Noël...Après 10 Noëls de tristesse, de solitude, d'angoisses qui commençaient en Novembre, dès le matraquage publicitaire sur les ondes, j'ai un jour décidé de balayer tout cela et de construire mes propres Noëls solo, mais riches, vivants et joyeux . Alors, j'ai embarqué dans mon camion chats, gourmandises, Bonheur, Originalité et j'ai pris la route. Quelle route ? Celle de mes envies, du hasard qui guide les roues, celle qui allait ouvrir vers bien d'autres routes. Est ce moi qui allais vers les lieux ou eux qui venaient à moi ? Je ne saurais le dire. Mais des lieux originaux, déserts, chargés de silence, de mystère, de solitude, de solitude positive car choisie, pas celle imposée par ces Noëls à la maison et cette sensation d'abandon. Abandon dont j'étais l'artisan, considérant que dans ces fêtes de famille je n'avais pas ma place de femme seule et que je me devais de décliner toute invitation.
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Le château de Blanchefort. Rennes les Bains |
Aujourd'hui mes Noëls sont heureux, ils sont une fête. Ombre au tableau, cette année avec l'absence de Mathurin, qui dort dans son jardin. Tristesse profonde, sa photo m'accompagne, regard bleu rivé sur moi. Nina est bien présente, joyeuse et mutine, elle adore voyager.
Ce sera où cette année ? Plein d'idées, j'attends CELLE qui va m'appeler et enfin Rennes les Bains, dans l'Aude, me dit "Viens !".
Rennes, 110 km de la maison, est une petite ville thermale au fond d'une vallée audoise, un peu triste comme toutes les villes d'eau mais qui a un aspect de ces Cévennes de mon premier Noël de résilience.
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Rennes les Bains au bord de la Sals (rivière salée) |
Rennes allie les eaux chaudes thermales et les eaux salées de sa rivière La Sals. Ce n'est pas banal. Non ce n'est pas le trésor de l'Abbé Saunière qui me fait courir là bas, mais c'est, proche de Bugarach, l'alliance de quelques effluves mystérieux. Rennes dort, en plein jour, autant qu'il dormira en pleine nuit. Moi aussi, 11 h de sommeil, perchée sur mon parking. Depuis ma dernière venue, tout est barricadé, verrouillé, interdit, heureusement mon fourgon passe aux barrières ultra surbaissées. Mais que veulent donc les autochtones, ou ne veulent-ils pas? Certes je ne ferai pas marcher le commerce, lui aussi est barricadé.
Au jour naissant, les parfums de la forêt contre laquelle je loge ne sont pas barricadés, ils m'invitent à une séance inhalation merveilleuse. Tant, que l'envie de rando me tend les bras, c'est la règle de mes Noëls, non ?
Je laisse Nina ensommeillée et je pars vers le château de Blanchefort dont j'ignore alors jusqu'au nom.
Une brume grise et mouillée persiste et s'effiloche, je marche dans la forêt. C'est une chênaie de ces régions calcaires qui partage le paysage rondouillard des collines avec les buis, et quelques autres végétaux, rares bruyères, nombreux fragons, mais le parfum de l'aube a déjà disparu, malgré l'humidité, énorme, et l'humus nouveau en formation. Je marche en silence, j'aime ces randos du matin de Noël où tout et tous sont encore endormis de ce sommeil de fête d'où l'on émergera à petites doses mesurées.
Je ne sais rien du parcours, il est improvisé mais sans erreur possible, bien balisé. Quasi en courbe de niveau, il court dans des bois qui furent clairsemés comme le montre la photo des années 60. La végétation a tout envahi et masqué le paysage environnant. Il reste quelques terrasses, des sentiers qui furent chemins, des bifurcations qui donnent envie de s'y aventurer, et des ravins que je vais traverser en les comptant; ils parlent de violences passées et donc de violences à venir.
Marcher en forêt a des charmes que j'ai découverts. Et que j'ai adoptés. Je suis partie trop tard, 9 h, les parfums de l'aube se sont éteints.
Rapidement, je surplombe "les Bains Doux" créés au début du 19 eme S, (1819) et agrandis en 1854. Mais un siècle auparavant ils étaient décrits comme assez insalubres car tous les malades se baignaient dans la même eau qui "était commune", un rapport en témoigne (Antoine de Gensanne, 1778). L'eau était "au 32 ieme degré de chaleur" selon l'échelle alors en vigueur, celle de Réaumur soit, 25.6 degrés Celsius.
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Les Bains Doux autrefois |
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Les Bains Doux aujourd'hui |
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Une des 12 baignoires |
En 1850, Rennes recevait 3000 curistes !
Un peu au dessus des Bains Doux se trouvait "une source très savonneuse ", on y blanchissait le linge. (1778, Gensanne)
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Départ dans la brume |
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Chemin |
"Sentier très dégradé" dit le petit mot griffonné. Habituée à mes sentiers sans grade, j'ai hâte de voir. C'est un sentier gluant, glissant, glaiseux mais confortable. des oiseaux furieux s'envolent en criant, je les dérange! Sur un des ravins, le seul où coule de l'eau, le parcours emporté a été remplacé par cette passerelle amusante. Certes on peut traverser ailleurs mais je m'amuse, c'est pire que tout, je manque atterrir dans le ruisseau, tant ça glisse.
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Ce sera à droite! |
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Ah bon ? Dégradé ? |
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Passerelle très rudimentaire |
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Et très casse "g...", je glisse et me retiens de justesse |
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Autre passage de ravin |
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Encore un passage de ravin, bien aménagé |
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Le sentier qui fut chemin d'exploitation |
Le chemin continue monotone et silencieux. Enfin il commence à monter mais Blanchefort ne montre pas le bout de son nez. Est ce cette forteresse de pierre ? J'y crois très fort. Mais non c'est Roca Negra, un ancien site minier, cuivre et or. Impressionnant vu de là, et même mieux que cela, effrayant.
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Vaisseau fantôme de Roca Negra |
Se dévoilent aussi à travers les arbres, les aiguilles des Lampos qui montent à l'assaut du Pech Cardou (795 m), aiguilles qui me fascinèrent hier dès que je les vis. Vues d'ici elles paraissent "carrossables" vues d'ailleurs, elles garderont leur inaccessibilité. Oh voilà bien des coins qui m'attirent...
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L'arête parait uniforme |
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Et bien non ! |
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Le site des Lampos dans son ensemble |
Et dire qu'au 18 eme siècle, les vignobles couvraient ces pentes jusques aux aiguilles rocheuses dans toute la vallée, comme le décrit si bien Mr de Genssane en 1778 dans son "Histoire naturelle de la Province de Languedoc" (tome 4) !
Mais qu'il tarde ce Blanchefort ! Une ruine sur le chemin ouvre sur un autre chemin à peine lisible qui se perd dans les sous bois. Evidemment comme c'est ma première sortie ici, je ne sais rien, je découvre. J'écoute les premiers balbutiements de la montagne. Elle est bien loin pour la faire parler. En attendant je fais parler les cartes grâce aux distances que j'ai soigneusement notées : cela irait à Favies, un ancien lieu dit ou hameau peut être.
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La ruine |
Blanchefort n'arrive jamais, cela monte de façon discrète et régulière et enfin, au dernier moment, apparaît une grosse rondeur rocheuse, blanche et escarpée au possible en haut de laquelle se voit un mur de grosses pierres blondes taillées.
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Ce n'est pas Blanchefort |
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Le Bugarach flotte au loin |
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Dernière colline |
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Voilà Blanchefort, on distingue le mur d'enceinte |
Le sentier s'éloigne et plonge en forêt sur le versant opposé...je cherche un accès direct, il y a juste un barrage fait de pierres, on ne passe pas ! Et bien je vais voir. Je commence à escalader en direction d'un semblant de grotte et c'est la surprise ! On dirait un cours d'eau chose improbable sur ce piton. Plus tard je saurai qu'il y avait des recherches de filons d'or. Une petite ouverture se franchit en rampant, sac ôté du dos et c'est l'ouverture magique en paroi au dessus d'un vide bien décoré en ce jour de Noël.
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En jaune l'accès à la fenêtre En rouge, mon chemin pour le sommet |
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Dans la fenêtre |
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Grand panorama depuis la fenêtre |
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Au zoom |
J'aimerais quand même accéder au château ! Côté Est, c'est une muraille sans fond. Côté ouest, c'est un peu pareil. Côté sud, j'étudie la paroi, deux accès sont possibles en varappe. Le souci c'est de savoir en redescendre. Je choisis le plus oblique et à chaque pas franchi, j'ose la redescente pour m'assurer de ne pas finir mes jours là haut. Ainsi, bien assurée malgré mon absence de corde, je parviens au sommet dans un grand bruissement d'ailes, celles de deux énormes oiseaux dérangés dans leur attente du festin de Noël. Vautours ? Ils ont des plumes bien claires mais une envergure de grande taille je ne les reverrai pas. Le château m'appartient.
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Mon chemin d'accès, au 11 eme siècle on grimpait par une échelle |
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Inverse de la vue, depuis le haut |
Je découvre. Un panorama à 360 ° qui émerge plus ou moins de la brume; la vallée de la Salz se déshabille de sa brume, Arques ouvre une fenêtre, les aiguilles de Lampos font grise mine, quant à la vallée direction Couiza, ça ne décolle pas !
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Soularac et St Barthélémy |
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Au zoom |
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Arques et son château |
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Au zoom |
Mais à mes pieds gisent les ruines du château : la citerne, surprenante, les assises du donjon et le mur d'enceinte. Et puis le vide que je viens de gravir. 8 m environ. Enfin les surprises ! Après l'envol des rapaces, voilà que le sentier arrive jusqu'ici, donc pas de désescalade à risquer.
Il y a très longtemps, 10 eme siècle, une position fortifiée par les Wisigoths occupait le site, puis le château apparut, dépendance de la disparue Abbaye de Jaffus. On y accédait au moyen d'une échelle c'est dire s'il était un vrai nid d'aigles ! 1209 Simon de Montfort déloge le Seigneur de Blancafort, lors de la Croisade contre les Albigeois et c'est Pierre de Voisins, compagnon d' armes de Simon de Montfort qui s'empare du château, faisant payer un lourd tribut (taxes) aux habitants de la région. Aux pieds du château se trouvait un village aujourd'hui disparu, l'agrandissement de la citerne eut lieu au 14 eme siècle puis le château déclina et mourut avec le traité des Pyrénées qui redéfinit la frontière.
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Mur d'enceinte |
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Donjon |
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Le village disparu se trouvait là au fond |
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La citerne |
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Le fond de la citerne |
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Sur le mur du donjon |
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Le dôme végétal au pied du château |
Et puis le clou du spectacle, beau cadeau de Noël, le spectre de Brocken et peut être mieux, la Gloire ou Anthélie puisque le spectre est coloré, irisé. Un instant rare dans une vie, qui m'a déjà été offert au Tourmalet.
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Spectre de Brocken. Ou Anthélie ? |
On peut comprendre que j'aie du mal à m'arracher à ce tout modeste sommet de 476 m.
Et puis il y a les légendes...
La légende date de 1130, la légende du trésor. Les Templiers, à la demande du Seigneur viennent exploiter la mine d'or et l'or coule à flots, mais ce n'aurait été qu'un subterfuge pour s'emparer du trésor caché des Wisigoths et le transformer.
Par contre, le Diable connaissait le trésor de Blanchefort, il était en sa possession et le contemplait un jour, bien étalé au soleil. La petite bergère qui le surprit en informa tout le village et les habitants engagèrent un sorcier pour le dérober. Le Diable en rit encore, de leur épouvante à tous et garde jalousement le Trésor! Peut être ma cachette dans les orifices de la paroi n'était elle autre que la quête inconsciente du Trésor et du grand Diable ? Ou alors aurais-je du plonger au coeur de l' Anthélie pour y parvenir ?
Longtemps, de nos jours, le château demeura invincible pour les rares touristes, on n'y accédait qu'à ma manière expéditive et aérienne, l'échelle ayant disparu depuis des siècles.
Je redescends enfin sur un sentier escarpé se frayant un passage compliqué, car glissant, en roche et si long qu'il me fera regretter les 8 m de désescalade. Pourtant une dernière surprise m'attend, un long couloir, taillé et lissé dans la roche, étroit et en pente, s'enfonce dans les entrailles du piton rocheux. Oh ma lampe me manque. M'y serais-je glissée ? Pas sûr. Des spéléologues néerlandais ont exploré le site en 2008, je comprends juste dans leur blog qu'ils ont descendu un puits vertical, équipés de matériel. Je n'irai pas visiter ! Je ne saurai jamais si c'est un puits de mine creusé par l'homme ou une cavité naturelle. Une autre cavité s'ouvre à côté, je n'y vais même pas tant c'est lugubre! Je reviendrai un jour à Blanchefort.
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Ce serait un puits de mine |
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Celui ci peut être aussi |
En attendant je quitte les lieux et refais tranquillement à l'envers le long chemin jusqu'à Rennes, privée de paysage mais ni de soleil ni de ciel bleu qui dansent au dessus des forêts. Et je savoure ce retour aussi silencieux, paisible et sauvage jusqu'au moment où, montant furieusement des bois, une cacophonie que d'aucuns nomment musique balaie la magie de mon conte de Noël!
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Retour en forêt, près de 4 km |
Balayée la Magie de Noël ? Avec ceci ? Mais non voyons....
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Nina, le trésor |
Je reviendrai Blanchefort, pour tous les trésors que tu recèles, ici et dans les environs...Ceux que je sais trouver et qui n'appartiennent qu'à moi, ,modestes et flamboyants !
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Blanchefort au soir tombant |
En chiffresDistance 8 km AR