Adossé à sa montagne de schiste, perché sur un éperon rocheux, Joch, petit village du Conflent, à l'écart des routes a un petit air de village corse. L'ancien village mérite le détour, préservé, authentique, calme, encore non défiguré par l'urbanisation et la bétonisation qui sévissent impitoyablement de la vallée jusqu'à la mer.
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Joch 1er janvier 2023 |
Un canal d'arrosage traverse le village, se divise en branches et offre un havre de fraîcheur en plus de sa chanson jamais monotone.
De Joch un ancien chemin partait en ligne de crêtes et allait rejoindre le très lointain village de Labastide, dans les Hautes Aspres, il est visible sur le cadastre napoléonien sous ce nom là : Chemin de Labastide à Rigarda.
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Cadastre napoléonien 1831 |
C'est cet ancien chemin que nous allons suivre avec Gilbert pour monter au fleuron de Joch : le Pic des Feixes (ou Croix de Joch). C'est un pic modeste, situé à près de 1000 m d'altitude, sans grande envergure en apparence et pourtant...
Nous voilà partis sur une dorsale surplombant deux vallées, celle de la Lentilla venue du proche Canigou et celle du Riu Fagès provenant des pentes abruptes de Glorianes. Des deux rivières, l'on ne verra pas grand-chose mais des vallées encaissées, voire tumultueuses, se devinent.
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La montée au Pic |
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Vallée du Riu Fagès |
En revanche, au fur et à mesure que l'on s'élève, le paysage grandiose se dévoile, hélas masqué par la grisaille du jour : une vallée toute plane qui s'évase, des champs tout verts, des lotissements hélas qui grignotent la vie agricole, le barrage de Vinça et les lignes de montagnes aux tons gris bleu à perte de vue.
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Vinça et son lac de barrage en fond |
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Vénérable ancêtre |
Sous nos pas, le chemin, étroit, rocheux, rongé par les ans et les passages répétés, un chemin d'ancienne importance, s'élève dans ce qui fut une montagne cultivée : des "feixes", des terrasses, dans un sol ingrat, rocheux, mais dont les paysans d'antan tiraient le meilleur. Sous le maquis impénétrable se devinent des parcelles, des murettes, des terrasses et l'air vibre encore de cette tâche harassante, interrompue le temps de quelques salutations par les voyageurs allant des Aspres au Conflent. En écoutant bien le silence, c'est cette vie que j'entends. Gilbert me présente son décor, son vif attrait pour ces montagnes et quelques anecdotes, notamment celle concernant ce surprenant chemin de croix, conçu par un prêtre, menant au sommet où une autre croix...mais...plus tard.
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La roche usée par les pas |
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Une des croix |
On continue à monter ; moi qui découvre, je suis conquise par ce paysage, à droite, à gauche, derrière moi, il prend des noms, il devient vivant. Et ce Massif du Canigou qui devient de plus en plus imposant...
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Altier mais peu enneigé : le Canigou |
En arrivant à proximité du sommet, toujours dans la broussaille, une magnifique ruine de cortal ne m'autorisera que la "vue aérienne", trop embroussaillée pour aller jusqu'à la porte. Elle précède un petit col et c'est là que l'histoire prend une autre tournure ; insidieusement le Paradis se défile, alors que la croix se profile
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Le sommet se devine avec la croix |
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Le cortal |
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Intérieur : une source se trouvait autrefois tout près, nommée alors "Foun de las Feïches" |
Une piste desservant un mas dans le versant Lentilla, le mas de Saillà, meurt dans la montagne un peu au-dessus dudit mas. Ce serait cette piste qui deviendrait tout à coup indispensable à la lutte contre d'éventuels incendies et serait prolongée, écornant la base du Pic de les Feixes avant que de gagner le versant vallée de Glorianes pour revenir en boucle vers la crête nord du Pic del Ginèbre .
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Dans ce col, près du cortal passerait la piste |
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Jolis plissés versant Glorianes : le Mas de las Fous s'y loge, la piste aussi s'y logerait vers le sommet des plissés |
Je m'intéresse depuis un certain temps au Conflent et j'ai minutieusement étudié d'anciens sites agricoles, à la recherche de leur géographie, de leur morphologie ancienne, de leurs chemins disparus, chose "musclée" mais facilitée par la conservation du patrimoine et du paysage, même disparu sous la friche. J'en ai dressé et consigné un minutieux inventaire. La nature à laquelle l'homme a arraché à coups de pioche sa substance pour la survie, reprend ses droits, cache ses vestiges, revient à son équilibre primitif et qu'importe si un incendie la dévaste, elle renaîtra de ses cendres puisque nulle habitation n'est menacée. C'est le même cas de figure dans ce secteur conflentois, c'est pour cela que cette piste qui va zébrer le paysage paraît à ma logique de terrienne, étant moi-même paysanne, complètement inappropriée. Car n'oublions pas un élément de taille : la proche retenue d'eau de Vinça qui alimente les hélicoptères bombardiers d'eau rend la lutte contre l'incendie plus rapide et efficace que de lourds camions lancés à l'assaut de la montagne. Mais la logique humaine est parfois en complète dysharmonie avec la logique géographique ou...économique . Toutefois, à nous, agriculteurs, on nous interdit pendant 6 mois de l'année de couper la moindre branche de nos propres arbres pour préserver la nidification et ici on raserait sans pitié une large bande de forêt ? On soumettrait le paysage naturel à des nuisances inévitables (pollution, bruit, motorisation) dont on sait très bien que toute piste a un usage détourné...
Quoi qu'il en soit, comme mon imaginaire se fraye aisément un chemin dans les paysages du passé, il sait aussi se frayer sa route dans le futur, et celle-ci, de route, ne me plait pas. Laissons vivre la montagne et sa biodiversité dans la paix retrouvée...Si piste il devait y avoir pourquoi ne pas la diriger plutôt sur la Creu de les Fous, trajet bien plus raisonnable au vu du terrain et de la carte...Et le Pic de les Feixes garderait sa prestance.
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Studieux ! A la Croix de Joch ou antécime |
C'est vrai que c'est un beau belvédère : une croix y est implantée jumelle de plus petite taille que celle du Canigou qui lui fait face. Que se racontent elles dans le silence glacé des nuits étoilées ?
Des feixes ou terrasses, l'on ne voit plus grand chose :
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Avant d'arriver au sommet |
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Après le sommet |
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Glorianes, la vallée et les crêtes |
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Le Pic de les Feixes : 925 m |
Gilbert m'emmène à présent en suivant la crête par la Creu de les Fous jusqu'aux ruines du Mas de la Serre, sorte de forteresse face au Canigou, Barbet et autre grandiose arête du Roc Nègre, mais aussi à une première ligne nommée Marbet, Maures et Jocaveil, que je brigue après ma sortie dans ces rudes pentes de Baillestavy parcourues précédemment avec Paul. Je suis une inconditionnelle amoureuse du Conflent, moi l' Albérienne ! Je scrute, j'étudie, malgré le manque de clarté, le bienvenu casse-croûte m'en laisse le loisir. Le mas est imprenable, bardé de ronces, la ruine sait se protéger de l'humain.
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Versant Lentilla : on distingue la piste |
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Jardin suspendu sur chêne vert |
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Broussaille en crête, très agressive |
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Sur la crête : 1000 m |
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Le Mas de la Serra, Roc de Jocavell (1326 m) et Pic du Canigou (2784 m) |
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Correc del Xuri |
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Puig dels Moros (1211 m) et pentes où j'ai randonné |
Le demi-tour s'impose et Gilbert va m'offrir une des plus belles descentes que j'ai rencontrées: sur le versant Lentilla, le sentier balisé qui conduit de Les Fous à la piste, au mas Saillà, et à Joch (entre autres) est un vrai bijou . Ancienne voie de communication également, il traverse une belle forêt de chênes verts qui a repris ses droits après une intensive exploitation. Le décor pourrait paraître monotone, mais la Nature est revenue à ses origines, point maltraitée, la lumière y est belle et la danse des troncs graciles et noueux accroche le regard. Il ne manque que la musique de l'eau et du vent...Il ne manquerait plus que la destruction et la mutilation dues à la piste !!
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Hépatica, ainsi nommée car la feuille trilobée évoque la forme du foie; fleur toxique. |
On croise la piste et on emprunte le chemin ralliant Joch, là c'est émerveillement : chemin en balcon et corniche parfois, taillé dans le roc ou franchissant des ravins avec des murs de soutènement immuables (à faire pâlir la 116), chemin qui eut ses rôles multiples : route mais aussi chemin d'exploitation de la forêt, du charbon de bois (je retrouve quelques places charbonnières), chemin où une vie de labeur précéda pendant des siècles la vie "futile" de nos jours, celle du loisir, mais reconnaître leur valeur, les conserver, est déjà accorder à la montagne ce qu'elle mérite : le Respect !
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L'ancien chemin de Vallestavia |
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Taillé dans le roc |
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Etayé de solides murs |
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Et les chemins d'aujourd'hui : la Lentilla, le canal et la route |
En chiffres :
Distance : 13 km environ
Dénivelé positif cumulé : 720 m env
Temps de marche : 4 h
Jolie rando que nous avons faite l'an passé. Très beau texte et super photos.Merci Amedine
RépondreSupprimerJuste un truc : j'ai l'impression que la croix de la Feixes est un peu plus grande que celle du Canigó. Ses quatre volutes dans les angles droits la distinguent de l'autre.
GV
Mon guide m'a dit qu'elle était plus petite me semble t'il; là tu me fais douter.. En tout cas la balade par temps grand bleu doit être belle
SupprimerUne belle balade active et assez sportive, "me trompe-je" ? :):) ; tout y est : topographie, toponymie, géographie, histoire le tout magnifié par ces beaux clichés ! Un beau titre de roman : "La montagne oubliée" ? Tant qu'à faire, laissons-là subsister telle quelle, elle a su résister durant le longues années aux éléments et à l'abandon du labeur, et ces vestiges hantés par les fantômes du passé nous invitent aussi à un travail de mémoire que tu sais si bien nous restituer ! Une suite ??
RépondreSupprimerUne suite ? Déjà avec cette épée de Damoclès ce sera une affaire à suivre. Ensuite tu sais que quand je "fourre mon nez" dans un secteur qui me plait, je ne décroche pas facilement...Je suis boulimique et j'ai déjà quelques hameçons lancés dans le secteur.
SupprimerA propos de la piste, tes lecteurs peuvent avoir des infos ici : https://gjmaths.pagesperso-orange.fr/contenu/pisteDFCIco10small.pdf et d'autre part une pétition est en cours à son propos, elle est ici : https://chng.it/J6zY4xrZ8t. Le pic des Feixes et moi-même te remercions d'avoir publié sur ce sujet.
RépondreSupprimerMerci de m'avoir invitée et sensibilisée à un sujet qui me touche à plus d'un titre.
SupprimerMagnifique balade et très belles photos,merci a vous Madame ,et a mon cousin Germain Gilbert, je suis très fière de lui ,merci a vous deux de defendre ce beau site qu'il nous faut préserver j'ai signé la pétition et suis entièrement solidaire de votre investissement dans cette sauvegarde ,
RépondreSupprimerMerci Madame pour votre commentaire; j'ai porté mon regard de randonneuse sur ce site, c'est juste une petite goutte d'eau mais je vous souhaite réussite à tous.
SupprimerUn joli belvédère avec de nombreux vestiges d’un passé agricole qui interpelle. Nous ne connaissons pas Joch, nous étions allé explorer du côté de Rigarda c’est intéressant aussi. Ton récit est une belle découverte, merci. Josy.
RépondreSupprimerInterpellent.
SupprimerLa puriste de l'orthographe, coucou ! Oui en ce moment j'accumule les sorties intéressantes, comme pour dévorer la vie en contrepartie de ...tu sais quoi. Une belle découverte aussi ce lieu pour moi. Bises.
SupprimerPour moi La Croix est plus grande qu au Canigou
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