mardi 29 décembre 2020

La Serre de Maury (66)

Un jour lointain d’octobre 2016, où la vie était encore insouciante et légère, je parcourus la Serre de Mauri, 22OO m d’altitude, en ce secteur surnommé « la petite Sibérie », c’est tout dire ; je la redécouvrais, sous des auspices plus cléments que la première fois et décidai d’en faire un article de blog. Je découvris alors qu’une montagnette proche de chez moi était presque une homonyme, « la Serre de Maury ». Le y faisait toute la différence : une longue colline calcaire, entre 400 et 900 mètres d’altitude, longue crête et long plateau calcaire, boisé, tout l’inverse, quoi….Dont la proximité de la mer adoucissait le climat.

Début de la Serre ; direct sur l'arête

En fond la Serre de Maury dans son ensemble
 (27 décembre)
Je n’eus plus qu’une envie, aller y frotter mes semelles. Une première tentative entre amis fut ajournée pour cause de vent violent –oui ici le fléau est la Tramontane- et en ce premier jour d’hiver 2020, nous y voilà. Les mêmes amis et moi.

Nous avons dormi sur place (440 M) dans nos vans, au pied de la forteresse de Quéribus, belle chandelle dans la nuit ouatée de brume. Au matin nous sommes à pied d’œuvre, sacs légers, un peu de corde au cas où , le petit sac pour le chien, au cas où, et une frontale embarquée par intuition au dernier moment…Au ca où…

Décor depuis mon lit

Bivouac au col

8 h 07, on démarre, le ciel est lumineux, suite à des journées grises à dépérir.


Le petit chien blanc, une superbe Roxanne piaffe d’impatience et je crois que nous aussi. Nous ? Les heureux parents Claude et Josy,  et moi.

Coincé entre un second confinement et un inéluctable 3 eme qui se profile, ce jour sera le nôtre. La brume qui a rôdé toute la nuit s’est retirée et plane sur la plaine, entre vignes et lever de soleil somptueux sur la mer. On ne se lasse pas, cela adoucit la raide montée qui nous fait gravir plus de 200 m en terres calcaires et végétation mouillée.




Au loin, Quéribus, au centre notre bivouac

Le moutonnement de la brume recouvre les vignes

Les collines de la vallée du Maury


On arrive ainsi à l’arête 693 m: la surprise sera de taille ; paysage superbe, couleurs et lumière, décor mariant mer et montagne, mais aussi humidité parfaite, roches glissantes à souhait, Prudence s’invite au voyage sans demander notre avis.


Glissant et escarpé

Naïvement on imaginait un plateau ourlé d’une crête et un sentier bien tracé à plat sur le plateau car on sait la balade longue. Mais il n’en est rien, le sentier, c’est l’arête qui court à cheval entre Aude et Pyrénées Orientales, donc escalade, désescalade, évitements, bref tout au plus près ou sur la roche. La couleur est annoncée : la pierre blanche est sèche, la grise, omniprésente, est  mouillée et glissante comme savon. Quand elle brille, elle ruisselle 



Alors commence une sorte de gymkhana aérien, bâtons dans le sac, mains en appui et attention de tous les instants, nous sommes loin de nos vingt ans !


On tire, on pousse, on porte le chien qui est docile


Les lieux ont des noms pas toujours esthétiques : Roque de Pourcatière (de porc) ou Serre de Cabrounne( de chèvre), ça parle !

Le petit chien est apeuré, ses maîtres ont besoin de leurs deux mains. Le terrain est familier pour moi, je prends donc Roxane sous le bras, tantôt l’un, tantôt l’autre selon les prises et la boule de poils blancs me fait une absolue confiance, trimballée comme un paquet. Même lors des glissades qui vont meurtrir mon arrière train ! Toujours aux aguets de ses parents quand même, on fait finalement un quatuor bien accordé.

Peu à peu au cours de la progression elle se familiarisera avec la roche et après le repas de midi, elle grimpera et désescaladera seule à de rares exceptions près. Une petite technique toute en douceur de « pousse cucu » et encouragements oraux aura raison de ses réticences. Je réalise qu’en 70 ans de vie, je n’ai jamais tenu dans mes bras un chien aussi longtemps…Aïe si mes chats savaient ça.

Si mes chats savaient....


Le parcours est aérien, lent, magnifique et prudent, pas toujours bien lisible, et surtout pas fréquenté : on rencontrera deux jeunes randonneurs, surprise réciproque !

Tels des Sioux, deux inconnus


Très sympathiques ces randonneurs

Le temps est clément, sans vent, ensoleillé et on oscille entre face nord et face sud, ce qui nous fait de beaux cadeaux : Quéribus, Peyreperthuse, les forteresses cathares, Cucugnan et son moulin (pas celui de Daudet), Duilhac, Maury, St Paul, le Canigou, les Albères, la mer, et tout ce qui vit à nos pieds.


Mon arête de prédilection que je continue à explorer


Et l'inverse, 5 jours plus tard


Pic de Soularac Ariège



Cucugnan Aude


Nous, nous sommes un trio d’amis qui s’amusent malgré l’âge et qui oublient les vicissitudes de la vie : un excellent moment de partage et de convivialité.

Le temps passe et je commence à pressentir un retour à la frontale. Mes amis font fi de mes élucubrations et je n’insiste pas, plus tard ils m’avoueront n’y avoir jamais cru.

Quelques moments du parcours : 

La vallée du Maury




Draperies calcaires



C'est la jungle entremêlée avec la roche


Une arche !!


Je n'ose pas avancer
ça aurait tenu je pense

Devant l'arche














On a pris place au restaurant, le nôtre, celui d’altitude, le plus somptueux du monde, bien sûr, ne soyons pas chauvins ! Roc Courbas, 893 m.


Repas face au Canigou

Massif du Canigou

Le Pic du Canigou 

Les Pics Péric


Il paraît que l’arête va s’arrêter mais …où ? Ici dit on …Pas sûr.

Bon tout le monde s’y amuse, donc pas de souci. De temps en temps je m’offre une escapade en grimpant un mur, Roxanne ne m’y suit pas.  Les à pics sont somptueux et les lointains prestigieux, finalement à deux pas de chez soi, on est au bout du monde, celui qu’on a dans la tête.


Mes leçons de grimpe
ont porté leurs fruits

Je grimpe par moments

J'aimerais grimper cela , à la corde


On arrive à une croisée de sentiers, celui qu’il serait raisonnable de prendre, vers « la piste » car le jour est court n’est ce pas ? mais mes comparses ont envie de faire la longue boucle et… « j’ai la frontale » leur répétai-je pour la ennième fois. Après  tout soyons fous …dans ce monde encore plus fou que nous. Moi aussi j’ai envie de continuer.

Et nous voilà partis, en forêt cette fois, un magnifique parcours dans les buis qui peinent à retrouver du feuillage et les chênes verts élégants.

Dévorés par la pyrale du buis depuis 2008



L’arête diminue et meurt doucement vers la Quille, 964 m, le point culminant. Tout en bas minuscule et sinueuse, la piste de notre retour, si loin….

Château de Quéribus


Château de Peyreperthuse



Et notre château à nous : du ROC
A partir de la Quille où toute signalisation s’est perdue, on devine le parcours et on trouve un cairn dans la jungle qui a remplacé la roche et les sous bois . Le cairn débute un sentier bien marqué qui nous mène bon train vers la sortie et la descente.

Château de Peyreperthuse agrippé à la falaise 
Village de Duilhac

Qui s'accroche à qui ? Le jour à la nuit qui se profile

Cette fois c'est la savane qui a avalé le sentier
celui qui nous mène vers la descente

Secteur du Pas de l'Ayrettes (910 m)

On est bien sur le bon chemin ?

Roxane est rassurée!




Le soleil décline impitoyablement et nous, on force la marche ! 
On l’aura vu se lever, on le verra se coucher !

Peyreperthuse


Pourtant en ce décembre, premier jour d’hiver, je suis bras nus ! Josy aussi.

On aborde la descente dans un magnifique sentier qui met nos vans encore plus loin, toutefois la piste ne sera plus qu’un vase boulevard…de nuit ? Oh que oui !


Dernier visage de montagne, le Bugarach
Dirait on l'hiver ?


On arrive au terminus du sentier, le croisement de pistes fait figure de place de l’Etoile après ce parcours accidenté. S’il n’y a pas d’Arc de Triomphe, il y a les feux du couchant et le triomphe d’avoir mené à bien cette jolie balade.


Col de Lappès, 601 m: nous sommes au km 9.30, il en reste 9.41
Heureusement on l'ignore

 Nous avons parcouru près de 10 km, mes amis pensent qu’il en reste 4 et moi 7 . Pessimiste ? Oh que non…D’ailleurs, on marche longtemps sur une piste qui s’assombrit, les flaques luisent, aux aguets, la lune insolente et moqueuse s’y réfléchit, en jouant entre arbres et falaises.




Mais ce n’est pas fini, tant s’en faut, Roxanne a mal à une patte et Josy l’a embarquée dans le sac de transport. La demoiselle est rétive, pensez donc elle est devenue grimpeuse !

Roxanne a changé de chauffeur

Elle gigote, râle en silence, passe de chauffeur en chauffeur, sur le ventre, sur le dos, et la nuit tombe, les kilomètres s’ajoutent

Alors cette frontale , on l’allume ? Et oui, sa lueur vive illumine le parcours et on fera bon nombre de km, croisant les doigts pour que sa pile soit assez chargée (c’est sa 1ere sortie) ; vaillante elle nous évitera le bain de pieds, l’usure du regard et la marche hésitante. On file bon train d’autant que Roxanne a abdiqué et on la remet au sol où elle trotte allègrement sur ses quatre pattes.


La frontale allume les perles de rosée sur 
tous les végétaux, c'est féérique

On arrive enfin au parking, il est près de 19 heures, une brume épaisse colle aux basques, on a parcouru plus de 9 km de piste, puis un petit tronçon de route dangereuse, et au bout de 2 h 19,  on s’écroule presque à l’arrivée où nos deux vans ont fait des petits : ils sont cinq à présent. Un coup de téléphone bienvenu quoique agacé signale à ces irresponsables que nous sommes, qu’il fait nuit, que c’est de la folie de se balader dans la nuit et que, enfin ! il y a le couvre feu ! Euh….on l’avait oublié celui-ci, trop tard pour rentrer à la maison et bien on dormira encore sous les feux de la rampe de Quéribus !

Quéribus va veiller sur nous


Mais en attendant, on s’offre un somptueux repas : c’est presque Noël non ? et on l’a bien mérité….

Photos : Josy,  Claude et moi

En chiffres
Distance totale : 18.71 km dont 9.30 de sentiers et arêtes et 9.41 de piste
Temps de marche 6 h 57
Dénivelé total cumulé : environ 700 m


Profil du trajet et tracé GPS