Quand on voit pour la première fois la Pedraforca, on a soit un coup de coeur, soit un coup de peur.
(La Pedraforca se trouve en Catalunya, non loin de Berga, entre Saldes et Gosol) .
Quelques jours plus tard je ne pus m'empêcher d'aller la contempler dans un singulier habit de lumière. Quelle merveille!
Première neige : novembre 2013 |
Il faut imaginer dans un paysage banal de chaînes montagneuses sans envergure, sans pics et autres sommets, cette sorte de dent, ou de volcan, dressant ses 2500m de part et d'autre d'un impressionnant sillon rectiligne et superbement pentu, la Tartera, celui là même que l'on descend car le monter est impossible.
Cette forteresse de pierre s'escalade au moyen de voies d'escalade multiples réservées aux spécialistes. L'un d'entre eux s'est tué voici 2 jours. Pour le commun, accéder au sommet, Le Pollego, ne peut se faire qu'en ...escaladant, autrement, plus aisément. Cependant cela demande une certaine souplesse, certaines aptitudes et une ignorance du vertige.
Ce n'était pas gagné lorsque j'arrivai ce soir là , il y a 2 jours, à Saldes et que ce singulier personnage nimbé de rayons de soleil m'accueillit.
Plus imposant que jamais. J'eus l'inattendu "coup de peur". Des ambulances et un hélicoptère en train d'hélitreuiller n'étaient pas faits pour me rassurer. De même que le chat noir qui fila devant mon camion sur ce parking de montagne. Que se passait il donc en moi ? Je me morigénai un moment puis déposai mon stress en me disant que rien ne m'obligeait à faire TOUT le parcours. Il y a tant de choses à voir sans aller au sommet.
Pour couronner le tout, deux groupes de jeunes hommes harassés terminaient leur périple et me contaient les difficultés de cette monumentale descente : chutes, épuisement, déshydratation, hélitreuillage d'un épuisé, bref, je m'endormis sereine : je n'irai pas à la Pedraforca !
Un matin rayonnant me voit déjà prête pour un périple sans sommet .
De mon lit j'ai pu contempler une nuit étoilée, la pleine lune, les lumières des villages tout en bas. J'ai dormi porte grande ouverte sur la nuit et les pépiements d'oiseaux dans les nids ont tellement bercé mon sommeil qu'ils ont fini par intégrer mes rêves !
Je pars sereine ce matin, sac léger, mais nourriture et eau en quantité au cas où...et le casque, au cas où...je ne renonce pas facilement à mes rêves!
Le temps est beau, je suis seule et je grimpe allègrement les 800m du Col du Verdet en 2h, tout en admirant la muraille rocheuse fendue de couloirs étroits et de ravines profondes, les vallées noyées de brume, les sous bois odorants : un régal .
La muraille nord |
Et je débouche au col du Verdet, il est 9 heures.
Altitude 2294 m: il fait froid, ce lieu est très venté.
C'est là que tout va se jouer, en un clin d'oeil: un "papi" accompagné d'un jeune garçon part pour le sommet et la descente. "Difficile ? Epuisant ??Impraticable ??? Mais pas du tout ! nous affirme t'il, j'y suis allé récemment". Il ajoute un argument suprême, véritable coup de starter : " C'est bien plus difficile de descendre par où vous êtes montés". Il faut toujours écouter les anciens me dis-je, et c'est décidé en une seconde : j'y vais! Alba, une jeune catalane, se laisse aussi convaincre par cette force tranquille et prend vite le chemin. Le temps de me restaurer entre deux efforts et je file grand train vers la muraille. Je suis seule. Ce que je redoutais, mais je me sens très à l'aise, décidément la pierre me va. Je grimpe vite et je rejoins Alba que son compagnon a lâchée car elle va trop lentement à son goût. Ce qui ne se fait pas. Elle fera la montée avec moi car elle est un peu inquiète et pas très rassurée parfois. Je lui apprends, je la rassure.
Du bas de la falaise Le petit point bleu c'est Alba |
En images : il faut franchir environ 200 m de dénivelé uniquement en roche en évoluant sur une longueur d'environ 700 mètres ou plus.
Un beau moment de concentration, on cherche le passage, l'enjambée confortable, la prise solide avec les doigts, tout en se permettant quelques regards sur les vides vertigineux face nord, sur le paysage au loin et les fossiles marins (et oui !) sous nos doigts.
Fossiles |
Du haut de la falaise |
Alba cherche son chemin |
Alba |
Alba et moi |
Exercices d'équilibre en crêtes |
Pollego Superior 2507 m |
On ne lambine guère et on attaque la descente. Bien plus facile. Jusqu'à "l'Enforcadura" (la fourche).
le monde végétal est extrêmement rare ici |
Alba s'approche de la fourche |
Avant de descendre, voici le théâtre des réjouissances, version été, difficile, version hiver plus simple.
C'est "la Tartera" (le couloir), un vertigineux sillon que l'on va suivre sur 1.5 km de distance en descendant de plus de 800 m de dénivelé.
Je prête un bâton à Alba car descendre sans cet appui rend la tâche très ingrate. On essaie le sentier : impression d'être sur une planche parsemée de roulements à billes . Tous les candidats se retrouvent au sol, cela en serait comique presque. Personne ici ne semble savoir que le sentier est ce qu'il y a de plus impraticable. Je me jette à l'eau -décidément !- et j'invite la troupe des marionnettistes à me suivre. Les conseils d'Eric sont mis en oeuvre : comment descend on la Tartera ?
Vers l'aval : une chute sur l'impraticable sentier |
Dans les éboulis |
Il s'est relevé et a suivi mon conseil |
Un peu terrifiée elle descend sur les fesses |
Vue vers le haut : la pente est raide |
Vers le bas : choisir toujours le grain le plus fin on le reconnait à sa teinte plus claire |
le parcours peut aussi avoir du piquant ! |
La fin n'est pas loin...dommage... |
Je m'en sors bien : pas la moindre fatigue, un plaisir fou, un bleu à la main, un aux fesses...
Décidément cette montagne reste la montagne coup de coeur !
Un peu plus tard, le sentier sous les futaies conduit vers le refuge où il fait bon se désaltérer, se laver de la blanche poussière à la fontaine et rire avec "les rescapés" du merveilleux voyage.
Certains sont épuisés, c'est vrai, d'autres endoloris, c'est le prix à payer.
Je n'ose l'avouer...je serais bien remontée pour recommencer.
En haut, tout là haut...
D'aucuns, bien plus jeunes, envient ma forme.
Il y aura ensuite bien des choses : des tapas à Saldes avec une bonne bière locale toute fraîche,
Une étonnante rencontre que je conterai dans mon prochain billet,
une nuit encore sous les étoiles au balcon de mon parking suspendu,
Et un nouveau petit matin de rêve dans lequel je repartirais bien pour......devinez donc ?
A Ludo....je dédie ce récit....
Bonjour Lison
RépondreSupprimerje suis scotché par cette lecture. "Je n'irai pas...", ouf !, puis "je ne renonce pas rapidement à mes rêves". "C'est la Tartera, un vertigineux sillon... de plus de 800 m de dénivelé", je suis inquiet pour la suite... que je dévore rapidement.
Ce que je pense, oserai-je le dire ? "elle est folle !"....
"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit" (La Rochefoucault).
Bises
Après la cinquantaine, la Vierge sage s'est muée en Vierge folle, caractéristiques du signe de ladite Vierge dont je suis.Et j'ose au grand dam de ma famille ces défis à moi même , sages pour les jeunes, un peu moins pour moi. Je donne raison à La Rochefoucault, je dirais même que je suis foncièrement très sage...Bisous
SupprimerOuf !!!!
RépondreSupprimerUn récit palpitant (pour moi) que j'ai pris plaisir à lire.
J'y ai mis le temps et j'ai comme Pierre toujours un peu peur.
Sachant que je ne pourrais t'attendre que sur le parking en préparant les tapas !-o))
Je sais que tu es en pleines vendanges, alors bon courage.
Gros bisous et c^lins à la Tribu du Sujet
Mais tu sais quand j'arrive de mes vagabondages, je suis partante pour des tapas toutes prêtes ! Allez deux très prochains billets seront marins et félins. Pour ne pas prendre d'altitude mais on peut aussi y prendre des risques . calins Tribuesques et bisou d'humaine
SupprimerC'est toujours aussi captivant de te lire, chère Lison ! J'adore ta façon de raconter. Et je t'admire, sincèrement, de n'éprouver aucune peur, et de foncer ainsi. Bravo ! :-)
RépondreSupprimerOn te sens dans ton élément - les photos sont vraiment superbes. La photo avec les aconits ça me dit quelque chose...hihihi nous avons le même regard.
RépondreSupprimeret oui...faut dire que on n'a pas le choix au niveau couverture végétale et fleurs...alors forcément...mais combien sont passés sans la voir : that is the question ?
SupprimerTu as bien raison. Pourtant, qu'il est surprenant de trouver des telles fleurs sur un tel substrat !
SupprimerJe suis tombée sur ton blog en faisant des recherches sur le Pedraforca. Quelle belle rando ! Je me suis régalée de te lire. Que de souvenirs... 3 ascensions dont 2 en montant par là tardera.... de grands moments. J’adore ce sommet, tu as parfaitement rendu les moments forts. Belles photos, merci Amédine.
RépondreSupprimerBises. J’ai lu également ta première ascension et j’ai apprécié ton récit.
Monter par la Tartera relève de l'exploit ! Bravo à toi surtout d'avoir recommencé une 2nde fois ! Cette montagne est fantastique je voulais y retourner à l'automne dernier mais je ne marchais pas et en guise de rééducation c'était un peu dur je crois. Ce n'est que partie remise; devant ce monument j'aurai encore peur, je crois. Mais j'irai. Après cela devient grisant. Bises
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