Préambule : ce titre n'est qu'un jeu de mots car la Vignole, en plus d'être une station de ski du Puymorens,est un ancien cirque glaciaire, très beau été comme hiver; le fond du cirque est un immense pierrier morainique et le versant sud/est, une véritable muraille noire hérissée de pointes , flèches et autres aiguilles granitiques qui font un relief aussi déchiqueté qu'inquiétant. L'été des massifs de rhododendrons égayent l'ensemble, l'hiver un tapis blanc, épais et velouté arrondit les angles et donne douceur et mollesse au décor . Bref c'est aussi sévère que beau !
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Au sol le pierrier de moraines (fragment) |
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En haut : aiguilles granitiques |
C'est la 5 eme fois que je viens ici, à l'extrémité ouest de mon département, aux confins de l' Andorre et de l' Ariège. De la première fois je garde un souvenir ébloui : le crâne bardé de points de suture, et la jambe blessée, j'avais traversé l'immense pierrier, escaladé les crêtes du Pic de la Mine; tout tanguait un peu ce jour là, la découverte n'en fut que plus intense. Les fois suivantes furent superbes.
Ce jour, c'est en possession de tous mes moyens que je pars pour un projet : gravir le Pic des Valletes, au fond du cirque par un couloir de descente donc du facile.
Un petit matin glacé, - 5° dans ma chambre, normal, j'ai dormi porte ouverte, me booste sur les pistes de ski désertes. Il est 7 h, je garde l'heure d'hiver.
Les crampons sont en place cela m'évitera l'onglée en pleine montée. Je suis partie peu vêtue et la tenue d'été viendra à point nommé renforcer le léger pantalon d'été.
Au bout de la piste, je bifurque à gauche et j'entre dans le cirque que je remonte sur la gauche, la neige a gommé le pierrier géant. Je marche en dévers, au pied des falaises, profitant d'une trace de skis: la neige porte bien, elle est damée. Je prends de l'altitude tout en douceur et je scrute : quoi ? Mais tout! Le moindre couloir, le moindre sommet, les rares "voyageurs" mais mon objectif est très loin et je suis déjà en train de le modifier. Parce qu'il est loin et que mes jambes fourmillent d'envie de grimper. C'est le silence parfait, la solitude aussi et je suis bien. Deux personnes émergent de leur tente posée sur la neige : quelle nuit de rêve ici !
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Trajet en dévers |
Le fond du cirque évolue entre 2200 et 2300 m, les crêtes sont à 2700, le pic que je brigue à plus de 2800m
Soudain mon regard accroche un couloir et quasi sans réfléchir je le choisis. Il a un avantage non négligeable : il est facile. Pas trop pentu, plutôt court, il faut que je puisse redescendre si j'ai une difficulté. Plus pentu ne me dérangerait pas mais la condition est "pouvoir se replier si...".
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En vue du couloir |
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Le couloir facile et modeste |
Alors j'entame la montée du cône de déjection en dévers puisque je suis déjà dessus. Et je monte, en biais. Cela grimpe dur comme tout cône qui se respecte mais un problème surgit, je m'enfonce redoutablement dans une neige poudreuse. Jusqu'aux genoux et de plus, je glisse car la pente est forte. Un pas en avant et je recule, enfoncée jusqu'aux genoux. Ni crampons ni piolets ne m'aident et je m'épuise vite.
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De la soupe !! |
Alors voyant que je n'avance pas, je redescends. Déçue. Par chance je redescends en biais et là que vois-je ? Des traces : quelqu'un est récemment monté. Je me loge dans ses pas et je monte gaillardement; il en sera (presque) ainsi jusqu'en haut du couloir.
Le couloir n'est pas assez étroit à mon goût, pas assez pentu, je l'évalue à 35/40°, calculs faits c'est ça. On est loin des 55 ° du Vermicelle. Juste 111 m de dénivelé, 190 m de long, mais cela me permet de m'amuser, la neige est devenue dure, j'ai quitté les traces et je monte en traction sur mes bras et leurs dents d'acier, je contemple au passage des animaux bizarres figés dans la pierre.
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ET ?? |
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Le chien ? |
Un couloir inconnu est un monde de surprises, aussi petit et facile soit-il: la question est "comment sera le terminus"?
Le terminus j'y suis, je sors avant la fin, en neige, la vraie sortie est en herbe. Sortie douce, pas de barre rocheuse mais là, surprise !!
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La sortie 1, en neige; la 2nde est plus haut, sèche |
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De l'arête pour les sommets |
Les crêtes sont bien loin et pour y arriver j'ai une forte pente de roches et de gispet (herbe) à gravir.
D'abord un peu de carburant, je n'ai mangé que 2 dattes pour ce périple énergivore. Sur ma terrasse au soleil je me restaure. Je contemple depuis mon balcon. Mon objectif est fort loin, je revois le programme à la baisse car si au retour je dois patauger ainsi, je vais m'épuiser. Soyons sage; un peu de cirque, certes mais point trop. Délestée des piolets et crampons, j'attaque la roche: ce sera par l'arête que je vais grimper.
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L'arête que j'ai parcourue et , au bout, la sortie du couloir |
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Un roc de l'arête et les falaises du cirque |
Je retrouve mes sensations d'été, le contact de la pierre. C'est un granite fort rugueux, couvert de lichens, mais très facile à empoigner et je grimpe, le dénivelé est rapide, les 250 m manquants sont vite avalés. Pendant ce temps, un peu gelée par un vent aigre chargé d'humidité je repère par où redescendre.
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Je préfère les rochers à cette pente de neige |
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J'ai froid !! |
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Et la pente de gispet |
Me voici en haut sur la crête, 2706 m en ce lieu. Toutefois, visitons d'abord: que c'est beau ! Le Pic de Fontfrède est proche, celui des Valletes loin, deux isards s'enfuient dans la neige, il n'y a qu'eux et moi. Je ne leur plais pas. Le Pic est encore bien loin et s'il n'est qu'à 2814 m, la distance est longue. J'essaie: c'est de la pelouse, ou de la neige gelée que j'évite au mieux, mais ce sera long, trop long, avec le retour. Le ciel s'habille de gris, un vent glacé surgi du sud me glace dans mes minces vêtements...Donc le demi tour s'impose après quelques visites au dessus des couloirs et autres noires parois. Pour tout dire c'est sinistre. Pour tout dire, j'adore. Des grimpeurs surgis d'un ou autre couloir, au loin, hésitent, cherchent, renoncent : deux se lancent dans le couloir que j'ai choisi, un drôle d'entonnoir pour le moins séduisant. Enfin ce qui à moi me séduit !
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Altitude 2706, les Pics de Vallettes et Pointe de la Vignole |
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Champ de neige, vallée de Campcardos et en fond La Molina (station de ski) |
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Pic de fontfrède |
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La vallée du Carol et la Cerdagne en fond |
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Reliefs déchiquetés |
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Balade en solitaire |
De retour, à mon tour je me lance : bien sûr je pourrais descendre en courant le lit d'éboulis granitiques; je sais faire sur du calcaire mais le granit ça roule et je n'ai pas envie de me rompre les os. Je pourrais aussi suivre la pente de neige, mais autant les pentes de terre, rocs et herbe ne me font pas peur, autant la neige en pente raide me bloque. Alors je choisis la pente de gispet qui fait des escaliers commodes à descendre.
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Le choix : gispet, éboulis ou neige ? |
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Sûrement pas ça !! |
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Ici , pas le choix, ce sera éboulis...et j'aime ! |
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Dans un cadre pareil.... |
Il est très long ce toboggan, très raide, très glissant; une pente à 40° de moyenne. L'herbe cède le pas à la terre et aux cailloux et après trois petites glissades qui feront de mon pantalon un petit gruyère je me pose à la limite de la neige : ce sera mon restaurant dans la chaleur revenue et le silence de cette mi journée lumineuse. Je n'en partirais pas...Mes voisins sont de noirs rochers déchiquetés, des couloirs ardus, des parois griffées de neige; c'est violent, c'est magique et attirant.
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Le décor de mon restau |
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Restaurant en tenue été |
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Le ridicule ne tue pas ! La preuve... |
Au dessert, je chausse les crampons et prends le chemin du retour; d'abord descendre le cône de ce long couloir de plus de 500 m de long, 300 m de dénivelé, aucune difficulté. Je suis accueillie par des petits oiseaux emplis de gaieté. Puis, 2nde partie du trajet , refaire le chemin à l'envers dans le cirque : une "voie piétonne" large, creusée d'empreintes ne m'amuse guère; je la suis un peu en parallèle, la neige vierge, c'est plus portant; finalement , au vu de la tenue du sol, j'aurais pu le faire mon grand tour, sans mourir d'épuisement.
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Le retour |
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Le pic où je ne suis pas allée |
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A droite, le couloir qui me fait rêver |
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Empreintes dans un, cône de déjection |
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La vie s'amène en glissant |
Un petit groupe de skieurs passe près de moi, cela donne vie au site cette présence humaine, une petite transition avant de retrouver la vie, les télésièges, les skieurs qui font leurs dernières glissades, la station ferme tout à l'heure sa saison hiver 2018/2019. Je clôture à 14 h 05, mon périple , une balade riche en excentricités: j'étais au cirque, non ?
D'autres que moi s'y sont aventurés en exercices de haute voltige : je vois arriver Nico et Pierrick bardés de cordes et autres dégaines : un petit moment amical à mon camion.
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Le vrai cirque, comme un élégant danseur Au loin, au zoom, en Ariège Pas pour moi, pour les copains |
En chiffres:
Distance : 9.8 km
Dénivelé cumulé : environ 950 m
Temps de marche : environ 6 h
Route : 256 km AR
Bilan : en image, un trajet facile, court, très ludique, hors des sentiers battus. D'autres couloirs faciles et à ma portée, j'espère, m'attendent ici
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Sur une vue d'automne 2014, mon trajet (mon " cirque")
En rouge la montée
En bleu la descente
Le parking est à plus de 3.5 km du bas gauche de l'image |
Très tentant ce parcours malgré la route, merci Amedine.
RépondreSupprimer+C'est vrai qu'il faut aimer conduire, comme j'aime, pour faire ces trajets. Ensuite en ayant un fourgon je peux faire sur 2 jours et pas l'aller retour à la journée.
SupprimerQuelle balade, seule et si bien entourée de ces paysages de beautés brutes...
RépondreSupprimerTout est dit, c'est vrai, bien entourée de beautés brutes et séduisantes mais pas pour tout un chacun. C'est aride et austère. merci FLOH
SupprimerTu as fait le cirque dans ce magnifique cirque que la neige rend plus mystérieux encore. Un beau parcours et des photos originales. Pas de risque d'être mordue par les chiens... Tu en est sortie indemne cette fois-ci... Nous y avons bivoiqué en été pour faire le pic de la mine et un peu de roche, nous étions avec les marmottes. En hiver c'est plus difficile surtout avec la neige de printemps. Merci pour ce récit qui m'a remémoré plein de souvenirs. Bises, j'espère que les chats vont bien.
RépondreSupprimerJ'ai fait ce parcours en fond de cirque, 2 fois en été c'est magnifique, j'étais allée au Pic de Fontfrède, Vallètes et la fois suivante Pic de Fontnègre, un plus de 2800 aussi. Je m'étais régalée; ce n'est pas couru, il n'y a personne et le point de vue est remarquable à ces altitudes. J'y reviendrai en été, je veux tâter du couloir en été, j'aime ça. Tout va bien, la Tribu et son Sujet un peu fatiguée. Bises
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