Après avoir différé mon escapade dans les airs la semaine passée, escapade qui en valait bien la Peyne (clic) par ailleurs, me voici cette semaine fin prête au décollage pour la Tour d' Eyne.
Couleur de saison: le rhododendron |
J'ai dormi au parking de la station de ski d' Eyne (1776 m) où une petite tempête d'éclairs tonitruants et de grêle mêlée de neige a cherché à déranger mon sommeil. Mais tout cela battit vite en retraite , pressé d'ennuyer le monde ailleurs.
Oui le temps est incertain c'est ce qui me fait quitter mon abri à 6 h15 du matin pour m'enfoncer dans la forêt endormie et non silencieuse, les oiseaux ne s'y taisent jamais.
Le Pla de Cambre 1935 m : personne sur les pistes et pour cause mais à ma droite le Cambre majestueux et à ma gauche le ciel rivalisant de majesté.
Pla de Cambre : 1939 m |
J'attaque dès lors la montée en sentier et jamais je ne l'ai trouvé aussi ardu : jusqu'au sommet du Cambre, 2750 m, ce sera marche lente dans une forêt déserte et fleurie puis dans une pente rocailleuse et battue des vents où force me sera de me revêtir.
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Gentianes alignées comme des éoliennes et genêt purgatif |
Le Cambre, comme des orgues, apparaît une seule fois, en forêt, à la Roca Roja 2080 m |
Je chemine lentement, trop à mon goût, ce qui me permet d'admirer un paysage dont je ne me lasse pas bien qu'il me soit familier : du Capcir je ne vois qu'un tapis mouvant d'une brume qui sera tenace tout le jour, mais le Madres, tous les pics du massif du Carlit, s'offrent à mes yeux. A présent ils ne sont plus d'illustres inconnus. Arrivée en crêtes, c'est alors le sud qui me saute au visage mais un sud tourmenté, crénelé, festonné, creusé de profondes vallées, la Coma Amagada qui ne l'est plus (combe cachée) et puis celles que je ne vois pas mais que je sais.
Coma Amagada, au fond vallée de Planès, le Malaza et la tour d' Eyne depuis 2700m d'altitude |
Pic de Cambre d' Ase 2750 m |
De là le paysage est grandiose et déjà je reluque ma Tour d' Eyne qui doit être le plat du jour puisque le reste je l'ai déjà parcouru. Elle n'est pas loin, et guère plus haut, juste 81 m de plus , au terme d'une crête qui monte et descend pendant 2 km, au gré des morsures du temps mais cette tour d' Eyne couronne un solide éperon rocheux et sombre qui m'a toujours mise en appétit.
Je ne m'attarde pas alors que j'en aurais envie, je danse un peu sur les crêtes du Cambre, bien affûtées,
Crête du Cambre d'Ase: à gauche les couloirs, à droite la Coma Amagada |
Je veux voir la cheminée ou grand couloir que j'ai descendue 2 fois en hivernale juste pour voir si elle est carrossable en été. Au cas où l'envie me prendrait de rentrer par le plus court chemin.
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Grand couloir : été et hiver |
Les crêtes en direction de la Tour d' Eyne : 2700 m |
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Des tapis de couleur |
Je commence à ourdir un plan, descendre directement dans la somptueuse vallée d' Eyne que j'entends mugir, et tout en marchant, je calcule quelle sera la meilleure trajectoire pour la rejoindre.
Il suffira juste de se lancer dans la pente pour un 600 m de descente en ligne directe, hors sente, sur éboulis, pelouse ou..? .Restent toujours des parties cachées qu'on ne voit qu'au dernier moment.
Le Malasa et le Roc del Boc 2774 m ainsi que le début du Serrat dels Llosers (droite) |
Le vent d'ouest me fouette toujours, la chaleur est très modérée et les sommets sud et est me dérangent fort car les nuées commencent à les envahir ce qui peut présager de l'orage ou de la brume.
Serrat dels Llosers |
Bien sûr ...j'ai peur. mais je me raisonne et dans ma tête cela valse fort : évaluation du circuit de descente si la brume envahit tout, pour y échapper ou en sortir indemne (souvenir cuisant de ma descente de l' Enfer ) mais aussi la raison qui me souffle que tant que le vent est là, il retiendra ces nuages. Bref j'étudie le paysage en pressant le pas.
Le seul habitant des lieux |
Dans ma tête, en grimpant , passe en boucle la comptine "Malbrought s'en va t'en guerre" comptine de 1709 mise à la mode à la cour de Louis XVI en 1781.
"Madame à sa tour monte
Mironton mironton mirontaine
Madame à sa tour monte
Si haut qu'elle peut monter (bis)
Elle voit venir son page
Mironton mironton mirontaine,
Elle voit venir son Page
Tout de noir habillé(bis)" etc...
Sommet et sa croix : 2831 m |
Dernière crête |
Vallée de Planès et le massif du Malasa, à droite |
Petit passage à grimper avec les mains |
Là on a envie de se poser et de contempler ! C'est rocheux, déchiqueté et cette vue ! De tous les côtés...époustouflant. Personne ici.
Le sourire de la Tour d' Eyne qui me souhaite la bienvenue Vallée de Planès |
Coma d' Infern, Pic Rodo, Pic d' Anyella et au loin peut être les Pics Raco Vallée de la Riberole |
Là où tout à l'heure il n'y avait rien, on dirait un volcan !!
La Coma Amagada l'est encore plus, disparue sous la brume.
heureusement je vais lui tourner le dos.
Je bénis le vent d'ouest qui frappe mon visage et contient le brouillard.
Alors, je choisis ma trajectoire dans le tout droit et je file comme le vent. Je me régale, je sais que je ne risque -presque - plus rien car je ne peux que rencontrer la rivière d' Eyne que j'entends chanter et donc le sentier bien marqué. Je reste prudente pour chevilles, genoux. Je ne suis plus assez jeune pour les excentricités, donc les risques, en solo !
La vallée d' Eyne tout en bas ; j'ai déjà parcouru un bon morceau de pente |
La rivière tout en bas |
Je file dans les éboulis ou les pelouses semées de toutes les couleurs de fleurs, même noires !
Je m'arrête enfin, affamée, devant cet orri que je découvre sous un repli de terrain, "l'orri de dalt", posé là comme un miracle.
Mais arriver "là" et tomber sur "ça", quel cadeau ! Oui une journée riche.
La Vallée d' Eyne est un joyau dont je ne soupçonnais pas la beauté. Se trouver là c'est basculer dans le monde enchanté des contes où tout est beau, riant, lumineux, fleuri, enchanteur. Oui, enchanteur.
On marche en silence comme pour écouter les couleurs et les fleurs tellement il y en a.
En tapis, en coussins, en tentures, posées sur l'eau, sur les troncs d'arbres. Une beauté éphémère mais qui attire un monde fou.En résumé une extraordinaire randonnée faite d'un bel effort physique, très soutenu, faite de paysages aussi différents que possible, de sensations et émotions intenses, de grande solitude puis de son contraire, deux mondes juxtaposés qui font de ce périple quelque chose de rare.
Qui en valait bien la P'..Eyne !!!
(clin d'oeil à mon précédent article)
En chiffres :
Cumul des dénivelés positifs : environ 1250 m
Distance totale : environ 16 km
Trajet faisant une boucle intéressante avec retour par la rigole d'arrosage allant de la rivière à la Station de ski d' Eyne et au delà.
NB : La randonnée promise dans le Cirque de Mourèze (34) sera au prochain menu