Le but de ce récit est de laisser un témoignage le plus précis possible sur un lieu oublié de l'Histoire. Et pourtant si riche !
La première fois que je l'ai vu, j'étais sur son voisin d'en face, en 2016, le roc de las Medes, lui aussi très fascinant. Du sommet de ce roc, j'ai cru deviner le soubassement d'un mur et je n'ai eu qu'une idée y aller un jour. En fait il n'y a aucun mur visible sur cette face, ce fut comme un rêve éveillé. Et un coup de coeur pour ce roc
J'eus le loisir de contempler ce Montbranc de loin et sous tous ses angles, l'an passé en "explorant" ce secteur tous azimuts.
Il m'a bien rendu mon coup de coeur ! |
Vu depuis le Roc de las Mèdes |
Le chemin d'accès hors escalade ou presque |
Le Montbranc ne se montant qu'en escalade, je l'expédiai aux oubliettes. Et pourtant...La vie a de ces détours qui vous ramènent aux origines.
Voilà que très récemment, j'allai fureter dans ce secteur qui m'était encore inconnu, en rive gauche de cette Massane que j'aime tant. Mais je raconterai cela dans un prochain récit car cela vaut d'être conté.
Pour le Montbranc, qui se dessinait face à moi comme une grosse molaire, alors que sur la face opposée c'est une canine pointue, je ne pensais même pas m'en approcher.
Depuis le hameau de Lavail |
Fortuitement, alors que je tentais de percer les mystères d'une tuilerie invisible mais que je réussis à localiser, un ami, Nicolas, me dit : "il y a une ruine au sommet du Montbranc ". Mon illusion devenait réalité et je partis "à la conquête" de cette forteresse de pierre, dont je trouvai l'accès sous le couvert des arbres grâce à la vue aérienne du GPS. Et au trajet rectiligne des débris de briques et tuiles !
Cette molaire de pierre a une faille : un couloir, ou cheminée, haute de 60 m environ, saigne sa face et je m'engageai dans cet étroit goulet barré de deux murs édifiés par des hommes, vestiges certainement d'un très ancien sentier en zigzag. J'avais dans mon sac une corde et un énorme sécateur, et face à moi je me trouvai devant un mur de roche de 4 m de haut environ, équipé d'une corde fixe; j'eus beau tout tenter, je fus incapable de monter, la peur était ancrée en moi.
Vestiges de l'ancien sentier d'accès |
Le haut mur de roche |
Incapable de monter |
De retour, je ne me contentai pas de cette ascension manquée mais j'essayai de résoudre l'énigme de cette ruine. Carte et outils en main; certes le Montbranc se trouve sur une ligne droite reliant la tour à signaux de la Massane à la très importante tour à signaux de Batère : une tour relais ? Mais les altitudes observées ne permettaient aucun doute, il n'y a pas d' obstacle entre les deux tours. J'optai, en étudiant le secteur, pour un poste de guet en appui du proche Château Ultrera, guet sur la vallée de la Massane et les crêtes frontières. Monter me permettrait de vérifier.
Château d' Ultrera à l'aplomb de la Massane |
Nicolas, partenaire de quelques équipées sauvages, m'invita à l'accompagner et c'est ainsi que, si moi je lui fis découvrir l'accès le plus facile pour y arriver, lui m'emmena dans un voyage aérien merveilleux.
A travers bois pour commencer |
Une partie du couloir à grimper |
Il avait plu la veille, nouveauté depuis des mois, qui rendait la roche glissante. Une horrible tramontane glacée rappelait que ce février n'était plus juin mais bien février, et prévenait que, sur la cime, la prudence serait de rigueur. Rien ne me faisait peur. Je regardai Nico grimper avec assurance et sans assurage et, une fois assurée, je m'élançai à sa suite, dans un gros effort car le premier pas est trop haut pour mes courtes jambes. Mais ma jambe droite se délia, se surpassa, et le reste ne fut que formalité enrobée de joie.
Mur TRES ancien |
Préparatifs |
ça c'est pour moi, me voilà liée ! |
Un grand pas, même pour lui Je ferai le même, je ne l'imaginais même pas |
Puis il prépare ma montée ! |
Ma surprise fut grande de voir que le reste du trajet, bien pentu, était si facile. La terre mouillée portait bien, le vide dans mon dos me laissait de marbre en ce pays de gneiss et une dernière corde fut bienvenue, même si pas vraiment utile, mais autant en profiter pour arriver vivante tout en haut.
Des débris de briques accompagnent toujours notre chemin :
La soufflerie vrombissait au sommet, tordant les arbres rabougris et sifflant entre les rocs.
Vers l'aval |
Vers l'amont |
La dernière corde : sécurisante, c'est raide Appréciable en descente |
Un mur se dessine en haut, quel bonheur ! |
Au dessus, c'est un petit bâtiment semi écroulé, style petite baraque carrée ayant eu un plancher apparemment, une voûte peut être et un crépi intérieur sur les murs comme au château d' Ultrera. Etayant mon hypothèse, ce bâtiment veille sur la vallée de la Massane et fait face aux crêtes frontières.
Les murs intérieurs semblent crépis...mais je me souviens. Ultrera |
En fait je saurai plus tard : c'est l'étanchéité d'une citerne |
Citerne qui récupérait l'eau de pluie |
Il est flanqué d'une plate forme sur laquelle on trouve un petit tas de tuiles (habitat?), protégée du terrible vent du nord, et d'une cavité excavée dans la roche. Il ne manquait plus qu'à explorer les sommets. J'imagine à présent, au vu de la configuration rocheuse des lieux, que cette plate forme a été construite de toutes pièces à l'aide de couffins de terre ramenés d'en bas. Quant à la cavité excavée...à quoi servait elle ?
En blanc, la montée du couloir (et de l'ancien chemin En jaune, la plate forme appuyée sur un muret |
La cavité creusée |
Un peu d'histoire : (Merci à Guillaume Eppe, archéologue) : en 1836, le 2 eme Bulletin de la Société Philomatique de Perpignan (précurseur de la SASL) publie un article de Jaubert de Réart, pionnier en archéologie des Pyrénées Orientales qui décéda cette même année à 44 ans. Cet éminent érudit publie " Le vallon de Montbram" et explique que ce pic de Montbran "
"au temps de la décadence de l'empire
romain, le passage, pour aller en Espagne, s'ouvrit
au terroir de La Pava; et c'est pour défendre et garder
ce passage qu'on fortifia le sommet du Montbram, lieu
presque inaccessible, et qu'on bâtit sur la montagne
le Castrum Vulturarium, dont le nom paraît bien indiquer
l'origine, aujourd'hui tout-à-fait en ruines "
(Castrum Vulturarium soit Ultrera)
Extrait du texte de 1836 |
Une encyclopédie catalane (Enciclopedia catalana) en 27 volumes (13800 p) dresse un tableau de la catalogne romane entre les 10 e et 13 e S et consacre quelques lignes à Montbran : signalé en 1143 (Montebrano) et en 1325 (fortifications du château de Montbran). Fin du 13 e S il est la possession du Seigneur de Montbran et de Sorède, Dalmau 1er de Castelnou. Destiné à surveiller un ancien passage, il peut avoir une origine aussi ancienne que celle d' Ultrera.
1364, il est acquis ainsi que le hameau de La Vall par Père Blanc.
Etymologie (Lluis Basseda) : Montbran = Montis, mont + Branno, d'origine germanique = corbeau
Un plan du site a été dressé:
après la découverte du site par le célèbre archéologue Jean Abélanet, un plan du site fut ensuite dressé par un ingénieur.
Donc Montbran était déjà fortifié aux environs des 5 eme et 6 eme siècles ; ce chemin, ces murs, cette citerne, cet enduit intérieur prennent une autre dimension après cette lecture...et me donnent envie d'y retourner. Comme en un sanctuaire.
Il est fantastique aujourd'hui, 1600 ans plus tard, de rencontrer ces vestiges, alors que nous y accédons avec une corde...Et la tuilerie alors ? De quand date t'elle ?
Bon revenons au siècle 21 ....
Le goulet aboutit à un col séparant deux sommets.
Face sud vue du col, à la sortie du goulet |
L'arête venant des Dentelles |
Même chose vue du bas, Nicolas a gravi ces dentelles et arête...quelle chance ! |
Les gelés au sommet du pic nord ; une soufflerie |
Paysage secteur Canigó, environs Tour de Batère (mais la voit on ? ) |
Je veux à tout prix aller au sommet nord et pour ce faire nous allons longer le vide face nord. Nico me tient toujours "en laisse" mais le vent, au pire, nous jettera dans les arbres. Par contre les montées aux pics sont dangereuses malgré la faible hauteur car les rafales sont horribles. On ne s'attarde pas, dommage pour l'apéro au sommet, la bouteille est au frais dans le sac et y restera.
Une partie du hameau de Lavail |
C'est reparti, mais en varappe, simplement je suis "en laisse" |
Au sommet, genévriers et arbousiers |
un magnifique genévrier, admirons la taille du tronc ! |
Pic nord |
Jardin spongieux |
Les gelés du pic nord 593 m |
Paysage plaine du Roussillon et Méditerranée |
Retour rapide, la descente du goulet ne pose aucun problème; j'ai un peu peur lors de la désescalade des 4 m mais je suis assurée et vite rassurée.
C'est impressionnant et "ça me colle les jetons" |
Pourtant ce sera ... |
....une formalité |
Il est grand temps à présent de sacrifier au rituel qui sustente et réchauffe...
On a choisi un joli belvédère style frigo, jolie plate forme, moussue et confortable |
Le bouchon a sauté et est devenu Tour de la Massane |
Le retour, soyez rassurés s'est passé en de bonnes conditions !
Un grand merci à Nicolas !!
Une escapade antérieure, en 2016, le Roc de las Medes (clic)
Quelques lieux clés
Plan large |
Plan rapproché et accès approximatif par sentier de chasseurs , puis chemin charbonnier et enfin droit dans la pente |