jeudi 25 août 2022

Les voies et les voix insolites de Pierrelys (11)

 Je suis là, haut perchée, j'ai pour voisins deux vautours que le vent léger ébouriffe. Ils font semblant de m'ignorer, du haut de leur arête. 

Tout en haut perchée







Aucun intérêt, je suis vivante. D'autres tournoient, ailes immobiles, au gré des courants. Je pourrais toucher le ciel et je ne suis qu'à 1000 m. Tout en bas, 500 m en dessous, l' Aude où s'ébattent, dans les éclaboussures, canoës et rafts. Les voitures et motos passent sur la route du dimanche où l'on ne voit rien que les falaises, même pas la rivière en contrebas. Alors ce point minuscule et orange , là haut...qui pourrait seulement l'imaginer ? J'ai l'art de me hisser dans les endroits insolites. Mon environnement est fascinant, avec cette abrupte tranchée du Défilé, canyon sauvage, la rive en face, tout aussi escarpée, encore plus hostile, ses couloirs abrupts et falaises rebutantes. Quoique, sur mon versant...

Les murailles d'en face (rive droite de l' Aude)


Tunnel routier et tunnel ferroviaire


Dans ces falaises en face est cachée une voie ferrée désaffectée, un immense tunnel percé de rares ouvertures et truffé de galeries qui furent emplies de poudre pour faire sauter la montagne en cas d'attaque ennemie.


Le tunnel côté Belvianes


Dans les gorges


Vue prise d'au dessus du Belvédère du Diable


Les murailles rive droite


Donc, face à moi il n'y a personne, enfin j'imagine; autrefois il y en eut. Dans le "couloir de la vache" était un sentier. Il n'y est plus, emporté par des vagues d'éboulis; tout en haut on y exploitait le bois qui descendait par le couloir, au moyen de câbles, ce que ne sut pas faire la vache qui y grimpa et qu'il fallut assommer pour la redescendre, avec 10 hommes qui se relayaient. (source Eric Teulière). On ne voit pas le couloir mais il est dans ce site.

Autour de moi, c'est inextricable, un maquis épais assez ras mais impraticable enchevêtré avec des rocs. L'arête n'est pas carrossable, s'y aventurer serait risqué après ce que j'ai vu. Ce paysage enchanteur cache des gouffres mortels.


Maquis inextricable et sommet des falaises impraticable... quoique


 Mais comment suis je arrivée ici ?

 Encore une histoire de chemins à retrouver. Celui ci se nomme des Courtilles, porté en pointillés sur l' IGN, il finit "nulle part", je comprends pourquoi. 

En rouge le chemin de Courtilles

Courtilles = jardins clos ou terrain clos. 

Je l'ai atteint la veille sans le savoir, dans le sens opposé, je le cherchais un peu ailleurs, en un site si perdu et sinistre que j'ai fait demi tour. Décrochant au fur et à mesure les rubans rouge et blancs que j'accrochais. Là aussi un sentier se perdait. Tout se perd, la raison en est simple. Autrefois, le moindre vallon était cultivé et les vallons ici, ils sont en haut, se finissant par des ravins atroces. 


Un ravin à son arrivée à la route

De ces vallons aujourd'hui emmurés dans de grands arbres, des  murettes témoignent, donc les sentiers allaient aux cultures, c'est tout. Les chasseurs les ont réhabilités et j'ai suivi tous leurs sentiers qui m'ont conduite sur des belvédères époustouflants de beauté et de danger. Je sais faire parler la montagne, eux savent l'entretenir. Nos routes se superposent. Nous ne nous rencontrons jamais.

Vallon autrefois cultivé (aux Courtilles)

La preuve...

Les belvédères des chasseurs, inaccessibles à un randonneur pas curieux : 

celui du "chien ", ainsi le nommai je pour sa tête de chien


Le belvédère de la chèvre car pour y accéder il faut être un peu "chèvre"




Les murailles du Diable

Mon demi tour de la veille sur les Courtilles s'est terminé dans un trou cerné de murailles rocheuses et moussues, fantasmagoriques, et dont le fond était grillagé : un gouffre sans fin se perdait. Les eaux, dans ce massif, ruissellent un peu avec la pluie mais surtout s'infiltrent et, entre pluies, pertes et résurgences, finissent parfois en éboulements monstrueux sur la route.


Le gouffre protégé

L'entrée du gouffre, je lance une pierre,
son bruit décroit longtemps


En cherchant, j'avais trouvé une sorte d'aven, une effrayante cuvette profonde, habitée de hêtres démesurés. Des murailles de roches moussues cernaient cette doline, alimentée par une résurgence qui, immédiatement, se perdait dans un orifice que je n'allai pas voir, un peu impressionnée.




La bouche d'ombre de la résurgence

Le petit orifice de la perte de l'eau

Des hêtres à toucher le ciel

Et à écraser un humain
Les mots de la montagne, ce sont "murailles, à pics, gouffres, belvédères, vertigineux, effrayant" et j'en passe, une montagne qui culmine à 1000 m et qui a une diversité, un caractère rares.
Le voix de la montagne, ce sont ces mots, et ce sont ces silences intenses qui ont quelque chose de sépulcral.

Aujourd'hui j'ai cherché le chemin en sens inverse. De Quirbajou, je suis montée au Col del Fach et j'ai suivi la signalisation des chasseurs : un sentier à flanc de pente, même s'il ne présentait aucun éboulis, n'offrait aucun doute, au vu de sa morphologie : il menait aux Courtilles. 


Balisage chasseurs comme un carton de loto

Parfois un renseignement y est 
précieux



Très bien balisé

Morphologie explicite




Pour me repérer sous ce fouillis végétal 
j'utilise la géolocalisation et la vue aérienne
de Google Maps

Même les gens d'ici ignorent ce nom ils le nomment Nabines. 


Allez savoir...Une fois ce langage de sourds décodé, ils m'ont mise en garde. Le danger m'a sauté à la figure tout en haut, je pouvais comprendre la présence des vautours : une trou béant comme une chambre ouvre sur un vide absolu de 40 m, surmonté d'une arche sur laquelle on n'a nulle envie de grimper, aussi large soit elle. Un mouvement de recul et d'horreur avant de succomber à la fascination...Tout proche, un orifice de la taille d'un sac à dos dans un tas de rocs m'appelle, je me penche et je vois un long tunnel étroit au bout duquel brille la lumière du fond du gouffre. Là je ne risque rien, mais j'ai peur de l'effondrement qui peut aussi surgir dans des milliers d'années. Brr...la peur rétrospective surviendra dans mon lit, je n'ai jamais peur in situ.

 

Le grand plongeon : voir la taille des arbres en bas




Juste un petit trou

Et un long tunnel plongeant dans le vide

De là haut, le paysage ouvre sur le défilé :

                                                                                         

Le tunnel du Trou du Curé (zoom)

Chute vertigineuse sur les gorges

Mais il faut aussi savoir regarder ailleurs : 

En direction de l'est, vers Puylaurens; dans le cercle St Martin Lys


Au zoom St Martin Lys

Je comprends aussi pourquoi le chemin des anciens fait un brusque coude et ne longe pas les falaises. Ce chemin part du vallon cultivé et remonte, prenant de plus en plus l'aspect d'un vrai chemin : large, bordé d'un mur, il est, comme tous ces chemins, ou sentiers, d'une déclivité très calculée et d'une assise taillée dans la pente très étudiée. Résistant au temps et à l'usure. Et, jadis, permettant aux travailleurs un certain confort de marche, les distances étaient si longues...Je suis sûre que de ce chemin on ralliait Belvianes, qui le saura jamais ? 

Ce sont les voies de la montagne : elles ont pour nom "chemins, voies, sentiers ", c'était les routes du temps passé, elle méritent un chapitre à elles seules, on le leur doit bien...

Belvianes vu d'en haut au zoom


Sur le chemin; le reste est inextricable



Le chemin en terrain plat

Le chemin avec son mur, taillé dans
un à pic impressionnant

























Un peu à l'écart du chemin un câble attire mon attention. Il est assez éloigné des falaises, aucun autre indice...Quelle était son utilité ? Descendre du bois, comme à "la vache" ? Du minerai ? Le secteur est très gypseux. Il y a d'ailleurs un four à chaux au croisement du Rebenty.

Le câble


Gisement de gypse (roche tendre saline)



Détail

Soudain...quelle surprise inattendue ! M'échappe un sonore "ça alors !" qui tranche vif le silence...le grillage d'hier, le gouffre...mais bien sûr ! 

La jonction est faite

J'ai parcouru tout le chemin des Courtilles, j'ai bouclé le circuit, je peux repartir. Vers d'autres recherches ? Non mais peut être quelques sentiers de chasseurs numérotés comme des cartons de loto, avec toujours la même faute d'orthographe pardonnable (ver au lieu de vers). 

Et c'est ainsi que j'userai mes mollets ; les chasseurs sont comme les militaires, sans pitié pour leurs jambes ni pour celles des autres, d'ailleurs qui ose suivre leurs traces ?...Un sentier qui descend, un joli belvédère et la remontée usante est assurée!

la palette bleue qui en fait est une vieille 
palette...rouge, dans un arbre.
Je n'ai pas vu la bleue !

Autre balisage (en rocs)



Roc de las Brouyères 981 m


Col del Fach (885 m) au centre de l'image




La descente du Col del Fach vers la vallée de l'Aude

Tiens j'avais imaginé qu'un ancien sentier pourrait passer par là mais dans ce désordre végétal des roches fossilifères me racontent qu'il y a plusieurs millions d'années j'eusse été au fond de Thétys (-500 -250 Millions d'années).




Fossiles

Aujourd'hui je suis au sommet de l'impossible, rechercher un quelconque passage dans cet univers griffu qui lacère mes mollets. Cela suffit, je rentre. Oui sur la carte d'état major il y a bien un chemin, mais les ans, 200 voyons, ont eu raison de son existence. 




Début 19 eme

C'est avec une véritable passion que j'établis un lien avec la montagne, qu'elle soit haute ou non, arborée ou pas, c'est un jeu de pistes, une chasse au trésor. Mes Trésors sont modestes et feraient ricaner un montagnard. Pourtant...ces recherches sont plus énergivores qu'un sentier bien tracé fut il à 2900 m, elles mettent le cerveau en éveil et non en apnée, elles mobilisent une attention de chaque instant : chaque muret, chaque ornière,  chaque maset, chaque ruine, sont scrutés, détaillés, dépouillés, analysés.  Un bas côté me parle, un détail vient à la rencontre de mon regard curieux et de mon esprit en éveil, la solitude est indispensable pour ce type d'approche et si je brise le silence, c'est pour dialoguer avec mes hypothèses. Personne ne risque de m'entendre...mieux vaut !




Pour conclure, car le but initial de mon projet était de retrouver le chemin qui évitait la Pierrelys, c'est comme à Villefranche de Conflent, un mot qui a amené la conclusion logique, le "mais c'est bien sûr" sans qui toute histoire serait sans fin. Le chemin du "Priou"...le priou ? le Prieur. Supérieur d'un monastère. Et le monastère était à St Martin Lys, déjà en ruines sur la carte de Cassini, 18 eme siècle. Et oui, ce chemin du Prieur que je vais parcourir, en dépit de mon usure et de mon estomac criant famine, il me permettra au rythme de sa voie pavée et de ses murs magnifiques, de faire la jonction avec le chemin de Quirbajou. Ainsi, d' Axat, on ralliait Belcaire en plein Pays de Sault ou Quillan, avec un embranchement à Quirbajou, on pouvait atteindre Saint Martin Lys et je ne doute pas une seconde qu'un sentier disparu ait mené à Belvianes. 




Chemin du prieur




Le contournement du Défilé de Pierrelys est sous mes pieds meurtris. Ces pieds et ces étoiles plein les yeux le valaient bien...Ce contournement, dans la montée des falaises au dessus de Quirbajou, de style romain dans sa conception , évoque la Voie Romaine de Capsacosta (Catalunya), en modèle réduit. je n'en ai pas dépouillé les richesses , il faut laisser, comme toujours dans une découverte, une part de rêves et de regrets.


Mais ce sera un autre article....A suivre donc....

J'ai parcouru dans ce secteur  44 km à pied, les deux rives confondues, un bref calcul m'a époustouflée ! Tant de chemin...pour tous ces chemins. Un peu mon Chemin de Compostelle à moi.

"Tu peux vouloir toucher les étoiles à condition de garder les pieds sur terre" Mike Horn (explorateur et aventurier).


Le secteur : en rouge la route Perpignan Quillan, en bleu, l' Aude


En chiffres

Parcours cumulés du week end : 24 km

Dénivelés cumulés : peu importants, peut être 500m ?

11 commentaires:

  1. Un jeu de piste bien mené ! Il nous tarde de le découvrir, les vautours sont magnifiques et le paysage fantastique. Un récit bien mené qui donne envie de découvrir le lieu. À demain, nous sommes impatients, bises. Les dinosaures.

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    1. Dimanche si le temps le permet, je pense que vous allez être conquis, nous allons vivre au rythme du 19 eme siècle, ce sera bénéfique. Je suis amoureuse de ce secteur, coup de foudre ! Je vous ferai partager. Bises à vous ...3

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  2. Récit de montagne, loin des villes, loin des villages. Rencontre avec quelques fantômes du passé, vestiges cachés, complaintes ancestrales portées par le vent des Cathares ?? On est transporté dans un autre monde ! Merci "Lison" 😉 Patrick D.S.

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    1. Je crois que vous avez ajouté un supplément d'âme à mon récit; et c'est si bien dit, que dimanche à mon 2nd passage là bas, j'emmènerai votre commentaire en mémoire. Merci PDS

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  3. une vraie exploratrice ! ton récit est captivant, il ne me donne pas vraiment envie d'aller sur tes pas, mais toi, je t'envie . Pour ta pêche, pour ton intrépidité et ton courage, pour ton texte et ta manière de raconter....Merci Amedine, merci Lison. Il y a du Frison (qui a illuminé ma jeunesse) là dedans. Freeson ? Guy V

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    1. Pourquoi pas sur mes pas ? Josy et Claude se sont régalés, je t'y emmène ! OH le Frison...Roche, moi il illumine encore ma vieillesse. Bises

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  4. Très bon récit et découverte d'anciens sentiers ou chemins. L'on ne peut pas imaginer la peine de ces habitants du cru, bois sur le dos pour certain où passage pour aller travailler chaque jour du haut de la montagne jusqu'à la vallée et de la vallée jusqu'au sommet de la montagne.

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    1. Bonjour, je pense toujours à leur peine , leur dur labeur, à la fois pour construire ces chemins et aller travailler là haut, que ce soit des cultures ou l'exploitation du bois, voire du minerai ailleurs. A présent j'ai parcouru près de 100 km à pieds dans le secteur de Pierrelys et je n'ai pas fini, mais l'été, j'oublie, il y fait trop chaud dans ces falaises. Je me suis consacrée à la voie ferrée dans la falaise, reportage pas encore publié. Merci pour votre commentaire

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  5. D'Axat, je ne pense pas que les anciens passaient par Quirbajou pour se rendre à Belcaire, mais par le col de Seille, Laprade, Cailla, Marsa, Taffine,Joucou, Belfort, Espezel etc...plus facile et direct. De l'embranchement (Rébenty) de la route de Quirbajou au Castel del Prat ou Prax, il n'y a pas de chemin qui monte à ma connaissance (sous le pic côté Cailla). Peut-être passait-on plus loin après l'usine de ST Martin ou de Marsa à Quirbajou. Difficile de trouver un sentier quand il n'est plus pratiqué même après quelques années. J'ai habité dans ma jeunesse un village pas loin de Quirbajou, mais je ne suis jamais allé vers le Fach et la Pierre Lys dommage car faire 10 km en montagne c'était une promenade. Courtille drôle de nom, courtille = soue à cochon, alors courtille pour les sangliers, ou endroit resséré faisant penser à un cachot (crambot), pour des vaches l'on aurait dit une jasse mais plus vaste.

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    1. Je me suis fiée à l'inscription sur la plaque pour le trajet. De l'embranchement du Rébenty il n'y a effectivement pas de chemin ni côté route de Quillan, ni côté Quirbajou. Toutefois plus haut, il y a des vestiges en sous bois, que je me propose de suivre un jour; j'ai encore pas mal de recherches à faire dans ce secteur, mais je me mets en pause de temps en temps pour décanter et poursuivre d'autres chemins. Trouver un sentier plus du tout pratiqué demande beaucoup d'intuition et la recherche du moindre vestige, parfois juste un muret minuscule. Impossible ainsi de retrouver celui qui passait dans les falaises de la Pierrelys en rive gauche de l' Aude, guère au dessus de la route actuelle, tout a dévalé au cours des ans et pourtant j'imagine que quelques vestiges subsistent; j'ai essayé, c'est l' Enfer ! pour Courtilles j'avais trouvé les deux définition, soue à cochons et jardins clos, je n'aurai jamais d'explications. dans mon département voisin ce lieu existe aussi. A l'origine, du moins sur les cartes, ce chemin de courtilles n'arrivait pas au Fach mais les chasseurs ont fait du bon boulot; je vous remercie de votre attention et de votre intérêt. A votre disposition pour d'autres renseignements...si je peux

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  6. correction : "plus pratiqué même après peu d'années"

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