Je suis là, haut perchée, j'ai pour voisins deux vautours que le vent léger ébouriffe. Ils font semblant de m'ignorer, du haut de leur arête.
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Tout en haut perchée |
Aucun intérêt, je suis vivante. D'autres tournoient, ailes immobiles, au gré des courants. Je pourrais toucher le ciel et je ne suis qu'à 1000 m. Tout en bas, 500 m en dessous, l' Aude où s'ébattent, dans les éclaboussures, canoës et rafts. Les voitures et motos passent sur la route du dimanche où l'on ne voit rien que les falaises, même pas la rivière en contrebas. Alors ce point minuscule et orange , là haut...qui pourrait seulement l'imaginer ? J'ai l'art de me hisser dans les endroits insolites. Mon environnement est fascinant, avec cette abrupte tranchée du Défilé, canyon sauvage, la rive en face, tout aussi escarpée, encore plus hostile, ses couloirs abrupts et falaises rebutantes. Quoique, sur mon versant...
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Les murailles d'en face (rive droite de l' Aude) |
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Tunnel routier et tunnel ferroviaire |
Dans ces falaises en face est cachée une voie ferrée désaffectée, un immense tunnel percé de rares ouvertures et truffé de galeries qui furent emplies de poudre pour faire sauter la montagne en cas d'attaque ennemie.
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Le tunnel côté Belvianes |
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Dans les gorges |
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Vue prise d'au dessus du Belvédère du Diable |
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Les murailles rive droite |
Donc, face à moi il n'y a personne, enfin j'imagine; autrefois il y en eut. Dans le "couloir de la vache" était un sentier. Il n'y est plus, emporté par des vagues d'éboulis; tout en haut on y exploitait le bois qui descendait par le couloir, au moyen de câbles, ce que ne sut pas faire la vache qui y grimpa et qu'il fallut assommer pour la redescendre, avec 10 hommes qui se relayaient. (source Eric Teulière). On ne voit pas le couloir mais il est dans ce site.
Autour de moi, c'est inextricable, un maquis épais assez ras mais impraticable enchevêtré avec des rocs. L'arête n'est pas carrossable, s'y aventurer serait risqué après ce que j'ai vu. Ce paysage enchanteur cache des gouffres mortels.
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Maquis inextricable et sommet des falaises impraticable... quoique |
Mais comment suis je arrivée ici ?
Encore une histoire de chemins à retrouver. Celui ci se nomme des Courtilles, porté en pointillés sur l' IGN, il finit "nulle part", je comprends pourquoi.
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En rouge le chemin de Courtilles |
Courtilles = jardins clos ou terrain clos.
Je l'ai atteint la veille sans le savoir, dans le sens opposé, je le cherchais un peu ailleurs, en un site si perdu et sinistre que j'ai fait demi tour. Décrochant au fur et à mesure les rubans rouge et blancs que j'accrochais. Là aussi un sentier se perdait. Tout se perd, la raison en est simple. Autrefois, le moindre vallon était cultivé et les vallons ici, ils sont en haut, se finissant par des ravins atroces.
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Un ravin à son arrivée à la route |
De ces vallons aujourd'hui emmurés dans de grands arbres, des murettes témoignent, donc les sentiers allaient aux cultures, c'est tout. Les chasseurs les ont réhabilités et j'ai suivi tous leurs sentiers qui m'ont conduite sur des belvédères époustouflants de beauté et de danger. Je sais faire parler la montagne, eux savent l'entretenir. Nos routes se superposent. Nous ne nous rencontrons jamais.
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Vallon autrefois cultivé (aux Courtilles) |
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La preuve... |
Les belvédères des chasseurs, inaccessibles à un randonneur pas curieux :
celui du "chien ", ainsi le nommai je pour sa tête de chien
Le belvédère de la chèvre car pour y accéder il faut être un peu "chèvre"
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Les murailles du Diable |
Mon demi tour de la veille sur les Courtilles s'est terminé dans un trou cerné de murailles rocheuses et moussues, fantasmagoriques, et dont le fond était grillagé : un gouffre sans fin se perdait. Les eaux, dans ce massif, ruissellent un peu avec la pluie mais surtout s'infiltrent et, entre pluies, pertes et résurgences, finissent parfois en éboulements monstrueux sur la route.
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Le gouffre protégé |
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L'entrée du gouffre, je lance une pierre, son bruit décroit longtemps |
En cherchant, j'avais trouvé une sorte d'aven, une effrayante cuvette profonde, habitée de hêtres démesurés. Des murailles de roches moussues cernaient cette doline, alimentée par une résurgence qui, immédiatement, se perdait dans un orifice que je n'allai pas voir, un peu impressionnée.
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La bouche d'ombre de la résurgence |
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Le petit orifice de la perte de l'eau |
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Des hêtres à toucher le ciel |
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Et à écraser un humain |
Les mots de la montagne, ce sont "murailles, à pics, gouffres, belvédères, vertigineux, effrayant" et j'en passe, une montagne qui culmine à 1000 m et qui a une diversité, un caractère rares.
Le voix de la montagne, ce sont ces mots, et ce sont ces silences intenses qui ont quelque chose de sépulcral.
Aujourd'hui j'ai cherché le chemin en sens inverse. De Quirbajou, je suis montée au Col del Fach et j'ai suivi la signalisation des chasseurs : un sentier à flanc de pente, même s'il ne présentait aucun éboulis, n'offrait aucun doute, au vu de sa morphologie : il menait aux Courtilles.
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Balisage chasseurs comme un carton de loto |
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Parfois un renseignement y est précieux |
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Très bien balisé |
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Morphologie explicite |
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Pour me repérer sous ce fouillis végétal j'utilise la géolocalisation et la vue aérienne de Google Maps |
Même les gens d'ici ignorent ce nom ils le nomment
Nabines. Allez savoir...Une fois ce langage de sourds décodé, ils m'ont mise en garde. Le danger m'a sauté à la figure tout en haut, je pouvais comprendre la présence des vautours : une trou béant comme une chambre ouvre sur un vide absolu de 40 m, surmonté d'une arche sur laquelle on n'a nulle envie de grimper, aussi large soit elle. Un mouvement de recul et d'horreur avant de succomber à la fascination...Tout proche, un orifice de la taille d'un sac à dos dans un tas de rocs m'appelle, je me penche et je vois un long tunnel étroit au bout duquel brille la lumière du fond du gouffre. Là je ne risque rien, mais j'ai peur de l'effondrement qui peut aussi surgir dans des milliers d'années. Brr...la peur rétrospective surviendra dans mon lit, je n'ai jamais peur in situ.
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Le grand plongeon : voir la taille des arbres en bas |
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Juste un petit trou |
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Et un long tunnel plongeant dans le vide |
De là haut, le paysage ouvre sur le défilé :
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Le tunnel du Trou du Curé (zoom) |
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Chute vertigineuse sur les gorges |
Mais il faut aussi savoir regarder ailleurs :
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En direction de l'est, vers Puylaurens; dans le cercle St Martin Lys |
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Au zoom St Martin Lys |
Je comprends aussi pourquoi le chemin des anciens fait un brusque coude et ne longe pas les falaises. Ce chemin part du vallon cultivé et remonte, prenant de plus en plus l'aspect d'un vrai chemin : large, bordé d'un mur, il est, comme tous ces chemins, ou sentiers, d'une déclivité très calculée et d'une assise taillée dans la pente très étudiée. Résistant au temps et à l'usure. Et, jadis, permettant aux travailleurs un certain confort de marche, les distances étaient si longues...Je suis sûre que de ce chemin on ralliait Belvianes, qui le saura jamais ?
Ce sont les voies de la montagne : elles ont pour nom "chemins, voies, sentiers ", c'était les routes du temps passé, elle méritent un chapitre à elles seules, on le leur doit bien...
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Belvianes vu d'en haut au zoom |
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Sur le chemin; le reste est inextricable |
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Le chemin en terrain plat |
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Le chemin avec son mur, taillé dans un à pic impressionnant |
Un peu à l'écart du chemin un câble attire mon attention. Il est assez éloigné des falaises, aucun autre indice...Quelle était son utilité ? Descendre du bois, comme à "la vache" ? Du minerai ? Le secteur est très gypseux. Il y a d'ailleurs un four à chaux au croisement du Rebenty.
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Le câble |
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Gisement de gypse (roche tendre saline) |
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Détail |
Soudain...quelle surprise inattendue ! M'échappe un sonore "ça alors !" qui tranche vif le silence...le grillage d'hier, le gouffre...mais bien sûr !
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La jonction est faite |
J'ai parcouru tout le chemin des Courtilles, j'ai bouclé le circuit, je peux repartir. Vers d'autres recherches ? Non mais peut être quelques sentiers de chasseurs numérotés comme des cartons de loto, avec toujours la même faute d'orthographe pardonnable (ver au lieu de vers).
Et c'est ainsi que j'userai mes mollets ; les chasseurs sont comme les militaires, sans pitié pour leurs jambes ni pour celles des autres, d'ailleurs qui ose suivre leurs traces ?...Un sentier qui descend, un joli belvédère et la remontée usante est assurée!
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la palette bleue qui en fait est une vieille palette...rouge, dans un arbre. Je n'ai pas vu la bleue ! |
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Autre balisage (en rocs) |
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Roc de las Brouyères 981 m |
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Col del Fach (885 m) au centre de l'image |
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La descente du Col del Fach vers la vallée de l'Aude |
Tiens j'avais imaginé qu'un ancien sentier pourrait passer par là mais dans ce désordre végétal des roches fossilifères me racontent qu'il y a plusieurs millions d'années j'eusse été au fond de Thétys (-500 -250 Millions d'années).
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Fossiles |
Aujourd'hui je suis au sommet de l'impossible, rechercher un quelconque passage dans cet univers griffu qui lacère mes mollets. Cela suffit, je rentre. Oui sur la carte d'état major il y a bien un chemin, mais les ans, 200 voyons, ont eu raison de son existence.
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Début 19 eme |
C'est avec une véritable passion que j'établis un lien avec la montagne, qu'elle soit haute ou non, arborée ou pas, c'est un jeu de pistes, une chasse au trésor. Mes Trésors sont modestes et feraient ricaner un montagnard. Pourtant...ces recherches sont plus énergivores qu'un sentier bien tracé fut il à 2900 m, elles mettent le cerveau en éveil et non en apnée, elles mobilisent une attention de chaque instant : chaque muret, chaque ornière, chaque maset, chaque ruine, sont scrutés, détaillés, dépouillés, analysés. Un bas côté me parle, un détail vient à la rencontre de mon regard curieux et de mon esprit en éveil, la solitude est indispensable pour ce type d'approche et si je brise le silence, c'est pour dialoguer avec mes hypothèses. Personne ne risque de m'entendre...mieux vaut !
Pour conclure, car le but initial de mon projet était de retrouver le chemin qui évitait la Pierrelys, c'est comme à Villefranche de Conflent, un mot qui a amené la conclusion logique, le "mais c'est bien sûr" sans qui toute histoire serait sans fin. Le chemin du "Priou"...le priou ? le Prieur. Supérieur d'un monastère. Et le monastère était à St Martin Lys, déjà en ruines sur la carte de Cassini, 18 eme siècle. Et oui, ce chemin du Prieur que je vais parcourir, en dépit de mon usure et de mon estomac criant famine, il me permettra au rythme de sa voie pavée et de ses murs magnifiques, de faire la jonction avec le chemin de Quirbajou. Ainsi, d' Axat, on ralliait Belcaire en plein Pays de Sault ou Quillan, avec un embranchement à Quirbajou, on pouvait atteindre Saint Martin Lys et je ne doute pas une seconde qu'un sentier disparu ait mené à Belvianes.
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Chemin du prieur |
Le contournement du Défilé de Pierrelys est sous mes pieds meurtris. Ces pieds et ces étoiles plein les yeux le valaient bien...Ce contournement, dans la montée des falaises au dessus de Quirbajou, de style romain dans sa conception , évoque la Voie Romaine de Capsacosta (Catalunya), en modèle réduit. je n'en ai pas dépouillé les richesses , il faut laisser, comme toujours dans une découverte, une part de rêves et de regrets.
Mais ce sera un autre article....A suivre donc....
J'ai parcouru dans ce secteur 44 km à pied, les deux rives confondues, un bref calcul m'a époustouflée ! Tant de chemin...pour tous ces chemins. Un peu mon Chemin de Compostelle à moi.
"Tu peux vouloir toucher les étoiles à condition de garder les pieds sur terre" Mike Horn (explorateur et aventurier).
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Le secteur : en rouge la route Perpignan Quillan, en bleu, l' Aude |
En chiffres
Parcours cumulés du week end : 24 km
Dénivelés cumulés : peu importants, peut être 500m ?