C'était un jour d'août où un soleil implacable faisait grésiller le plateau de l'Aubrac; je revenais du bain dans un des lacs lorsque deux jeunes hommes me demandèrent si je me rendais à Aubrac. Je n'y allais pas et ils me dirent "on y va par la voie romaine, on a deux heures de marche". Sans sac, quasi sans eau, je regrettai de les avoir abandonnés à leur destin afin de sauver mon séjour. Je compulsai bien plus tard la carte et fus atterrée de voir que 15 km environ les attendaient. Il faut l'inconscience de la jeunesse pour se hasarder ainsi...Je sais à présent qu'il y a des ruisseaux, ils ne sont donc pas morts de soif !
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Sur la Via Agrippa |
Depuis que j'ai appris son existence, je me suis agrippée à l'idée de parcourir cette petite voie romaine, enfin un tronçon, devrais je dire, d'une longue voie romaine (Bordeaux- Rodez - Javols- Lyon), dont des vestiges subsistent en Aubrac (Aveyron et Lozère).
Sur la carte je vis aussi la voie en pointillés suivant ou non le GR: ce qui m'intéressait était la partie hors GR. Les "chemins noirs" de Sylvain Tesson. Il me restait à inclure dans mon séjour d'automne cette aventure : fouler un chemin vieux de 21 siècles.
Alors m'y voici. Je la croyais si oubliée que je ne cherchai même pas d'improbables renseignements ; belle erreur, mais c'est mon défaut, je veux découvrir avant d'apprendre. Ainsi je reviens, ainsi j'y reviendrai. Mais pas sur mon parcours. Bien sûr si je voulais la parcourir, ne fut ce que dans un assez proche périmètre, ce serait des dizaines de km que mes pieds fouleraient. Je ne le ferai pas; un petit saupoudrage toutefois, sera envisagé. Par la route.
Elle a été bien décrite, à la manière d'un topo guide pour le marcheur et il sera dans mes bagages, assurément.
Tronçon de la voie Bordeaux / Lyon, elle traversait l' Aubrac entre St Côme d'Olt et Anderitum ville importante aujourd'hui disparue, qui subsiste sous le nom de Javols : de Anderitum ne reste que l'emplacement, par contre un splendide musée abrite les résultats des fouilles (images interdites).
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Anderitum jadis |
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Javols aujourd'hui |
Je laisse Nina en tête à tête avec ses voisins bovins et j'emprunte le GR. Il est superposé à la voie romaine, mais parfois juxtaposé de quelques mètres.
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Le Gr et la voie un peu excentrée parfois |
Au bout de 1.2 km, je franchis un portail pour lui fausser compagnie. Il va me falloir un petit moment avant de me mettre dans l'ambiance et je me trompe de chemin, le mien conduit à un buron, ce n'est pas le bon trajet.
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A droite vers le buron , à gauche la voie romaine Quasi indétectable de prime abord |
Alors il faut réfléchir et, en observant le paysage je devine la morphologie de la voie, ce sera le fil d'Ariane à présent.
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Morphologie : un peu en hauteur
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Et longée d'un fossé |
J'essaie de rassembler mes connaissances : morphologie des voies, tracé le plus rectiligne possible, visibilité la plus large possible pour surveiller le terrain , certes cela fonctionne mais j'imaginerai vite que voilà 21 siècles le paysage était intensément boisé et non dénudé. La voie évitait plutôt tourbières, marécages et ruisseaux. Il faut faire quelques ajustements. La géolocalisation du smartphone et ma position sur google maps, ainsi que l'appli "Géoportail" vont me permettre d'ajuster ma trajectoire, étant donné que la présence de ces Dames Vaches, m'invitera quelques fois à l'évitement. Il est des sites de haute densité bovine ! Pourquoi juste sur ma route ?...
La première étape de mon parcours sera celle-ci:
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Pointillés rouges : le chemin AR |
Un parcours de 9 km AR. Bien sûr pour qui n'aime pas ces chemins du passé, il n'y a rien à voir. Une trace d'herbe plus verte, à flanc de coteau, au milieu des prairies, un trajet rectiligne de couleur différente, à la terre bien tassée; quelques rocs qui ne parlent qu'à celui qui comprend un peu, il ne faut pas chercher autre chose.
Le passage des ruisseaux a perdu ses gués ou ses ponts de bois, la voie a perdu son dallage sous la pelouse bien tassée qu'empruntent encore les agriculteurs, sans doute, quelques soubassements rocheux ressemblant à n'importe quels rocs émergeant du sol, rien vous dis-je. Et je ne suis pas douée en voies romaines. Juste ma logique m'a aidée à voir.
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Site de Puech Cremat Bas |
Par contre j'ai visité moultes clôtures en tous genres ! Et goûté une seule fois au charme du courant électrique, j'y ai même goûté un long moment, il s'attarde le bougre ! Mes vêtements ont goûté à quelques accrocs, mon appareil photo à la rosée du brouillard. Et les vaches ont regardé placidement passer cette personne qu'elles enviaient peut être de changer de pré à volonté..
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Rare passage aménagé
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Version plus commune
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Ces clôtures seront le seul côté sportif de l'aventure...
Même le taureau a fait preuve d'indulgence.
Il fut pourtant en un site que je suis fière et heureuse d'avoir trouvé sans aide : une station relais vieille de près de 2000 ans; comment l'ai je vue ? Quelques excavations bien comblées, un ou autre muret , une forme géométrique et des tessons de briques. Ces tessons m'ont induite en erreur, car je les ai suivis perdus comme par des attelages mal arrimés, ils montaient la colline, ce qui m'étonnait: la voie montait elle ? Je crus, avec la proximité du ruisseau à une petite briqueterie, mais les tessons n'allaient guère loin.
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Site d' Ad Silanum |
Finalement j'appris que c'était un relais, Ad Silanum, où l'on pouvait soit passer la nuit, soit changer ou panser sa monture, voire faire des réparations. Et si les tessons avaient été un jour disséminés par la charrue du paysan ? Ou par le défrichage médiéval ?
Cette voie est fermée par quelques barrières faciles à traverser puisque des passages sont organisés. ; elle fut GR un certain temps.
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Buron de Puech Cremat |
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Version plus commune |
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Rare passage aménagé |
Le demi tour s'imposa au bout de 4.5 km et me permit d'affiner mon regard. Une ferme était au bout des prairies et une route passait tout près.
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Le terminus du jour |
Je revins tranquillement vers Nina, chemin à l'envers qui leva quelques doutes mais souleva des interrogations, sans quoi la recherche n'aurait aucun sens; entre autres, vers où continuait cette voie ?
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Retour, la voie convertie en GR et desserte des fermes |
En prenant mon repas, j'observai le terrain vers le nord mais aucune trace n'était visible, j'en conclus, vu l'orientation du chemin que la voie avait été recouverte par l'asphalte. Ce qui était vrai. Pratiquement toute la suite de la voie est devenue route, jusqu'à Rieutort d' Aubrac et au delà. Pourtant un petit tronçon a échappé à l'asphalte et je l'ai croisé sans le savoir ; il passe tout en haut de la cascade de Déroc, dominant un beau paysage .
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Version automne 2022 |
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Version été 2022 |
Le lendemain, après une nuit où j'échouai par hasard dans une ferme, et je compris vite que c'était la ferme que j'avais vue, Montorzier, dans un brouillard qui rampait, insidieux, et une pluie qui menaçait, sous un vent impétueux venu du sud, je m'élançai pour la suite. "Attention à la brume, on peut s'y perdre" m'avait dit le fermier la veille au soir. Aussi la boussole fut autour de mon cou, mais entre clôtures et orientation du vent, je ne risquais rien.
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Pointillés rouges, le chemin AR Cercle rouge : la ferme qui m'hébergea Point bleu et jaune : le point de départ |
Le tronçon qui me manquait était très bref, 0.8 km, alors pour le plaisir, je m'éloignai pour voir une tourbière; elles sont légion (normal au pays des romains), mais infranchissables. Je n'en comprenais que mieux les quelques détours de la voie. Ainsi je retrouvai le parcours de la veille, mais le stoppai au passage à gué, à la vue du troupeau qui encombrait la voie. Me glisser sous des clôtures, encore ?
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Le tronçon manquant, au départ de la petite route |
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Marécageux sur les bords de la voie |
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C'est pas grand bleu ! |
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Sorte de panneau directionnel |
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La voie |
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Style tourbière |
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Encore une et pas la dernière |
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Pays d'humidité ! |
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On ne passe pas ! Ruisseau et tourbières |
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"Ma ferme" de Montorzier |
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le paysage du jour vu depuis la Via Agrippa |
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Parapluie ! |
Je revins à mon point de départ, à la route, et partis dans l'autre sens à travers champs; pas de trace sur la carte mais sur le terrain elles sont visibles: un alignement de pierres m'invite à le croire et ce sera. Je traverse la petite route et vais chercher le GR qui traverse les prairies, beau chemin de piétons qui a creusé un sillon dans la voie.
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Panneaux directionnels |
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Elle est là... |
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Via Moderna |
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Via Agrippa |
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"Le Pendouliou de Fabrègues" dans tous ses états |
Un petit tronçon bien pourvu en rocs me parle puis je vais m'enfoncer dans le bois, après m'être copieusement aplatie encore une fois, je n'ai pas su ouvrir la barrière !
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Dans un sens |
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Et dans l'autre |
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Dans un sens |
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Et dans l'autre |
Je regarde défiler les vaches, la fée électricité nous sépare.
Le tronçon devant moi est une splendeur, s'enfonçant dans la forêt incandescente malgré la brume : des pavés sont encore visibles sous les feuilles, du noir basalte contrastant avec l'or des feuilles.
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La voie romaine en forêt Lieu "Réserve des tourbières de l'Aubrac"
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Les pavés de basalte
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Aucune indication jamais n'est donnée quant à la voie et si je quitte le GR, c'est par intuition, la voie est rectiligne, ce coude ne lui correspond pas. Et je vais, en forêt sur quelques centaines de mètres quand soudain le tracé logique est avalé par les arbres, c'est fini, je suis sûre de mon fait, la carte et les vues aériennes des années 60 le confirmeront, mais je n'ai ni sabre, ni coupe coupe ni tronçonneuse. Il est vrai que j'entre dans le périmètre du domaine skiable, de belles pistes sont tranchées en forêt et si les romains revenaient, ils porteraient la main au casque et s'écrieraient "ils sont fous !!".
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Rectitude |
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Terminus logique et avéré dans le bosquet |
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Vue aérienne ancienne : en rouge mon chemin, dans le cercle le terminus En blanc la suite logique, corroborée par IGN |
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Normal aujourd'hui, incongru si on se reporte dans le temps
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Plus loin la station de ski de Brameloup |
Je n'ai plus qu'à revenir au camion, (7.5 km AR), à décrotter ma tenue (les reptations par temps mouillé c'est génial pour la tenue camouflage) et à aller me restaurer devant...un aligot bien sûr, arrosé autrement que par la pluie !
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Tourbière exploitée dans les années 80 |
Ainsi je conclus ce périple en Aubrac, ce soir, à la nuit, je serai chez moi. Mais c'est promis, je ....
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Allez Nina, je prends le volant! |
Je sors épuisé de la lecture sur ta recherche de cette "via Agrippa !" Ah ah ! Et si en plus j'imagine les cohortes romaines de César "randonnant" sur cette voie direction Gergovie.... (il n'étaient pas confrontés aux barbelés ni aux clôtures électrifiées mais leurs chaussures de rando au confort spartiate devaient laisser tout de même quelques petites séquelles !) Bref... encore un de tes périples qui nous aura tenu en haleine ! Avec de sublimes photos ! A quand ta recherche du chemin de Roland et de son cor dans les Pyrénées ? 😀
RépondreSupprimerEpuisé ? C'est vrai, l'à propos des chaussures...aujourd'hui on marcherait pieds nus sur ce velours, mais à l'époque...Ils avaient une route d'été et une route d'hiver car le plateau était inaccessible l'hiver; ils étaient bien organisés. Dire qu'ils ont été métamorphosés en vaches à présent...qui est le plus effrayant ? Imagine , une légion de vaches à mes trousses...Bonne idée celle du Chemin de Roland, mais faut pas se fier au cor, les montagnes perturbent le son. Dernière remarque, chercher un chemin bien plus récent en Conflent est autrement épuisant, il faut brasser de la broussaille, là au moins la vue est libre
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