Le récit qui va suivre n'est pas un exploit que j'ai fait même s'il est assez hors du commun vu sa situation géographique, l'énergie qu'il m'a fallu en raison de mon âge, une sorte de courage, de l'endurance, et du danger que j'ai bravé. Non tout cela n'est rien que le fruit de ma curiosité.
Par contre, ce parcours fut un exploit pour les hommes qui se sont aventurés sur ce terrain avec pour mission d'installer les câbles et les wagonnets desservant la mine de fer située dans les environs. Cette déclivité de 290 m de dénivelé pour 460 m linéaires, franchissant des éboulis, des barres rocheuses, des falaises, des bords de précipices innommables dans un paysage pourtant époustouflant, ne peut que laisser pantois d'admiration.
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Tout ça pour ça |
On dit que ce sont les Italiens qui ont installé cette ligne et que les wagonnets remontaient cette pente énorme avec un système de contrepoids, ce qui explique sans doute la différence de calibre des câbles : 2 épais, 2 plus minces. Mais le poids de ces 450 m de câbles installés sans matériel de levage ou d'hélicos, laisse admiratif, laisse sans voix quand on est sur site.
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Au zoom vu "d'en bas" |
C'est pour cela que je veux conter cette grimpe qui n'est ni rando, ni alpinisme, ni escalade, juste une tranche de temps hors du temps. Je voudrais à travers ce récit faire émerger l'admiration que j'aie eue, mâtinée de peur, parfois, il est vrai. Et c'est rare que j'aie peur sur un site !
Tout est venu de ma visite à la mine avec Michel Prats (article précédent). Michel m'a appris qu'un pylône se voyait sur la crête et que la mine évacuait son fer par là. Ensuite j'ai vu ce pylône, puis un câble, puis une esquisse de chemin escarpé dans une falaise. On avait un peu suivi ce chemin revu et corrigé par les chasseurs et j'avais dit au chemin "je reviendrai".
Donc m'y voilà en ce matin étincelant. Quand je regarde la pente devant moi, ce qui m'encourage n'a qu'un nom : le soleil. Car c'est raide ! Et ingrat...
Ce matin, quand je démarre, je ne sais pas encore où j'irai. Je passe par le Mas LLech, je remonte le sentier du Cortal Peroÿ, je traverse le Llech luisant, je longe les mas jusqu'à la cabane de Bordissa.
Le soleil dégringole la pente pendant mon approche. Je tais mes interrogations, je ne sais pas quelle force me pousse, le soleil, assurément !
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La pente où je vais aller me perdre (archives du 25 novembre 2023) |
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La cabane des mineurs et un câble. Alt 673 m |
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Le Llech luisant |
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C'est tout en haut, c'est mon but, 961 m |
Je suis au mieux le chemin mais je dois me résoudre à la déviation chasseurs, c'est déjà démoli. Je traverse le pierrier, les chasseurs aussi mais ils vont dévier à jamais et je me retrouve seule devant une portion de chemin bien encombrée, le ton est donné. Le chemin va vite perdre son assise, ses murets, sa trajectoire, je ne le retrouverai plus. Mais il suivait le trajet des câbles puisqu'il l'avait précédé, c'était son utilité, il ne me reste plus qu'à suivre les câbles et si le chemin n'est plus sur terre et bien il est au ciel !
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Au départ |
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Le premier éboulis, un wagonnet y git |
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Chemin de fer, chemin de ciel |
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Je lui avais dit "je reviendrai", me voici |
Je le suivrai fidèlement; aucun souci d'orientation c'est tout droit, sauf que le tout droit n'est pas très facile et que je devrai un peu louvoyer entre les délices du jour.
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Le début...de la fin |
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Et la fin |
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767 m, surprenants bouleaux |
Les délices du jour ont pour nom : éboulis infâmes, sols croulants, arbres encombrants, végétaux cassants et semi pourris, rochers qui roulent ou se détachent , à pics où ne pas glisser, murs rocheux à escalader, falaises à éviter, demi tours parfois obligés, cheminées rocheuses où grimper en opposition, rocs à purger en varappe, et là on n'en finit pas de les entendre dévaler, peur au ventre, battements de coeur, et émerveillement constant. Le paysage est somptueux. Je m'en gave. RIEN n 'est confortable mais vraiment RIEN !
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Magique décor |
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Plongée dans le vide (je viens d'en bas) |
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En détail |
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La rencontre |
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"Très carrossable" |
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Waouhh, le vide |
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Un temps de pause |
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La traversée fantastique |
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Ce que je contourne |
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Beaucoup de falaises sur ma route |
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Dans quoi je marche ! |
Mais ces délices seront entrecoupés de trouvailles exaltantes : des reliques pendues aux câbles, des wagonnets au sol,
C'est silence parfait, au plus loin que porte le regard; ombres et lumières, sommets neigeux qui se dévoilent au loin, chant du Llech qui s'évanouit. Pas un humain en bas, pas un cri animal, comme si la montagne avait cessé de respirer.
Le GPS est inutile, il me sert juste à savoir si la sortie est proche car la pente est de plus en plus raide, les difficultés plus ardues, et la question obsessionnelle : "qu'est ce que je fous ici ? Je descends ? Horreur...Je continue ? Horreur ? ". Et bien sûr je continue, puisque tout va bien.
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Tout le décor est là
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Je pense à ces travailleurs et je suis sidérée. La pente était ainsi, les encombrements aussi. Comment se sont ils repérés ? Ils ont du déforester, à coup sûr, aujourd'hui les arbres ont dévoré la ligne. Il n'y avait pas de pylône intermédiaire, comment ont ils installé cette longue portée ? Quel travail, quel enfer, pour un chemin du fer.
Vers le terminus, une haute falaise est difficile à monter, j'escalade, je redescends en mettant la corde et je contourne l'obstacle sur la droite, toujours en falaise, un fil de fer solidement ancré me sert de fil d'Ariane, je pourrais même l'empoigner si je glisse (pas sûre du résultat, mieux vaut éviter), mais je me retrouve sans encombre sur le sommet de la falaise: une ruine métallique jetée à bas rouille tranquillement, un wagonnet chaviré encore empli de minerai rouille de même et le pylône sommital accueille ma satisfaction et mon soulagement réunis. J'en fais ma salle de restaurant.
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Via le ciel |
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C'est pas facile ! |
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Ligne directe |
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Le profil |
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J'y suis presque |
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Terminus...ouf !! |
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Ils furent exceptionnels ces constructeurs Je les salue à ma façon |
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Altitude 961 : le voyage aérien continue |
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Récipient de graisse je suppose |
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Carlit 2921 m |
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Canigou si peu enneigé...2784 m |
La suite sera simple : je suis arrivée ici mais pas question de redescendre par cet enfer.
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Le trajet du câble |
Je réfléchis prestement, j'ai deux issues possibles, je choisis la plus aléatoire mais qui m'emmènera en terre inconnue. Le GPS me guidera sur l'ancien chemin encore lisible, puis je filerai sur la crête que nous avions suivie avec Paul pour le Pic dels Moros.
Par contre la voie continuait sa route, elle traversait la vallée du Néret, puis bifurquait en un savant virage vers la plate forme terminale d'Estoher au prix d'une brutale descente où subsistent les pylônes : et pourquoi n'irais je pas un jour de printemps suivre ce parcours ?
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En 1er plan la crête que je vais parcourir au plus près (de droite à gauche) |
De là, comment gagner le Col de la Gallina? Aucun sentier n'existe sur la carte, mais j'ai la chance de trouver un sentier de chasseurs; il va être bien corsé: balisé au début, nettoyé avec soin, il va me conduire dans un univers chamboulé d'éboulis, d'arbres tourmentés et superbes. Une grande plongée dans la pente puis il faudra deviner davantage que lire. De surprenantes murettes dans ce décor encombré et stérile sont une autre curiosité du jour. Je me repère au GPS pour aller vers le "vrai" chemin, en navigant au mieux sur un incertain sentier, plus animal qu'humain et soudain mon petit point bleu, mobile, rencontre le pointillé rose de la carte et une belle marque jaune décore un tronc, jamais marque jaune ne fut aussi vénérée !
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Le chemin des chasseurs |
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Chênes, rochers à profusion, hêtres |
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Des murettes dans cette pente ! |
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Mais de mon côté, rien à envier |
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Couleurs et déclivités |
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Depuis la crête tout n'est qu'éboulis |
C'est le chemin allant du Mas Llech à Baillestavy, postérieur au cadastre de 1831. Mais de facture ancienne avec ses murets, ses calades, son dallage. D'abord dans un décor de chênes et hêtres, bordé d'un magnifique mas coiffé de tuiles rouges mais le tout bien ruiné,
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Ouf !! |
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Un aspect du chemin |
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la cabane du mas |
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Avant d'entrer dans la forêt |
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Adieu au soleil, sans qui je n'eusse pas fait ce périple |
Ensuite il va entrer dans une immense hêtraie, celle de la Faja, vrai musée de l'industrie charbonnière.
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Situation de cette forêt (et du sentier) |
Forêt que je vais dévaler sur une longue distance et qui, à elle seule, mérite une vraie visite. J'y verrai, sans quitter le chemin, nombre de places charbonnières, deux mas, une cabane, et ce qui est rare, des "reposadors", sortes de bancs de pierre taillée permettant aux femmes de poser leur lourde charge (40 kg) sans devoir l'ôter. Un site splendide, noyé d'ombre, recouvert de feuilles où mes semelles totalement lisses glissent comme sur verglas. La partie la plus dangereuse du parcours ? la fatigue aidant, certes oui !
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Un "reposador", banc taillé dans la pierre |
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Les derniers ors |
Arrivée au Llech qui chante de plus en plus fort, je vais boire goulûment son eau glacée avant que de remonter bon train : il fait zéro degré, je suis en tee shirt, l'effort et la joie conjugués, ça réchauffe.
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Traversée du Llech |
Et me voilà rejoignant Nina qui dort sur le siège avant, fatiguée de sa journée féline dans le froid et l'ombre. Ce soir elle sera au chaud..et pas seule. Car ces sorties, pour elle comme pour moi, on un grand ennemi : l'inconfort.
Et bien, plusieurs jours après...mais c'est pas vrai ? J'y retournerais bien ! Allez, qui vient ?
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Aperçu approximatif de mon parcours (je n'ai pas toujours été en ligne de crête) |
En chiffres : Distance totale : 10.3 km
Temps de marche et recherches : 4 h 14
Dénivelé cumulé estimé : 700 m