jeudi 26 mars 2020

Chronique virusienne : jour 10

Ou la maison confinée...
La maison dit : " Qu'est ce qui lui prend aujourd'hui alors qu'il pleut " ?
Le jardin dit : " Justement, c'est parce qu'il pleut ! Moi c'est fait, je vais bien profiter!"
La salle de bains dit : " Moi, j'y suis passée hier, dans le moindre détail"...
Moi je dis : "Confinement oblige !"


Archives été 2012

Le placard grommelle : "Elle m'a rempli jusqu'à la gueule, elle a laissé au super les pâtes, le riz et la farine et m'a envahi d'éponges, de crèmes, de sprays, enfin j'en ai jamais vu autant à la fois!".
Le garage riposte : "Pour moi c'est fait, ni plus ni moins que d'habitude, c'est une manie chez Elle, mais je suis bien rangé et mon sol a été lavé avec ce truc qui m'étouffe".
Moi je réponds : "Confinement oblige, ce sera ménage les jours de chômage" (Traduisez chômage en  vignes).

Alors, tandis que dans ma tête trotte... (clic)...vous comprendrez en un clic !, je m'agite, m'accroupis, me contorsionne, et je lave, je frotte, je récure, je rince, je sèche, je cire, je nettoie, je balaie, j'astique...compris ?
L'escabeau prend du service, lui, il est content de se déplier. Enfin un content du confiné.
Les torchons et vieilles serviettes ont le vertige : "On n'arrête pas de tourner en rond dans ce maudit lave linge!"
Et le lave linge de répondre , apaisé: "Qu'est ce que ça fait du bien de ronronner!"
La maison est tourneboulée quand je lui dis "Deux mois de confinement, dès que j'ai fini je recommence, tu en prends pour vingt ans !! Compris ?"
Aujourd'hui c'est le tour des WC  et du hall du 2nd étage, ça veut dire que, au fil des jours,  je vais faire ça en descendant : 60 m2 en haut, 60 m2 14 marches plus bas et le reste (moins le garage) encore 13 marches plus bas. Un vrai immeuble.
Les escaliers rigolent en douce : "On va te les martyriser, tes articulations, on te vengera, la maison !"
Les murs se marrent : "On va te les étirer, tes tendons!"

Les chats disent : "Vivement qu'Elle retourne à la vigne, on ne peut plus dormir entre Elle et Vivaldi, ou Mozart, et ici ça chante, ça musique, ça balaie...y en a marre !"
Les vitres disent : "nous on se venge, on attire la pluie et c'est reparti"
Les menuiseries geignent, les carrelages brillent, les portes se plaignent : "Elle va nous décaper, avec son éponge un peu verte sur le dos".
 Je réponds : "Attendez, c'est des trucs qu'on fait pas tous les jours ça, alors si on est confinés autant en profiter !!"
Et les terrasses de ricaner, d'un étage à l'autre (oui pas de promiscuité les terrasses) ..."Nous on est lavées en douceur, il pleut !".
Moi : "Attendez votre tour mes belles, attendez que j'aie besoin d'air"!
La maison soupire..."D'habitude c'est pas tout d'un coup, c'est à petites doses, je comprends pas, je suis propre..."
Moi : "Propre ???"
La maison est vexée.
Les livres se marrent dans la bibliothèque, ils ont compris que c'est pas pour demain le rangement par ordre alphabétique.
L'ordi se fait petit ...y a du "taf" là aussi.
Alors pour calmer tout ce beau monde j'arrête les frais...ça suffit pour aujourd'hui, la suite à la prochaine pluie, ou à la prochaine insomnie, ou à la prochaine non sortie.

Parce que mes doigts vocifèrent : "On t'a dit lave toi les mains, on t'a pas dit décape les doigts !!"



mercredi 18 mars 2020

Chronique virusienne...Jour 2

Hier, jour 1, fut une journée morose. Une journée ordinaire de confinement... qui aurait pu avoir pour unique cause le mauvais temps. Et oui, dans le grand midi de la France, quand il bruine et fait gris, on se terre. Rien d'anormal sauf ces maudites infos plus corrosives qu'un virus. Et ce confinement du à ce dernier.
Ouf, ce matin, jour 2, une aube claire et lumineuse s'éveille, signe de grand air au goût printanier. On va à la vigne !



Et oui, l'agriculteur est pour une fois enviable et sans doute envié..
A l'heure de l'embauche, chacun quitte le village muni de son "sauf conduit" : il a intérêt !
Pour moi, direction la vigne de mon patron. Chacun sa voiture pour éviter la proximité.
La nature a déjà entamé sa longue chanson de printemps, c'est une explosion de couleurs, de fleurs et de senteurs, emperlées de la pluie de la nuit.

Aubépine

Bruyère

Lavandin

Thym

Ajonc épineux




















Eglantine

La vigne est sur les premières collines et de là, on voit le village posé bien à plat, et la montagne qui plonge et frissonne dans la mer.



Le Canigou enneigé joue à cache cache avec les arbres. Nous on va achever la saison de taille 2020, ce sera pour cet après midi.

Canigou

Nous voilà chaudement confinés sous un soleil de plomb dans un curieux silence qui étreint dès que nos vaillants ciseaux se taisent.
Pas une rumeur sur l'autoroute, pas un train sur la LGV, pas un avion dans le ciel...quel silence!
C'est peut être le plus surprenant. Mais tous ces chants d'oiseaux, ces rossignols, c'est la vie qui éclate. Et nous enrobe. Et nous entraîne.

Muscat
On commence notre journée d'une singulière manière, traumatisés par la journée d'hier, par le matraquage médiatique, par tout ce qu'on subit depuis des semaines.
On est là dans cette belle nature et on est absents. Alors parlons. On débride, on débrieffe...
On fait le travail mais des questions se posent : pourra t'on continuer ? Ne travaille t'on pas pour rien ? Pourrons nous faire les vendanges ? Et si...Et si...A mesure que le temps se grignote, notre moral se ronge.
On pense à nos ancêtres à la veille de la Grande Guerre qui devaient, sur ces mêmes terres, se poser d'identiques questions.
De questions en non réponses, peu à peu la conversation dévie, des rires fusent, on écoute les oiseaux et leur délire dans ce drôle de silence, on observe les voisins multicolores, une coccinelle rouge, une araignée verte, un phasme sinistre, un papillon citron.



Phasme sur mon gant




Et on oublie le monstre invisible qui ronge la planète, on n'en parle plus, on est bien.
Pourtant l'insidieux battage a fait son chemin : on sue de chaleur mais si on ôte le pull, ne risque t'on pas...? On ne se pose pas cette question là d'habitude.
Des voix sur le chemin, un cri d'enfant, la vie un court instant a gagné.
Le retour à la maison replonge dans la réalité : un contrôle au carrefour, pas pour nous, mais répressif.
On repart l'après midi se confiner en vigne, aux confins de la commune. C'est encore la musique du silence qui surprend. Tous ces bruits familiers qu'on n'entendait plus. Comme c'est étrange, on croyait  alors vivre dans le silence et on s'aperçoit brutalement que c'était faux. Les perceptions sont étonnantes.
Muscat

16 heures : soudain, alors que des vautours évoluent dans le ciel là où on n'en voyait jamais, le trafic aérien reprend, trois avions déchirent le ciel...Vont ils chercher des Français confinés au loin ? Un long klaxon, c'est un train qui sort du tunnel, une moto de cross se lance en chemins et ravins, c'est comme un subit raz de marée puis le silence s'installe, le soleil décline, des gens se promènent posément, on s'attarde encore un peu, cueillir du thym, de l'aubépine, monter au proche circuit historique, regarder la montagne qui se fond dans la mer, les villages posés bien à plat, le Canigou qui ne joue plus à cache cache...On a oublié toutes les tracasseries, on est comme lavés, sereins, joyeux, rassérénés. Cela donne à réfléchir sur le confinement et son utilité, dans les petits villages. Tant cela paraît incongru...et pourtant, tellement nécessaire.


Pommier sauvage centenaire


Au sentier historique

Le Canigou en majesté
 Demain sera un nouveau jour, irons nous labourer?
 Alors la nature nous offrira en plus, son lourd parfum de terre qui s'éveille et on sera heureux. Chacun à sa manière, il est des émotions qui n'appartiennent qu'à soi.




mardi 3 mars 2020

Pic de Bassegoda (1374 m) ou la montagne bleue

La météo s'annonçant médiocre, voire pluvieuse, je pars juste en reconnaissance, avec mon kangoo soigneusement garni d'affaires pour la rando, sait on jamais...Que je n'aie pas de regrets...
C'est que c'est loin! Tout juste 70 km et presque 2 h de route. Route de montagne et piste cimentée sur 10 km puis 2 km en terre et caillasse. Je ne connais pas du tout, c'est de l'autre côté de la frontière.
Figuères, Llers, Terrades, San Llorenç de la Muga, Albanyà et enfin la piste.  Le ciel en profite pour se dégager et le soleil m'accueille au terminus, sur le tout petit parking de Can Nou, 753 m d'altitude.


Pic de Bassegoda vu depuis les Albères

                                                           ....................................
La piste cimentée
Le pic en fond


Le paysage est celui, austère et sombre de la Garrotxa catalane, collines escarpées couvertes d'une épaisse forêt de chênes verts. Surmonté d'une imposante couronne calcaire, le pic ou plutôt son antécime. La tempête Gloria a transformé la piste en furieux torrent d'eau, roches et branches mais tout a été nettoyé, la violence des éléments est bien lisible malgré tout.


J'ai pour tout viatique un minimum de choses et un dessin relevé sur un topo, la balade est annoncée difficile mais je sais qu'il n'en est rien. Juste le final a motivé cet avis par précaution.





10 h du matin : je démarre sous le soleil que je verrai peu, je serai sous couvert végétal sans arrêt, je frôle le refuge de Bassegoda, plein d'enfants, et je m'enfonce dans une pente escarpée et originale, un paysage jamais rencontré.
Départ du sentier
La montagne n'est qu'un immense éboulis calcaire ne laissant aucune place à un sol libre . Là dedans croissent en foule serrée des chênes verts dont aucun n'est classique, soit un tronc et des branches. Chacun a été scié à sa base et est fait de rejets qui, ayant poussé, sont devenus troncs avec le temps. C'est la marque de l'exploitation intensive de la forêt autrefois, vraisemblablement pour du charbon de bois. Je ne rencontrerai que deux terrasses aménagées au bord du sentier, construire une charbonnière dans ce chaos relevait de l'exploit.



Chêne vert aux multiples troncs





Paysage de Garrotxa et sol d'éboulis


Le sol ; le sentier s'y fraye un passage
 J'étudie le paysage en marchant sur un sentier construit par l'homme; les pierres ont été rejetées sur le bord et l'intérieur est creux, lessivé par des milliers de tempêtes et orages. Quel paysage parlant ! C'est un régal de l'écouter, pourtant si silencieux.
Personne, il n'y a que moi et ce sommet (l'antécime)  qui se dévoile exceptionnellement.

Le maquis de la Garrotxa et l'antécime est du pic

Je consulte mon dessin et l'altimètre, seuls repères mais c'est bien balisé à la sortie du sentier. Le paysage a changé, les pins ont pris le relais, accompagnés de buis dévastés et de houx brillants .


Les buis dévastés par le parasite

La prairie du Pla de la Bateria (souvenirs de place militaire sans doute) ouvre - enfin- sur le paysage au nord et surtout sur la rampe qui conduit au sommet. Une belle rampe de 150 m de dénivelé et 400 m de long où enfin je découvre le sommet invisible jusque là.

Pla de la Bateria 1162 m

Dans la rampe 

C'est une grosse couronne calcaire qui semble imprenable, un chemin de roche y est visible ainsi qu'une chaîne et quelques crochets de fer, utiles à qui ne sait pas grimper et plus commodes pour la descente. Car le calcaire, poli par des millions de pas, est bien glissant.

Le sommet ? Tout en haut et plus loin encore

1ere chaîne


En haut, 2 eme chaîne 
Le sommet, Pic de Bassegoda, 1374 m,  n'est pas désert et la vue à 360° est magnifique malgré la modeste altitude. Mais quels à pics, tout est abrupt.
Tous mes "copains" sommets sont là, mes randos des 4 semaines précédentes,  et un randonneur me donne un petit cours de géo! Sympa.

Prolongement vers l'ouest 

Au milieu antécime est

Le sommet est prolongé par une longue plate forme (est / ouest) et aller au bout est tentant sauf que deux grandes failles le morcellent. La première est franchie avec un peu de désescalade et de grimpe mais la seconde est un vrai précipice, aucun passage.


Nord :Au sommet, en fond les Pyrénées

Est : Can Nou, parking de départ (zoom)

Ouest :Tout au fond, Agudes, Turó de l'Home et Matagalls (Montseny)

Village au fond de la vallée

Les tours de Cabrenç


Et l'inverse, novembre 2019

Nord : Pyrénées


Plan rapproché : Vallter 2000, les Gra de Fajol et le Géant

Massif du Canigou

Je reviens donc sur mes pas, je redescends avec les chaînes, c'est ludique et je décide d'aller voir si cette faille peut être franchie, par la base. Je vais pour ce faire longer la base de cette grosse molaire calcaire; c'est là que mon regard stupéfait découvre une montagne bleue.

Façade sud de la muraille : une forteresse

Le ciel a ruisselé sur les murs



Une forteresse bleue




Des pans entiers de roche sont colorés de bleu, bleu ciel, bleu gris ou bleu sombre, en draperies sur le pâle calcaire. Je quitte le sentier et vais jusqu'au pied de la muraille. Aucun passage ne sera possible mais là n'est plus mon objectif, je suis fascinée par ces lichens qui couvrent la roche et donnent l'impression que le ciel a ruisselé sur la falaise. Quelques lichens jaunes ou orangés complètent le tableau.

Les deux failles dont l'infranchissable
Somptueux chênes verts
Je poursuis dans les éboulis et les somptueux chênes verts pour retrouver ce sentier qui va...mais où donc ? Tout simplement au bout de la muraille où je peux grimper dans les rochers afin de regagner le morceau de plateau inaccessible par en haut. Altitude 1358 m). Et profiter de la solitude, du panorama, de la lumière changeante à cause du grand vent du sud. Je suis à deux pas du sommet, séparé par les deux failles.

Grimpe dans le calcaire qui conduit à l'antécime ouest



Le sommet séparé par les deux failles
Certains  franchissent avec corde

Du haut de la muraille teintée de bleu

Au restau
Des jeunes qui allaient au sommet me rejoignent, examinent la brèche et renoncent, "es tallat" (c'est coupé) ils rebroussent chemin vers la voie normale, la chaîne.
Comme j'ai le temps, au retour,  je vais visiter l'antécime côté est (1315 m), parfaitement à pic, le panorama est beau aussi. Et abrupt.
Enfin je débute le retour, ce sera variante par la piste forestière. Triste erreur : une longueur monotone et ennuyeuse, j'ai fait une erreur de transcription d'altitude sur mon dessin et j'ai donc manqué le départ du sentier. J'ai "savouré " la piste dans toute sa longueur ! Si le topo avait donné les distances, cela m'aurait aidée; je serai plus vigilante à l'avenir. Toutefois la partie que j'aurais du éviter est d'une austérité lugubre...Brrrr




(Consulté au retour, le reportage me montre que j'ai bien vu le cairn de départ mais je croyais le sentier mieux indiqué et mon erreur de transcription d'altitude le rendait invalide).

Et en plus je l'ai photographié !!




J'arrive toutefois au village abandonné de San Miquel de Bassegoda, reconverti en étables. Il fallait y vivre ici...quelle abnégation ! C'était leur vie...

Village abandonné vu d'en haut
San Miquel de Bassegoda


Et vu d'en bas
Refuge de Bassegoda

Revenir à la voiture n'est plus qu'une formalité en sous bois, le parking est surpeuplé d'enfants (7 ans) randonneurs dont les sacs à dos battent les mollets tant ils sont grands, c'est amusant mais ils ne viennent que du refuge. La fatigue les rend silencieux, hier ils sont montés jusqu'à la base du pic.
Il ne me reste plus que le retour par la piste en ciment et enfin, à Albanyà, dans un petit café à l'ancienne : ça !

Can Cufi, à Albanyà

 Une belle petite randonnée à la découverte de sommets modestes mais combien attrayants. 
Il faut savoir descendre des hauteurs et regarder un peu moins près des étoiles...

En chiffres
Dénivelé total : 650 m
Distance : 12 km
et 140 km route AR