jeudi 30 octobre 2014

Montagnes rocheuses

C'était un matin tout neuf : l'heure avait pris ses quartiers d'hiver et sur les flaques des chemins, des yeux de glace s'étaient ouverts pendant la nuit.

J'étais aux confins de mon département, là où les montagnes et les frontières s'ouvrent vers la France, l' Andorre ou l' Espagne. Au  Col du Puymorens. Au parking de la Vignole, 1870m.

Avec pour but un cirque de montagnes aiguës au fond duquel sommeillaient des monstres de pierre et un petit lac discret.
Ce n'était pas mon but premier mais un petit accident , la veille, m'avait obligée à revoir mes projets. Rien de grave; une mèche de cheveux en moins, trois points de suture à la tête, une petite plaie à la jambe, il m'en fallait certes plus pour renoncer.

Je marchais d'un pas vif et serein dans un silence immense et en bordure d'un chaos rocheux tout aussi immense.


Le grand cirque de la Vinyole
Le Pic de la Mine (à droite) 2683 m





























Peu à peu, l'eau vive avait été ensevelie et coulait silencieuse et invisible sous cette masse.

Une des forteresses naturelles





Depuis des millions d'années des  châteaux forts  de pierre s'écroulaient dans ce vaste cirque.



 Une masse rocheuse dans laquelle inévitablement je dus m'enfoncer, il n'y avait d'autre sentier que quelques cairns destinés à donner une trajectoire, non un trajet. Et toujours cet immense silence...


Mer de rochers : navigation malaisée

Je décidai d'ignorer les cairns, de me débarrasser des rocs et de gravir le versant au soleil où je devinais un autre sentier. L'affaire fut rondement menée, mais prudemment car je dus traverser de part en part tout le chaos;  un accident suffisait! Et dans ce chaos, la vitesse n'est pas de mise!

Difficiles chemins de pierre


Enfin je retrouvai l'herbe jaunie, et l'eau qui bondissait dans un sillage de glace.


En habits de lumière


Peignes de glace

Je finis par déboucher, au terme d'une petite montée un peu rude, comme je les aime, de celles qui vont tout droit hors des sentiers, sur "mon" petit lac, véritable joyau dans un écrin des plus arides: La Basse de la Vinyola, 2500 m.

2500 m


Après cette aridité, j'avais cette sensation que doit ressentir le voyageur saharien à la vue d'une guelta. Enfin, toutes proportions gardées.))
Un petit lac à donner envie de s'y baigner, de le contempler, le peindre ou le dessiner, y noyer son regard et le suivre des yeux longtemps en grimpant. Toujours plus haut. Vers les crêtes.
Ce que je fis, hors sentier, avec enthousiasme.

Une grande partie de mon parcours: la traversée de cette vallée depuis les lointains (à gauche)

En piste vers le ciel
Je finis par découvrir un sentier bien tracé et c'est vers les cimes que je ressentis ce qui me laissait d'habitude indifférente : la présence du vide. Il était là, ce vide, sous mon corps, insidieux, sournois et bien présent. Pas le vertige mais un manque d'aisance, un manque d'assurance. Etait ce mon choc à la tête de la veille ? Je feignis d'ignorer ce vide qui à présent, arrivée en haut de la crête avait redoublé de présence. Le vide d'un côté, le vide de l'autre , chacun profond de plus de 200 m,et moi,comme une danseuse miniature, tout en haut.

En arrivant sur les crêtes : blocs à contourner

De l'autre côté : le cirque des Pedrons

 Prudente je le fus, doublement, et surtout je conditionnai mon mental :
 ignorer cette insidieuse présence, ne pas regarder.
Sur la crête, monuments de pierres à contourner

Je contournai avec prudence une muraille de pierre, petite forteresse rougeâtre et infranchissable (enfin pour moi) et j'atteignis  le Pic de la Mine à la modeste altitude de 2683 m, un paradis au sommet.
Du plus loin que portait mon regard ce n'était que crêtes, cimes, pics dentelés, chaos rocheux où de petits lacs se baignaient avec mollesse. Qu'est ce que c'était beau !

Massif de la Maladetta 


Pas un humain, (je n'en rencontrai pas un seul dans mon périple), juste quelques rapaces, les sonnailles d'un invisible bétail, sous le bleu du ciel. Des lacs miniatures, colorés en vert ou en bleu.

Dans le cirque des Pedrons à 2350 m


Dans le cirque de la Vignole à 2500m

Je restai un moment au sommet, juste pour contempler, dessiner, identifier les pics, lire la carte et la boussole, m'amuser, en fait.

Au sommet du Pic de la Mine (2683 m)


Contempler avant d'entreprendre la descente que je connaissais pour l'avoir déjà faite, longue et fastidieuse comme le sont souvent les descentes; juste une question de patience.


Alors pour passer le temps, on laisse vagabonder ses pensées tout en restant très prudent : rien de plus traître que la descente; on va plus vite, on glisse, les articulations sont douloureuses, jusqu'à l'arrivée on ne peut relâcher l'attention.
La montagne a perdu ses couleurs avec les premières gelées : ici, il n'y a plus d'arbres mais en regardant bien, les dernières petites merveilles semblent prêtes à se cacher sous terre et à y enfouir leurs dernières couleurs avant bien longtemps.
Regardez-les...
Perles de myrtilles












Encore savoureuses






Bientôt la montagne se vêtira de blanc, alors, en attendant le grand froid, elle allume tous ses feux 
comme pour faire provision de chaleur.


Quant à moi, avant de reprendre ma route "vers en bas", je m'accorde un moment de détente sur cette terrasse qui hier, faillit m'être fatale...((



En chiffres:
Dénivelé 900 m environ
Distance 10 km 

Et dire que j'avais pensé faire "une promenade de grand mère " !!!


mercredi 22 octobre 2014

Le Puig Pedros ou de Campcardos : 2905 m

C'est un très beau dimanche que ce 19 octobre, lumineux, ensoleillé et chaud. Plus que  l'été indien, c'est l'été tout simplement comme on ne l'a pas vécu cette année. Un de ces étés qui donne des ailes. Je pars loin de chez moi, en Espagne, avec un but bien précis qui doit joindre l'utile à l'agréable.
L'utile se joue ici, près de Méranges, sur les pentes de la montagne, à 1600 m d'altitude.



 J'ai fait 130 km de route de montagne et je prends mon repas au grand soleil de 14 h : il fait 40° au soleil à plus de 1600 m!
Je suis venue récolter des cynorrhodons des montagnes, bien ronds et charnus, dont ma mère fera une belle gelée, mon carburant riche en vitamine C pour mes randos vers les pics, les lacs et la neige.
Ils sont moins abondants que l'an passé et mon seau se remplit au prix de grande douleur : les épines de ces rosiers sauvages sont féroces.

Flamboiement d'automne

Le soir venu, je grimpe plus haut, au terme d'une route qui se mue en 6 km de piste et j'arrive au milieu de nulle part : un parking de montagne, devant un refuge, près d'un lac, au milieu des forêts, un bout du monde charmant à souhait nommé Malniu.(Le mauvais nid).
J'en fais mon nid pour la nuit, sauf que le refuge ferme, le parking se vide et que je reste absolument seule avec Lison, à 10 km de la première habitation. Cependant, pas d'hésitation: je reste. 
Un peu impressionnée quand même.
La nuit s'installe en rougeoyant et c'est le grand silence d'une nuit d'encre, sans lune, sans vent. sans bruit.
Une sérénité incroyable. Pas l'ombre d'un humain, d'un animal, d'une crainte; je suis merveilleusement bien.



Etrangement, dans la nuit, deux grosses bourrasques de vent, éphémères et virevoltantes troubleront la sérénité, venues on ne sait d'où et mystérieusement disparues. Sous un ciel piqueté de millions d'étoiles.
Un petit matin serein et frais ouvre les yeux sur ce paysage .Que je découvre dès le départ de ma randonnée, laissant une Lison endormie sous son plaid polaire.

Le petit étang, et le camion altitude 2128 m
Mon but du jour est le Pic Pedros. (Le pic rocheux)

Il a une particularité non négligeable, ce pic là. Il est situé en frontière franco espagnole et a double nationalité. Double identité et double altitude, selon sa nationalité : 2905 m ou 2915 m.

 Soyons modestes, restons sur 2905 m.
Que sont 10 mètres de plus ou de moins sinon psychologiques ?
Il est un des 4 sommets à plus de 2900 m des Pyrénées catalanes, ce sera le 3 eme à mon actif après le Carlit ( 2921 m) et le Puigmal (2910 m).
Me voici donc en route, dans un matin calme et désert, avec pour seuls compagnons les chevaux déjà au travail : petit dej équin.


Attentif au sol













A cette altitude de 2200m, la végétation est rare, la forêt a cédé le pas à la roche et aux  genévriers.
Je marche bien tranquille, d'un bon pas sur un beau GR 11 bien tracé auquel je fausse vite compagnie pour un parcours plus direct, juste cairné qui suit un torrent.




Cela grimpe raisonnablement et je dois mes jambes lourdes à la cruelle gymnastique des quatre cueillettes de champignons en rampant. L'humain décidément n'est pas fait pour marcher à quatre pattes ni  ramper !
A propos d'humain, aucun ne se profile à l'horizon, j'ignore que je n'en rencontrerai aucun .
Vers l'aval, les vallées noyées de brumes

 Dans la plaine de Cerdagne espagnole (1100 m d'altitude), les brumes matinales flottent dans l'air, s'étalent, comme pour prendre un bain de soleil.

Je suis à 2500 m environ, c'est le silence dans sa perfection, juste troublé par le torrent dont l'eau fraîche est très désaltérante. Car il fait déjà chaud. Il est 9 h 20, je marche depuis 45 minutes.
Le Col de las Molleres 2475 m est atteint et les montagnes apparaissent enfin, grandioses.


Un ruisseau dévale , que je remonte sur 200m et en me retournant je le vois se partager en plusieurs ruisselets qui se dirigent les uns vers le nord, les autres vers le sud, selon la ligne du partage des eaux et peut être aussi selon leur choix personnel? Une belle leçon de géographie court sous mes yeux.




L'an passé, à pareille époque, j'arpentais avec Camille ce grand cirque , là bas tout au fond, celui des étangs d' Engorgs.(clic)


A cette altitude, celle exactement du Canigou (2784 m), le panorama devient spectaculaire. servi par de belles couleurs dans ces lointains bleutés.


Une bien fascinante vallée me lance une invitation : pour plus tard, belle dame...


Le Pic Pedros est à portée de main: c'est le cas de le dire car il faudra grimper dans un étonnant feuilletage de dalles granitiques, ce qui me plait assez. On est bien loin des monstrueux blocs du Besiberri; ici, il semblerait qu'un jeu de cartes géant se fût abattu sous la poussée du vent.




Me voici au sommet, 2905 m, et je ne vais pas me lasser du panorama: il n'est que 10 h 30, je suis partie depuis deux heures à peine, j'ai franchi 777 m de dénivelé . Double sommet d'ailleurs ( cela justifie t'il la double altitude ?)
Au pied d'une croix penchée, hommage
d'une mère à sa fille Nuria

Soyons narcissique :)))



















Les Mollères du Pedros est un plateau d'altitude (2780 m en moyenne), semé de marécages d'où naissent des ruisseaux qui s'élancent dans toutes les pentes. Tout cela brille comme des miroirs . Très étonnants ces affleurements d'eau sur ce plateau rocailleux et sablonneux.

Les molleres del Pedros, 2780 m 

Le cirque d'Engorgs avec ses lacs et les lointains sommets andorrans


2 des lacs d' Engorgs

A cette saison, le soleil rasant empêche les lacs de revêtir leur bel habit bleu estival.

Je ne me lasse pas de contempler ces sommets déchiquetés, cette géologie colorée sur laquelle j'essaie, carte en mains de mettre des noms. Difficile exercice.




Quelques monstres crochus semblent prêts à me dévorer !


Pas farouche, la douce perdrix des neiges, déjà presque parée pour l'hiver, ne s'inquiète guère de ma présence.

Alors que fais je en ces sommets pierreux ? Rien d'autre que contempler, écouter le silence, écrire, décrypter le paysage, me repaître d'un bonheur magnifique. Et scruter, sans cesse, à la recherche d'un détail, d'une trace de vie. Un troupeau paît paisiblement sur le plateau; des isards sans doute.
Et je regarde la proche Tossa Plana de Lles (2916 m), mon dernier projet de 2900 et plus.

Il faut bien se résoudre à descendre; mon but est de prendre un autre chemin. Que je trouverai sans peine.
Ce sera une voie directe, plus courte et plus pentue que la montée.
Justement bien nommée, elle suit "la Serra de las perdius blancas" (la montagne des perdrix blanches).
Cette longue langue de terre et de rocs domine un cirque nommé le Clot de Malniu que j'aurais pu descendre en à pic, 150 m de dénivelé quasi vertical,

Le Clot de Malniu  (le trou de Malniu)

 mais je n'ose pas prendre de risque en fonçant directement dans ce fond de vallée.



Je me console en profitant de la vue aérienne des étangs de Malniu et du Mal, ainsi que du Castell dels lladres (le château des voleurs !)

Entre les 2 étangs, le château des voleurs : 2540m

Je ne serai pas en reste, je l'aurai ma descente quasi à pic : je plonge en voie directe vers le petit lac près duquel m'attend ma Lison.

Vu d'en haut 
 Un peu plus tard, vu d'en bas, mon chemin plongeant vers le petit lac.
Fait étonnant, il y a enfin les parfums de l'été, ceux que je cherchais vainement en août : les conifères exhalent  leur puissant parfum : j'adore.

Vu d'en bas
Au passage je rafle le dernier cadeau de la montagne : un cèpe de 500grammes.




Et me voici auprès de Lison qui n'a pas bougé de sous sa polaire et m'offre son sourire ensommeillé : mais oui, elle sourit !
Allez, Lison, on fait quelques pas...histoire de se réveiller et dégourdir ses pattes...



Et on file ; la route est longue , qui mène à la maison.



En chiffres
Dénivelé 777m
Longueur 7 km
Temps de marche...un peu plus de 3 heures.
Courte balade...Mais si belle !




Je vous invite sur mon 2nd blog à aller écouter la tramontane (clic) la nuit
bien à l'abri dans ma maison .