Pour avoir passé des heures dans le froid et le vent hier, je me croyais blindée. A la vigne, je disais " En montagne, on n'a pas froid, on marche". Et bien oui, je suis allée marcher, j'ai vu, j'en suis revenue, et vite fait, gelée. Même la cheminée n'a pas réussi à me dégeler. Mais je me suis régalée comme on dit.
Mon but était, en cette fin de matinée lumineuse, d'aller au Col de l'Ouillat, puis dans la forêt de hêtres marcher dans les arbres enguirlandés de givre. Secoués sans doute par le vent violent. Qui dit violent ici, dit la normale, soit une tramontane aux environs de 100 km /h, c'est à dire avec un joli ressenti négatif. Puisque le thermomètre affiche 1 °.
Chez moi, en ma maison, c'est Les Hauts de Hurlevent. Là haut, sur les crêtes, je sais que parfois, même cassé en deux, on recule. Je trouve ça marrant, je voulais aller revoir ce qui fut classique et a quasi disparu avec le réchauffement.
Je prends la route de St Jean d' Albère, plus proche que celle du Perthus et puis, bien plus belle.
Tout va bien. Bellegarde monte encore sa garde depuis 1679, il a gardé ses plis et n'a pas pris une ride.
Fort de Bellegarde. Le Perthus |
Le Pic de St Christophe a une belle tête vu d'ici, enfin une belle arête, pas facile peut être. J'y suis montée un jour, par St Jean d' Albère, un joli parcours que je vais refaire, ça va pimenter le voyage au Pic.
St Jean d' Albère est précédé d'une superbe allée de chênes liège; l'auberge de renom a fermé...quel dommage, c'était une institution.
St Jean d' Albère |
Après St Jean ça se corse : la route devient verglacée, elle n'est empruntée que par les chasseurs et ils chassent plus bas : à moi le verglas. Première plaque je m'arrête en plein dessus en bonne novice, pour la photo. En sortir est sportif. La seconde, longue, lisse et luisante me fait peur, j'y suis j'y reste, pas par bravoure, mais où aller ? Surtout pas aller ailleurs, c'est le fossé. Je ne transpire pas car le parcours est court mais c'est décidé je stoppe et je vais à pied.
Miroir |
L'Ouillat restera où il est, j'ai mes faiblesses et mes peurs. A pied commence l'enfer sibérien. Un vent de dos d'une centaine de km/h, que j'aurai de face au retour, mais je savoure comme des relents d'enfance quand ce climat était banal, ce vent, une routine, et les mains gelées, on ne le sentait même pas avec des cailloux brûlants dans les poches de la veste en suédine.
Maintenant tout devient exception et les mots seuls suffisent à faire frissonner !
Je marche sur une route sèche et ensoleillée, la route principale il est vrai, je vais en profiter pour aller voir le monastère de St Martin. La tramontane enfin retrouvée est mon amie, je l'aime parce que c'est un vent sain, qui, dit on, chasse tous les microbes et autres virus. Un vent qui boude de plus en plus la région, remplacé par le désagréable Vent d' Espagne. Là on est servis : la vitesse alliée au froid est un bon chasseur.
ça croque sous la chaussure |
Je foule le bas côté, juste pour le plaisir d'entendre mes chaussures croquer la neige gelée, mais surtout, le vent fait un tel vacarme, un tel roulement de tambour, que je serais incapable d'entendre le moindre véhicule. Je pourrais me croire dans ces films anciens où le vent sait devenir le personnage majeur.
Les sous bois de chênes verts et liège ont oublié ce qu'est le tapis blanc et ils pleurent leurs branches mortes dessus. Quelques murs anciens me saluent au passage, me rappelant qu' avant le couvert végétal, cette montagne fut agricole et pastorale. De nombreux mas en témoignent, les plus proches sont habités. Je n'aurais pas assez d'une vie si je voulais faire parler cette montagne .
Saint Martin ne me protège pas, je plonge tête la première et genoux en avant dans la neige fraîche, il me faut faire une toilette rapide et efficace de l'appareil photo! Décidément, la dernière fois que je suis venue fouler la neige de l' Albère j'ai noyé un appareil photo !
Du panneau, on a ce tableau |
Saint Martin d' Albère ou Sant Marti de Mont Forcat (le Mont Fourchu), fut mentionné déjà en l'an 844, le bâtiment actuel date du 12 eme S. Il y a une église et un grand bâtiment. Un petit cimetière aux tombes portant des épitaphes grandiloquentes et une ancienne fontaine qui a tout perdu sauf sa date de naissance : 1724.
Arrivée à St Martin : les tombes |
Un miroir que mes pieds évitent |
Muette la fontaine |
Evidemment, c'est Propriété Privée, passage interdit, clôtures électrifiées, "attention aux chiens", il manque les barbelés; le verglas et la neige pourvoient au remplacement, où sont donc passées la Bonté Divine et la Protection du Seigneur réunies? Quant à Saint Martin, dont les qualités sont la Bonté, la Paix et la Miséricorde, il semblerait qu'il ait déménagé vers d'autres Cieux.
Saint Martin d' Albère |
J'en fais fi et me dirige le long des murs entre neige, clôtures électrifiées, dont je ne cherche pas à savoir si elles fonctionnent et je stoppe dans un petit terrain empli de flaques gelées, qui seront le tableau glacé de la promenade. Je ne m'explique pas comment l'eau en gelant peut devenir aussi artiste, mais elle l'est, quelle qu'en soit l'altitude.
Le paysage dégagé, occupé par des prairies de moyenne montagne (630 m), permet une vue sur le splendide Massif du Canigou, qui montre ses sommets enveloppés de neige soulevée par le vent violent, et ses dégradés de bleus dignes d'un artiste peintre.
Paysage de piémont des Albères, vallée du Tech et Massif du Canigou |
Un mas |
Un autre |
Je retrouve ces paysages ces pentes, ces vallées et pics qui me furent si proches dimanche dernier. Je bois littéralement ce décor. Une petite place est accordée au Pic de Costabonne, et au lointain Capcir.
Pic de Costabonne |
Le secteur de ma randonnée de dimanche : Col de la Cirere, Pel de Ca, Cincreus et Pic de Gallinas au centre |
Pic du Canigou et Crête du Barbet |
Vallée au dessus de Leca et Tres Vents |
Je vais passer un moment de grâce sous les murs de St Martin, vue de personne, j'imagine, avec ce froid, puis je reviens sur mes pas, prête à affronter le vent de face qui, finalement, ne réussira pas à me geler davantage. Il y a foule sur la route, mais en voiture. Encore une fois, il n'y a de piétons que les chasseurs et moi.
S'il est bien quelque chose qui m'insupporte c'est un dimanche à la maison. Je pourrai me l'accorder, puisque j'ai pris mon content de grand air! Et même je vais l'apprécier, ce dimanche devant la cheminée! Où le vent fait entendre son vacarme incessant...Les Hauts de Hurlevent, disais-je.