dimanche 7 juin 2020

Carança : le "cami carboner", chemin du charbon

En 2016 (comme le temps passe...) j'avais arpenté la Carança en me lançant sur les traces du passé et je pensais en avoir terminé, après quelques articles rédigés. Mais...c'était sans compter sur un renseignement donné par un ami, Gilles, qui allait relancer ma quête. En effet, si sur la carte IGN un sentier en pointillés ne va nulle part, sur une carte donnée par un site Tchèque, ce sentier a une fin et surtout un nom : Cami Carboner, le chemin du charbon (de bois).

Sur le "Cami carboner", isolé de tout
(Cette photo n'est pas du narcissisme effréné
juste un grand bonheur !)

Je n'ai pas tergiversé longtemps, mes souvenirs se sont réveillés et effectivement,  ce départ de sentier, je l'avais alors entrevu, mais ignoré. Je n'étais pas seule donc je n'étais pas concentrée.
Quand je pars, en ce 1er jour de juin, j'ai quelques repères, un sac léger,une corde au cas où...je l'imagine escarpé et peu lisible.
La météo n'est pas riante, et le retour par les gorges peu prudent par mauvaise météo. On verra....


8 h, je franchis la symbolique porte des gorges, 850 m, taillée dans le roc. Personne en vue, je trace ma route, que je connais bien. Longer la rivière, traverser le petit pont, gravir "la rampe" et gagner la côte 992, là où le "cami carboner" commence, soit l'ancien chemin du village de Campilles, ruiné par la peste au 13 eme siècle. Je laisse le chemin de la corniche et des gorges à ma gauche.

Je connais ce chemin étonnant, qui survit aux siècles avec ses murs solides, ancrés dans la roche, ses 14 virages en épingle, ses anciennes places charbonnières et même les trois vestiges de charbonnières"modernes" en fonte. Le bois matière première du charbon, était celui des chênes, hêtres et noisetiers. J'admire toujours la facture des bâtisseurs qui érigèrent des murs, toutes sortes de murs, ceux, étonnants et pérennes, qui retiennent les pentes d'éboulis sans faillir depuis des siècles... Je reconnais ces énormes rochers effondrés sur le chemin depuis des lustres, sans rien abîmer. Et j'admire sans retenue. J'aimerais que tout ceci fut réhabilité et que le pavage originel que je suppose sous les amoncellements de feuilles mortes soit mis en évidence...2.6 km de remarquable sentier.

L'assise du chemin

Mur de soutènement d'une coulée
d'éboulis
Le chemin et un des 14 lacets

Assise du chemin

Reste de charbonnière en métal

Eboulis sur le chemin


Charbon de bois
Et je marche...jusqu'à la côte 1379, ayant repéré au passage un autre vieux sentier à explorer.

Arrivée au col, 1379 m, toujours en sous bois

Côte 1379 m, un col, le chemin bascule versant ouest ; je fais la pause, examine l'altimètre, la carte, et le cairn, c'est là, je me souviens. Je fais quelques pas après un en cas et le "sentier" est devant moi, presque plein sud. C'est un tracé à flanc de pente, visible grâce à de nombreux cairns et à l'assise du chemin étroit, posé à plat dans le versant. Couvert de feuilles mortes, on y devine la trace d'un passage qui peut être animal, donc pas une référence .
En images



Le sentier peu lisible 
Un des petits cols plus aérés

Sourire sans masque


 Mieux vaut se fier aux cairns et à l'assise.

Il n'a rien à voir avec son frère que je viens de quitter : il est étroit, peu lisible et sur les 3.5 km de longueur, je trouverai peu de vestiges des "carboners". Quelques places charbonnières, quelques murs de soutènement, un ou autre solide muret pour consolider une zone d'éboulis, c'est davantage précaire bien que solide.



 Mais...le grand frère était le chemin de Campilles,le chemin de transhumance aussi, triple fonction. Celui que je parcours, attentive au moindre détail, est plus spartiate. Pour être désert, il l'est ! Sauvage aussi. Silencieux hormis les oiseaux et la Carança au souffle puissant, 200 m plus bas.. Un couple de vautours curieux viendra me saluer. Nulle trace de vie, de passage. Parfois je perds la trace, un moment d'hésitation, un peu de flair et je me remets dans le bon chemin, c'est au droit dans la pente que cela devient un peu plus sportif pour l'esprit!



Car ce chemin se heurte à de gros accidents de terrain : ruisseaux, couloirs, barres rocheuses, l'intuition et la vigilance s'imposent, faut pas relâcher l'attention bien qu'il soit abondamment cairné.
Il est toujours sous couvert végétal, des chênes en général, et les rares clairières donnent une goulée d'air et et un  paysage remarquable.
Je déteste les sous bois et ce jour ce sera du 99%....beau cadeau...
Oui mais des cadeaux j'en ai...une place charbonnière construite de toutes pièces avec encore toute la cendre au pied de son haut mur noirci.

Peu lisible le sentier....

Et le charbon de bois, sous les feuilles.
Grande place charbonnière

Son mur de soutien

Et ses cendres !
Une cascade où je n'hésite pas !! Ce sera douche froide qui coupe le souffle quelques instants avant de vivifier le corps. Ce seront quelques rochers perchoirs avec des vues à couper le souffle. Et puis le chant de la Carança qui est le silence de la montagne mais silence tonitruant, allant du murmure au vacarme selon le terrain.

La douche cascade




























Gorges de la Carança, vers l'aval
Vers l'amont


La corniche au zoom
























Je me régale, il va sans dire. Ce chemin me parle, il se raconte. Je cherche les "reposadors", ces rocs en forme de siège qui permettaient aux porteurs de faire une halte sans décharger le faix.



Soudain, un petit col flanqué de solides ruines (non identifiables) porte de discrets panneaux...la civilisation ?


Toutefois reste un mystère..le chemin a bien une issue, le panneau Carança ne peut mentir, mais pourquoi la carte IGN n'en porte pas ?
L'explication sera vite lisible sur le terrain ! ça parle, la montagne, incroyable...





Le chemin arrive à un joli torrent et ensuite il s'agit de suivre ce torrent jusqu'à son confluent, quelques 200 m chaotiques, soit dans le lit du torrent, en louvoyant entre d'énormes rocs, soit sur les rives escarpées, ceci étant impossible en période de hautes eaux. Les débris de crues l'attestent.


Le chemin !!
Et encore le chemin
 Donc....donc c'est pourquoi le chemin charbonnier n'arrivait pas jusqu'à la Carança, il était ensuite impossible de descendre le charbon par les gorges, et les charbonniers et leur charge remontaient au chemin principal! 3 km de montée, avec seulement deux rampes escarpées, le reste étant quasi en courbe de niveau.
Le simple promeneur qui, en bas,  arpente le sentier des gorges, NE PEUT trouver ce sentier, il n'est pas du tout indiqué. Seuls quelques fins limiers ...je ne l'aurais pas trouvé.
Je fais une halte au soleil avant de déboucher sur le sentier des gorges il est 11 h 33, je vais prendre quelques forces pour le retour. Bain de pieds dans l'eau glacée. C'est calme, reposant, désert.


Sans légende...

Soudain une puissante odeur de sangliers m'invite à me chausser et à lever le camp !J'en profite pour aller saluer le petit pont de pierre, en face duquel, au 14 eme siècle se trouvait le moulin de sciage du bois.



Le ciel s'est plombé et il me faut filer, vite. Les premières gouttes m'atteignent à l'entrée des gorges sur les passerelles, je vais vite mais attentive aux glissades. Fait-il de l'orage ? Le vacarme de la rivière couvre tout : le danger  n'est pas la rivière, ni les chemins métalliques, quoique...c'est les chutes de pierres décrochées des parois verticales par la pluie. Je ne réfléchis pas, je fonce, je cours sur les passerelles qui tanguent, jamais je n'ai fait ce parcours aussi vite !!

En images ; les passerelles sont mobiles et tanguent à souhait...j'adore !





Le plus en danger ? L'appareil photo ! (la passerelle est mobile)


Un grand choix !
A quand le canyoning ?


























16 minutes plus tard, j'arrive au départ du "sentier d'en haut ", rive droite , que je comptais emprunter car inconnu de moi.


La dimension 21 eme siècle des gorges : préservation de l'écosystème ( en particulier du Desman) et c'est très bien.

Pour aller plus vite, je pense poursuivre par les gorges mais un panneau signale des travaux pour bonne cause écologique, et une passerelle a été démontée (elle serait remontée), ce sera donc sentier du haut; il monte, il descend, il est très escarpé, glissant à souhait sous le déluge et les éclairs, 2.2 km que je vais franchir en 1 h 02. Un fantastique sentier que je ne prends pas trop la peine d'écouter, d'ailleurs mes lunettes sont un vrai "antivue". Mais je reviendrai ! Le parfum des bois détrempés est magique et si une énorme charogne, sur le chemin, a un instant empuanti les parfums, c'est au pas de course, en montée et nez bouché que je passe. Etouffement garanti.
Quelques vues du vieux sentier




Construit et pavé lui aussi

Soudain, la montagne craque, se déchire et s'effondre à grand fracas, je verrai plus tard sur le sentier terminal des rocs luisants et couverts de terre qui, me semble t'il , n'y étaient pas au matin. Se trouver sur leur passage évite net de se poser ce genre de question. La réponse est immédiate et sans appel !
Petite parenthèse, ce sentier, quoique parcouru sans m'attarder, se trouve côté "soulane" donc bénéficie d'une végétation plutôt méditerranéenne, chênes en particulier. C'est de loin, un des plus anciens chemins, sa structure et son pavage montrent qu'il fut très usité au temps où la Carança regorgeait d'activités. C'était LE sentier de la Carança ! Au plus près des gorges, du temps où la corniche n'avait pas été aménagée, début 20 eme pour les besoins de l'hydroélectricité. Donc il était unique voie de communication. Décidément, cette Carança secrète est très explicite...Elle ne m'a pas encore tout dit...

En face, la corniche  aménagée bien plus tard

Tout est bien qui finit bien, je franchis, trempée jusqu'aux os, la porte de la Carança, et, 900 m plus loin, à 14 h 05, j'arrive à mon camion.
Heureuse d'avoir arpenté encore une fois ce décor caché sous un simple mot , Carança, bien loin d'être évocateur de tout ce que l'on peut y trouver.


Les gorges pluie battante

La porte de la Carança et le pont du
Train Jaune

Y a plus rien de sec !!

Deux autres explorations m'attendent, dont le "Cami dels meners" (des mineurs) en un proche avenir : je ne lâche jamais la moindre curiosité.

Je dédie ce billet à Gilles qui a alimenté ma curiosité !

Après la carte, des liens conduisent à mes précédentes recherches  sur la Carança, sa vie d'autrefois, ses curiosités, sa richesse patrimoniale. 



En chiffres :
Distance parcourue : 14.7 km
Dénivelé positif cumulé : environ 740 m
Temps de balade : 5 h 15 environ


                              Rouge : chemin charbonnier et de Campilles
                              Bleu : Cami carboner
                              Jaune : trajet dans les gorge
                              Mauve : ancien sentier (le retour)
(La nouveauté du jour , c'est en bleu et mauve)

Pour en savoir davantage sur la Carança, son présent et son passé, mes précédents "découvertes"  (2016)

La Carança dans son ensemble et son parcours ludique : "énigmatique Carança" (clic)
Industries dans la Carança : Carança  d'autrefois : le bois et le cuivre(clic)


                                                                                            A suivre.............




12 commentaires:

  1. Superbe balade Et... Merci pour la dédicade ��

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    1. Normal, tu as vraiment été l'inspirateur de cette découverte ! Bientôt j'irai sur la rive en face, mais tout là haut où "les dentelles de pierre accrochent les nuages".

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  2. Je les ai faites un bon nombre de fois les gorges de la Carança, sur la route de Villefranche de Conflent, et que de souvenirs pour moi ! Merci de m'avoir rappelé tout cela. Je vais y "remonter" très bientôt et je languis d'y être. Bisous.

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    1. Je crois qu'on ne se lasse jamais de cet endroit; il y a comme ça des lieux qui t'appellent toujours et encore.Il y a là bas, hormis le côté amusant des passerelles,le charme de ce torrent qui gronde entre ces murs resserrés. Et en ce moment il est en hautes eaux! Bises,

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  3. Encore un chemin secret, je ne connaissais pas ton itinéraire bleu qui est plein de charme. A notre dernière visite nous étions revenus par Campille et Doña Pa, c’est long mais très beau. Le cami des Carboner me plait beaucoup, sentiers empierrés, rochers rigolos, cascades, on ira le découvrir. Merci pour la balade, tu as égayé ce jour de fête des mères... bises, il faudra que nous entraînions Roxanne....

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    1. J'ai un projet à Campilles je devais y aller hier mais le mauvais temps m'a tenue chez moi; et bien tant mieux si j'ai égayé "ta fête", Roxane est magnifique, une vie de baroudeuse l'attend, en pistes et sentier...ou sur le sac à dos de papa et maman ? Bisous

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  4. Quelle belle découverte ! Un vrai travail d'archéologue.

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    1. Tu sais que quand je fourre mon nez et mes pattes dans un coin qui m'attire, je ne lâche rien! Tiens j'en connais un autre comme ça, ça te parle ? Hihi...

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  5. Belle balade dans ces gorges que j'ai faite trois fois dans ma vie
    Fontpedrouse Prats Balaguer
    Col mitja refuge retour rive gauche par le sentier en corniche
    Une deuxième en passant par rive droite descendre vers passerelles traverser et refuge retour rive gauche
    Une 3eme (moins ordinaire) lors de la réfection du refuge qui était de plein pied à l'époque par les élèves de l'EREA.
    Parti de Fontpedrouse à bord de l'élico qui transportait les matériaux vers le chantier du refuge pour filmer l'événement (j'animais le club vidéo de l'établissement) avec du ciment pendu au bout d'une élingue de 15 m
    Traverser les gorges avec ce paquet qui se balance entre les rochers c'est très impressionnant.
    Merci Amedine d'avoir réveillé de si bons souvenirs..

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    1. Saisissant souvenir qui est le tien ! Le sentier en arrivant rive droite pouvait être celui provenant du Col de Pal (Mantet) ou celui du Sentier des Meners que je ferai bientôt. Mais le voyage en hélico !! ça c'est de l'inédit! Merci pour ton témoignage

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  6. CC... Comme d'habitude, rien ne t'arrête... avec toi, c'est de découverte en découverte !
    MERCI pour cette magnifique évasion :)
    Douce journée, gros bisous, sans oublier les gros câlins à tes Félins ;)

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  7. merci pour toute cette magnifique leçon d'histoire locale , je ne connaissais pas ce chemin des charbonniers , quels fainéants ces Catalans,ils auraient pu le terminer quand même !c'est comme pour sa petite soeur :les gorges de Nyer ou la construction de la route des tunnels a été interrompue ; quand j'étais môme il existait des cablages pour les bois encore débardés , spécialité des italiens , àla sortie des gorges , mais ce n 'était pas des grosses grumes ; aussi tu évoques Campilles, ce village me fascine par son isolement et je me demande toujours quelles étaient les motivations pour aller s'installer dans un tel isolement (idem pour le hameau de la vallée du Caret au dessus de Mantet

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