Prélude :J'ose à peine confesser que
le Vallespir ne m'attirait pas; le Vallespir, la "vallée âpre", la vallée du Tech, un des 3 fleuves du 66.
Pourquoi ne m'attirait-il pas ? Pour la même raison que ne m'attirent pas les Aspres voisines (de âpre également) et je ne savais même pas que la racine était commune. L'une et l'autre de ces deux régions me rebutent car il y a trop d'arbres! Oui j'aime les arbres mais...mais ce maquis épais, touffu, impénétrable, qui occulte la vue, m'insupporte. J'ai besoin d'air, de grands espaces, de paysages à perte de vue.
Lorsque Daniel me propose de découvrir
les Tours de Cabrenç, je suis partante et même enthousiaste.
Je les sais haut perchées et au dessus des forêts car c'étaient d'anciennes tours à signaux, le département en comptait plusieurs dizaines, construites toutes entre 1285 et 1390 par les rois de Majorque ce qui leur confère une certaine homogénéité. Elles émettaient de la fumée le jour et la flamme la nuit ce qui permettait de bien décoder ou envoyer les signaux, selon un code très précis.
Beaucoup sont ruinées, toutes méritent la visite car, haut perchées, elles sont prétextes à de jolies balades.
Cabrenç, en plus de sa tour, sur son promontoire à 1300 m d'altitude, possède les ruines d'un château construit par le Seigneur de Corsavy au X eme siècle; une tour de garde, ultérieure au château l'accompagne et la tour à signaux (XIV eme) est un peu excentrée.
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Daniel, enfant du Vallespir, entend me faire découvrir cette région si proche de ma maison, et très vite je cesserai de qualifier cette balade de rando, mais plutôt de voyage. Une initiation.
J'ai pris la route au matin et à 40 km de chez moi, nous démarrons, à pied, direction le village de
Serralongue. Un petit village belvédère qui regarde le Massif du Canigou autant que les tours de Cabrenç, dans la direction opposée. Un petit village où il doit faire bon dormir entre église et Conjurador, un des deux survivants en Europe. Le Conjurador, monument à 4 faces, chacune nantie d'un Evangéliste, servait à conjurer le sort s'acharnant sur le climat ou les récoltes.
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Le conjurador de Serralongue |
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Serralongue et les Tours de Cabrenç |
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Plus tard, image inverse |
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Daniel et ses facéties dans
le Conjurador |
A Serralongue débute le sentier pour Cabrenç; nous faussons compagnie rapidement à une piste forestière pour préférer le sentier plus bucolique car plus étroit. Un groupe de daims, curieux nous épie et galope dans les forêts colorées. Royaume du châtaignier. Quelques bouleaux, chênes et conifères seront les voyageurs immobiles du jour, nos pas donneront vie à leurs larmes de feuilles en épais tapis au sol. Toutes ne sont pas tombées et les arbres flamboient, cela me réconcilie avec la forêt...
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Serralongue en filigrane |
Daniel m'offre une petite leçon de géologie et je revisite le granit ! Et les quartz laiteux.
Je retrouve le plaisir des randos faites avec Camille qui me contait si bien la botanique des chemins que nous prenions. Daniel fait de même avec la roche. Tout ce que j'aime !
Il y a deux sentiers pour Cabrenç, le sentier classique et un autre bien plus raide, 1.25 km, par le col de Rastell. Daniel sachant que j'aime bien grimper les pentes raides me promet "le nez dans la pente" . C'est un parcours qu'il affectionne car très raide, pour le gravir en courant, il le découpe en 8 étapes qu'il énumère au début et puis on les oublie, je suis subjuguée par le paysage.
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ça grimpe sec |
Non
le Vallespir n'est pas que des bois épais mais ici le sentier caresse la crête (Solana de las torres) au dessus de belles vallées que la lumière brillante du jour sculpte, modèle, creuse et fait resplendir. La vallée de la Ribera del Castell. Et si j' ai le souffle coupé ce n'est pas que par la dure montée, que finalement j'avale sans souffrir. (Mais elle fut rude puisque pendant 2 jours les mollets douloureux la rappelèrent à mon souvenir).
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Il manque la tour à signaux, encore invisible |
Le nez dans la pente, certes pas, mais assez pour débusquer quelques champignons soigneusement cachés aux quels je laisserai la vie sauve!
Quelques belvédères rocheux permettent de somptueux panoramas sur la chaîne de montagnes blanchies : le Bastiments, les Gra de Fajol, l'Infern, le Costabonne et quelques sommets du Massif du Canigou. La dentelle enneigée des Esquerdes de Rotja, tous mes amis sont face à moi mais du haut de la tour je les verrai encore mieux.
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Face à son Vallespir de coeur |
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Gra de Fajol, Infern (centre) Bastiments (droite) |
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Costabonne et Tour de Mir (tour à signaux) |
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Esquerdes de Rotja |
Car à la Tour nous y sommes, la Tour à Signaux joliment restaurée, 1292 m.
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On l'aperçoit à travers la hêtraie |
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14 eme siècle; restaurée récemment |
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En ruines; Bulletin Monumental in article de Annie Pous, 1947 |
Daniel a la clé et nous pénétrons dans le sanctuaire, une raide échelle, des marches de pierre nous font gravir les 3 niveaux et c'est l'émerveillement au sommet. Les montagnes enneigées, les Albères, la mer, la plaine, tout le panorama est offert dans une belle lumière. C'est magique, je ne m'arracherais pas du sommet! Cabrenç communiquait avec la tour de Mir, de Batère et de Cos, on peut les voir, elles sont au rendez vous sauf Cos, détruite, mais son nid d'aigle est face à nous, un sacré piton !
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Vue partielle de la forêt |
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Escalier intérieur |
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Toujours plus haut... |
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Depuis la terrasse, le château |
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Qui est en liberté ? |
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J'ai enfermé Daniel ! |
Nous partons pour la suite du voyage bien gardé par une curieuse sentinelle de pierre, qui paraît avoir été sculptée par autre que Dame Nature. Je prétends que c'est le Seigneur du lieu, acrobate qui modela dans la roche son effigie, ou y envoya quelques sujets acrobates. On peut rêver, nul ne peut acquiescer ou contredire car faudrait être fou pour aller vérifier de près !
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Il veille, impassible et fier |
La suite du voyage est une seconde tour, construite peu après le château, en voie de restauration, qui servit à abriter une petite garnison. Elle appartenait au château , un appareillage assez remarquable de murs les séparent. Mais pas que des murs!
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La tour Médiane |
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Les murailles et le château en fond |
Le château (ce qu'il en reste) est implanté sur un éperon rocheux que Daniel m'invite à gravir pour ma plus grande joie. Un peu de varappe facile sur ce granit dodu, gris rose, et agréable à empoigner.
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Au pied du mur |
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Il a grimpé comme un cabrit |
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Je me régale ! |
Deux chèvres de plus pour ce site qui porte si bien son nom :
Cabrenç est issu de cabra ( chèvre).
Un site si escarpé que seules les chèvres pouvaient s'y tenir!
Quelques regrets que le voyage aller fut déjà fini, mais la halte au restaurant du château s'impose. Une table joliment décorée nous accueille.
Le décor est remarquable, je le bois du regard, les bleus d'Espagne, les crêtes frontière, le Mont Nègre, 1425 m, la vallée de la Ribera del Corral et puis tous ces mas, ces monastères, ces sites que Daniel me présente, un vrai livre de géographie.
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Vallée de la Ribera del Corral |
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Crêtes frontière et bleus d'Espagne |
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Les plissés du Mont Nègre |
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Le perchoir de la tour de Cos |
Je pars visiter
le château, quelques murs écroulés sous la dynamite de Vauban au 17 eme, lors de la Révolte des Angelets, quel dommage ! Devant le château se trouve une dalle de pierre (une table?) et une étonnante meule, à grain sans doute. Le morceau de voûte est remarquable: était-ce la chapelle St Michel ? Le site est classé Monument Historique.
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Le château , la tour médiane et le Massif du Canigou |
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La meule |
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Dommage que cette voûte ait été détruite ! |
Nous paresserons longtemps au sommet, puis on entame la descente: le voyage diffère, ce sera une boucle. On traverse la muraille épaisse, en admirant au passage la fermeture de ce qui dut être une lourde porte et on s'enfonce dans une splendide hêtraie, on marche en ligne de crêtes ou sous des murailles de roches.
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Etage inférieur, le mur d'enceinte |
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La fermeture de la porte Elles sont 2 aussi profondes |
Le sentier, très beau, est difficile, rendu glissant par le tapis de feuilles, une vraie patinoire! C'est le sentier classique de la randonnée.
Mais quelle splendide futaie ! Les pas font craquer ce tapis, relents d'enfance toujours retrouvés, chaque catégorie de feuillage a son bruit et son parfum.
Enfin au terme de 14 km et 850 m de dénivelé, une belle journée ferme ses portes.
Pour moi, rien ne se ferme, bien au contraire, le Vallespir m'a ouvert un peu de ses portes secrètes.
Et offert, en prime, un goût de revenez-y.
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Au couchant, Cabrenç |
En chiffres
Dénivelé 850 m
Merci de nous faire voyager par vos belles photos et vos récits j'adhère, j'adore bonne soirée.
RépondreSupprimerJoli commentaire ! J'adore, merci
SupprimerUne rando que je ne connais pas car pas trop attirée par le Vallespir.... Tu me fais découvrir de belles crêtes avec une vue dégagée, des vielles pierres et des sentiers de chèvres qui ne manquent pas de charme. J'avoue que j'ai envie d'aller découvrir ces tours et leur environnement. Merci pour ces belles photos, ce reportage m'a séduit. Bonne soirée, bises.
RépondreSupprimerje peux même vous y accompagner par ce sentier moins connu; franchement moi qui ne suis pas attirée par le Vallespir j'ai adoré !Bises à vous deux
SupprimerAvec plaisir !
SupprimerC est vraiment beau, quel plaisir moi qui ne peux plus marcher comme ça, merci de nous faire profiter. Gros bisous.
RépondreSupprimerMerci ma chère amie, un jour viendra où je ferai comme toi, mais pour le moment je continue à rêver, marcher et vous faire à tous ceux qui me suivez partager mes coups de coeur. Bises et belle journée
SupprimerEncore bravo et merci de nous régaler les yeux (photos) et l'esprit (récit). Même assis devant l'ordi en train de vous suivre...façon de dire, on sent l'air vivifiant et ...les muscles qui travaillent !!! Gracies Amédine, comme à chaque fois, de nous instruire si agréablement. Fais nous encore découvrir ces sentiers réservés aux bons grimpeurs ..Donc malheureusement je ne fais plus partie...Encore, je le répète, merci de nous régaler ASP
RépondreSupprimerT'inquiète, je vais pas arrêter de sitôt, d'ailleurs c'est la vie qui décidera pour moi. Toi tu nous régales avec tes romans, c'est merveilleux à notre âge de pouvoir avoir cette vitalité de corps, d'esprit ou des deux. Bises cher ASP
SupprimerVoilà une balade de plus dans un Vallespir mal connu et pourtant magnifique. Bravo pour tes belles photos, ton récit captivant et ton enthousiasme intact. Profite de ces instants, tu sais rendre la vie belle.
RépondreSupprimerEt oui peut être qu'il est trop près de chez nous ce Vallespir pour paraître dépaysant, pourtant quelle richesse avec ces vieux mas, ces tours à signaux, ces mines et forges, ces chemins enfouis et ces vallées cachées. Il m'enthousiasme !
SupprimerQuel sacré détour aux tours ! Il ne faut pas avoir peur du Vallespir. Ce fut dans des temps plus ancien, la vallée la plus riche du département, riche par son bois, son eau et ses pâturages. Hélas, comme tout à une fin, c'est à présent un mouroir, la vallée la plus pauvre. A non, elle est riche de ses cas sociaux par centaines !!!! Mais c'est le versant Sud du Canigou, il y fait bon vivre.
RépondreSupprimerTon commentaire me touche car tu sais, comme Daniel, vallespirien aussi, faire vibre ce coeur et ainsi, toucher le mien. J'y entre sur la pointe des pieds avec tout le respect qu'il mérite...mais je ne fais que commencer, qui connaît mieux mes passions que toi, pour des régions qui ont mal au coeur ,
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