Quand, à brûle pourpoint, Ludo m'a proposé les 3023 m du Pic de Lustou, très loin de chez moi, j'ai tout balayé d'un coup : les vendanges, les fatigues passées, l'inappétence pour un 3000 cette année, jusque au moindre état d'âme. J'ai dit oui, préparé mes affaires, sauté dans le kangoo et avalé les 375 km de route sans barguigner. Malgré le temps maussade. C'est l'art du lâcher prise.
Il pleut sur le parking de Riumajou, 20 km de Saint Lary Soulan dont les charmes ne sont déjà plus qu'un souvenir dans la vallée.
Ludo me rejoint pour une soirée comme on sait les faire : sous la bâche bricolée en auvent, devant un apéro et un repas, ponctués de nos bavardages.
Extinction des feux de bonne heure, averses cinglantes dans la nuit, je suis prête à partir même dans la tourmente : c'est à la mesure de ma "saturation" d'en bas, là bas.
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4 h 15 : départ à la frontale , le terrain nous est inconnu, on a un topo et la trace GPS.
On a aussi le sens de l'orientation bien affûté, en vieux briscards. Marcher dans la nuit me plait. Le monde est rétréci, les bruits et les odeurs sont seules présentes. Cela pue le poisson séché ou pourrissant, on finira par croiser une exploitation forestière endormie, des mélèzes. Surprenante odeur!
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Photo prise au retour |
On marche en forêt près de la rivière, troncs énormes et regard sur les cairns. Car dans le noir c'est un peu "perdifère".
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Photo au retour |
La montée est sévère, je suis un peu frustrée de ne rien voir et en même temps enchantée de la noire balade
Tout est faussé dans le noir : la perception de la pente, le bruit de la rivière, même la présence de la cascade.
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A la cabane |
L'an passé, en nocturne avec Didier, je connaissais les lieux, là je découvre. Je souffle, je trouve la montée très sévère, les doutes m'assaillent, mais à tout moment je peux lâcher et laisser Ludo continuer. Lui, très attentif est un compagnon qui fait comme toujours dérivation pour me faire oublier la difficulté. On va à mon rythme qui, finalement, vu mon âge est satisfaisant, j'en serai surprise au lever du jour.
Lorsque le paysage se dévoile enfin, on a grimpé un vaste entonnoir sans fond, pendant 1000 m réguliers comme un métronome, quasi à jeun (2 fruits secs) et je suis au bord de la panne sèche lorsqu'enfin on casse une petite croûte, il est un peu plus de 7 h, on a parcouru 1100 m D+ et 5.4 km de pente raide.
Mais quelle terrasse sans pass ! Le Lustou, face à nous, dresse une muraille crénelée et noire, au dessus d'éboulis colorés; une monumentale brèche scinde l'arête et un vertigineux couloir, comme le nerf d'une molaire, m'appelle de toute sa verticalité.
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Terrasse (très) ombragée |
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Le Lustou enfin visible (gauche de la brèche) |
A notre droite, sous une chevelure de nuages sont les Pics de la Niscoude et de Bathoua (3034 m),
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Niscoude et Nathoua en bonnet de nuit |
à gauche la crête de Lustou et ses barres rocheuses tranchées par le Col de Lustou.
Dans notre dos, un lever de soleil rouge sur les sommets, on n'est jamais blasé devant cela.
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Quand je vois la pente et que je réalise qu'on vient de tout au fond...c'est vertigineux! |
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Mais là c'est franchement grandiose |
Pour nous c'est droit devant, de cairn en cairn, dans un pierrier coloré de pierres plates et instables, escarpé comme il se doit, glissant juste à point, jusqu'au couloir de la muraille, passage obligé où va fondre comme par magie tout mon essoufflement.
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Le couloir qui me plait : le pic est en haut à gauche très pointu Mais ce ne sera pas le couloir emprunté |
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Contemplation |
A tous les deux, cela évoque la façade du Besiberri nord, même si la roche est très différente et le pierrier, donc, aussi.
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Evaluation |
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A grands pas |
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A petits pas |
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En haut là haut |
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Progression |
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A l'orée du couloir |
Dans le couloir, je suis dans mon élément, après 1500 m de dénivelé.
J'ôte mes gants pour empoigner la roche glacée, le plat de résistance est terminé je peux attaquer fromage et dessert !
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Oh comme ça lui ressemble...mais c'est Ludo ! |
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On se tient aux meubles du couloir |
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Les meubles |
2900 m, nous sommes sur l'arête, face à nous c'est une chevelure blond pâle qui ondule, la brume épaisse et aérienne à la fois masque tout le paysage; comme à Troumouse voilà 3 ans on va marcher sur une arête partageant le monde en deux : à droite le grand vide et les Pyrénées à perte de vue, à gauche un mur de coton contre lequel on pourrait (presque) s'appuyer. Je ne sais pas encore que je ne verrai jamais RIEN de ce côté. J'aurai juste un demi visage de la montagne et nous allons évoluer sur le fil de cette arête comme sur le nez d'un visage .
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L'arête vue d'en bas, de la dentelle |
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Arrivée sur l'arête 2901 m : que c'est beau ! |
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Punta Fulsa 2866 m
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Le cirque d'où l'on vient |
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Et sa lampe allumée |
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L'arête menant au pic |
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L'arête et sa dentelle |
Quelle arête! Somptueuse, aérienne, dentelée, escarpée, exposée et douce à la fois car les prises y sont multiples et solides. Style millefeuille, style marches d'escaliers, un semblant de Serre Mourene et de Ximeneias (66). Je suis "chez moi", je n'aime rien autant que cela. Sans hésitation, avec aisance, je suis légère, je vole, je danse, le sommet est presque trop vite arrivé. Les 300 m de vide sont aussi confortables que s'ils n'existaient pas. Je plains les personnes que le vertige prive à jamais de ce délice.
Vue d'en haut la muraille tient ses promesses : sombre et verticale, parcourue par des vautours à la recherche des courants. Ou du repas ?
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Figures de style |
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Entre ciel et brume |
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Grandiose |
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Non il ne faisait pas chaud !! |
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Grimper allègrement |
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Caresser la brume |
La face sud demeure irrémédiablement voilée, mais vue d'en bas, c'est une grande face verticale : c'est ainsi que la découvrira Ludo une semaine après
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Le voici en majesté dans toute sa face sud, tel que j'irai le voir un jour Photo Ludo 2 octobre 2021 |
Pic de Lustou : 3023 m, un grand cairn, un paysage grandiose dans les lointains nord et ouest, de la ouate blanche côté sud, je suis heureuse d'être là, conduite par Ludo sur ce premier 3000 que nous partageons ensemble, je crois que sa joie égale la mienne. Sera ce le dernier pour moi ? C'est possible...Tout le chemin parcouru depuis la nuit s'évase en plongeant à nos pieds.
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Sommet : 3023 m |
Nous suivons, pour le fun, l'arête effilée jusqu'à la grande brèche qui se franchit par évitement sur la face nord. Le grand couloir vu du haut semble facile mais il est suivi d'un mur rocheux qui gardera son mystère.
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L'arête en direction du Batoua
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L'arête en direction de Batoua (3032 m) |
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le grand couloir |
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Sur l'arête |
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Méditation |
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Elle se grimpe aisément |
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Et puis ça ne passe plus Contournement obligé |
Retour au sommet...
Les nuages enveloppent les lointains, masquant les sommets mais embellissant le panorama.
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Comme "una caldera" |
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En parallèles |
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En dentelles |
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En flocons |
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A l'horizon |
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En ligne de crête |
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En vagues |
Nous redescendons l'arête, seul chemin possible, oscillant entre fil et évitement pour gagner du temps.
Ludo a un projet, un pic supplémentaire, je vais le laisser partir. Nous cheminons en direction du col de Lustou, franchissant une sorte de grande construction dont je me plais à dire que c'est le bâtiment d'une ancienne mine d'or puisque la roche scintille de mille paillettes dorées.
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Un drôle de bâtiment... |
Ensuite Ludo se fond dans les lointains, il monte l'arête du Pic de Bocou,(2714 m), je descends au col, sachant que sur ma gauche il y a une longue barre rocheuse, avant que de piquer pleine pente, on s'est donnés rendez vous "à la pique en fer".
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Zoom dans la montée |
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Zoom au sommet |
Ma descente est prudente, deux belles chutes quand même, je suis sa montée au pic, je le vois au sommet, puis je louvoie entre barres, gispet et éboulis à la rencontre du sentier du matin. La descente donne la mesure de la montée!
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Vallée et lac de Lustou |
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Descente en pierrier |
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Vers l'aval...toute ! Une idée de la pente |
La pique de fer : un piquet métallique en forme de piolet nous voit arriver en même temps, c'est étonnamment orchestré ! Sur une grande dalle c'est restaurant à volonté. Enfin nos routes vont se séparer, Ludo a de la route, moi pas, je dors sur place. Je vois sa haute silhouette diminuer puis disparaître et en moins de temps que prévu je savoure une descente escarpée, les paysages masqués du matin, impressionnants de déclivité et de beauté, la grande cascade, la magnifique cabane, l'immense avalanche sur le tracé de laquelle la vie reprend ses droits.
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En route vers le fond de la vallée : 900m de dénivelé négatif |
La solitude de ce grand désert pentu, le silence des pelouses et des forêts, la fatigue saine et heureuse, les nuages qui dansent là haut, les fleurs d'automne, le chant de l'eau, le bruit de mes pas, la plénitude heureuse de cette journée impromptue, tout m'accompagne jusqu'à la "civilisation", celle ordinaire d'un parking de montagne en un dimanche après midi ensoleillé et tiède encore.
En images ce que la nuit avait masqué:
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Le site de la cabane de Lustou |
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La cabane pastorale (fermée) |
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Cascade de la Piarre
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Vallon très avalancheux (vieilles avalanches) |
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Du haut en bas : accumulation de troncs et ruisseau obstrué |
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La repousse naturelle de chaque arbre cassé |
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Magnifique paysage dans les yeux |
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Limite de la forêt |
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Au zoom la cascade de Batoua |
J'irai chercher la longue nuit réparatrice encore plus en amont, tout au bout d'une piste en un lieu nommé "Hospices de Rioumajou" chemin de pèlerins de Compostelle, d'exilés de la Retirada, de soldats, de bandits, de douaniers, de bergers et troupeaux, ces chemins d' Histoire dont la montagne bruisse encore sous les pas des randonneurs qui savent les lire et les entendre. Un jour, je reviendrai...