vendredi 31 mars 2023

Albères :la Massane, chemin secret ( 2 eme acte)

 La rivière Massane est le chemin le plus secret de Lavail car...il n'y a aucun chemin . C'est au voyageur explorateur de le créer. Les possibilités ne sont pas multiples mais j'imagine que chacun, dans ce dédale, pense être le premier, tant c'est secret, sauvage et envoûtant.


Je n'ai pas fini ce voyage là, je l'ai laissé en suspens, j'aime garder du mystère, garder une petite poire pour la soif dans les terrains un peu extrêmes. Pour continuer à rêver. Et surtout il me manquait du temps.

Par contre je n'encourage pas à se précipiter là bas, le terrain est difficile, à ne pas mettre dans toutes mains et pieds : on se sent seul au monde et on y est, il n'y a aucun réseau. En solo, l'accident n'est même pas à envisager! 

Donc me voilà partie, un après midi, pour continuer mon périple entrepris quelques jours avant. Continuer veut dire reprendre le même chemin d'eau puisque il n'y a pas moyen de faire autrement. Je prends juste un itinéraire "bis" qui me permet de voir un petit morceau de rivière supplémentaire, de repasser par les grottes et rochers énormes et c'est parti.


Il doit faire bon se baigner là



Les impressionnants gros rocs

 J'arrive rapidement à mon terminus puisque je connais le chemin, de rocs en cascades, de vasques en échappatoires, je marche vite, j'ai le pied sûr. 




Le pas y est sûr


Quand commence l'inconnu, je sais que je vais entrer dans le parcours le plus tourmenté des gorges puisque on ne peut les appeler autrement. La carte montre ce tracé sinueux, je sais les pentes rocheuses, abruptes et couvertes d'arbres, je sais qu'il n'y a aucun sentier et surtout que si je grimpe des falaises il faut que je sois capable de redescendre puisqu'il y aura retour par là obligatoire. J'ai une corde, des tennis si je dois marcher dans l'eau et une envie folle de réussir. 

Le décor du jour






J'entre donc dans l'antre mystérieux de la rivière cachée aux yeux de tous, aucun randonneur ne peut la voir ni l'entendre depuis les sentiers. Grande solitude...l'émerveillement sera à la hauteur de la solitude.



Je vais ainsi remonter la rivière sur 2 km, tantôt dans le lit rocheux, tantôt sur une rive ou l'autre, mais j'ai voulu garder la trajectoire au plus près de l'eau, ce que je ne ferai pas au retour, instinctivement, parce que le paysage se dessinera différemment.

Carte Mapy.cz

D'eau, de roches et d'arbres : cours de la Massane (Mapy.cz)


Evitement en falaise


Je suis sur mon GPS ma progression et je dois avouer qu'au fur et à mesure que je m'enfonce dans ces courbes, c'est comme si je disparaissais encore plus du monde  alors qu'on ne me verrait pas davantage en ligne droite. Mais savoir que je navigue en courbes resserrées a quelque chose d'angoissant, comme si chaque virage m'extrayait du monde des vivants. Curieuse impression, inquiétante et enivrante à la fois.

Gradins de roche

Dallage de roche

Vu de haut depuis la falaise

C'est une enfilade de vasques et cascades, de falaises et de fonds rocheux. Quelques minuscules plages de sable donnent une impression rassurante de vie humaine, mais il n'est aucune trace humaine. Si les vasques et cascades, goulets et piscines sont superbes, car reflétant des couleurs mouvantes, les roches allant du gris bleu à l'ocre rouge en passant par le blanc, le moucheté, le veiné, le lisse, le granuleux, sont un véritable tableau.


Invitation au bain

                                                                                             






De part et d'autre, les pentes fort raides, habitées de rocs fantastiques et de forêt épaisse sont un véritable barrage contre la vie humaine. 





Collet del Teuler


Le décor : du roc du sol aux murs

La remontée se fait aisément, je marche bien, avec prudence toutefois, mais sans difficultés. Mes escalades de rives sont aisées, je ne rencontrerai que deux "points chauds", dont un que j'éviterai à la descente. Le premier, pour remonter une haute cascade sinueuse,  me demande une attention soutenue dans son escalade et j'ai la surprise, en arrivant en haut, de trouver des plaquettes de rappel pour le canyoning. Je m'empresse de chercher un sentier dans le sous bois mais rien. Un peu plus haut, la difficulté se corse; ce n'est pas que la cascade soit plus haute, mais les parois rocheuses sont beaucoup plus lisses, les prises polies par l'eau, la moindre glissade serait le bain, d'ailleurs mon bâton file, il me faut partir à la pêche et le final de la cascade, je le grimpe en opposition, un pied de chaque côté. Je suis très fière d'être en haut mais pas autant à la pensée du retour : pas d'échappatoire. 




Un premier point chaud : escalade facile (et évitement possible sur la rive, à gauche de l'image)


Vue d'en haut : plaquettes de rappel

Le 2nd point chaud...pour l'appareil photo


Je continue à peine et j'arrive à un plan d'eau enserré entre deux murailles infranchissables. Si la roche est infranchissable, par contre l'évitement me semble facile sur la droite, aucune difficulté, d'ailleurs un grand fracas de branche brisée m'indique le chemin : " c'est par là" me dit l'animal qui disparaît furtivement sans que je le voie.  


Le terminus du jour, franchissable sur le haut à droite de la photo



On franchira par là la prochaine fois

Alors à regret, je fais demi tour, car rien jusque là n'a eu la force de m'arrêter, mais un coup d'oeil à la montre me propulse vers le retour; il faut autant de temps quelque soit le sens de la marche, il est déjà 17 h, à 19 h je serai à la voiture. Et la fatigue aidant, faut pas se manquer, à présent. 

Le point chaud de la "cascade lisse" est redescendu en désescalade, il n'y aura de bain ni pour moi ni pour mes "outils" vénérés, smartphone, APN, c'est pour eux que j'ai peur. La prochaine fois il y aura du sac étanche en perspective.

Le site le plus exposé  : redescendre tout ce mur (à droite)


Je redescends, subjuguée par le paysage à l'envers, que je savoure, il eut été dommage de trouver un sentier; subjuguée par mes copines les chèvres qui donnent un concert tout proche sous les arbres et dans les falaises et je ne les vois pas. En les cherchant, je modifie complètement ma trajectoire et toutes les difficultés de l'aller seront aplanies, le regard à l'envers est souvent plein de surprises. Je grimpe un petit couloir, j'arrive à un petit col où j'ai une superbe vue sur le méandre et surtout sur la déclivité de la rivière. Je cause avec les chèvres invisibles comme je causerai ensuite avec les vaches alors que tombe le soir. Mais...entre deux....oh je n'ai pu résister : je me suis baignée à la claire Massane.



Les lumières du déclin du jour



Montée au petit col


D'en haut du petit col vue plongeante sur le méandre



Au sortir du bain

Le seul témoin du bain

Plus tard, revenue de cette balade merveilleuse, littéralement enchanteresse, dans le havre de paix de ma maison et de mon lit, l'angoisse rétrospective viendra dévorer mon sommeil, il en est toujours ainsi, étrange prolongement de mes randonnées un peu folles, sans doute est ce la rançon à payer ? 

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Mon escapade a incité Nicolas à partir en visite et c'est bientôt, en sa compagnie, que je repartirai, en espérant rajouter un chemin secret car...il en existe un autre. 



En chiffres :
Temps de marche : 4 h
Distance  : 7 km dont 4 dans le cours d'eau

lundi 27 mars 2023

Conflent : Joch et le Puig de les Feixes

 Adossé à sa montagne de schiste, perché sur un éperon rocheux, Joch, petit village du Conflent, à l'écart des routes a un petit air de village corse. L'ancien village mérite le détour, préservé, authentique, calme, encore non défiguré par l'urbanisation et la bétonisation qui sévissent impitoyablement de la vallée jusqu'à la mer.

Joch 1er janvier 2023


Un canal d'arrosage traverse le village, se divise en branches et offre un havre de fraîcheur en plus de sa chanson jamais monotone.

De Joch un ancien chemin partait en ligne de crêtes et allait rejoindre le très lointain village de Labastide, dans les Hautes Aspres, il est visible sur le cadastre napoléonien sous ce nom là : Chemin de Labastide à Rigarda. 


Cadastre napoléonien 1831


C'est cet ancien chemin que nous allons suivre avec Gilbert pour monter au fleuron de Joch : le Pic des Feixes (ou Croix de Joch). C'est un pic modeste, situé à près de 1000 m d'altitude, sans grande envergure en apparence et pourtant...



Nous voilà partis sur une dorsale surplombant deux vallées, celle de la Lentilla venue du proche Canigou et celle du Riu Fagès provenant des pentes abruptes de Glorianes. Des deux rivières, l'on ne verra pas grand-chose mais des vallées encaissées, voire tumultueuses, se devinent.

La montée au Pic


Vallée du Riu Fagès 

En revanche, au fur et à mesure que l'on s'élève, le paysage grandiose se dévoile, hélas masqué par la grisaille du jour : une vallée toute plane qui s'évase, des champs tout verts, des lotissements hélas qui grignotent la vie agricole, le barrage de Vinça et les lignes de montagnes aux tons gris bleu à perte de vue.


Vinça et son lac de barrage en fond

Vénérable ancêtre

Sous nos pas, le chemin, étroit, rocheux, rongé par les ans et les passages répétés, un chemin d'ancienne importance, s'élève dans ce qui fut une montagne cultivée : des "feixes", des terrasses, dans un sol ingrat, rocheux, mais dont les paysans d'antan tiraient le meilleur. Sous le maquis impénétrable se devinent des parcelles, des murettes, des terrasses et l'air vibre encore de cette tâche harassante, interrompue le temps de quelques salutations par les voyageurs allant des Aspres au Conflent. En écoutant bien le silence, c'est cette vie que j'entends.  Gilbert me présente son décor, son vif attrait pour ces montagnes et quelques anecdotes, notamment celle concernant ce surprenant chemin de croix, conçu par un prêtre, menant au sommet où une autre croix...mais...plus tard.


La roche usée par les pas




Une des croix

On continue à monter ; moi qui découvre, je suis conquise par ce paysage, à droite, à gauche, derrière moi, il prend des noms, il devient vivant. Et ce Massif du Canigou qui devient de plus en plus imposant...

Altier mais peu enneigé : le Canigou



En arrivant à proximité du sommet, toujours dans la broussaille, une magnifique ruine de cortal ne m'autorisera que la "vue aérienne", trop embroussaillée pour aller jusqu'à la porte. Elle précède un petit col et c'est là que l'histoire prend une autre tournure ; insidieusement le Paradis se défile, alors que la croix se profile

Le sommet se devine avec la croix

Le cortal

Intérieur : une source se trouvait autrefois tout près,  nommée alors "Foun de las Feïches"

Une piste desservant un mas dans le versant Lentilla, le mas de Saillà, meurt dans la montagne un peu au-dessus dudit mas. Ce serait cette piste qui deviendrait tout à coup indispensable à la lutte contre d'éventuels incendies et serait prolongée, écornant la base du Pic de les Feixes avant que de gagner le versant vallée de Glorianes pour revenir en boucle vers la crête nord du Pic del Ginèbre . 


Dans ce col, près du cortal passerait la piste

Jolis plissés versant Glorianes : le Mas de las Fous s'y loge, la piste aussi s'y logerait 
vers le sommet des plissés

Je m'intéresse depuis un certain temps au Conflent et j'ai minutieusement étudié d'anciens sites agricoles, à la recherche de leur géographie, de leur morphologie ancienne, de leurs chemins disparus, chose "musclée" mais facilitée par la conservation du patrimoine et du paysage, même disparu sous la friche. J'en ai dressé et consigné un minutieux inventaire. La nature à laquelle l'homme a arraché à coups de pioche sa substance pour la survie, reprend ses droits, cache ses vestiges, revient à son équilibre primitif et qu'importe si un incendie la dévaste, elle renaîtra de ses cendres puisque nulle habitation n'est menacée. C'est le même cas de figure dans ce secteur conflentois, c'est pour cela que cette piste qui va zébrer le paysage paraît à ma logique de terrienne, étant moi-même paysanne, complètement inappropriée. Car n'oublions pas un élément de taille : la proche retenue d'eau de Vinça qui alimente les hélicoptères bombardiers d'eau rend la lutte contre l'incendie plus rapide et efficace que de lourds camions lancés à l'assaut de la montagne. Mais la logique humaine est parfois en complète dysharmonie avec la logique géographique ou...économique . Toutefois, à nous, agriculteurs, on nous interdit pendant 6 mois de l'année de couper la moindre branche de nos propres arbres pour préserver la nidification et ici on raserait sans pitié une large bande de forêt ? On soumettrait le paysage naturel à des nuisances inévitables (pollution, bruit, motorisation) dont on sait très bien que toute piste a un usage détourné...

Quoi qu'il en soit, comme mon imaginaire se fraye aisément un chemin dans les paysages du passé, il sait aussi se frayer sa route dans le futur, et celle-ci, de route, ne me plait pas. Laissons vivre la montagne et sa biodiversité dans la paix retrouvée...Si piste il devait y avoir pourquoi ne pas la diriger plutôt sur la Creu de les Fous, trajet bien plus raisonnable au vu du terrain et de la carte...Et le Pic de les Feixes garderait sa prestance.

Studieux ! A la Croix de Joch ou antécime


C'est vrai que c'est un beau belvédère : une croix y est implantée jumelle de plus petite taille que celle du Canigou qui lui fait face. Que se racontent elles dans le silence glacé des nuits étoilées ? 



Des feixes ou terrasses, l'on ne voit plus grand chose : 

Avant d'arriver au sommet

Après le sommet




Glorianes, la vallée et les crêtes



Le Pic de les Feixes : 925 m

Gilbert m'emmène à présent en suivant la crête par la Creu de les Fous jusqu'aux ruines du Mas de la Serre, sorte de forteresse face au Canigou, Barbet et autre grandiose arête du Roc Nègre,  mais aussi à une première ligne nommée Marbet, Maures et Jocaveil, que je brigue après ma sortie dans ces rudes pentes de Baillestavy parcourues précédemment avec Paul. Je suis une inconditionnelle amoureuse du Conflent, moi l' Albérienne ! Je scrute, j'étudie, malgré le manque de clarté, le bienvenu casse-croûte m'en laisse le loisir. Le mas est imprenable, bardé de ronces, la ruine sait se protéger de l'humain.

Versant Lentilla : on distingue la piste



Jardin suspendu sur chêne vert

Broussaille en crête, très agressive



Sur la crête : 1000 m


Le Mas de la Serra, Roc de Jocavell (1326 m) et Pic du Canigou (2784 m)

Correc del Xuri

Puig dels Moros (1211 m) et pentes où j'ai randonné 

Le demi-tour s'impose et Gilbert va m'offrir une des plus belles descentes que j'ai rencontrées: sur le versant Lentilla, le sentier balisé qui conduit de Les Fous à la piste, au mas Saillà, et à Joch (entre autres) est un vrai bijou . Ancienne voie de communication également, il traverse une belle forêt de chênes verts qui a repris ses droits après une intensive exploitation. Le décor pourrait paraître monotone, mais la Nature est revenue à ses origines, point maltraitée, la lumière y est belle et la danse des troncs graciles et noueux accroche le regard. Il ne manque que la musique de l'eau et du vent...Il ne manquerait plus que la destruction et la mutilation dues à la piste !!


Hépatica, ainsi nommée car la feuille trilobée
évoque la forme du foie; fleur toxique.


On croise la piste et on emprunte le chemin ralliant Joch, là c'est émerveillement : chemin en balcon et corniche parfois, taillé dans le roc ou franchissant des ravins avec des murs de soutènement immuables (à faire pâlir la 116),  chemin qui eut ses rôles multiples : route mais aussi chemin d'exploitation de la forêt, du charbon de bois (je retrouve quelques places charbonnières), chemin où une vie de labeur précéda pendant des siècles la vie "futile" de nos jours, celle du loisir, mais reconnaître leur valeur, les conserver, est déjà accorder à la montagne ce qu'elle mérite : le Respect !




L'ancien chemin de Vallestavia


Taillé dans le roc



Etayé de solides murs



Et les chemins d'aujourd'hui : la Lentilla, le canal et la route

NB : une pétition pour la sauvegarde de ce site est en cours (lien ici en un clic) 


En chiffres : 
Distance : 13 km environ 
Dénivelé positif cumulé : 720 m env
Temps de marche : 4 h