. Altitude 1060 m.

Mon dortoir...non pas le cimetière, le kangoo !



Vestiges du passé


Un petit air d'Espagne


Je me réveille, tout est gris mais l'atmosphère est belle...Et une trouée bleue me dit que peut être....

Un voile épais de brume rampante


Le départ du cimetière
Je démarre dans un matin froid et je suis à la lettre les indications; j'ai mal dormi, ce sentier a hanté mes rêves et en a fait un cauchemar. Altitude 1060 m, il est 7 h 43.

Pourtant je suis sereine et si je trouve l'entrée c'est avec un sens de l'intuition car ces herbes écrasées n'ont rien d'un chemin. C'en est un, envahi de folles herbes, enserré entre deux murs, rectiligne sur près de 200 mètres, je le suis avec conviction, une chance sur deux d'erreur. Et c'est lui ; 3 lacets serrés m'expédient dans une pente abrupte, sous de hautes falaises de calcaire . Aléa jacta est, je plonge...




Quelques vestiges

Le chemin dans les champ^s



Parcours du combattant sur 200 m



Les murettes faiblissent

La plongée !

Ainsi m'accueille un sentier large, cabossé, malmené par les éboulis mais bien étayé de murs, virages secs en épingle, déclivité plus qu'honorable, progression plus qu'inconfortable mais...c'est envoûtant. Non par le décor, quoique, ni par la vie, mais par ce qu'il me raconte du passé lointain et là cela devient peuplé, bruyant, affairé, j'y suis. Quelques marques jaunes et rouges, complètement délavées par le temps, à peine visibles résistent encore à l'usure.


Image Géoportail : une idée du tracé et de la déclivité, dès le départ




Un lacet escarpé, pauvres mules...

Hautes falaises du départ




Succession de lacets

Je me hisse sur une fine muraille rocheuse et le décor du sentier du curé saute à mon regard, miraculeusement éclairé de l'unique rayon de soleil de la matinée, voire de la journée.


Le sentier du curé, invisible sous son rayon de soleil

Le sentier, entre 1060 et 650 m, sera une succession de lacets, de pentes sévères, de quelques passages plutôt rectilignes, avec, à 860 m, un point de vue sur la vallée et une sorte de grande prairie inclinée anciennement cultivée semble t'il. Des noisetiers s'y épanouissent et des vestiges de pruniers redevenus sauvages.

Quelques images...

Au bout de la crête (en option contre le sentier), le vide et Gesse


Gros plan sur Gesse, en bord d' Aude



Pas facile de marcher là dessus

ou là...Vallée en fond arrosée par 
l'Aude et un rai de soleil

Le Castel

Altitude 860, en bas altitude 530

Dans ce décor courent mon sentier et celui du curé, plus haut vers la muraille rocheuse

La grande surprise sera, devant mon ordinateur, de découvrir le parcellaire de ce site côté soulane : Je n' aurai jamais l'explication de cette occupation des sols...charbonnières ? (il y avait une forge) . Extraction de gypse? 
Exploitation du bois ? En tout cas pas de cultures, c'est certain...Ce que j'aime, dans mes randos, c'est les questions qui se bousculent et m'occupent pendant la marche et, bien plus, après...


Le site  escarpé et stérile: Géoportail


L'étonnant parcellaire

Côté ubac c'est davantage propice à l'exploitation forestière.

On voit bien l'escarpement des deux rives de l 'Aude


La parcelle anciennement cultivée est bien marquée, quant à elle, sur le plan cadastral


Physionomie de cette parcelle esseulée au bord du sentier.





La "prairie" cultivée d'autrefois


Sculpture
Viorne











A la côte 800, une série de deux petits cols ouvre sur une nouvelle forte déclivité, longue pente d'éboulis qui a entraîné le sentier et m'entraîne aussi en une glissade que j'ai du mal à stopper. Aussi efficace qu'un névé ! Sauf que je n'ai pas de piolet frein.


Un des deux petits cols, 800 m


Le sentier n'a pas survécu, moi oui, petite glissade par chance

Alors commence "la rampe" descendante, sorte d'escalier muletier fait de quelques lacets escarpés et le sentier finit sa course dans les bois où lacets, éboulis intenses, murets pour contrer les éboulements et arbres enchevêtrés font un petit parcours du combattant. 

La "rampe" série de lacets en escalier

Entée en forêt



Mur de soutien d'éboulis...éboulé
La "caresse" des arbustes



Un énorme entonnoir jouxte le sentier quelque peu rétréci par l'ouvrage, un cône d'effondrement sous lequel sommeille quel monstre englouti ?


Cône d'effondrement


Imperturbable mon chemin suit sa route, des vestiges de murets me confirment que je suis toujours sur  le bon chemin, il n'a pas été englouti et j'aboutis exactement là où je le devinais hier : la route, le débardage pour la ligne électrique ont bien émoussé sa physionomie, mais en regardant bien, que vois je ? Pâli et délavé, le marquage du sentier. 

Dernier tronçon, les murets me disent
que je suis sur la bonne voie

La veille il me semblait que c'était l'esquisse d'un sentier, mais...tout a été bouleversé par 
la route et la ligne électrique


Mon oeil pourtant fureteur n'a rien vu !
Vestiges du balisage juste au départ

47 lacets et me voilà sur le tapis goudronné. Quelques lacets ont péri au fil du temps, on le devine aisément sur site. 

D'ailleurs, à bien réfléchir, le sentier devait continuer jusqu'à Gesse et l' Aude, la route n'existant pas alors. Et vers Bessède peut être .Nulle trace ne subsiste. Ou alors dans les terrasses qui s'étagent jusqu'au fleuve? La carte reste muette sur ce chapitre.


La route : 624 m d'altitude, 2.7 km et 1 h 03 de marche, je n'ai plus qu'à ...remonter, ce sera la partie sportive de la rando.

Et c'est reparti en sens inverse, il ne fait pas froid, le paysage n'est pas plus varié, la végétation à ces altitudes opacifie le décor, mais de toute façon je suis très occupée à regarder où je pose mes pieds. Et à chercher quelques détails pour enjoliver le parcours.

Quelques détails:


Echantillon géologique, au centre pavé de schiste et à droite, le coeur de gypse du calcaire gris

Les quelques ouvrages d'art dont j'aimerais connaître la date me fascinent...quelle patience pour les hommes d'autrefois, quel labeur, construire un sentier dans ces pentes verticales, c'est juste ce qui en fait l'originalité et qui génère l'émotion...
L'habitante du Clat m'a dit " Quelle peine et quel labeur pour ces hommes", elle qui connaît bien ce chemin.

Soutien du chemin

Murs de soutien d'un lacet




L'éboulis de la glissade est aussi insécure à la montée, ma peau un peu cabossée s'en souvient, je m'agrippe aux herbes et ça passe sans casse. Le seul vrai passage difficile du circuit.


La brume rôde au dessus du sentier du curé

Tranquillement, en lorgnant du côté des versants noyés de pluie au lointain, des quelques embruns qui me rejoignent sous le couvert et des langues de brumes qui s'obstinent sur les dentelles du sentier du curé, je rejoins la longue piste rectiligne du chemin entre les champs abandonnés, toute mouillée depuis mon passage 3 h plus tôt. Une biche paît à une centaine de mètres et se sentant observée va se cacher. Je fais de même derrière un arbre et ainsi, je pourrai observer à l'envi, ils sont deux, l'un  paraît bien jeune, un joli faon solitaire ? Un ami me confirme : la biche et le faon.





La brume épaisse, froide et mouillée me rejoint alors que je regagne le cimetière, et, comme si nous nous fussions donné rendez vous, elle ne me lâchera plus.





Fin du "voyage"...


Là d'où je viens...

Le travail ne fut pas que dans les chemins et sentier, mais aussi dans la construction
et l'épierrage des champs...


Au final, une randonnée pas difficile, ni dangereuse, sur les traces du passé, plaisante, musclée, un sentier muletier bref et efficace : j'imagine que les "gens d'en bas" (Gesse) dans la vallée et les "gens d'en haut" (Le Clat) sur le plateau devaient faire des échanges commerciaux, bons et loyaux services entre terres, main d'oeuvre et récoltes, comme cela se pratiquait autrefois au fond des campagnes. On louait ses bras, en échange de denrées, on prêtait ses terres en échange de bras, une vie autarcique efficace et besogneuse. 

Le conseil : comment trouver le départ au Clat (Le Clat, 14 km d' Axat)




Le balisage délavé

En chiffres :
Distance : 6.31 km
Dénivelé cumulé : 504 m D +
Temps de marche: 2 h 30
La route : plus de 200 km AR (Le Clat à 106 km de chez moi)


En rouge le trajet du jour
En jaune : fragment du Sentier du Curé




10 commentaires:

  1. Une rude descente pour ce retour vers un passé laborieux. Le sentier oublié mérite un detour, le curé devait y veiller à l'époque. La remontée n'a pas du être facile...
    Merci pour ces images et ce récit agréable. Bises.

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    1. Remontée facile car les sentiers muletiers sont un modèle d'équilibre. Les travailleurs d'alors savaient travailler la pente intraitable pour la rendre confortable. Exemple à Fontpédrouse, 66, les 66 lacets du sentier. Justement ces sentiers me plaisent car s'ils sont escarpés ils ne sont pas épuisants. Et celui là, on le fera ensemble, avec le Castel, alors on se prépare !!A bientôt...

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  2. Avec toi tout devient mystérieux, surtout les jours de brumes ... Pas à pas on te suit dans ces lieux d'un autre temps. Il y a bien longtemps nous avions nous aussi cette passion pour ces coins incertains. Nous avons fait tous les tours de Pays des PO au Pays de Comminges. Détours Pyrénéens les avaient publiés. Il nous manquait le Cagire Burat dont le topo n'était plus publié. Randonnées Pyrénéennes nous avait fourni 3 pages photocopiées en trouvant l'idée farfelue. Le Cagire Burat est redevenu à la mode, comme quoi ! Merci de nous faire revivre cette époque à travers tes sentiers oubliés. Roberte

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    1. Je n'avais jamais entendu parler du Cagire Burat, cela m'a donné l'occasion de m'instruire, c'est un très grand tour! Je n'aurai pas assez de temps pour faire tout ce que je souhaiterais mais pas à pas, je grignote...et j'espère grignoter longtemps, j'ai la chance d'avoir bon appétit ! Bises

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  3. Super toujours aussi intéressant merci de nous faire profiter de ces randonnées. BB

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    1. Cela me fait plaisir d'emmener avec moi ceux qui ne peuvent pas s'y rendre. Bises BB

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  4. Encore une balade dont toi seule a le secret. Et pas banal de débuter par autant de descente.
    Je ne verrai plus le Clat de la même façon à présent.

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    1. Moi non plus, le Clat était un nom sur une carte, un petit coin où on passe juste à côté. A présent j'en connais les recoins, enfin pas tous, il reste de découvertes à y faire, mais en les prenant à l'endroit, j'y arriverai mieux. Une ancienne carrière de gypse dans une grotte, ou le sentier qui domine toutes les murailles rocheuses, entre autres.

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  5. C'est toujours plaisant de découvrir un lieu oublié où seul la trace du travail de ces hommes a la création resiste, notre imagination fait le reste. Bravo Amedine

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