4 mois loin de la montagne...4 mois entravée par une cruralgie tenace, cadeau d'une hernie discale dérangée en son sommeil par une chute en canyoning. Ce qui a fait d'une "marcheuse enragée" une prisonnière de son propre corps.
Un long chemin qui m'a conduite en 102 jours jusqu'à lundi pour ma première vraie randonnée.
102 jours...de quelques pas à quelques mètres péniblement franchis en souffrance, en août. Des médicaments en stock, de la douleur, de la colère, de la déprime et ce manque lancinant : la montagne.
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Massif du Canigou (vers Col d' Ares) |
Je disais toujours" tout peut s'arrêter en un instant". J'ai pu mesurer pendant ces 102 jours mon attachement viscéral à la montagne.
Je lui tournai le dos ne pouvant supporter de la regarder même en photos.
Ce furent la mer, les étangs, paysages familiers et reposants. Je pouvais rouler c'était essentiel; le lit que le corps médical m'infligeait m'insupportait . Alors je n'ai jamais cessé de marcher. J'atteignis ainsi les quelques 2 ou 3 centaines de mètres que je pouvais franchir, un rythme de croisière. Ma première victoire au goût amer. Une lueur d'espoir.
Avec pour compagnons ces crocs qui mordaient mon genou et froissaient le muscle de ma cuisse, les délices avérés de la cruralgie.
Les jours passèrent : jalonnés de quelques victoires dérisoires et pourtant si encourageantes ! Une vigne en pente qu'on escalade, 3 km d'un chemin en sous bois, une tour haut perchée à laquelle on accède sans souffrir , cette tour qu'on a regardée tous les jours en se disant "le jour où j'irai ce sera gagné", et qu'on conquiert enfin comme un Everest , conquête sur la maladie, même si on y a accédé par le parcours court et puis, des pas en avant, sans cesse. Une voie romaine de l'autre côté de la frontière qu'on arpente par morceaux, paysage grandiose du passé, et pour finir qu'on ose sur 8 km avec 420 m de dénivelé , nouvelle victoire. Une porte qui s'ouvre .
Que de joies dérisoires, que de larmes et d'espoirs ai je nourris pendant ces 102 jours d'une maladie somme toute pas grave, banale, juste invalidante! Mais pour le cheval fou que je suis, nantie d'"une santé insolente" quel effroi ! Oui ce fut un effroi avant tout. Qui agacera plus malades que moi mais ce premier contact avec l'invalidité fut effrayant. C'est ainsi, j'ose le reconnaître..
J'ai l'oubli facile dans la vie : sous peu je me demanderai si je n'ai pas rêvé...
Mais c'est bien la réalité que je retrouve en ce
lundi 20 novembre , juste de l'autre côté de la frontière.
Si j'ai choisi ce lieu que j'ai connu par un jour terrible et envoûtant d'hiver, ce n'est pas un hasard.
Je sais le terrain facile, pas agressif, je sais le décor grandiose, je sais l'immense "vastitude", la solitude, qui m'y attendent. Un lieu idéal pour se rééduquer : à moduler à l'infini. Distance, parcours, côtes, tout peut se moduler. Un lieu idéal pour des retrouvailles dans l'intimité.
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Le plateau et le Massif du Canigou |
J'ai dormi avec une Nina enthousiaste à
Fabert, toujours peuplé de ses deux habitants, rien de changé depuis 2013. Fabert est un hameau, le premier lieu habité après la frontière. A découvrir sur mon 2nd blog; (lien en fin d'article).
Je quitte Fabert à 8 h15. Le soleil nouveau poudroie d'or le paysage, tout comme hier soir.
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Paysage catalan, vers le sud, et village de Mollo |
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En avant...Marche ! |
J'emprunte d'abord la piste qui s'enfonce dans les sous bois puis s'élève vers le plateau d'altitude, à 1500 m.
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Chapelle à San Isidre: 1507 m |
J'adore cet altiplano, immense, dénudé, sur lequel serpente une piste qui conduit les bergers vers les estives. Paysage blond et vert, riant sous le soleil d'or et le ciel bleu.
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Pla del Trigolet : 1553 m |
J'ai besoin de ce décor, de ce désert, de cette immensité pour mes retrouvailles avec la montagne. De cette solitude.
Pas un souffle d'air, pas un chant d'oiseau, pas un bruit, la perfection.
Ils sont tous là, bien rangés, depuis le temps que je ne les ai vus, inchangés et bienveillants. Je suis heureuse de les retrouver : le Canigou, le Costabonne, les Gra de Fajol et Bastiments, le Freser.
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Massif du Canigou |
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Gra de Fajol et Bastiments |
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Le Costabonne |
Dans mon dos, au sud, les reliefs de moyenne altitude se perdent en une symphonie de bleus catalans, alors que le drapeau y est de sang et d'or. Accroché à toutes les façades avec son étoile bleue.
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Côté sud |
Il y a même le sanctuaire de San Antoni où j'étais le week end dernier, contemplant ces mêmes montagnes d'un peu plus au sud.
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Sant Antoni vu depuis le plateau où je suis |
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Vu depuis Sant Antoni, le lieu où je me balade aujourd'hui |
J'ai changé pendant ces quatre mois d'absence : le souffle plus court, la fatigue dans des jambes lourdes à chaque montée, je dois sérieusement m'entraîner !
Ce relief est un bon terrain pour cela, modulable à l'infini.
Me voilà à la frontière, au Col Pregon (1504 m), borne 515 :je peux la suivre au plus près en montant et descendant sans cesse mais je choisis la piste plus adaptée à ma rééducation.
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Borne frontière au Col Pregon 1534 m |
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Gra de Fajol entre les pins |
Par moments je m'enfonce dans la forêt de conifères et de genêts purgatifs où paissent des chevaux.
Les sommets pyramidaux émergent comme
des sapins décolorés.
Une petite gentiane acaule est seule rescapée , elle semble m'attendre depuis l'été au bord de ce chemin, ce sera la seule note de couleur du parcours. Quelle délicatesse!
Les chevaux, seuls êtres vivants, foisonnent sur le plateau, côté France , côté Espagne, farouches, sympathiques et beaux. Curieux à distance. Nimbés de soleil en leur longue crinière.
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Côté Espagne |
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Côté France derrière la ligne frontière |
De loin en loin j'entends des tronçonneuses alors que je "roule" plein ouest vers le Costabonne qui se rapproche sensiblement.
Quatre bûcherons avec leur Land Rover seront les seuls humains rencontrés : ils m'expliquent que le site venant d'être classé est déforesté proprement par places . Ils s'appliquent à tronçonner les troncs bien à leur base et le plateau devient une féerie de parfums. Percher leur 4X4 là haut relève d'un "exploit". Les traces donnent le frisson. Ils viennent de loin, de Ripoll.
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La ligne frontière et ses piquets (les barbelés n'existent plus depuis longtemps) |
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Déforestation très propre |
Je ne ressens ni douleur ni fatigue : parvenue au Col de Siern ( et à la borne 514), je décide de continuer encore un peu, j'ai parcouru plus de 7 km et je pourrais encore aller loin mais il y a le retour! Et je doublerai allègrement mon maximum parcouru sur la voie romaine!
Donc je continue : je grimpe au milieu d'une pelouse rôtie par le gel et la neige dont des plaques subsistent à l'ombre. Bien gelée à cette heure encore.
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Dans la cuvette : Col de Siern 1627 m, en face, Jaça de les Pigotoses 1691 m (j'y vais) |
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Col de Siern : borne 514 |
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Toute la zone déforestée : 1686 m tout en haut (j'en viens) |
Je choisis enfin de m'arrêter: ce seront 8 km de marche. A refaire en sens inverse évidemment. Tout va bien, je commence déjà sérieusement à penser au Costabonne et ses 2465 m pour le week end prochain. Je ne doute de rien !
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Le sommet du Costabonne, 2465 m |
Je rencontrerai, si j'y vais, au Col de Pal, la borne 513, elle est encore loin : de Hendaye à Cerbère, les Pyrénées sont jalonnées de 602 bornes en béton, la dernière étant enfouie au ras de l'eau dans une grotte, c'est logique, les Pyrénées naissent et meurent en mer.
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Détail des Esquerdes de Rotja, 2231 m |
Donc je m'arrête, je suis à 1700 m d'altitude et je prends le temps : le temps de savourer, je sors mon carnet et j'écris, je dessine ce Costabonne pyramidal, ses éboulis, ses arbres disséminés , ses coulées de roches ou de sapins. Je regrette ma boite de couleurs, en fait je me réapproprie longuement ce dont j'ai été privée longuement.
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Mon terminus 1700 m et 8 km parcourus |
Et je calcule : pendant ces 102 jours j'ai été privée approximativement de...12 randonnées, 12 000 m de dénivelé positif (D+), environ 200 km et 72 heures de marche..Oh, en chiffres ça donne le tournis ! En paysages, c'est autre chose...Ce qui m'a le plus manqué ce sont ces randonnées d'automne autour du Carlit, ses sommets et ses lacs, ou bien La Pedraforca, véritable toboggan de pierre...Ah oui je les ai pleurés...
Allons ne nourrissons pas de regrets stériles et ne comptons pas les regrets perdus.
En 2018...peut être...si tout va bien...
Je reprends le chemin à l'envers, me retournant souvent pour regarder le Costabonne dont les ombres creusent les rides et sculptent les reliefs.
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Genêts purgatifs |
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Le Costabonne prend du relief et ses forêts de pins à crochets |
Je néglige un peu le versant français, creusé de la profonde vallée du Tech. Tout au fond se trouve le long sentier de randonnée qui mène au Costabonne mais que je ne ferai jamais: je préfère le visage découvert du versant espagnol.
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Côté France, vallée du Tech, La Preste |
Toutefois, vers l'est, c'est un beau paysage de Pyrénées en pente douce vers la mer dont la ligne bleue se devine fort bien (peut être pas sur la photo).
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Côté France, la mer au fond |
Je ne trouve pas le temps long, j'adore ce plateau,j'ai pris quelques raccourcis à travers les pins pour gagner un peu en distance , toutefois ma jambe ne me fait pas du tout souffrir, c'est une véritable joie. Me lancer dans pareille distance, loin de tout et de tout le monde, sans savoir si je tiendrais le coup était un peu risqué ...Je dois bien l'avouer...
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La même que le matin, les reliefs en plus |
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Ma prochaine rando si tout va bien |
Magnifique!Je suis vraiment heureuse de mes capacités (et de ma santé) retrouvées.
Je me remémore, en marchant, ma dernière randonnée musclée, à
la Serra del Cadi (clic) où j'ai eu l'impression d'entrer dans le ventre de la montagne, là je marche sur ses courbes douces et son dos rond. Multiples facettes, toutes plaisantes.
Bientôt je retrouverai une petite Nina endormie, réconciliée avec sa peur des chiens, poules et coqs, ses voisins.
Bientôt je retrouverai mes randonnées musclées ! J'ai encore du travail à faire sur moi, mais cela ne m'effraie pas !
Aujourd'hui, je sais que tout peut s'arrêter en un instant. Qu'on peut aussi reprendre le cours si la vie nous le permet. Mais j'ai appris avec difficulté et imparfaitement la patience. A cette école là, ce sera sans doute la matière en laquelle je serai un cancre à perpétuité !
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A Espinavell, après la rando, faut bien reprendre des forces:-)) |
Sur mon 2nd blog, pour compléter ce voyage :
le village de Fabert (clic) vous est conté
En chiffres
Distance parcourue : 15 km
Dénivelé (D+) : env 400 m