Conflent : Py (66): d'eau, de rocs et d'or

 Première partie.

Py, 1019 m, petit matin, ciel pur et étoilé, les chasseurs se préparent, moi aussi; par chance nous n'aurons pas le même secteur. Je démarre à la frontale : le jour pointe, mais c'est un luxe, pour éviter la chute, pour vivre la nature réduite au simple halo de lumière, sous le sombre couvert des arbres. Instant de grâce. C'est un luxe pour gagner du temps au départ et ensuite être libre de mon temps.

Le chemin est nouveau pour moi, pavé par places, beau, très mouillé par la pluie d'hier; le jour est vite là, je range la lampe dans le silence profond et un matin digne des livres d'école de la communale, autrefois, il y a plus de 60 ans.

Un tapis coloré

Py

Les Agullas ou La Tire, 1163 m, 22 minutes de marche, le chant de la Rotja tout en bas rompt le silence sépulcral. Mes pas veloutés foulent un tapis silencieux de feuilles mortes, herbes et terre mouillée.  Un nuage se tord sur les cimes du Pla Ségala.  

                                                                                               

En rouge le sentier balisé de Pas de Rotja
En jaune le sentier qui conduit aux cortals

                                                          

Sur les cimes

Le chemin du Mal Solà (1202 m) est proche, j'y suis et il me revient une image: une falaise, un mur accroché à la falaise et aucun accès. Alors, à 1324 m,  je vais le créer l'accès,  et me voilà en train de piquer droit dans la pente, sentier animal d'arbre en arbre jusqu'à ce que je sois absorbée par des fougères plus hautes que moi, étoffées de genêts, je brasse du végétal, le mur se rapproche, le voilà en majesté devant moi, 1365 m, un dénivelé de 41 m de grimpe sévère, je suis émerveillée!  J'y entre sur la pointe des pieds: adossé à la falaise dont il a épousé la roche, il semble suspendu sur le vide d'où je viens et bien au delà encore. Son mur est un balcon, je me repais d'images, stupéfaite de l'avoir abordé à la fois manu militari et en douceur.

Sur le sentier

Et dans la montée

La porte d'entrée à 1365 m

Le grand mur extérieur

Il ouvre sur le vide

Le paysage est magnifique : les flancs ardus de la montagne, les rochers qui émergent, la vallée suspendue du Correc Balaguer que j'entends gronder et le grand Roc de Balaguer, 1524 m, qu'un grimpeur solitaire essaie d'escalader en tenue écarlate : un érable !

Le grimpeur solitaire en rouge !

La vallée suspendue du Correc Balaguer :
le ravin dégringole et gronde

Je visite longuement le site et j'observe les environs; bien sûr il est accessible par le haut, il y a d'autres cortals, des pâtures et des ruines que je visite : de loin, de près...

(Un cortal est un bâtiment doté d'un toit, à l'inverse du corral ou enclos.)

Le site, aride et austère : granit et genêts, sol pauvre

Une petite ruine voisine du cortal

Vue de loin, elle est attirante

C'est la ruine d'un cortal : 1398 m

En 1824, il était le seul, cortal Laforge

Magnifique mur

C'était une maison grise adossée
à la falaise

Pendant la visite du dernier cortal, les vaches s'avancent. Alors je me cache derrière les murs

Angle ouvert des murs

La porte

Les vaches sont passées, je peux savourer le paysage. La lumière est étincelante, altitude 1395 m.

Le 4 eme cortal dans son cadre : 1439 m

Depuis les pâtures, le paysage 

Deux citernes vides n'arrangent pas le bétail ; je vais suivre le fil d'Ariane du tuyau qui amène l'eau et ainsi, me croyant sur un sentier, je me retrouverai sur un autre où je resterai : à Dieu vat, aucun n'est sur la carte !

Pâtures et citerne : 1451 m

Amenée d'eau

Le sentier va s'avérer sympathique mais un peu oppressant car je sais que ce n'est pas celui prévu : que va t'il me réserver ? Long de moins de 1 km et 140 m de dénivelé il paraît bien plus long. Il m'offre un grand silence, et quelques couleurs automnales. Il m'offre une étonnante ruine de cabane, preuve s'il en est qu'autrefois la forêt n'habitait pas ici ! Mélange de hêtres blondissants et de sapinières austères

Le sentier : 1539 m
Il se nomme "Chemin du Balaguer d'Odette"

Une cabane ruinée : 1569 m
Dite "del mitg del bosc"

Et puis la sortie se profile j'ai hâte d'avoir une idée où je suis; bien sûr le GPS éviterait cela, mais le GPS me priverait de toute la surprise de la découverte : où suis je ? J'ai parcouru 4.24 km. 

La sortie se profile : 1590 m

Je suis devant un somptueux paysage, en crête, alors que tout plonge vers le Correc de Balaguer que j'entends bruisser, là en bas. Le tuyau continue en direction du ruisseau, je comprends mieux mais ne m'explique pas pourquoi il est vide, laissant les vaches assoiffées.

Je suis en haut du Solà de Balaguer, balaguer signifiant lieu empli de genêts.

Arriver en crête et voir celà...

Le tuyau file le long de ce mur et mon regret est de ne pas l'avoir suivi. Les deux cortals qui se présentent à moi dans leur nudité squelettique m'attirent davantage. Et le décor : en matière de décor, la journée est faste.

J'aurais du suivre ce mur, jusqu'à la prise d'eau

Ils sont deux les cortals, blottis l'un contre l'autre.

Ils ont de belles ouvertures sur le vide et le paysage ensoleillé est radieux. Je suis conquise par le site. Je comprends à présent où je suis et comment en sortir : un tout droit en pente descendante sur près de 100 m de dénivelé escarpé; faudra jouer fin... Autrefois les sentiers ne manquaient pas entre les parcelles en terrasse, mais à présent la végétation a tout colonisé; à moi de me débrouiller : ce sera la "partie chaude" du parcours, je l'imagine déjà...

Ici aussi je trouve un câble

Une cabane jouxte les cortals : elle a une porte brisée que je franchis; elle témoigne de vie récente, estives récentes. Et des temps anciens émergent, près du bat flanc, une lame de faux usée et dans une des niches, un coin à fendre le bois martyrisé par l'usage.

Un coin à fendre le bois

La cabane du "Balaguer d'Odette"

Avant de voir si "par hasard il n'y aurait pas un chemin"...rêvons encore...je me repais de ce paysage apaisé et apaisant, étincelant où, si je voyais surgir un humain, je me demanderais sur quelle planète je suis!

Contour de toiture

A présent les choses sérieuses vont commencer : la descente jusqu'au sentier à 1502 m où j'ai fait escale dimanche dernier. 

Je commence à descendre côté forêt (ombre) et je bifurque côté cultures (soleil) où le paysage est plus lisible. De terrasse en terrasse, chacune encombrée je descends prudemment; c'est glissant. et j'observe.

Je suis un long mur magnifique, les Pyens sont de superbes bâtisseurs, le moindre mur est élégant. Sont ce des réminiscences de leurs lointains ancêtres tailleurs ou sculpteurs du marbre blanc si pur ?  Ici ou là, une solide barre rocheuse est  à éviter; les terrasses sont belles, couvertes de noisetiers ou cerisiers sauvages, et soudain un canal traverse un étage, 1560 m. Je le suis un moment en direction de la rivière mais il disparaît en rochers suspendus sur le vide. 

Une terrasse encore "propre"

Ensuite c'est fouillis garanti

L'art du mur

Le canal 

Un long mur, autre fil d' Ariane

Alors j'emprunte son cours dans l'autre sens et il me conduit tout droit à deux cortals en ruines adossés aux rocs : le canal devait cesser sa course ici avant de plonger de terrasse en terrasse vers le bas. Je l'oublie, déjà une curiosité attire mon regard ; voilà un drôle de hérisson roulé en boule, c'est une cabane joliment tournée !

Les cortals enfouis dans les arbres

Détail 

Toujours, la partie la plus belle est celle qui couronne les murs

Dans un fouillis végétal, il est caché
Dans ce fouillis végétal j'ai tracé mon chemin

La cabane "hérisson ": son nom ?
Cabane du Balaguer del Pacient

Entrée modeste

Le corral à 1542 m : un corral est un enclos à bétail

Voilà que je reconnais les lieux, le sentier se devine s'il n'est pas encore visible, ma mémoire visuelle est un bon atout dans ce genre d'expédition. Le joli cortal en bord du chemin a pris sa parure d'automne et je peux m'assoir devant sa porte, j'ai atteint le but. Désormais ce ne sera que sentier.

1502 m : j'y suis !

1ere cortal

et le second.

1824

Voilà que je m'attends à rencontrer du monde : mais non, c'est un sentier "oublié", dédaigné, personne n'y vient sauf un ou autre chasseur. Cependant, de là d'où je viens, il apparaît comme un sentier "civilisé". Illusion...Ce ne sera pas une désillusion, j'aime ne rencontrer personne.

Et si je m'offrais le casse croûte ? Il est 11 h 55, j'ai bien marché et surtout visité (1h 42 mn): 5.91 km au compteur, 2 h 36 de temps de marche et presque à jeun.

Sur le cadastre de 1824, seuls 3 cortals existaient dans le secteur dont  deux qui appartenaient au même propriétaire, Sangerma et l'autre à Giral. Sur ceux d'en haut, un seul est indiqué, sans nom. Donc il y a eu des constructions postérieures dans mes rencontres.

La suite du parcours vers la découverte commencera après le joli petit pont du primesautier Correc del Solà de Balaguer. J'ai hâte déjà, dans 300m commencera la "terra incognita". Pas de baignade dans le ruisseau, le vaches sont passées et je patauge dans la boue et la bouse. 

                                                                                                                         A suivre....

En blanc, sentiers bien lisibles
En rouge : sentier existant mais non sur la carte
En jaune : hors sentier
Flèche blanche : vers la 2nde partie