jeudi 29 juin 2023

Mantet, Coma de Bacivers et Coma de la Portella

 Je pars  de Mantet (6 h55, 1569 m),  je dévale droit dans la pente, pressée de rependre le dénivelé perdu. 

La  Coma de Bacivers

Telle que je la vois depuis ma "chambre"


La passerelle (1450 m) m'évite le bain de pieds et me voilà en train de remonter la superbe vallée de l' Alemany dans le silence du petit matin frais rompu par les chants d'oiseaux. J'ai vite compris que j'ai la forme et qu'il me faut me calmer, donc c'est avec une cadence régulière que je remonte les prairies désertes, la forêt silencieuse et les premières estives baignées de soleil. C'est grand bleu et l'altimètre dévore à belles dents, servi par deux jambes alertes. Un petit dialogue avec un jeune français en rééducation et un belge en mode "croquons la vie jusqu'à Hendaye si tout va bien", un jeune couple qui émerge du refuge en paressant et me voilà au terminus de la civilisation et au début de l'inconnu : entrée de la Coma de Bacivers, cabane pastorale, 1972 m et 4.9 km, en 1 h 31 de marche. 




L'arbre de vie de l' Alemany


Enfin elle jaillit de la forêt


La longue crête de la Serre de Bacivers 


1896 m, ancien abri pastoral


1972 m, le chalet pastoral


C'est sûr je vais tomber le rythme, la longue vallée s'étire vers l'inconnu, un inconnu boursouflé de moraines et encombré de sapins, hors sentier.

La Coma de Bacivers vue des crêtes des Collets Verts

Mais j'ai le temps ! Commence alors une griffante errance, à la recherche de cheminements entre le ruisseau encombré, la végétation buissonnante et ....et tout, quoi, tout est hostile pour mes jambes nues.

D'abord je remarque un tuyau qui amène l'eau au refuge; je vais le suivre, ce sera un bout de chemin carrossable ou presque. Très vite je suis à la prise d'eau, pas moyen, de suivre le torrent. 


Coeur de ruisseau

Et bien on va expérimenter! Commence alors un trajet en zigzags irréguliers, entre les sapins aux troncs délabrés sinon "calcinés" par la mort, les massifs végétaux peu engageants, et les bords de ruisseaux (ils sont deux) aussi traîtres que possible. J'avance en Enfer? c'est l'essentiel, même en donnant du bâton au cas où...L'essentiel est d'avancer, en fouillant la terre à isards et chevreuils sans se décourager (le plus difficile). Quand soudain ! Posé comme une offrande, un cairn ! La fin du délire ? Presque...

Tribulations ici...

là...



ou là..

De toute façon ça griffe

ça mouille



Et lui il va tranquille

Une succession de moraines

Ile flottante
Ile flottante

Ils sont parcimonieux ces cairns, mais hormis quelques difficultés végétales, une sente étroite et cohérente se dessine. Un pied trempé et l'autre sec, je gagne du terrain, lisant entre les arbres les murs abrupts de la Coma et confisquant deux jeunes cèpes imprudents.


2153 m


Le ciel est grand bleu, les roches brillantes, le silence infini, la solitude aussi, j'ai l'impression d'avancer dans un rêve mais n'y a t'il pas 6 ans que je rêve à ce chemin ?  Tenté en hiver, il fut un Enfer Blanc, (lien en fin de texte), réussi en été, j'ai laissé l' Enfer Vert loin derrière. De moraine en moraine, je monte, appréciant au passage l'intense travail accompli par le bulldozer de la glaciation. 




Etrange limite




Sentier
Sentier


2278 m, 6.7 km, une jolie ruine de cabane pastorale m'accueille, le paysage s'ouvre, dans un enchevêtrement de cailloux et une jolie vallée, entre deux murailles rocheuses où mes jambes un peu plus lourdes iraient bien se frotter à celle de gauche mais soyons sage. De toute façon, il me faudra grimper, la combe se finit dans un charmant demi cercle escarpé. J'ai perdu les cairns sans regret, la sente animale est bien lisible, c'est le chemin de l'eau. Enfin j'arrive au sommet de la moraine, 2312 m, (862 m D+) le bull a stoppé là, pas envie de descendre dans la cuvette, je vais profiter du promontoire pour filer droit dans la pente vers la crête que je vois toujours, nue et pâle, de mon lit à Mantet.


Ruines de cabane

Côté Nord



Côté Sud : pour moi

Sommet de la moraine, au petit col (centre)

Côté Est, Canigou et mer


Côté Ouest, le fond de la vallée



A fond !!


C'est une pente ardue, faite d'herbes et de rocs, agrémentée de quelques petites falaises et, comme toute pente qui se respecte, traîtresse, car la partie visible occulte....le reste.

C'est ce reste qui donne faim et c'est ce reste qui est fascinant.

Et c'est parti !


La pente est soutenue



Rocheuse ou florale


Dans cette pente, une source entre les rochers est comme un miracle. Je bois comme les animaux, à même le sol. Je trace mon itinéraire dans un paysage désertique, entre gispet et éboulis, dans un panorama à couper le souffle. J'arrive sur la crête, j'ai grimpé 290 m D + en 40 mn et je suis accueillie par la clim, un léger vent du nord bienvenu. 


Vers le ciel
                                                                                   
Vers la bas


Cela coule de source, voyons, dans ce désert !



Inutile de répéter que c'est mon terrain de prédilection


 Je vois Mantet, normal, de mon lit je me voyais ici ! La mer est estompée par une légère brume, je suis à 2606 m d'altitude et mon premier soin est d'aller voir la Coma de la Dona, son tapis de sol pierreux et ses couloirs dont chacun me donne envie de monter. C'est décidé, je n'y toucherai pas, je vais la garder pour mon prochain rêve. Je reviendrai par la Coma de la Portella, plus sage avec ses blancs morceaux de sucre, éboulis de quartz.


Mantet 




Sur la crête : 2615 m et 8.17 km

J'atteins le sentier, 2666 m avec vue plongeante sur la Coma de la Dona, mon futur chemin est repéré, vus d'en haut pentes ou couloirs donnent froid dans le dos, même si on a l'embarras du choix !!

Couloirs et pic de la Dona (2702 m)


Je fais mon choix : vu d'ici c'est engageant. Vu d'en bas, faut bien choisir le bon


A présent, je vais longer la crête dans toutes ses ondulations entre gispet et dômes de rocs et puis...mais d'abord, parvenue au sommet de 2694 m, je sacrifie au rituel du repas et du repos. Il y a des randonneurs non loin, sur le plateau et les sentiers, il y a la vie, certes, mais rien ne fut aussi beau que cette vallée isolée, splendide, boudée, car non carrossable. Et puis, il faut surtout s'en extraire , une fois parcourue ! On a l'embarras du choix, c'est murs de 300 m tous azimuts.

La crête tranquille et le pic, 2694 m


J'affectionne ce terrain


Fleurs de roche et débris osseux dus au gypaète
nommé en catalan "trencalós"


J'atteins le sentier, 2666 m avec vue plongeante sur la Coma de la Dona, mon futur chemin est repéré, vus d'en haut pentes ou couloirs donnent froid dans le dos, même si on a l'embarras du choix !!


L'austère Coma de la Dona

Chemin de descente éventuel

2666 m  : l'altiplano

La vie civilisée

D'abord faisons la halte contemplation : couleurs et textures accrochent le regard et la lumière.

Vers l' Est, ma rando de dimanche dernier, Collets Verts, Portella Tencada



Vallée de l' Alemany et crête de Baga de la Portella (2400m)

Massif du Canigou



Géant ou Bastiments 2883 m



1er plan, altiplano, 2nd plan Col Mitja, Pics Redon et Gallinàs
Au loin massif du Carlit, Pics Péric etc

Le Gra de Fajol






Pic de Bacivers ? 

Pic de la Dona

Je monte sur le débonnaire sommet de la Dona , 2702 m, (9.7 km, 4 h 15 marche) où de petits bouquets se cachent entre les cailloux, protégés des vents ingrats, et, fuyant le monde, je reprends le sentier de descente, direction la Coma de la Portella. 


La Coma de la Portella : j'y vais !

C'est une vallée plus modeste, quasi sans forêts, un long fleuve tranquille de rocs, une petite dorsale de moraine. Ici point de falaises ni couloirs, des pentes sèches, certes, de 150 m où il ne ferait pas bon glisser, c'est le terrain de jeux des skieurs en hivernale, une sorte de paradis blanc même en été puisque une grosse veine de quartz éparpille ses éboulis d'un blanc pur et de toutes tailles, ce qui en fait un lieu d'exception. Pour moi l'exception aura un second visage : une cinquantaine d'isards batifole en tous sens et ne sont pas outre mesure dérangés par ce bipède. Ils conversent en soufflant, je réponds en sifflant, on pourrait presque tenir salon sur les sofas immaculés !


La pente est glissante sur plus de 150 m D-


La veine de quartz







Comme de blancs sofas

Coma de la Portella, vue d'ensemble


Conversation





Je musarde en descendant vers la vallée de l' Alemany, j'ai 1400 m de dénivelé positif au compteur, 100 m m'attendent à l'arrivée mais j'ai envie d'en rajouter. Alors j'ourdis un plan en suivant le fond plat et vert de la vallée, évitant quand même les bovins...euh...

Alors que je descends tranquillement, la chaleur monte vers moi et je pense à ma petite Nina, dans le camion en plein soleil. Je la sais résistante, habituée, elle a son confort, mais le soleil est incandescent. C'est décidé je descends, et vite, même !


Haute vallée de l' Alemany...plus que 7 km


Je vais dévaler la vallée, sans m'octroyer de repos, de baignade, de remontée possible en forêt, du plus vite que je peux, je trace le chemin. Dans l'entêtant parfum des pins surchauffés.  La remontée sur Mantet se fera droit dans la pente, de prairie en prairie, après un bain de pieds glacé et un rafraichissement dans le Mentet. Ah cette remontée ...le point d'orgue de toute rando ici avec  lequel il faut composer, mais finalement avec mes 1500 m de dénivelé je n'étais pas au bout du rouleau. J'aurais pu en rajouter. Bon faudra inventer la clim pour Nina, et ça, j'ai déjà trouvé. Ah oui, elle était en pleine forme, allongée sur le sol, et puis elle aime le réconfort : le poil dument mouillé, je la sors en plein vent, dans mes bras, en ébouriffant le pelage et elle aime ça.

Mais là elle n'aime pas le gros berger des Pyrénées qui s'approche...et que je ne vois pas . Suivant son regard, je me précipite. Lui n'a rien vu.


Et on est si bien à Mantet qu'on va y rester jusqu'à demain. Une belle nuit de sommeil dans le parfum des pins surchauffés, quel délice....

En lien : l' Enfer Blanc , janvier 2020 (clic)

En chiffres :
Distance : 18.7 km
Dénivelé positif cumulé 1500 m
Temps de marche : 7 h 14


Le trajet (sans la portion Mantet/ refuge)