Enfin je regagne la montagne. Dimanche 18 décembre. 5 semaines de pénitence (dorée certes, gorgée d'huîtres, moules et vin blanc), mais la montagne, même moyenne, me manquait. Je me suis rationnée, dans le temps, dans l'espace, dans l'altitude, dans l'effort, pour pouvoir espérer aller plus haut, plus loin, bientôt. Py sera le dernier test, et si je choisis Py, c'est que j'ai un petit compte à y régler : comment ai je pu ne pas trouver mon chemin la dernière fois?
Ainsi, ce jour, je vais faire le chemin à l'envers, commencer par ce qui devait être l'arrivée et remonter à la source. N'anticipons pas.
L'aube est loin derrière quand je démarre à 8 h 48, 1000 m, dans l'ombre, le froid, la glace, la gelée blanche d'un matin d'hiver, on est aux jours les plus courts, ceux que j'aime par dessus tout.
Je laisse Nina dans le camion et, sac à dos léger, peu vêtue, sous un ciel pur et des crêtes déjà dorées de soleil, je m'élance vers la rivière, La Rotja. Il me faudra attendre longtemps avant que le soleil ne me rattrape.
J'ai les mains gelées comme les herbes quand je franchis la Rotja et dès que j'aborde la montée sur le sentier pavé, je vois que j'ai loupé une partie de l'histoire du temps. J'ai quitté le secteur sous des arbres dorés et je retrouve un paysage nu, qui dévoile un tas de nouveautés. Dans la transparence des dentelles je devine bien le village, les piques acérées des Agullas, la rivière plus proche qu'il n'y paraissait, des terrasses insoupçonnées, plongeant dans une pente redoutable et même des ruines proches du sentier qui étaient bien dissimulées; d'ailleurs je ferai une entorse à mon règlement : ne pas sortir du sentier. Et bien je vais visiter et "je fais gaffe!". Mais ça passe bien. Et je réitérerai à l'envi. La prudence reste primordiale. Je me suis octroyé 12 km, faut être vigilante. Ma chute m'a traumatisée.
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Py gelé |
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Les Agullas, les aiguilles |
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Je ne l'avais jamais vu |
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Flanqué de son orri |
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Les pierres destinées à arrimer le toit étaient déjà prévues dans la construction |
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Et celui ci, abrité par son grand rocher, en contrebas du chemin, jamais vu non plus |
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Il est accompagné d'un enclos à bétail |
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Des pentes abruptes striées de terrasses |
Je bois des yeux ce paysage révélé par la nudité. Il ne fait pas froid, ma marche est confortable et surtout, c'est une telle joie retrouvée. La solitude des lieux, ce désert humain, ce corbeau qui tournoie avec un cri disharmonieux, la rivière qui gronde, et le soleil qui boude, tout me va. Je crois que même la pluie m'irait ! Je bois la montagne retrouvée. Je me gorge des saveurs émotionnelles de la montagne.
Je suis vite en tee shirt sous un ciel lumineux, presque un printemps. Quel calme et quel silence ! Je vais lentement, par la force des choses. Sur mon chemin j'ai déjà ressenti l'appel du large, rien qu'en regardant plonger ces terrasses vers une Rotja impatiente, rien qu'en visitant des ruines insoupçonnées, puis en croisant ce canal incongru qui me dit "puisque chaque fois tu te demandes d'où je viens et où je vais, suis moi !!". Promis, le canal.
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C'est bien un canal qui passe sous le sentier |
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Mais il ne prenait pas son eau à la Rotja
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Me voici à la confluence des sentiers, je laisse Cantapoc chanter dans les bois et je m'élève sur un sentier qui ressemble à tous ceux d'ici, mais pas balisé: il est propre, il court dans les bois, il franchit de petits cols, il ne rencontre aucun cortal et moi je rencontre le soleil.
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Le nouveau sentier |
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Les vallées sont creusées d'ombre |
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A cache cache |
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Je viens du bout de mon doigt, un bout de chemin déjà Alt 1409
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D'ailleurs je perds mon sentier et je suis un moment le cours d'un autre canal: cette montagne aride était zébrée de cours d'eau miniatures.
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Il fut canal |
Les paysages se ressemblent là bas : au détour du chemin (et du canal), on plonge plein sud et on trouve une lande rase, balayée de genêts où poussent des ruines, un ancien site d'élevage. Il y a bien les petits cortals, les cabanons des bergers, de l'eau bien sûr, pour les fromages, la trilogie est bien en place, il suffit de fouiller le site.
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La cabane de l'Histoire (voir ci dessous) Une triste page de l'exode de la Guerre Civile Espagnole (1936 / 1939) |
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La cabane telle qu'elle était |
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Et ce qu'il en reste |
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Un peu plus loin sur le site |
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Le décor |
Je poursuis mon chemin, il est beau et bien tracé et je commence à reconnaître le secteur, je vais atteindre le "lieu où je m'étais perdue". Je devine le ravin de Roca Traucada, dans la forêt; il y a de l'eau, un cortal, une cabane, je commence à comprendre en lisant le paysage, et lorsque je débouche sur la zone d'estives toute proche, c'est clair comme du cristal, ce chemin je ne pouvais en aucun cas le trouver !
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Au ravin de Roca Traucada |
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L'inévitable orri au toit enherbé |
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Et l'indispensable point d'eau |
Non balisé, non marqué sur le terrain, invisible, il est bien différent de celui que le GPS d' Iphigénie portait et que je cherchais. Je m'empresse de baliser et de visiter ce cortal que j'avais traversé à fond de train, mettant en fuite une vache affolée.
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1420 m |
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Décor enneigé |
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Très belle façade, austère |
A présent, sur le lieu de mon erreur et de mon errance, la visibilité est nette et je peux m'octroyer une balade. Cette balade je la fais par un sentier de chasseurs. Elle me conduit en direction du ravin de Salètes où deux superbes ruines imposantes, bien campées sur une pente rocheuse évoquent ces ksours marocains qui me furent si chers.
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Les deux cortals comme des ksours marocains Vallée du Salètes |
Et je marche; je ne les visite pas, je veux aller jusqu'au ravin, où un air glacé m'accueille, je visiterai au retour.
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Le premier : 1424 m |
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Le second : 1424 m |
Je traverse des ruisseaux, et le froid vif de la "glacière" me prend au corps.
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Gel |
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Le sentier de noisetiers |
Féérie de glace sur mon chemin, dans les ruisseaux .
Me voilà en tee shirt dans l'ombre, la gelée blanche, les petites cascades et leurs guirlandes de glace aux formes séduisantes ou amusantes, et j'ai parcouru 6, 07 km, je suis exactement dans "ma" norme imposée, à 1478 m d'altitude. Je tremperais bien mon genou dans l'eau glacée, mais faut que le pied suive, puisque je ne peux encore m'agenouiller. Je reste donc au sec .
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1478 m, mon terminus gelé |
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Facéties dans l'ombre |
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Cristal |
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Drôle d'animal |
Demi tour vers le soleil. Je regrette de n'avoir pas continué le sentier, une jolie cabane m'y aurait accueillie.
Le demi tour impose la visite des trois ruines rencontrées, les plus belles : silence; en images!
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La 3 eme, la plus éloignée |
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Et son orri |
La seconde, altière et imposante :
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Avec une inscription en façade |
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C'est un ensemble de 3 bâtiments décalés et un orri |
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Le toit par deux fois effondré : la lauze puis la tôle |
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La mangeoire du cheval |
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Jolie arcature |
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L'orri ou cabanon pastoral |
La première :
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Le cabanon (vaste) et le "musée" intérieur |
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Fabrication très artisanale |
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Jolie arcature aussi |
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L'étroitesse des ouvertures est un excellent indicateur de la rudesse du climat autrefois |
Je songe au repas, il serait temps, allongée au soleil, devant la porte, ou sur la pierre du cantou...Mais je suis plus bête que tout ça! Quand je pense au site où j'ai enfin pris mon repas !!
C'est la curiosité qui me pousse: il me faut à tout prix trouver ce sentier que j'ai tant cherché dans la noire forêt et que je n'ai pas vu. Je reviens donc sur mes pas, traverse l'estive et, mettant Iphigénie au boulot, je retrouve sans peine le lieu de mes errances.
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Les estives toujours en service |
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Iphigénie : au boulot ! |
Cette fois je sais que je ne me "perdrai" pas puisque un vrai sentier, bien cairné par mes soins, m'attend, et, GPS en main, comme un bréviaire, je trace mon chemin. C'est clair, dans ce site je ne pouvais pas trouver ce soir là. J'avance dans une sapinière austère et enchevêtrée, j'accroche de la rubalise aux moignons de branches et soudain le sentier donne signe de vie : une assise, des murs, un tracé qui se devine de plus en plus, les pièces du puzzle qui s'emboitent, le passage du ravin de Roca Traucada, je n'avance pas, je rame dans les branchages, à grand fracas. C'est sombre, glauque, laid à souhait et envoûtant comme un trésor trouvé.
Et le voilà le trésor ! Un cortal magnifique est traversé par le sentier, environné d'anciennes parcelles, des murs partout, la cabane doit y être sans doute, mais je ne la vois pas dans cette sombre forêt : dire que jadis le site était ouvert, ensoleillé, cultivé, vivant...c'est un tombeau et c'est en cet endroit là, assise sur la pierre du cantou, voisinant avec un fémur de vache, que je vais prendre mon repas ! Je me plais à redonner vie à ce sépulcre, cette crypte. Si je dois garder une seule image d'un site sinistre en cette montagne c'est bien de celui ci....
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Euh...un trésor ? |
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Il y a plus gai comme restau !! Celui ci est de l'autre côté du chemin |
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Le sentier comme un chemin de crypte ! Quel lieu sinsistre... |
Peu après, quand je sors de ce vaste secteur de murs et terrasses, de sapins en désordre, je débouche en plein soleil, sur le sentier retrouvé, le vrai.
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Cela s'apprécie, c'est certain... |
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On peut commencer d'autres rêves |
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Au pied de ce mur de roches coulait un canal |
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Dont on voit le tracé: il sera à explorer un jour |
Une petite - ou grande - constatation s'impose en visitant ces montagnes et ces sites à l'abandon : le changement climatique est d'une parfaite évidence; l'habitat révèle un climat rude, violemment contrasté, des étés brûlants, des hivers glaciaux, de la neige en abondance, des vents violents puisqu'il fallait arrimer les pourtant lourdes toitures. De l'eau courait partout, il suffisait de tracer des canaux pour la récolter et arroser les lointaines terrasses, la montagne bruissait de vie et d'activités; des terrasses s'étageaient au flanc des pentes, tout ce qui était cultivable servait, une véritable ruche que la désertification des montagnes et la Grande Guerre ont tuée.
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Un reste d'automne comme une lampe allumée |
J'ai bouclé la boucle, trouvé l'erreur, répondu à cette énigme qui me taraude depuis 5 semaines, je peux à présent renter en paix, calmer mon genou dans l'eau glacée d'un torrent en trempant mon pantalon et avec cette glacière improvisée collée à la peau revenir à Py, déjà noyé dans l'ombre gelée d'une splendide journée, retrouver une Nina ensommeillée et m'offrir une collation bien au chaud. J'ai rempli mon contrat : retrouver la montagne, 12.5 km, un genou en forme, et si je reste prudente, les chemins et canaux me tendent leurs bras ramifiés.
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Encore un qui s'était dérobé à mon regard |
En chiffres
Distance : 12.6 km
Dénivelé positif cumulé : environ 600 m
Temps de marche : 4 h 40
La route : 110 km AR
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Le trajet |