9 ans déjà...
Cette année, à cause du confinement, je n'aurai pas vu fleurir à petits pas la vieille azalée qui a déjà 9 ans. J'ai eu la surprise l'autre jour, en arrivant au minuscule jardin que j'avais déserté depuis un mois, de voir les trois buis en pleine forme, l'azalée en pleines fleurs, l'hortensia et ses jeunes feuilles, les roses pompons en boutons et mes dernières plantations en floraison. Les iris se fanaient mollement et les deux pieds de vigne étiraient leurs jeunes pampres pour émerger d'un fouillis de verdure. On eut dit qu'en mon absence, les Saints voisins avaient ouvert la lourde porte de la vieille église pour venir prendre mon relais, à moi qui ne les prie jamais.
Classée Monument Historique |
Pentures catalanes 12 eme ou 13 eme |
Archives avril 2019 |
Confinement oblige je me suis cachée pour jardiner et discuter avec toi.
Mon attestation de circulation était fausse : courses de 1ere nécessité ? Aide à une personne dépendante ? Ou circulation permanente de l'agriculteur dans l'exercice de ses fonctions ? J'étais tout, je n'étais rien.
J'étais juste une fille venant voir l'ombre de son père.
9 ans déjà que tu t'es endormi un matin d'avril, dans ton jardin, à moins que ce ne fut ton jardin secret, ou les deux sans doute.
On t'a trouvé endormi, un sourire aux lèvres, la casquette de travers et une herbe sèche dans les cheveux. Comme te moquant de la pirouette que tu faisais à la vie.
Tu voulais mourir en bonne santé , tu l'as fait. Pari gagné, sur la vie et sur la mort.
Tu ne voulais ni la maladie, ni les médicaments, ni les chambres d'hôpitaux, ni...ni...enfin tu as tiré ta révérence comme tu l'espérais.
On n'était pas contents...façon de parler bien sûr !
Je me suis donc cachée pour t'apporter un bouquet de roses que j'ai aussi achetées en catimini : ce n'est pas un objet de première nécessité m'auraient dit les pandores en m'extirpant 135 euros du porte monnaie!
Mais dans quel monde vit-on ?
Tu as connu la guerre, la geôle, l'évasion, l'envol.
Aux portes de la vieillesse je connais une autre drôle de guerre dont l'ennemi est invisible, invincible et les geôliers mes compatriotes : je suis confinée, nous sommes confinés, 3 Milliards sur terre sont confinés, la moitié de la planète.
Autour de ton tombeau, au pied de la petite église romane, tu es aussi confiné. Sous terre, entouré de fleurs. Depuis 9 ans.
Je te parle en arrachant des mauvaises herbes, en rectifiant une plante fantasque, en coupant des fleurs séchées et en ratissant les blancs graviers. Je te parle, profitant de l'absence de visiteurs qui n'ont rien à faire dans mes soliloques.
Comme je te parlais en montagne à l'époque où encore tu me répondais, à ta façon.
Tout juste 9 ans, le temps passe si vite, alors qu'il passe si lentement pour les confinés que nous sommes. Absurdité de ce monde.
Je quitte le petit cimetière endormi, je reprends la route, je ne sais quand je reviendrai et, comme à chaque sortie, je pousse un soupir de soulagement en fermant les portes de ma maison : me voilà à l'abri.
A l'abri ? Vraiment ?