Voilà un chemin que je ne connais pas, que j'ai frôlé mais jamais emprunté. Le seul nom est doublement inspirant. C'est un trajet qui part du Col de la Cirera, au dessus de Batère et mène jusqu'au Ras de Prat Cabrera, épousant les courbes et les anfractuosités de cette montagne qui a accompagné mon regard les milliers de jours dont a été faite ma vie.
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Massif du Canigou : Puig Sec 2665 m |
Ludo qui l'a parcouru très récemment a été fort inspirant dans mon choix.
Je ne me comparerai pas à lui : son immense périple, de part et d'autre de ce parcours allant d'une abbaye à une autre a de quoi laisser pantois. Dans le domaine des chiffres que j'aime tant à manier, je reste très loin sur le bas côté. Il n'est qu'un chiffre où je le bats largement, hélas, c'est l'âge !
Quand on se réveille un petit matin au milieu de nulle part, 1300 m au dessus de son village, avec pour horizon cela et pour cadeau un lever de soleil avant l'heure légale d'en bas, on ne peut qu'allumer le booster. Tant pis si on aurait pu partir bien plus tôt en rando.
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Belvédère Hôtel Canigou |
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Il Jaillit des flots |
4 km de belle piste et 31 cassis plus loin, me voilà au point de départ, le Col de la Descarga, 1396 m.
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La Tour à signaux de Batère |
Je piaffe d'impatience, ça tombe bien, j'ai envie de km aujourd'hui.
La montée au Col de la Cirera, avec dans mon dos Batère, la mer, l'Espagne et sa mer, et tout un moutonnement de vallées et collines me permet de me mettre dans le bain, j'en prends plein les yeux. Les oiseaux font un concert et le ciel n'est que sérénité. De bons augures que même un vol de noirs oiseaux n'entachera pas.
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La tour en contrejour sur fond de plaine et de mer |
Col de la Cirera, ici commence ma terra incognita.
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Au col, tapis fleuri |
Il fait chaud, une petite halte allègement de tenue et sommaire en cas s'impose avant d'entrer dans la forêt. C'est une belle forêt de conifères auxquels se mêleront plus tard d'autres essences, mais en guise de balcon, c'est un sacré rideau brise bise et brise vue qui occulte le panorama: la plaine, la mer, juste quelques esquisses à la faveur de la trouée d'un ravin. Pour le paysage, il faudrait gagner le balcon du dernier étage de l'immeuble Canigou !
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Echancrure sur plaine et mer |
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Echancrure de paysage |
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Le Bugarach au fond |
Des nuées de mouches occupées à un solide petit déjeuner s'envolent à grand bruit par intervalles, à mon passage, et reviennent se poser sur leur ragoûtant festin. Des insectes volent en tous sens et les chants d' oiseaux emplissent la forêt. Voilà que très vite le sentier descend, alors que le bruit d'un torrent monte vers moi. Et cela descend, descend, cette descente sans fin laisse augurer un retour corsé et casse pattes. Je ne marche pas avec une grande aisance sur ce sentier d'où émergent des rocs, la prudence désormais, apanage de l'âge, ponctue mes pas.
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Ruisseau |
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Le même : une saignée |
Un véritable ralentisseur ce genre de sentier. Sinon, au vu de ma forme, j'avalerais la distance. Le grondement du ruisseau s'amplifie, il n'est pas épais mais sa pente est si forte qu'elle engendre la puissance. Tous ceux que je croiserai désormais seront ainsi. C'est le Correc de Pel de Ca, (1678 m) suivi de celui de Gallinasse, (1601 m), je suis en contrebas de ces pics que j'ai bien visités.
Les échancrures de forêt révèlent des vallées, des collines boisées et vallonnées, la plaine, la mer, c'est beau. Les premiers rhododendrons lancent leur couleur fuschia, c'est la couleur de l'été.
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Les premiers rhodo |
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Couleur de l'été |
La pente s'arrête enfin, j'ai perdu tout le dénivelé acquis. Une grande hêtraie annonce au loin une clairière et des murets se devinent dans la pente, j'y suppose d'anciennes charbonnières.
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Murets dans la forêt |
Le chemin révèle un passage encore pavé, signe d'ancienne activité muletière : transport du bois ou du charbon sans doute, pas celui du minerai c'est sûr. Quoique, dans les temps anciens, avant la mécanisation...Il faut essayer de faire parler la montagne, c'est parfois malaisé. Un sentier conduit au site minier de la Pinouse, il pourrait permettre une boucle pour une autre rando.
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Sentier muletier pavé |
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Grand site minier (fer) |
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La forêt d'ici |
Une clairière se profile, j'arrive à la maison forestière de l'Estagnol, (1479 m), flanquée d'une source capricieuse qui, je le verrai plus tard, est alimentée par un tuyau venu de très haut. J'ai parcouru près de 6 km d'un bon pas, le temps est superbe, l'air saturé de parfums, ceux des genêts et des conifères. Une petite pause carburant, et c'est reparti, en forêt évidemment, et en montée. Une jolie montée en lacets, bien équilibrée, c'est l'apanage des sentiers muletiers.
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Refuge de l' Estagnol |
Dans ce secteur, beaucoup d'arbres ont été décimés par de vieilles tempêtes et les autres ruissellent de chevelures d'usnée barbue, ce lichen souverain dans le traitement de fond des sinusites. Le sentier qui finit sa jolie grimpette va désormais respecter assez fidèlement la courbe de niveau, entre 1655 et 1715 m. J'aurai donc tout loisir d'empiler les km.
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Détail : l'usnée barbue |
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Belle forêt |
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Ce que je vois aussi depuis chez moi |
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et végétale |
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Construction humaine |
Le ravin de Font Negra (1655 m, 7.56 km) est une saignée étroite et encaissée dans la montagne, encombrée de troncs, témoins de crues, voire de glissements de terrain ou avalanches. L'eau se précipite en grondant vers le bas, tous ces cours d'eau vont donner naissance à La Lentilla, affluent de la Têt, ce secteur est un véritable réservoir et un réceptacle, un calice d'eaux .
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Ravin de Font Negra |
La traversée est facile et j'observe avec attention ces marches qui semblent vraiment avoir été taillées pour le passage des hommes ou des animaux.
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Des marches taillées ? |
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Soleil d'or des anémones |
Les passages à gué témoignent aussi d'aménagements conséquents et solides.
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Un des passages de ruisseau |
L'air est suffocant du parfum douceâtre des genêts purgatifs, jusqu'à l'ivresse.
J'ai la sensation, en marchant, de suivre le moindre feston de cette montagne que je ne regarderai plus jamais de la même manière car à présent, je saurai. Je saurai ses tours et détours, ses ravins écumants, ses couloirs de troncs enchevêtrés, je saurai ses forêts et ses murets, ses fleurs et ses parfums, j'ai l'impression de m'appliquer à suivre une belle écriture en pleins et déliés, à la plume et encre violette.
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Aménagement conséquent |
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Ouverture, la mer tout au fond |
A l'approche de l'abri du Pinatell, la civilisation me rejoint. J'ai croisé un jeune homme disert, une femme hautaine, un homme rogue au chien aimable; voilà un déjeuner de copains devant l'abri, je passe mon chemin.
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Pinateill |
La forêt est toujours aussi dense mais elle ouvre sur de nouvelles perspectives, des pierriers à répétition et les premiers névés des environs du Puig Sec qui est mon décor en majesté depuis en bas. Le Pic du Canigou n'est pas visible et ne le sera pas. Le paysage qui s'ouvre, vert et jaune, strié de coups de pinceau blancs est attirant.
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Enfin ça s'ouvre! |
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Le lait du névé |
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Champs d'or |
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Les couloirs du Puig Sec
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Plan large |
Je me hâte d'arriver à la belle clairière de Clot de Baix, ouverte sur le Puig Sec, la crête du Roc Nègre, celle du Barbet, ce grand cirque majestueux que je contemple depuis mon enfance. C'est vraiment un instant de grâce, tant de beauté, une mer jaune et rouge, teintée du gris des éboulis, du vert tendre des arbres, l' APN ne sait plus où donner du pixel ...
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Tel que je le vois d'en bas (mai 2021) |
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Vue générale du Paradis. Le Puig Sec, 1000 m plus haut |
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Couleurs catalanes |
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Symphonie de verts |
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Clot de Baix 1657 m |
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Asphodèle : propriétés multiples et plante comestible |
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Vert printemps |
Je ferais presque mon terminus ici, allongée au soleil mais Ludo m'a dit "va jusqu'à la Carnisseria". La boucherie ! Drôle de nom pour un endroit idyllique; de quelle boucherie parle t'on, de troupeaux et bergers décimés par loups ou ours ? Avalanche meurtrière des temps lointains ? Entre réalité, imaginaire ou légendes, ce mot donne le frisson.
La réalité aussi : un ravin profond, puissant, enchevêtré au possible, grondant et cascadant n'invite guère à la traversée. Ses eaux nées du Barbet peuvent sembler meurtrières ! Pour le pied sec, je remonte le cours et escalade troncs et branches, ce sera le seul tronçon acrobatique du parcours.
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Correc del prat del Prior |
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Traversée en amont |
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Vers l'aval, bouillonnant |
Le ravin suivant est bien plus paisible et me voici à 11 km de mon départ, ce qui signifiera 22 au retour. Mais pas question de m'arrêter. Je longe la partie la plus jolie du parcours, le sentier est tracé dans une mer de genêts, totalement hors forêt, la géologie a changé, le schiste a invité les asphodèles à sa table et c'est une magnificence de hampes florales. Où se délectent insectes et papillons. Jusqu'au ciel, en haut du Barbet, c'est une mer jaune d'or; à ma droite la vallée plonge vers ces cours d'eau qui se rejoignent comme des rayons, une cascade impressionnante et presque invisible raye la forêt dans sa gorge étroite, c'est fascinant. Ce serait celle du Correc de la Feda qui se descendrait -mais oui - en rappel!
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Les vallées sont encaissées ici |
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Et le sentier belvédère, magnifique |
Je fais halte sur un perchoir rocheux en bord de chemin, quasi 12 km, 11h 20 et j'ai FAIM !
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Là en bas nait la Lentilla |
Un randonneur me rejoint, aimable et disert celui ci, son parcours est identique à celui du jeune homme de ce matin, ils ont fait un circuit qui rend aimable! Il me conseille de poursuivre un peu mon chemin, ce que je ferai jusqu'au Ras de Prat Cabrera, (1715 m) un parcours étonnant où la main de l'homme a laissé sa griffe : corniche entaillée, traces de barre à mine, sentier construit en surplomb sur le vide, vue imprenable sur la plaine et la mer, le Balcon a perdu son brise vue. Et si je le termine à 13 km (3 h 44 de temps de marche) et bien, les 26 km en vaudront la peine ! Ma plus longue randonnée...et une forme olympique.
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Chemin d'asphodèles |
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Quel délire en plus le parfum sucré est enivrant |
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Détail |
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Surprenante cascade |
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Quel chemin ! |
Prats Cabrera et sa piste désormais interdite. Toutes les pistes menant vers le Canigou sont fermées, le service de Jeeps anéanti et ainsi, avec tristesse, je peux constater que les hauts sommets me sont interdits, à la journée, (en tant que personne âgée). Le chemin et le dénivelé sont trop importants, je ressens cela comme une injustice .
Me voici sur le chemin du retour, il n'y aura pas grande surprise sur ce chemin à l'envers, qui se teinte de jolis nuages enveloppant les sommets, un orage en perspective ? Ou de simples thermiques. Phénomène habituel sur cette montagne haute et exposée aux influences maritimes. Et si les orages y sont redoutables c'est que sous son joli minois se cache un coeur de fer.
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La chevelure de nuages |
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Le Canigou sans nuages c'est rare, l'après midi |
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Mais cela ajoute au charme |
Chemin à l'envers, je marche vite, bien et sans douleur. 18 km et 5 h 05 de temps de marche, ça avale du km, ma machine. Seule la nuque me fait souffrir, pourtant je ne marche pas sur la tête !
J'entre en forêt alors que le soleil joue à cache cache avec les nuages, à nouveau le chant de l'eau emplit le silence, mes pieds butent sur les rocs, prudence, la fatigue est sournoise et tapie à mon insu.
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Gentiane acaule ou de Koch Nombreuses propriétés dont digestives . Comestible. Liqueur apéritive |
Un petit plein d'eau glacée au Pinatell, et déjà s'annonce la grande descente de l'Estagnol qui laisse se profiler la grande montée que je redoute.
L'Estagnol : le randonneur disert est là, surpris de me voir si vite revenue et c'est ainsi que nous accorderons nos pas pour le retour jusqu'à Batère, 6 km de convivialité, de conversations intéressantes, la belle côte en sera ainsi amoindrie, ce sera un joli final pour cette journée magnifique.
Avec des trouvailles à la clé : un surprenant caillou à la tranche verte et lisse que j'arracherai du sentier au couteau, et les scories d'une vraisemblable forge médiévale à bras. Près d'un des sites miniers.
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Le surprenant minéral |
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Retour, mon village est tout en bas, à gauche, invisible d'ici |
Les premiers coups de tonnerre léger, juste un avertissement, et une ondée tout aussi légère signeront l'arrivée au parking où une boisson - plus très fraîche - sera partagée. Merci Guilhem pour ces instants, ces échanges.
En chiffres:
Distance : 25.7 km
Dénivelé cumulé : 850 m
Temps de marche : 7 h 19
La route : 90 km AR
Le blog de Ludo, c'est ici (clic)
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Le trajet (en aller retour) |