jeudi 29 octobre 2020

La dernière séance

 On nous dit de tout mais nous dit on tout ? Que faut il entendre, lire et comprendre?

Tout ce que je sais c'est que dans quelques heures nous serons confinés...

Après la dernière séance, je reprends la route. Le soir tombe, les lampes s'allument. 

Les falaises de ma salle de sport

Les ceps incandescents commencent leur automne que nous ne verrons pas s'achever. Le ciel pur et serein s'allume de quelques voiles roses et la lune presque ronde jaillit sur la mer, faudra t'il aller chez elle pour vivre heureux et non cachés ?



La lune m'accompagne sur ma longue route de retour. Les ors des vignes se noient déjà dans l'ombre et les senteurs de sous bois parviennent à moi par la vitre ouverte. Je veux sentir la nuit, la fraîcheur du soir qui tombe et les parfums âcres des sous bois. Cela me rappelle les soirs solitaires dans les petits villages de montagne où je me gave de sensations, je ne les aurai plus de longtemps. Il m'a manqué un printemps à tout jamais, il me manquera un automne...sinon davantage...



La lune me sourit, elle s'accroche aux griffes d'un vieil arbre, elle éclaire un vaste pylône électrique, la nuit est déjà là.












Ce soir a un goût amer d'incarcération, dorénavant les sorties auront le goût âcre de la répression.

Alors avant tout cela j'ai voulu une dernière fois aller caresser la roche, y accrocher des écailles de peau et en ramener la poussière grise sur mes paumes, j'ai voulu voir les buissons incandescents accrochés aux murs gris sur un fond de ciel bleu, j'ai voulu grimper au soleil et m'agripper aux minces prises calcaires, loger mes doigts dans les fentes de la roche et tirer sur mes muscles, je voulais "inventer" dans cette paroi un chemin en diagonale que je brigue depuis longtemps. Pas si simple...Une Diagonale faite de zigzags montant doucement en oblique vers les crêtes. Pari amusant que personne ne me disputera ici.

Un élément de la Diagonale


J'aime grimper aux murs de roche et tâter du regard le trajet que j'ai repéré en bas, le chercher, j'ai un ou autre repère, mais sur la falaise tout se confond. tant pis, de toute façon le coeur n'y est pas. Je vais juste aller repérer. Oh mais j'ai été repérée, quelque chose bouge devant moi, une langue bifide lèche ses babines, une vipère grise se tortille face à moi. Le temps de reculer un peu - la Dame pourrait vouloir bondir - et de dégainer l'appareil photo, elle  s'est glissée sous un solide rocher.


Du coup, je ne sais plus trop où mettre les doigts sur mes murs de pierre. Au petit bonheur la chance...



                                                                                        

Je sais que je dois me glisser derrière une aiguille pour aller chercher ma Diagonale Folle.

                                                                                              
L'aiguille vue d'en bas
L'aiguille vue d'en haut



Mais je n'ai pas vraiment la tête à cela et un grand mur trop lisse, trop vertical, plongeant vers le bas, me sépare de la diagonale à inventer. Je n'ai pas envie de remonter, ni d'aller chercher le bas du mur, je reviendrai, j'ai vu, j'ai mes repères, j'ai mon dessert de roche. Il y a un moment que je me déplace en oblique, ce n'est pas la plus facile des progressions. 

 Toutefois j'ai le silence, le calme, le beau temps, le flamboiement des térébinthes, quelques rapaces qui fendent le ciel, le décor que j'engrange pour les longs jours uniformes, je flâne sur les falaises de ma salle de sport comme d'autres sur les boulevards, je fais mon lèche vitrine devant la transparence de l'air et j'écoute le silence en respirant les parfums de la garrigue froissée par mes pieds.

J'empoigne des rameaux de chêne vert, de buis, de buplèvre ou de genévrier, mes pieds soulèvent des dalles au son clair presque métallique et j'immortalise les dernières images d'un bonheur déjà mélancolique...

Vers le haut

Vers le bas




Dans "mon jardin"



Pistachier térébinthe




Le vigile


J'ai traversé le département du sud au nord, juste pour cela, aller caresser les grises falaises corrosives de ma salle de sport. Je ferme doucement la porte et je jette la clef dans les buissons. 


Le contour de ma salle de sport

Si le virus me prête vie, j'en forgerai une nouvelle.





(Quelque part entre Lesquerde et St Paul de Fenouillet)


mardi 27 octobre 2020

La route engloutie de Nyer - 66


 Nyer, (66) tout petit village d'une centaine d'habitants a trois curiosités en dehors des vestiges miniers et du village en lui même. Un canal que j'ai conté dans l'article précédent, un hameau abandonné nommé En et une route construite au début du 20 eme siècle dans un site impensable, jamais achevée...et pour cause!


80 ans après sa création, la route , ce qu'il en reste

C'est avec cette curiosité là que je veux éveiller celle de mes lecteurs. 

Ses murs, ses éboulis, ses falaises

Au début du 20 eme siècle, soit avant la guerre de 14/18, les habitants de Nyer et ceux de Mantet, deux bouts du monde, proches de quelques kilomètres n'avaient pour tout lien qu'un sentier et 6 h de marche. D'où naquit l'idée fort légitime d'une route.

Nyer et sa position à l'entrée des gorges

Il fut donc décidé de faire cette route. Et le plus court chemin leur sembla être les gorges, au plus près de la rivière Le Mantet. Sauf que ces gorges sont extrêmement tourmentées, escarpées et que le passage était fort improbable. Aujourd'hui encore lorsqu'on regarde les lieux, surtout vus d'en haut, on se dit "Mais quelle idée !!".

Vues des gorges depuis le canal

Un canal avait été percé un demi siècle auparavant, en parallèle de la route,  et sa hauteur le préserva du relief extrêmement ardu dans lequel devait être tranchée la route.

Mais les hommes étaient de bonne volonté, courageux, téméraires et nombreux. Qui étaient ils ? Des villageois travaillant aux périodes creuses ? Des hommes venus d'ailleurs ? Des chômeurs de la mine ?Une partie de la route fut construite et la première guerre mondiale y mit des points de suspension. Je n'ai aucun document montrant  quelle fut cette tranche de travaux ni jusqu'où elle arriva. Mais les moyens du bord limités  et le travail titanesque de percement des falaises, remblaiement et autres murs de soutènement furent sans doute très longs. 


Début de la route, murs façon début 20 eme siècle

Hauteur du mur et canyon en bas


Plus tard, le chantier fut repris, épaulé par des Annamites, peuple asiatique qui faisait partie d'une possession française, la Cochinchine et d'un Protectorat, le Tonkin. Les travailleurs annamites qui avaient aussi participé à la première Guerre Mondiale étaient une main d'oeuvre nécessaire pour combler les vides laissés par l'hécatombe humaine. Ainsi ils participèrent à cette route.  Il est même un lieu nommé "le saut de l'Annamite" où quelques ouvriers périrent, précipités dans le vide. La route  était riche de superbes murs mais affaiblie par des passages à gué, des falaises gigantesques à la texture fragile, des cascades dévalant par gros temps (aujourd'hui encore par grosses pluies la route est un torrent). La rivière mugit quelques 60 à 80 m plus bas, goulet resserré et tourmenté en virages secs. Trois tunnels furent creusés dans le roc, deux de 80 et 120 m à peine séparés de quelques mètres et un dernier long d'une trentaine de mètres. A peine aperçoit on le canal bien plus haut. 


Mur qui a sans doute été refait dans la 
2eme tranche de travaux

Le plus long des murs


Le site : photo gauche, cascade qui dévale sur la route par fortes pluies


Avec Pierrick et Emilie
Entre les deux tunnels

Entrée du tunnel
Une des ouvertures servait à
 l'évacuation des débris je pense
                                 



Le dernier tunnel 30 m
un peu avant la fin de ma route

Le site est impressionnant, sévère, sauvage, tourmenté et fragile à la fois : effondrements de pans de falaise, éboulements, glissements de terrain, il y a même un passage sur le vide!


Particulièrement étroit, aucune voiture ne serait passée
Je suppose qu'un pan de falaise s'est effondré


Les promeneurs aiment découvrir cette route.

Vue au zoom depuis le canal


Passage en falaise


L'inverse, depuis ce morceau de route, le canal en haut (cercles rouges) Au zoom




De là on voit le canal (photo ci dessus)


Sortie du dernier tunnel














A flanc de falaise, bien au dessus du torrent

Et pourtant, au bout de 2 km, elle s'arrête net au dessus du vide et de la rivière : un à pic béant de plus de 20 m, alors qu'un mur se trouve sur la rive opposée . C'est l'emplacement d'un pont emporté par la crue démentielle de "l'épisode cévenol" nommé l'Aiguat, en 1940. Tout partit, le pont et le tronçon de route qui le prolongeait en rive gauche.

Terminus de la route, le pont emporté et son assise de l'autre côté, rive gauche


La section de route déjà bâtie, en 1940, recevait déjà le passage d'une voiture, celle de l'ingénieur, ou du chef de chantier, que sais-je, qui allait faire son demi tour plus en amont.

Après cette crue dévastatrice, la route fut abandonnée.

Vu depuis aujourd'hui, c'était folie de faire un chantier si difficile dans ce lieu si difficile. Cela reste un mystère...

Oui, dans un lieu si difficile....


Les gorges, la route devait
passer en fond


Mantet resta loin de Nyer, poursuivit sa vie de village au bout du monde jusqu'en 1964 où une route venue d'ailleurs réussit enfin à le sortir de son isolement.


Un passage en escalier de l'ancien chemin de Mantet, au dessus du canal
Sentier de randonnée à présent

Quant à Nyer, à 3 km seulement de la route D116 qui joint la plaine aux montagnes il ne souffrit jamais d'isolement.

Du moment où j'ai vu cette route, j'ai eu un formidable coup de coeur. Je la parcourus deux fois à deux jours d'intervalle. La première fois, avec des amis, sous le signe de la découverte matinale, vraiment un moment de surprise dans ce site si inhospitalier, quelque peu angoissant, mais très captivant.

Déception de ne pas aller jusqu'au point final.

Deux jours plus tard, à la tombée du jour, je refis seule le chemin, le soir tombant créant une atmosphère bien particulière. Le lendemain, découvrant le site depuis les hauteurs je me posai bien des questions dont l'essentielle : mais pourquoi Diable construire dans ce canyon ?

Vu d'en haut c'est superbe, vu d'en bas c'est sinistre.

Au plus profond de la gorge coule le Mantet 
et passe un embryon de route

Alors je décidai d'en savoir plus et de franchir le vide pour aller voir la route sur l'autre rive : le maire du village m'avait dit "il n'y a pas grand chose, la route a été emportée il reste juste une entaille dans la falaise". Il m'affirma qu'on pouvait descendre par une sorte de cheminée, sans corde, et je me voyais déjà suivant la rivière à la recherche de ce terminus où faisait son demi tour cette voiture des années 40.

Alors en ce samedi 24 octobre, ensoleillé à souhait, de ce soleil de la mi journée qui irradie les arbres incandescents et dissipe l'angoisse, je partis, sac au dos, nantie de cordes, d'une bonne lampe et d'un équipement de "baignade". Je démarrai du parking de La Roca, à noter qu'on emprunte l'ancienne route pour y parvenir. Le trajet n'ayant (presque) plus de secrets pour moi, je fus vite au terminus.

L'ancienne route revue et corrigée
jusqu'à la Roca


Superbe site de la Roca 11 eme S
gardant l'entrée des gorges

Je me penchai sur le vide béant, un peu angoissée à l'idée de descendre et remonter cette rivière, mais c'est la meilleure saison, trop d'eau en début d'été à cause de la fonte des neiges sur tous les torrents qui l'alimentent. Maintenant ou jamais. On ne descend pas par ce terminus quasi en surplomb, l'accès se fait un peu plus bas et je le précise de suite, ne s'adresse qu'à des personnes "expérimentées".

L'autre côté, attirant

Descente à la corde
J'avais déjà descendu à la corde en double une partie pour récupérer ma lampe envolée lors de la sortie entre amis. Je savais donc ce qui m'attendait. Cette fois il me fallait mettre ma corde de 17 m "en simple", attachée à un arbre et descendre. La corde, en fait ne m'aide qu'au départ, ensuite les prises sont suffisantes et équilibrées pour mains et pieds et permettent de remonter sans aide de la corde. Le dernier mur qui conduit à la berge est plus court mais plus difficile, je ne l'imaginais pas. J'avais quand même prévu de laisser ma corde pour le retour espérant qu'un plaisantin ne l'embarque pas ! Mais c'est si désert....Donc la corde n'arrivant pas en bas, je la prolongeai - au cas où- d'un petit morceau, pour le retour. Espérant que mes noeuds non réglementaires tiendraient. Explorer cette vieille route engloutie est compliqué....
On y va ? C'est parti !



Me voici en bas, j'adopte la tenue "marine" shorts et sandales car il me faut déjà traverser. L'eau n'est pas glacée mais les rochers très glissants ; ainsi, louvoyant d'une rive à l'autre je vais remonter la rivière sur 150 m, le plus possible au sec. J'ai une autre corde au cas où, de l'autre côté...pour la descente .


En tenue façon aquatique


Au ras de l'eau c'est sinistre!




Se trouver au fond de cette gorge, avec ces immenses falaises de part et d'autre, dans l'ombre humide et froide, avec ce courant tonitruant, n'a rien de plaisant. Par contre, la remontée sur la route est facile, par un talus incliné, moins haut, herbacé et glissant mais ça y est !


La remontée par le talus

Mur de soutènement de la route


Sur la route





Là d'où je viens 



Là où je vais

Là où tout s'arrête, 150 m à peine



Dernier vestige...



 De ce côté , la route est un ruban où ont poussé les arbres, ruban couvert de pelouse et sympathique à souhait. Je le suis un moment, juste une centaine de mètres, le soleil est au rendez vous, la rivière se rapproche et soudain...le vide : la route, son mur et même la falaise ont été emportés par la crue. Cassure brutale, d'où émergent des barres de fer, qui demeurent, fichées dans la roche, les seules traces du travail humain.

Là s'arrête mon voyage dans le passé.

Descendre serait possible, à la corde, mais le torrent est si étroit, furieux et profond que la remontée se ferait en maillot de bain. Une cordelette fixée à la paroi d'en face, lisse et verticale, raconte que d'autres curieux sont venus. Et ont continué. Donc je continuerai...un jour...mais reste t'il des vestiges ? 


Le torrent est si étroit... et profond
Mais si beau...

La route ici est si près de l'eau qu'il est imaginable sans peine les dégâts de la crue séculaire.

En dehors de ce que je vois soit presque rien, je me demande comment le bon sens fut aussi absent... Alors que des centaines de mètres plus haut, un canal alors vieux déjà de 90 ans remontait tranquillement bien à l'abri jusque presque à Mantet.


La piste du canal, un peu plus haut

S'ils avaient choisi ce tracé...



Le canal, 300m au dessus de la route

Le canal, fait en 1854

Mais quelle idée impensable, quel gâchis,  de faire cette route au plus près de l'eau, dans ce goulet tourmenté que seuls les canyonneurs peuvent connaitre...et le canyoning y est interdit...Je n'aurai jamais la réponse....

Je reviens sur mes pas, déçue et bredouille, en profitant pour savourer le paysage austère à l'envi, sinistre et captivant à la fois.


Je perds l'équilibre : c'est le moment !!


Je salue au passage un vestige du pont

Re séance "balnéaire", je quitte la plage, me rhabille et me chausse et là...le départ de la remontée à la corde est plus compliqué que prévu, heureusement j'ai prolongé ma corde et elle est toujours en place!  Le petit mur lisse de la rive finit par me livrer ses prises secrètes cachées sous des ronces, le reste sera un jeu d'enfant et ma curiosité enfin satisfaite, je reviens sans encombre d'une des originales "expéditions " de ma "vie de globe trotteuse"!


                                                                                 
Ensuite l'arrivée sur la route

Le chemin à l'envers
17.50 m de mur

 

Et le retour dans un flamboiement de lumière



En chiffres : 
Altitude départ 880 m
Altitude terminus 1018 m
Distance AR 5.5 km