vendredi 17 mars 2023

Ariège : le jais du Plantaurel

 De l' Ariège (09) je retiens plusieurs choses, hormis que c'est un département limitrophe du mien (66). Je l'aime depuis les années 80 où je l'ai vraiment découverte, parce qu'elle est belle, altière, farouche et sereine à la fois. J'y ai fait mes premiers pas de randonneuse, dès 2006, j'y ai découvert la montagne. De l' Ariège, je sais des lacs, des sommets et des arêtes, donc du Bonheur immodéré.

J'ai vu le printemps s'y éveiller en mille taches colorées, mille fleurs des montagnes, j'y ai vu l'automne y pleurer ses ors, ses fauve, ses rouille. J'ai même choisi d'y passer des week ends sous la fine pluie serrée et grise pour me reposer des durs labeurs agricoles. Mais jamais je n'y étais allée chercher du noir, du noir de jais, le noir le plus noir qui pût exister !

Eclats de jais


Image internet


Quelques images du passé


Printemps en montagne mai 2010




Novembre 2010


Avec Lison


Car il y a à côté de ces sites grandioses, des trésors cachés, secrets, discrets, qui ne demandent qu'à se révéler aux curieux dont je suis, aux fouineurs, à ceux qui aiment la vie. Car le passé c'est la vie : c'est un présent que hier fait à aujourd'hui. Tels les Marbres d' Uchentein (Couserans) (lien en fin de texte).

Ainsi il est un site que j'ai découvert par hasard en fouillant les sites audois, le jais d' Ariège.

Le jais, c'est une sorte de pierre, noire, assez légère, dure et luisante une fois polie, issue des dérivés de la houille, du lignite. Le jais se brûle et sent le charbon, le jais se polit et se façonne en bijoux, objets d'art ou de nécessité d'autrefois (boutons, grains de chapelets, ornements de deuil). Le jais était extrait du sous sol et travaillé dans des moulins à jayet, ce sera un autre paragraphe.

Quand je pars en Ariège, avec Nina, en ce samedi pluvieux où la pluie est déjà un paysage vu qu'on en est privés depuis des mois, je ne sais pas vraiment ce que je vais trouver, ni même si je vais trouver : je ne sais qu'une chose, vallée de l'Hers, Massif du Plantaurel, une longue chaîne calcaire de 1000 m d'altitude maxi (Pic de l' Aspre) et que l'on nomme aussi "Petites Pyrénées". Une longueur de 65 km, Lavelanet en fait partie.





J'ai un souvenir de lectures, anciennes recherches sur ce sujet, car en partant, je ne sais pas où j'irai, cela se dessinera en cours de route; c'est aussi cela la Liberté.

Mon seul smartphone me guidera vers un hameau relié au monde par une minuscule route, on n'y passe pas, on y va, sinon rien. Les bas côtés sont détrempés, mon camion déteste cela mais la chance sera avec moi, c'est si désert que la route entière m'appartiendra. 

Route du Massif du Plantaurel


Sur le bas côté une galerie de mine a attiré mon attention et ma visite : les couleurs flamboient, les lignes minérales sont de vrais graphismes et des moustiques paressent à l'abri en attendant l'été. Je trouve des traces noires faites de grains infimes de jais et des initiales profondément gravées dans la pierre : les carriers ? 


La grotte en bord de route

Couleur verte ? Moisissures

le noir luisant ? Du jais sans doute



Une sorte de sable gréseux

Des moisissures


Petiots grains de jais


Arrivée au hameau je me précipite sur le seul habitant que m'offre la chance: il ne connait pas l'histoire mais connait une galerie où il propose de me conduire. Effectivement, seule, il m'eut été impossible de découvrir, à l'écart de la route, enfouie dans les bois, cette gueule d'ombre qui m'avale sitôt arrivée, d'abord courbée en deux, puis pliée en quatre avant que de ramper. Rien à voir sinon la même géologie que précédemment. René n'en sait pas davantage et me ramène à bon port.


L'entrée de la grotte/galerie avec son drôle d'arbre couché

L'entrée




Intérieur au plafond bas

Belles couleurs (sans flash)



Vers la sortie


Après une petite balade sur route minuscule, un repas en plein air au grand soleil d'un ciel d'orage, je décide de retourner sur site : il me faut interroger la montagne avant de faire les 116 km de retour.


Et elle va se montrer bavarde, la montagne !

D'elle j'ai vu une grotte et un ancien chemin mais elle va me présenter les vestiges des années d'exploitation (des années 1700 à plus de 1800), avant que les filons ne se tarissent. Ou fussent abandonnés au profit d'importations moins onéreuses. Je prends le circuit cette fois en amont de la grotte et la vue "aérienne " va me révéler une série de plissements : des tranchées séparées entre elles par les déjections des creusements. Toutes ces tranchées se heurtant à la paroi rocheuse.



 Aucune grotte, tout était à ciel ouvert. Une longue série de plissés se déversant sur le chemin, ce chemin d'évacuation qui va se perdre vers l'aval et que je ne suivrai pas longtemps. Par contre je remarque dans le bois une sorte de plan incliné que je remonte dans la pente abrupte et je tombe sur une cuvette creusée dans le sol, entourée de débris, comme un trou d'obus bordé d'un  minuscule terril, où foisonnent des éclats de jais, éclats très noirs, un peu ternes mais lisses, ne demandant qu'à briller d'un vif éclat sous un polissoir. En amont, la colline est encore striée de tranchées parallèles; je ne visiterai qu'une infime partie du site, pour cette première fois je me contenterai d'une approche.













Le chemin d'évacuation

Le chemin des siècles passés


  Je retrouve René dans les bois en compagnie de sa femme et d'une autre personne et je les entraîne à la découverte ...des mes trouvailles, leur ouvrant ainsi une page d'histoire qui, je pense, ne sera que la première, pour moi, comme pour eux.


A l'ouvrage en recherchant des éclats de jais sur les parois de l'entonnoir


Depuis j'ai appris que la ruine du moulin à jayet est encore visible, ce sera donc, avec le chemin à parcourir en entier, le site à explorer plus en détail et la recherche de la ruine, le second volet de ma visite en Plantaurel. Et puis, les grottes que j'ai vues ont aussi quelques petits secrets à me livrer, qui m'ont été contés...j'en salive déjà !

C'est où ? Quelque part du côté de Lesparrou...

                                                                                          Un grand merci à René Audouy 


Et à Nina pour son indéfectible patience...



Lien : les marbres d' Uchentein (clic)









mercredi 8 mars 2023

Albères : balade escarpée autour de la Massane


 La Massane est une rivière de 22 km de long qui prend sa source dans les Albères à 968 m d'altitude et se jette à Port Argelès après avoir traversé le Hameau de Lavail (Sorède, 66)et la ville d' Argelès. Comme toute rivière méditerranéenne elle peut se fâcher violemment, dévaster et noyer sur son passage; ainsi lorsque je suis entrée en 6 eme au Collège d' Argelès (alors édifié en rive gauche) les classes portaient encore la trace de la crue de 1959 : cela m'a marquée ! Au moins aussi haut que moi....


Le paysage du jour

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Je laisse donc ma voiture au parking de Lavail, j'ai décidé de faire un parcours peu fréquenté, même mal dessiné sur la carte IGN, un parcours qui remonte la rivière puis s'en éloigne, ce sera de la nouveauté totale. Un tronçon de piste de terre et je laisse sur ma gauche le sentier de la tour, pour moi c'est tout droit...dans un immense élevage bovin, clôturé et armé de menaces moins dissuasives que le troupeau par lui même.

Il faut longer la clôture sur la droite

 Le sentier a beau être rose sur la carte, aucune mention, aucun balisage, alors je décide de longer la clôture où se lit un cheminement et j'y suis. Il n'y a plus qu'à suivre. Sur ce parcours je trouverai des esquisses d'anciens chemins ou bien tout au contraire, le doute le plus parfait, cette fois le GPS va bien m'aider. Et ainsi je vais remonter le torrent sur plus de 3 km avant d'abandonner tout ruisseau.

Cours inférieur du torrent, près de l'élevage



Au départ il faut suivre cette piste qui va se poursuivre 
sur plus de 2 km, en rive droite ou gauche



Reflets

Dans son cours inférieur la Massane (de Mala Mattiana = variété de pommes; ces pommiers là poussaient en haut de la vallée) porte les stigmates des épisodes furieux et répétés du passé : le lit est dévasté, usé jusqu'à la roche, elle même polie. La rivière saute de cascades en vasques, une vraie invitation à la baignade estivale.

Pavée de rocs


Encombrée de rocs

Je  la traverserai 5 fois, sans difficulté, c'est basses eaux. D'abord ce sera de la piste, ancienne piste, peut être ancien chemin de transhumance; un chemin part sur la gauche, il me tente pour l'avenir. 

Morceau de piste cimenté


Le sentier prendra le relais après le 3 eme gué et ce sera une belle grimpe, le nez dans la géologie ! 

Le nez dans les rocs
Une page de géologie

La végétation est très fournie : chênes verts, bruyères, genévriers pour l'essentiel. Le sentier, en bon sentier albérien n'est que tas de rocs ou amas rocheux, les amortisseurs sont rudement malmenés. Mais déjà je me suis habituée. 


A 400 m d'altitude, en un lieu austère et loin de tout, je découvre des murettes, que cultivait on si loin de La Vall ? 





Calade sur le sentier muletier

Polissage de l'eau



Chemin d'eau

Encombré le sentier



Epousailles



Je viens de là bas


Au 5 eme gué (401 m, 3.05 km) la Massane file vers la gauche en un cours sinueux, ce sera le plus beau du paysage du jour que je découvrirai alors.


La Massane a quitté "la civilisation"

 Mon sentier lui tourne le dos et va rejoindre un petit cours d'eau, le Correc del Rodet, jailli lui aussi d'un paysage tourmenté, que je traverse à gué (6 eme gué, 432 m, 3.26 km).

Ici j'en termine avec les ruisseaux, désormais j'en profiterai en vue aérienne.

Et c'est là que commencent les festivités : je vais me régaler, car j'ai une forme éblouissante alors qu'hier je peinais à monter les escaliers !

Je grimpe sans souffrir, sans m'essouffler et si mon coeur ne cognait pas si fort, je ne m'arrêterais jamais, mais il faut calmer la bête. Même si c'est un bel endroit pour mourir, attendons un peu...

Je m'élève rapidement car ce n'est plus en sentier mais un escalier : de la roche, des bruyères grosses comme des arbres, parfois elles étouffent le sentier qui devient un mince fil, parfois des gros blocs venus des barres rocheuses le frôlent, le paysage devant les yeux requiert de l'attention, je stoppe donc pour contempler. 


La jungle
Bruyère


Des bruyères comme des arbres

Les genévriers ne sont pas en reste


J'ai souvent l'impression de me trouver dans le chaos de Montpellier le Vieux.

 Des rossignols vont emplir le cirque montagneux pendant un moment avant que de se taire, le chant de l'eau a décru, le silence s'installe. Le paysage est splendide, je suis conquise! Pas un humain, jusqu'au moment où un jeune homme me rejoint, surprise réciproque, lui aussi est en mode découverte mais plutôt en version trail. Et je repars dans un chemin qui  n'en finit pas d'osciller autour de la crête tantôt au nord, tantôt au sud. Parlons du sentier; il continue à être balisé, doublement même : un trait jaune de ci de là et surtout des graffitis rouges qui font que l'on hésite rarement. 

Balisages

Les vues sont époustouflantes : ravins tourmentés, barres rocheuse et rochers gigantesques. La plaine et la mer sont dans un voile diffus mais toute proche, la tour veille sur le monde. Des vallées encaissées ont creusé leurs canyons dans ce chaos, je me sens toute petite. 


La Tour de la Massane











Là en bas serpente la Massane : le site que j'ai trouvé le plus beau.
J'aimerais qu'il s'y trouvât un ancien sentier...

Altitude 640 à 756, (4.34 à4.89 km) de petits sites pastoraux font leur apparition; abris sous roche, murets, vestiges de foyers, tessons de céramique et même deux orris ruinés. Sur la crête de petites pâtures subsistent, moquettées de vert, tandis que dans la vallée, la hêtraie coule sa longue chevelure grise. 

Sous les rocs, des abris pastoraux


Petits témoins

Murets pour clore les abris


Grand témoin




La hêtraie dans la vallée : Correc del Saücar


Altitude 800 ( 5.09 km, 2 h de marche) : je suis en nage, la neige saupoudre le sol et je fais une halte carburant, je suis encore à jeun. Evidemment je ne m'attarde pas mais le départ me coupe les jambes. Je suis une longue crête rocheuse entre deux vallées, le Saücar et le Rodet. 

Correc del Rodet 
Abris sous roche
Sentier escalier


Tourelles face à la tour


Ligne de crête

 J'entre alors dans la forêt où immédiatement je perds le sentier; aucun balisage même si le GPS me dit "tu y es". Il file vers la source des "neu fonts", mais je choisis de fausser compagnie et de filer en droite ligne vers les crêtes; un lièvre blanc file à grand bruit il sera la rencontre animale du jour.



La crête : altitude 1000,(6.04 km, 2h37), sortie non loin du Pic des 4Termes,  un vent aigre me saisit sur cette pelouse rase où les houx sculptés par les vaches succèdent aux hêtres. Les vues sur la côte, familières à présent, sont brumeuses et floues. Petite halte au soleil, le temps de me restaurer et je repars en ligne de crêtes, ligne séparée de la crête frontière par la vallée de la Massane près de sa source. 


La plaine et la mer voilées de brume légère


Houx et hêtres

Descente en crête (cairnée)

D'où je viens

Plan plus large : la vallée de la Massane

Il ne fait pas chaud !

La descente est rapide, le trajet aisé, avant que de plonger dans la forêt des Couloumates qui est la Réserve Naturelle de la Massane, créée en 1973, 336 hectares.  En 2021, la hêtraie est entrée au Patrimoine Mondial de l'Unesco. 



Entrée en forêt versant sud

Quand je plonge dans cette forêt, il fait chaud, et je rencontre des chênes monumentaux. Une végétation méditerranéenne, malgré les 828 m (7.56 km) surprend après les hêtres du versant nord. Le sentier assez commode descend et soudain...que c'est beau !


Vastes habitants



Taille XXXL à 818 m


 La Barraque des Couloumates, (800 m, 7.96 km) cette célèbre inconnue : un refuge public et une cabane privée où deux messieurs font cuire "un rullet" de saucisse sur un feu de bois. Je sais qu'une source se trouve un peu en dessous, d'ailleurs le secteur est un vrai château d'eau.




 Je discute avec ces deux hommes et je glane des renseignements d'importance...Un chemin, non balisé...la descente de la rivière...une gorge à éviter...une cascade, une baraque, et une curiosité végétale gigantesque...une clôture à remonter...J'ai le coeur battant d'angoisse: me lancer là dedans ? Ou suivre sagement le sentier...J'ai quelques 560 m pour réfléchir, mais déjà je sais...Le demi tour est toujours possible .

Je fausse compagnie au sentier et je suis la rivière sage .

La sage Massane


 Quand j'arrive à la gorge infranchissable j'escalade et désescalade les rochers et je devine une trace légère de sentier...il n'y a plus qu'à... Je suis dans un monde au delà de la vie: des arbres, des clairières, des chaos rocheux, j'ai la sensation de voguer au ralenti; je scrute et ne vois rien. 

Moment magique, hors du monde....


Pas sage, la Massane !



Ne pas se fier à sa blondeur


Hors du monde


 D'ailleurs même le sentier n'est plus qu'une illusion, quand un cairn se présente; je vais lui  adjoindre quelques copains, je remonte la clôture bienvenue en pente raide, et je comprends que j'ai fait une erreur de compréhension. Tant pis je reviendrai. Plus tard et plus loin, je rencontrerai une garde de la réserve qui me donnera le renseignement mais me dira aussi que je suis passible d'une amende...de quoi me refroidir pour l'avenir...euh....Me voilà sur un des deux  sentiers, le plus secret, qui conduit à la Place d' Armes, 673 m. 


Une garnison de surveillance stationnait ici au 18 eme siècle; sur le cadastre napoléonien (1813) on devine la ruine d'un bâtiment carré. On ne voit plus rien aujourd'hui. 

Le Col de la Place d' Armes, espace avec vue sur mer sur terre


 A présent je monte à la tour; un dénivelé de 113 m y conduit, ce sera la dernière grimpette de la journée. En sous bois de chênes verts et quelques belles vues dégagées.

Mon périple quelque part dans ce fouillis végétal


Tour de Madeloc 


Vue sur la Côte Vermeille
Et un de ses joyaux

Après plus de 11 km et 4 h 23 de marche, je suis au pied de la Tour de la Massane, (796 m,13 eme S) où je vais enfin prendre du repos. Ancienne tour à signaux faisant partie d'un immense réseau complexe. A présent même s'il me reste près de 5 km, c'est en terrain connu, donc reposant. Au pied de la tour une grande esplanade sert d'aire de détente car la montée jusqu'à la Tour est un parcours très sportif. Le point de vue à 360 ° y est magnifique, c'est LA balade des courageux du dimanche !

13 eme S . Tour de Pera Bona
Peinte en blanc en 1780 pour servir d'amer.

Restaurée de 1982 à 1992














Je me gorge d'une belle lumière, celle du soleil déclinant sur les reliefs, dans un léger voile de brume estompant les aspérités et remodelant le décor. Je devine dans les lointains mon trajet, sous la chevelure des arbres, je revois les temps forts, ce fut vraiment une des  belles balades de ma vie.



 Se dessine l'envie d'y revenir alors qu'elle n'est pas achevée. Ce sera d'un pas souple et cadencé, sur un sentier d'abord bien propre puis ensuite bien caillouté que j'avalerai sans broncher ces 5 km, assurément les plus peuplés de la journée. Au terme de près de 6 h de marche, mais j'en eusse parcouru encore davantage.



Très propre le sentier



La suberaie de la Massane

Romain ou pas ? 

En chiffres:

Distance : 15.3 km

Dénivelé positif : env 1000 m

Temps de marche : 5 h 42

La route : 46 km AR

Le secteur en 2 parties

Partie 1 (en blanc la partie connue)

Partie 2