jeudi 23 avril 2020

Chronique virusienne : jour 38

J + 38 et J - 17

9 ans déjà...



Cette année, à cause du confinement, je n'aurai pas vu fleurir à petits pas la vieille azalée qui a déjà 9 ans. J'ai eu la surprise l'autre jour, en arrivant au minuscule jardin que j'avais déserté depuis un mois, de voir les trois buis en pleine forme, l'azalée en pleines fleurs, l'hortensia et ses jeunes feuilles, les roses pompons en boutons et mes dernières plantations en floraison. Les iris se fanaient mollement et les deux pieds de vigne étiraient leurs jeunes pampres pour émerger d'un fouillis de verdure. On eut dit qu'en mon absence, les Saints voisins avaient ouvert la lourde porte de la vieille église pour venir prendre mon relais, à moi qui ne les prie jamais.

Classée Monument Historique


Pentures catalanes 12 eme ou 13 eme



Le minuscule jardin était gai comme un printemps honoré.








Archives avril 2019

Confinement oblige je me suis cachée pour jardiner et discuter avec toi.
Mon attestation de circulation était fausse : courses de 1ere nécessité ? Aide à une personne dépendante ? Ou circulation permanente de l'agriculteur dans l'exercice de ses fonctions ? J'étais tout, je n'étais rien.
J'étais juste une fille venant voir l'ombre de son père.



9 ans déjà que tu t'es endormi un matin d'avril, dans ton jardin, à moins que ce ne fut ton jardin secret, ou les deux sans doute.
On t'a trouvé endormi, un sourire aux lèvres, la casquette de travers et une herbe sèche dans les cheveux. Comme te moquant de la pirouette que tu faisais à la vie.
Tu voulais mourir en bonne santé , tu l'as fait. Pari gagné, sur la vie et sur la mort.
Tu ne voulais ni la maladie, ni les médicaments, ni les chambres d'hôpitaux, ni...ni...enfin tu as tiré ta révérence comme tu l'espérais.
On n'était pas contents...façon de parler bien sûr !

Je me suis donc cachée pour t'apporter un bouquet de roses que j'ai aussi achetées en catimini : ce n'est pas un objet de première nécessité m'auraient dit les pandores en m'extirpant 135 euros du porte monnaie!


Mais dans quel monde vit-on ?
Tu as connu la guerre, la geôle, l'évasion, l'envol.
Aux portes de la vieillesse je connais une autre drôle de guerre dont l'ennemi est invisible, invincible et les geôliers mes compatriotes : je suis confinée, nous sommes confinés, 3 Milliards sur terre sont confinés, la moitié de la planète.
Autour de ton tombeau, au pied de la petite église romane, tu es aussi confiné. Sous terre, entouré de fleurs. Depuis 9 ans.



Je te parle en arrachant des mauvaises herbes, en rectifiant une plante fantasque, en coupant des fleurs séchées et en ratissant les blancs graviers. Je te parle, profitant de l'absence de visiteurs qui n'ont rien à faire dans mes soliloques.
Comme je te parlais en montagne à l'époque où encore tu me répondais, à ta façon.
Tout juste 9 ans, le temps passe si vite, alors qu'il passe si lentement pour les confinés que nous sommes. Absurdité de ce monde.
Je quitte le petit cimetière endormi, je reprends la route, je ne sais quand je reviendrai et, comme à chaque sortie, je pousse un soupir de soulagement en fermant les portes de ma maison : me voilà à l'abri.
A l'abri ? Vraiment ?




lundi 20 avril 2020

Chronique virusienne : jour 34

Et jour -21...

La montagne


Que la montagne me semble loin. C'était dans une autre vie, la vie d'avant.




Que la montagne me semble loin. Ce sera dans une autre vie, la vie d'après.





La vie de maintenant est grise, décolorée. Elle est arrêtée.
J'ai aimé ce temps suspendu qui m'a permis de me ressourcer.
A présent il a repris de sa réalité, il a repris de la vitesse, juste parce que je me suis habituée à cette nouvelle vie et que j'en suis machinalement le cours gris et uniforme.
Il n' y a rien à voir dans cette vie, rien à entendre, rien à attendre, personne à croiser, personne à qui parler, personne à qui sourire.
Il ne reste que l'uniforme et monotone glissement des jours. sans relief, sans surprise. Presque sans espoir.
Tout est si long, si loin, si incertain...



La montagne elle même m'est devenue  lointaine, vide, silencieuse,  presque décolorée.



Les jours passent. Le temps s'étire, indolent, insolent d'incertitude.

Oh ! Ne pas tomber dans la désespérance....



mercredi 8 avril 2020

Chronique virusienne : jour 23


 Et, un jour de mars, le temps se suspendit.....

Tamaris en fleurs dans mon jardin


Oui, j'ai beau pouvoir sortir en vignes, je suis quand même confinée

Et je trouve long le temps sans...
Sans les montagnes, sans les grands espaces, sans la liberté, sans l'esprit sain.
Mes piolets souffrent de ne pas se planter, mes crampons de ne rien mordre.
Mon camion enrage d'avoir les roues clouées au sol.

Espagne ma dernière sortie

Ma maison est "si nette qu'elle en est suspecte, comme tous ces endroits où l'on ne vit pas " (JJ Goldman) mais paradoxalement j'y passe des tas d'heures et je n'y vis pas.
Ma vie elle est ailleurs là où je ne suis pas...Oh que c'est compliqué...Un Romain y perdrait son latin et une chatte ses petits. Parce que ma vraie vie, elle n'est plus que dans ma tête.
Dans cette nouvelle vie, que je n'ai pas choisie, je trouve le repos, le temps de pause, le temps suspendu mais je ne m'y retrouve pas.
Et la colère me gagne, la lassitude, l'énervement sont mes compagnons.
Certains jours, les jours gris, les jours de pluie.
Oui j'ai le ciel, le soleil et la mer, au loin, oui, j'ai un privilège, des privilèges. Mais...
Bien sûr je ne suis pas aux Baumettes ni à la Santé, la santé, pour l'heure je l'ai.
Ni à Rennes, j'ai encore en main les rênes de ma vie.
Mais pour moi c'est un avant goût...ou un arrière goût amer.
C'est une privation de Liberté.

Temps de printemps et temps d'hiver, mêlés

Pourtant, quand les émotions négatives ne m'emportent pas,
 cette expérience m'enrichit drôlement !
Je note au jour le jour mon ressenti et sans relire, je sais le chemin parcouru :celui qui va de la terreur à l'oubli. Celui qui va de la boulimie sucrée à la boulimie d'activité. Celui qui va de la sanction à la riche réflexion.
Le sentiment de vivre un moment unique (euh j'espère qu'il le restera) qui est une vraie leçon de vie alors que la vie semble s'arrêter.
Il y a 3 ans j'étais confinée en mon corps à cause d'une passagère infirmité. Je souffrais en mon corps, je souffrais en mon mental. La vie bruissait, indifférente autour de moi, double sanction. J'en suis sortie plus forte, plus riche.
Je veux faire - et même si je ne le voulais pas, cela se fait tout seul - de ce confinement universel une richesse personnelle, et à cela je réussis. Quand la colère, la révolte, le vague à l'âme se délitent.
Quand la colère ne m'habite pas.
Parce que ce temps du confinement c'est justement le TEMPS : le temps suspendu, le temps retrouvé, le temps perdu aussi, mais le temps...le temps de vivre en soi, avec soi, le temps d'avoir le temps, le temps à sa juste mesure, le temps qui s'égrène, le temps à échelle humaine.

Tresserre, Canigou, Crête du barbet (à 30 km vol oiseau)


Ces derniers temps, je passais mon temps à essayer de retenir le temps. Il allait trop vite, à mon goût, un tourbillon, un torrent furieux comme ces rapides que l'on descend à bride abattue dans les torrents. J'essayais de m'agripper aux rives, de retenir les heures, les minutes, mais j'étais déjà loin, j'étais déjà demain, j'étais déjà l'hiver quand c'était l'automne. Et je n'étais pas la seule, d'autres accompagnaient cette course effrénée, finalement ce temps trop vite c'était du temps perdu.

Défilé des Gorges St Georges, Axat (Aude)

A présent, je savoure...les heures sont des heures, les jours sont des jours, comme avant, pas si loin, il ya trente ans ? Quarante ans?
Avant la technologie exacerbée, avant tout ce qui allait me dépasser.
Aujourd'hui les jours sont une suite sans nom, sans chiffres, sans dates, une suite de levers et couchers de soleil, c'est tout.

8 avril 2020...23 eme jour
Coucher de lune sur le Puig Sec, lever de de soleil sur la mer, Tresserre

Et qu'est ce que ça fait du bien...
Parfois il faut regarder un écran pour remplir une autorisation de sortie et mettre un jour, une heure, mais on s'en fout du temps !! Pourquoi cette comédie ?

J'ai une chance inouïe, celle d'aimer la solitude car ce temps est celui de la solitude, certains, confinés dans des appartements surpeuplés la voudraient, d'autres en souffrent encore plus et moi...j'en ai fait ma compagne de vie, alors je suis juste un peu plus seule. Dans les rues, des ombres rasent les murs, ennemis potentiels dont je suis autant l'ennemie, les chiens s'épuisent en sorties, la campagne bruisse de vie agricole, mon paradis. Je n'y suis pas plus seule que d'habitude mais j'ai des compagnons, les oiseaux ! Et les insectes, et les papillons. Peut être étonnés de ce calme et de ce silence.


A Tresserre

Pareillement

Oui dans ma campagne si je tourne en rond, c'est le travail qui veut ça. Enfin en rond...aucune parcelle n'est ronde, mais je tourne, à pied ou en tracteur, j'ai toujours le choix de tourner dans le sens des aiguilles d'une montre, ou à leur inverse, ou de varier, qu'importe...Je n'ai même pas de montre...



Je tourne pendant des heures, remplissant ce temps afin qu'il ne soit pas le temps épais de l'ennui, ni celui de la mélancolie. Surtout pas celui de la maladie. Je regarde les montagnes, je les sais vides. Je les attends.

Mon village

Puig Sec (Canigou)



Roc Nègre (Canigou)


J'écoute la Nature et ses soupirs, j'écoute le vent dans le silence de cette vie arrêtée.
Je  favorise le travail à pied que je pourrais faire avec une machine, juste pour savourer ce temps, ce cadeau éphémère, juste pour sentir vivre mes muscles, mes jambes, mes bras, juste pour me retrouver comme j'ai retrouvé le temps. En espérant que cela ne dure quand même pas trop longtemps !




Il y a exactement 200 ans.....


" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !

Suspendez votre cours :

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours !



                                                           Lamartine, "Le lac"....1820