mercredi 23 septembre 2015

La vie , la montagne et moi

1951





Quand je suis née, au beau milieu de XX ème siècle, je n'ai pas reçu en héritage dans ma corbeille de nouvelle née la vocation de la montagne.


De ma mère j'ai reçu le goût des mots, de la lecture et de l'écriture, mais pas celui de l'obéissance, voire de la soumission , je veux dire du conformisme.
De mon père j'ai reçu le goût de l'action, du bricolage, de la terre et de l'hyperactivité. De la fantaisie sans doute aussi.
1949

J'ai été une petite fille très vivante, et toujours en mouvement. Il paraît que j'avais un goût très prononcé pour la liberté.
Le sourire, déjà...1954 ? 1955? 
L'adolescente a grandi dans cette même veine, bonne élève sans le goût de l'effort, très active, rebelle, garçon manqué. Très sportive.
La montagne n'était pas au rendez vous : j'étais une cycliste assidue.
Mon premier vélo - une routière- fut  payé avec mes premières vendanges, je courais les routes, même la nuit, sans éclairage, au retour de prison : l'école. Me défouler, évacuer le trop plein d'énergie emmagasiné en captivité : en classe.

Je n'étais pas un cancre, loin de là. L'école en plein air m'eut conduite très loin.

En guise d'"autopunition" je choisis de passer ma vie en captivité : je fus enseignante.

Et la montagne ?
30 ans : 1980

J'avais une trentaine d'années, un mari et un enfant, la vie m'avait rangée dans la norme, une norme qui m'allait. J'y étais bien car c'était une vie vivante avec un mari aussi actif et vivant que moi.
Des voyages, des travaux dans les vignes, de belles années derrière moi et à venir.

Dans mon village un groupe randonnait beaucoup et un jour il nous fut donné de les accompagner. Pour une première fois, ce fut riche : partir 2 jours avec le "barda", plus de 1200m de dénivelé, vers un décor sublime : les lacs de Carança. une révélation!

Image septembre 2014: lacs de Carança

Pour mon mari une impossibilité à recommencer pour des raisons d'effroyables crampes musculaires.
Pour moi un appel vers ce grand large aérien.
Je me rangeai à "la majorité conjugale" et ne remis pas les pieds à la montagne. je n'ai aucune photo de cette randonnée, curieusement.
Plus de 10 ans plus tard, je partis, un soir de grande solitude et de canicule, vers ce Canigou qui domine la plaine . Quelques affaires embarquées dans la 2cv, 70 km de route difficile dont 22 de mauvaise piste et j'ai ma nuit sous les étoiles, dans la 2cv bivouac.

La 2 CV au Canigou 1993


Et un lever de soleil sur la mer....



Mon premier contact en solo avec la montagne, capote ouverte sur les étoiles, c'est ce 21 août 1993, j'ai 43 ans. Dès lors je sais ce que signifie ce slogan lu plus tard "La montagne ça me gagne".
Mais je ne pratiquai pas pour autant la montagne.

le Pic du Canigou, face est 1993


Je fis deux ou trois escapades supplémentaires qui me ravirent , cependant je restai dans le rang de la vie.

Un jour, la vie a de ces  détours qui vous jouent des tours et je me retrouvai simultanément en retraite et en solo. En vrac, en pièces détachées (pas par la retraite) et au fond d'un gouffre.
C'était vivre ou survivre, c'était sombrer ou rebondir.

Mon choix fut vite fait et je filai bon train en cet août 2006 vers les montagnes d' Ariège, département voisin, département de coeur. Pour m'enfouir dans la vallée la plus "paumée " sur la carte.


Ariège : le Soulcem 2006



Mon destin se joua là...
J'avais 56 ans, il y avait du monde partout , c'était un lieu mythique de randonnées...

2006 : 56 ans

Une page s'ouvrait, du nouveau livre de ma nouvelle vie, et j'ouvris grand ce livre que je n'ai pas refermé.

Eté 2006 : premiers pas

Et que je n'entends pas refermer de sitôt.
Ce jour d'août, ravagée par les douleurs d'une hernie discale, je suis simplement la piste sur une longue distance, pour voir...Ce que je peux espérer . Et je commence cette longue route qui m'a menée jusqu'à aujourd'hui, demain et j'espère après demain.



Au début, je fis des parcours modestes : 500m de dénivelé était un exploit, sentir, respirer, goûter la montagne, Juste en été. En solo. Une passion naquit ainsi. De sentiers en découvertes, de lacs en rochers, de pics en vallées, je finis par grimper les 900 m, mon rythme de croisière et marcher 15 km.


Ariège multicolore







Puis je m'enhardis à randonner en automne, les chemins s'étaient vidés, ma première randonnée sans rencontrer âme qui vive ne fut pas une épreuve mais un stress quand même.
J'apprivoisai l'hiver, la marche dans la neige, le grand blanc, le silence, le manteau qui couvre toutes les couleurs, les bruits et la vie. Qui étincelle, scintille et resplendit. Qui met le feu au visage et l'onglée aux doigts.

2007

2010

Je quittai l' Ariège pour les montagnes de Catalogne ou de mon département : j'élargis mon champ d'investigations en largeur, en hauteur, en distance et en difficultés.

Sierra del Cadi

La Pedraforca



Je fis des rencontres aussi : animales, certes, mais humaines, de courte ou longue durée, à la journée parfois, enrichissantes, un vrai enseignement.
2009

Car j'appris au fil du temps à lire la montagne: c'est un long apprentissage qui demande attention, intuition, prudence et prise de décision ; on se forge un physique mais aussi un mental. Peu à peu, lentement mais sûrement.
Ariège 2007
La montagne est une belle école où on ne finit jamais d'apprendre, d'étudier. C'est une école d'humilité avant tout.


Je ne me considère pas comme une montagnarde, je suis toujours modeste et en apprentissage.
Cependant cela demande une telle concentration, surtout lorsqu'on est seul, que les soucis et problèmes sont relégués à leur juste place et, pendant la marche, aux oubliettes même. Relativisés.
Voici  10 ans maintenant que j'arpente monts et vallées, les centaines de km sont devenus milliers.
Lison chatte m'a accompagnée pendant de grandes marches : ce fut un grand bonheur de marcher avec cette chatte, une vraie équipe nous faisions. Elle ne vient plus car elle a peur des gens .



En montagne je marche à mon rythme, ni trop lent ni trop rapide, je prends surtout le temps : de voir, de scruter, d'écouter, d'écrire parfois dans  mon cahier qui ne me quitte jamais, dans ma tête énormément. Pendant longtemps j'ai réfléchi, travaillé mon mental, mes douleurs et mes blessures, j'ai parlé à mon père aussi. A présent je me laisse simplement porter par le bonheur.

Les  chaussures, au fil du temps se sont accompagnées de raquettes, puis de crampons et de piolets.
Je me suis lancé - et je me lance toujours - des défis de plus en plus sévères, juste pour me faire plaisir, me prouver que si j'ose je peux . Me construire une confiance en moi que je n'avais jamais eue.
Peut être aussi, avant qu'il ne soit trop tard, rattraper un peu des années perdues...

Je cultive secrètement quelques regrets ...escalade, alpinisme...auxquels les ans ne me donnent plus accès. Enfin presque...Avec mon guide je peux encore tutoyer quelques défis de roche et de glace...

Après tout, je n'ai QUE 65 ans , non ?


2015


Surtout je n'oublie jamais que du jour au lendemain tout peut s'arrêter.



26 commentaires:

  1. Bonjour Lison,
    je te félicite ! je te félicite pour ce témoignage, c'est une belle leçon, en plus de la part d'un prof... Justement ce matin, j'avais envie d'écrire sur mon adolescence à Montpellier ; mais difficile, je n'ai plus mes repères et puis, il y a un prédécesseur de talent, François Truffaut, "Les 400 coups".
    Je ne suis pas un sportif mais tes écrits me passionnent, continues...
    Amitiés du bout du monde.

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    1. Bonjour Pierre, merci pour ton témoignage; oui écris sur ton adolescence, le vécu et le ressenti procurent les mots justes. Surtout avec ta sensibilité et ton talent -mais oui - pour l'écriture. N'oublie pas que j'aime te lire !!! Je n'aime pas trop, en blog, parler de moi, sinon pour conter mes péripéties qui sont une balade que chacun peut faire et conter. Là c'est plus intime mais je voulais expliquer à ceux qui me suivent en récits pourquoi ce qui paraît "enfantin" à certains en montagne reste pour moi plus difficile, téméraire voire sportif : tout ça parce que je suis une "mémé de la montagne". Autodidacte tardive dira t'on...Je t'embrasse du haut de l'aube de vendanges

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  2. Très intéressant comme toujours. Un beau parcours dont tu peux être fière mon amie Amé. Bisous anie

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    1. Merci Chère Anie amie. A bientôt...au bord de la mer ?

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  3. Merci pour ce joli billet, Lison. Oui, tu as raison de rattraper le temps perdu, et en plus, tu peux le faire ! Tu n'as que 65 ans, oui, et tu as une pêche d'enfer ! Bravo ! Continues ainsi, car, oui hélas, du jour au lendemain, tout peut s'arrêter. J'adore te lire, tu me donnes de l'énergie (sourire).
    Gros bisous, Lison.

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    1. Mais c'est bien si je t'insuffle de l'énergie ! Si tu étais là je t'emmènerais faire quelques balades sages pour le début. je t'apprendrais un peu la montagne d'ici. Bisous

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  4. Obrigada por compartilhar um pouco de sua vida conosco.
    Parabéns pelos 65 anos!
    beijos
    Adri

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    1. Obrigada Adri. Ca, a montanha ja é no outuno; rapidamente vamos a ter neve. beijos e felicidae para a primaveira brasileira

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  5. Bravo Lison pour ce parcours de vie éblouissant ! J'admire ta ténacité, ton courage et ton optimisme ... Je crois , en effet, que la montagne "t'a gagné" ! Bravo continues tant que tu peux ce parcours difficile mais passionnant ! Un gros bisou à toi ....

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    1. Je suis , je pense, une optimiste née, et une "casse cou un peu" même si parfois cela a été un peu déformé , pour rire, en "casse c..." ce que je peux être aussi par mon obstination. Pour l'heure, tout simplement je me régale. Bisous

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  6. Un vrai bonheur de te lire !! ton parcours est formidable. Il faut continuer.
    Et tu as bien raison... tant que l'on peux le faire. Sans penser qu'il y
    aura une limite. Tu es une aventurière. Une curieuse. Une force de
    la nature . Merci à toi Amédine de tout partager avec nous. Oui... c'
    est un vrai bonheur . Je t'embrasse bien fort. Tu as toute mon
    amitié. ELZA

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    1. Merci ma très chère Elza je sais que tu me suis virtuellement dans mes parcours, tout comme je suis tes créations magnifiques. Je t'embrasse

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  8. Les routes de la vie sont souvent sinueuses. Rien n'est jamais tracé d'avance. Et si nous ne pouvons rien contre certains évènements heureux ou malheureux, au moins pouvons-nous faire des choix. Tu as choisi d'avancer et tu as eu la chance de rencontrer la montagne. Il n'y a pas d'âge pour décider de vivre vraiment. A 65 ans, la route est encore longue avec plein d'aventures à vivre.

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    1. Ce serait mortel une vie toute tracée sans rebondissements...la mienne est variée, la vie c'est aussi ce qu'on en fait, il faut la faire coller à notre "peau"...quand c'est possible.

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  9. Un parcours de vie comme je les aime.
    Tu es de celles qui avancent et qui savent que rien n'est jamais acquit.
    Tu regardes devant toi et tes retours en arrière ne sont jamais "négatifs"
    Je pense être comme toi une optimiste née, ce qui fait de moi parait-il un ET....:-o)
    Continue comme ça Lison, le bonheur ça ce cultive avec les envies que l'on concrétise.
    Gros bisous.
    Belle journée

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    1. Oui tu me définis bien ; toi un ET et moi une "cinglée" ou une "irresponsable". Il faudrait qu'à 65 ans selon un membre de ma famille, je vive en un désert affectif, social, et presque que je me contente de "regarder plus belle la vie dans mon canapé" . Je préfère "vivre de mon vivant" je lui réponds...Bisous

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  10. J'aime beaucoup ton histoire, la manière dont tu la racontes et dont tu l'illustres.
    Moi j'en suis encore à me prendre pour un héros quand j'ai fait 500 m de dénivelé. :)

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    1. Oh mais 500m c'est pas rien : de bons débuts; dans les départements sans montagne, les gens aussi randonnent et se font de beaux muscles sans aller très haut. L'essentiel est la plénitude qu'on en retire...Bisous et continue tes 500m

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  11. Merci Lison C est Une Belle Histoire L Histoire de Votre Vie Caresse a Lison :)

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    1. Elle est Belle La Photo avec Votre Enfant :)

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    2. Oui c'est une belle vie que j'ai eue et j'espère la rendre belle encore longtemps. J'avais un beau petit garçon, très gentil; je n'ai eu qu'un enfant. merci Claudie pour ces commentaires .Lison est une de mes 6 enfants (chats) de maintenant, c'est l'enfant gâtée au caractère particulier : indomptable !!!

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  12. Une femme à part... passion, audace et raison à la fois, faire fi de l'âge et de ses contraintes.. émouvant et étonnant à la fois avec aussi ce goût pour le beau et le mystère que la nature procure .. des montagnes à couper le souffle et la solitude habitée en prime...
    Ton morceau d'histoire est éloquent et génère le respect et l'admiration... merci à toi pour ce moment d'intimité.
    Je t'embrasse..

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    1. Merci, très beau commentaire qui me peint bien : bravo l' Artiste, je t'embrasse aussi ...

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  13. Un témoignage des plus touchants et spontané .A travers tes souffrances , on sent une grande volonté d'avancer , de te surpasser .Tu as une grande sagesse que j'admire et que je voudrais posséder parfois.
    Je t'admire sincèrement , merci pour ce partage qui apporte la sérénité .
    Douce soirée, je t'embrasse Lison

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  14. Merci Amédine. Toujours d'agréables moments passés à te lire.

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