Me voici piaffant d'impatience au point de dévaler au pas de course le Sentier Vauban. Je bifurque au cairn et je descends plus modérément le rampillon que j'ai cairné hier. Le sentier de St Génis m'accueille, sous un temps un peu grisâtre mais il m'a offert ses belles lumières hier. Pour ce qui m'attend ce matin, point n'est besoin de ciel flamboyant, je ne verrai rien, je vais m'enfoncer dans la grande pente, les bois, le terrain escarpé, l'inconnu.
En blanc le trajet du jour |
Le sentier noir en zigzags |
Vers quoi ? Vers l'inutile, certes! Pour quoi ? Pour rien. Enfin j'ai bien un petit objectif quand même...Sur cela aussi je peux m'interroger : pourquoi faire tout cela qui ne sert strictement à rien sinon à risquer la dégringolade. L'esprit aventurier de ma prime enfance a bien pris racine en moi et ressurgit, à la manière de ces arbres souvent rasés qui reprennent toujours vie.
Arrivée par le sentier jaune de St Genis En blanc vers où je vais Alt 1154 m |
Donc me voilà à cette croisée de sentiers, altitude 1154 vers un inconnu autrement plus sérieux qu'hier. Et déroutant. Mot qui prend toute sa valeur parce qu'après quelques dizaines de mètres bien carrossables et tracés, le sentier fonce dans la combe, vers le ravin, et se perd.
Le début du sentier |
Déjà ! Un gros bloc a dégringolé et cassé à la fois le chemin et le tracé. Que faire ? Remonter ? Découragée, je cherche un peu, en vain, puis une idée lumineuse jaillit en moi : "Et la cohérence ? où serait la cohérence du sentier ?" Je l'invite et je retrouve les murettes, donc le tracé.
Tracé à deviner |
Un rayon de soleil en haut Conflent |
Droit dans la pente, sentier effondré |
Lacet du sentier |
La Carança, en face |
Dans la jungle! |
J'ai donc une expérience de la lecture du paysage et du moindre indice, appréciable ici. Je me dis avec amusement tout en scrutant et cairnant et descendant " ce sont mes mots croisés à moi ! Je fais bosser mes méninges!". Et...oui, je m'amuse fort. Et je réfléchis dur. Là pas question d'aller vite ! Mais d'aller sûrement ! Et ils sont là :des murets, des virages épars, des lacets, fidèles au poste et rescapés . Rescapés car cette ligne de falaises est un lieu très instable dont la géologie est faite de plusieurs types de roches, granits, schistes, et que la montagne s'est mille fois éboulée et est actuellement barrée d'étages de grillage destinés à retenir les effondrements. Car elle ne rêve qu'à cela : s'effondrer !
Le décor tristounet en ce matin gris |
Le Roc de Querangles me sert de phare |
L'assise de sentier et un mur de soutènement |
Je m'enfonce vers l'aval dans un sentier, enfin des bribes de sentier, escarpé et sauvage à souhait. Des barres rocheuses, des chênes verts, des ravins perceptibles font le paysage immédiat et, au loin, mes yeux ne voient qu'un paysage unique, le secteur de Thuès / Carança et les montagnes.
Belvédère : vue sur la 116 et la voie ferrée |
Je fais des rencontres ! Un fil électrique dégradé, presque un fil d' Ariane, il me conforte que je suis sur la bonne voie mais la voie de quoi ? Silence dans les sous bois, pas un animal.
Petits indices 20 ième siècle : fil électrique et coupe tronçonneuse
Puis une roue à gorge, solidement enfoncée dans un roc et des restes de câbles : câble transporteur ? Vestiges d'étayage anciens des falaises ?
Quel fouillis !! le sentier supposé, la végétation, les éboulis
Mes craintes se dessinent : vais-je me retrouver encagée ? Je retrouve la partie la plus belle du sentier : une série de 3 lacets et leurs murs de soutènement, intacts, vraie pièce de musée !
En haut de "l'échelle" |
et en bas de "l'échelle" |
Ensuite plus rien, tout est effondré, bouleversé, éboulé, travaillé par les bâtisseurs de ces étages de grillages plus solides qu'une muraille...aïe, je sens que je n'irai pas jusqu'en bas et que je devrai revenir sur mes pas. La cohérence ici est rejointe par la prudence, c'est carrément un parcours en éboulis et me voilà encagée.
Vouloir à tout prix se frayer un passage
Je n'irai pas plus bas, le grillage va d'une falaise à l'autre et même si j'arrivais à me faufiler entre falaise et lui, je sais que toute la pente est barrée de séries de grillages. Altitude 957 m, Thuès s'étale juste à 150 m en dessous. Derrière ma prison je contemple et j'écoute le vacarme : moteurs, rivière, usine, la vie quoi ! Alors que je suis dans un relief mortifère, heureusement personne ne me voit!
Murs d'origine ? Soutènement des éboulis j'imagine Murs plus tardifs car facture différente |
Le Pont Séjouné (train jaune) |
Petit en cas énergétique, 200 m de dénivelé escarpé m'attendent, quelle bonne idée d'avoir cairné. Je ne m'attarde pas, il n'y a rien à voir ni à faire et je remonte tranquillement.
Indice récent, de toute façon à droite c'est le vide |
Il cherche la vue |
Pourtant deux fois je perdrai le sentier, par manque de cairn et la cohérence en montée est plus rétive qu'en descente. Cela me permet de trouver une place charbonnière surprenante ici!
Un indice donc sur le pourquoi de ce sentier. Mais ce n'en était pas la priorité, je pense; alors pourquoi ce sentier ? Un chemin direct (il n'y avait pas mieux) vers le haut. Pas pour Llar, il en existait un bien meilleur, ce n'était pas le but. Pas vers le sentier Vauban, puisqu'il manquait la jonction faite récemment. Pas pour une exploitation agricole, rien ne pousse dans ces pentes dépourvues d'ailleurs de terrasses. Alors....reste l'hypothèse pastorale et l'exploitation des terrasses que j'ai retrouvées hier, tout en haut, loin de Llar et de Canaveilles, et dont le seul chemin d'accès direct sur les cartes anciennes était celui ci. Je pense avoir la bonne hypothèse...
La remontée n'est pas de tout repos, non point parce que ça grimpe dur, mais parce que je ne dois pas manquer le moindre cairn; un animal en a déjà démoli un depuis mon passage. Je prends cette fois le temps de profiter de deux ou trois promontoires rocheux, belvédères rares dans cet enfouissement. Et même le petit train jaune me fait par deux fois le cadeau de son passage.
Et, plus tard, l'envers du décor (vue prise sur la 116) |
Haute vallée de la Carança au loin
Pont de la Carança |
Llar |
En résumé, une expédition - car c'en est une - aussi efficace qu'inutile, aussi captivante que frustrante, qui m'a enthousiasmée. Enthousiasmée parce que j'ai encore feuilleté une page oubliée de ce Conflent secret, discret, qui recélait une vie extraordinaire par le passé, dans tous les domaines. Et où tant de zones d'ombre demeurent.
Je réfléchis déjà (et l'ai même largement entamé l'investigation) à un tout petit morceau de Conflent qui a une extraordinaire histoire, que tout le monde traverse les yeux rivés sur sa trajectoire, le Défilé des Graus.
Vous connaissez ? Alors à bientôt....
En chiffres
Distance AR : 4 km
Dénivelé : 332 m
Particularité : rando à l'envers, on descend d'abord et ensuite on monte !
Bel aboutissent, bravo. Il n'y a que toi pour faire ce genre de circuit, moi, même si très intéressent et ces chemins sont superbes, je serais rentrée déçue il me semble. Bises
RépondreSupprimerNon on ne peut pas rentrer déçu, chaque pas gagné sur ce type de terrain est une réussite à lui seul, c'est ainsi que je le vis. Trouver le sentier, ses vestiges, ses blessures et accidents est déjà une satisfaction. Pas facile à comprendre , >alors un mot résume...la passion
SupprimerJe trouve votre récit intéressant , quant à la recherche d' un itinéraire
RépondreSupprimerCela m arrive aussi de reconnaître des itinéraires pour mes randos
Ce secteur la est rude
Je veux reconnaître un itinéraire pour aller au Roc de Querangle
En venant du chemin en balcon ( Canaveilles _ route de Llar
( Daniel A. ) merci pour ce document précis de votre part
je vous donnerais bien une réponse, incomplète, en messagerie privée sur FBook. Non pas parce que c'est confidentiel mais je vous ferais un petit schéma. Je n'ai pas trouvé d'accès au Roc de Querangles et je ne me suis pas acharnée parce que j'avais d'autres projets mais je sais où passer, je pense juste qu'il ne faut pas craindre de se frayer un passage dans la brousse !! Contactez moi sur FB ou sur lison066@gmail.com
SupprimerCe n’est pas l’enfer mais presque ! Qu’il est rude ce sentier ! Il t’a presque emprisonnée mais on sent que tu te régales de l’explorer. De beaux points de vue et de belles photos c’est quand même positif, je peinais tout de même en te lisant car je ne serai pas capable d’en faire autant. Bravo, claude a souvent la même expression : et oui ça ne sert à rien mais ça me satisfait.
RépondreSupprimerSerais.
RépondreSupprimerDepuis quelques temps la lumière est horrible pour les photos, mais je fais avec. Oui, j'ai été confinée en pleine nature, c'est rigolo. Je retourne là bas mais en mode balade, enfin un peu d'exploration presque à plat ce coup ci, "visiter" les coins secrets du défilé de la Têt. Bises
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