vendredi 29 novembre 2019

D'un Causse à l'autre : épisode 3 (et fin)

Je quitte les enceintes protohistoriques (article précédent) et remets deux pieds et quatre roues dans mon siècle pour continuer mon périple caussenard, au gré des petites routes du Causse Méjean, petites routes que je crois découvrir, cependant un indice de-ci de-là se rappelle à mon souvenir.

Rouveret







L'air est glacé et les monts de Lozère frissonnent sous leur cape blanche, qu'importe, je roule à petits pas sur des routes aussi larges que mon camion. Nina se chauffe sur mes genoux. Patiente, elle attend mes multiples sorties pour une photo ou une curiosité, la recherche d'un introuvable dolmen, la visite aérienne d'un profond aven que le hasard d'une halte m'offre, ou la découverte d'un hameau de pierre du sol au toit. Patiente petite compagne qui me gratifie de "sourires" et ronrons .

Croix du hameau Le Buffre , datée de 1151
Croix de pélerinage pour St Guilhem le Désert

Un Causse vert

Monts de Lozère
Comme un épais tapis



Petit potager sympa



Les villages sont épars et blottis, les hameaux plus nombreux, me livrent au passage un peu de leur âme colorée par des guirlandes de feuillages incandescents, leur gadoue, et leur parfum de bétail, mes demi-tour s'effectuent dans des cours de ferme.



Oui le bétail a un parfum, en France, le parfum de la vie saine et authentique, puissions nous le respirer longtemps en paix !











Une des nombreuses fermes
Du sol au toit, la pierre, la lauze


Le jour décline dans une poudre d'or qui se heurte au ciel noir et en jaillit revivifiée; je fais un détour pour le roc de Hurtous, belvédère qui dévoile la grand relief tabulaire et sa profonde saignée de 500 m vertigineux au fond duquel coule un miroir argenté : le Tarn. Où je vais. Sûre qu'il n'y neigera pas !


Gorges du Tarn qui entaillent le relief tabulaire



Et au fond coule une rivière (vue vers l'amont, vers La Malène)

La route de La Malène est mon choix entre toutes celles qui plongent vers le Tarn : 500 m d'à pic, 5 km et 10 virages en épingles, un challenge avec un vieux fourgon sans direction assistée ; il en est une que je négocie au plus large, muscles tendus et je rase quand même les murs !


La route de la Malène

La Malène : c'est d'ici que l'on peut faire l'été une descente du Tarn avec les bateliers
Les barques étaient le seul moyen de transport avant 1a route
 Accès à la Malène
La route 20 eme siècle et le sentier 19 eme siècle
J'aimerais bien le retrouver sur le terrain!
Mais en bas m'attend, je l'espère, une bonne nuit près de l'eau et un somptueux aligot!
En bas je ne trouve que village mort, portes closes et nulle fumée ni fumet.







A la lueur des phares qui re dessinent l'étroite route, construite en 1905, déserte (si fréquentée l'été malgré son étroitesse), les rochers colossaux aux contours de forteresses, les tunnels qui les percent, je parviens à Ste Enimie.

Ste Enimie est entrée en hibernation mais j'aurai quand même mon aligot (pas "maison") dans l'unique restaurant de cette petite ville si vivante l'été. J'aurai ma nuit au bord de l'eau près du vieux pont du 13 eme Siècle malmené et remanié, imposant et élégant.




Le pont de Ste Enimie


Image internet : la crue de nov 2011
Ste Enimie, fragment

Elégance...

Un matin plus tard, 10 h de sommeil en plus, le givre recouvre tout, je vais saluer pont et saule pleureur, et prends une décision, je vais remonter sur le Causse, mais le dernier, Sauveterre.
Je ne connais pas cette route, et je m'élève dans un paysage figé de froid, doré par l'automne, désert comme un jour d'hiver. Quand je rencontre une bifurcation je n'hésite pas et j'arrive par une route minuscule sur un Causse blanc comme neige. C'est féerique. Nina n'a pas voulu quitter le cocon des couettes et je trimbale une princesse enfouie dans un lit pas fait, tant pis, elle le vaut bien!



Tout est givré !

Moi ? Je ne bouge pas !!!

ça sent l'hiver...

Four à pain à Roussac

On dirait une piste de ski !!
C'est une prairie

Château de Grandlac

Villages du Sauveterre



Hameau brinquebalant : La Beaume
Au gré de mes envies je parcours ce Causse blanchi par le gel, craquant sous les pieds, figé dans un matin glacé, de loin mon Causse non préféré, mais cette vêture lui confère un charme d'exception. Dont je vais user sans modération. Ce n'est pas mon Causse de prédilection, il y a trop d'arbres, j'aime les déserts à perte de vue. Vallonné, boisé, il est, comme les autres, jalonné de dolmens et autres alignements de mégalithes. Evidemment les routes sont désertes. Une carrière offre au regard le coeur de pierre de ce Causse où le calcaire peut atteindre 1.5 km d'épaisseur. J'escalade un talus pour aller voir ce coeur de Causse (pierres d'ornement, gypse).


Le Coeur du Sauveterre
L'écorce du Sauveterre

 Je redescends tranquillement vers La Malène en faisant un détour par un sympathique village, Cauquenas, véritable vitrine de l'architecture caussenarde.

L'ancien



















Rénové





La plongée sur La Malène, car c'en est une, à 14%, sera mon choix du jour, j'avais aimé jadis cette route, elle signe le retour.











Désormais je vais suivre "sagement" la vallée du Tarn. Sagement est un bien prétentieux mot, car je m'arrête souvent, pour escalader une sente, voir une grotte, franchir les parapets et me pencher sur les bouillonnants "Détroits", lever le nez et les yeux sur des chapelets de vautours, la route est déserte, parfois je ne me gare même pas le temps de la photo !
En images

Les Détroits


ça pourrait tomber sur la tête
Site d'escalade des Baumes

Toujours impressionnant

 Pendant ce temps, à 115 km de là (à vol d'oiseau) un séisme se produit, en Ardèche, je ne le sais pas bien sûr et tout cet édifice pouvait de mettre à bouger, à dégringoler, que sais-je ? Les vautours l'ont peut être ressenti, à cet instant précis ils s'envolent de leur perchoir et j'assiste à une étonnante sarabande, en cercles dans un ciel incroyablement bleu. Ces précisions horaires, je les aurai plus tard, devant mon ordinateur.


Au moment du séisme en Ardèche




C'est donc sereine que je parcours ces gorges absolument désertes, à l'heure du repas, profitant d'un spectacle toujours renouvelé, chaque saison y adjoignant sa note d'exception, lumières, couleurs, bruits, musique. Je ne les connais pas par gros temps, dangereuses sans doute à cause des chutes de rocs.







Notre repas, nous le prendrons presque à la sortie des gorges, surveillées par des vautours haut perchés, bien au chaud et à l'abri. Il fait beau mais le Tarn qui roule de magnifiques eaux  vertes, glacées, comme vitrifiées ne réchauffe guère l'air ambiant.


Nina et les vautours



Couleur et mouvance Tarn

Nous clôturons ainsi, dans un déploiement de couleurs, notre séjour tout simple, tout riche.
Rien que du Bonheur !
Mon camion, la Nature, mon chat et moi, elle est là la clé de mon Bonheur. Pas l'unique clé,
 il en est d'autres pendues au trousseau....

On arrive ??
Mais non...on est à Millau !
Plus que 250 km

                                                                                                                                 FIN


Je dédie ces 3 épisodes à Pierre Carabasse qui, de sa lointaine terre polynésienne, revit un peu de sa jeunesse par le biais de ma plume et de mes photos. 



dimanche 17 novembre 2019

Causse Méjean : 2700 ans en deçà, épisode 2



Le Causse Méjean est celui où je me suis posée pour la nuit, le plus haut de tous les Causses puisqu'il atteint l'altitude de 1247 m. Lorsque je m'éveille, à la mi nuit, un petit bruit sur mon toit m'intrigue. Je regarde à l'extérieur, mais le ciel est laiteux et je ne vois rien; j'ouvre la porte, braque la lampe et...je repose sur un blanc tapis de neige. C'est du grésil qui court sur le toit. Stupéfaction et angoisse, que vais-je devenir haut perchée et loin de tout ? Peu après la pluie s'installe et je me rendors, demain sera un autre jour.

Demain m'y voici; la neige a disparu, le ciel est blême et de minuscules flocons tourbillonnent; le froid est incisif mais ne me décourage en rien et à 9 h 30 je quitte la tiédeur de ma "maison" pour un froid glacial, j'ai la tenue grand froid, pas encore la tenue "yéti" quand même.
Et dire que je voulais venir passer Noël ici : je l'ai eu mon Noël, avec la neige en cadeau.....
Direction : l'enceinte protohistorique de la Rode que j'ai découverte par hasard sur internet à mon retour de celle de Caunes Minervois, Aude.



J'ai pour tout viatique un morceau de carte, un descriptif du site et une photo aérienne. La boussole m'accompagne au cas où la brume rôderait sur La Rode. Il n'y a aucun balisage, aucun sentier, je dois me débrouiller. C'est marrant, ici même, un 16 novembre 2008, dans un matin glacial, couvert de givre, je partais arpenter le Causse et je découvre sur la photo d'alors, que l'enceinte est bien visible.

16 novembre 2008, l'enceinte couronne la colline
En ce 10 novembre 2019 glacé, je pars à l'aventure vers l'an 600 avant JC.



 Je suis tellement motivée que rien ne me stoppera : le froid, la neige, la pluie, seule la brume y arriverait.


Plus loin, même la chasse au sanglier qui se déroule sur la colline ne m'arrêtera ! Je suis prête à accepter quelques chevrotines, mais les chasseurs ont du flair et s'éloignent avant que de me voir.
Hures..et mon camion

Chemin de Causse

Au zoom, le clocher de Hures
(qui ne sonne pas)

Paysage du Causse
Je vais suivre un certain temps le chemin puis je lui fausse compagnie et c'est à travers champs, clôtures puis steppes que je vais aborder la colline. J'hésite entre deux collines, la vue aérienne confortera mon choix. Je m'élève doucement à travers une lande sèche, épineuse, glacée sous le vent, encombrée de rochers et parfaitement stérile.

Tout en haut , l'enceinte




Comité d'accueil

Au loin les Cévennes glaciales


Toujours gelée !

Travaillé par la main de l'homme ? Ou pas 
(parties horizontales)




















100 m x 150 m plus d'un hectare





Et j'arrive à l'enceinte protohistorique, 1103 m d'altitude, battue des vents comme elle l'était voilà 2700 ans. Je contemple ce qu'il reste de l'édifice.




Le mur de l'enceinte
                                                                                                 Ma fiche en main, j'imagine...




J'imagine des hauts murs de 4 m faits de deux murs parallèles , construits avec de grosses pierres montées en "pierres sèches" et entre les deux, l'espace est comblé de cailloux, ce qui le rendait large mais pas forcément solide.


D'ailleurs  tout est effondré faisant un cordon de faible hauteur et grande largeur.


Les archéologues ont dégagé un pan de ces murs grossièrement édifiés, photo ci-dessous.



Fragment de parement exhumé
Tout autour de la haute muraille courait un fossé dont on devine la structure grâce à ce bourrelet de terre:

Et d'ici, proche de la porte principale, je vais entamer un tour complet de murailles.

La porte principale (sud ouest)


Structure de la muraille
Ce tour de muraille me permet de voir à 360° l'horizon, les forêts au nord (une source est en contrebas de la colline), les monts enneigés, les cultures et pâtures, un paysage qui n'a guère changé.
Mais en ces temps anciens, une vie existait dans cet enclos fermé : à l'intérieur de la muraille, des petites habitations étaient accolées au mur, les archéologues en ont dégagé, voici ce qu'ils ont trouvé .
Des maisons d'habitation de forme rectangulaire étaient établies à même le rocher et s'appuyaient contre la muraille, côté intérieur. Des sondages ont permis de découvrir une structure d'habitats avec un foyer constitué d'une surface d'argile damée, de la céramique, des reliefs de repas, dont une quantité impressionnante de restes de cheval. Le mobilier qui y a été recueilli est caractéristique de la fin du Premier Age du Fer et de l'époque de la Tène. L'occupation du site serait continue du VIe au 1er siècle avant JC, mais s'est probablement prolongée durant la période gallo-romaine car une monnaie romaine du III ème siècle y a été découverte (signalée par Martel).

Les maisons étaient adossées à la murette, bien plus haute jadis

Evidemment je n'ai rien vu ni trouvé et je me dirige à présent vers l'espace libre, quelque peu redécoré par quelques poètes. Toutefois je découvre des vestiges de murettes, peut être des enclos à animaux car intra muros l'espace central était dévolu au bétail. Quelques arbustes vivent là, décorés comme des arbres de noël par mousses et lichens.
Inutile de préciser que je suis le seul humain du coin , d'ailleurs le site est peu visité paraît-il.

Quelques images :

Drôle de roc, sculpture naturelle

Décoré comme un sapin de Noël

Base de murette ancienne ?



























Je passe beaucoup de temps en ce site, c'est magique, je recrée à l'envi l'existence qui s'y déroulait, je vois...j'entends...

Même si je n'entends que le vent et que je ne vois qu'un horizon glacé et un ciel déchiré de bleu.
Mais c'est beau....


Déco moderne


A présent je quitte le site, direction le cimetière, groupe de tumuli disséminés au bas de la colline.


Les tumuli, inhumation des défunts (Village de Drigas au zoom)
Je reprends le chemin du retour , saluant au passage un ancien site de cultures et murettes bien abritées, un aven très mystérieux et profond (Aven de la Crouzette) sur lequel je me penche avec effroi. Bien qu'il soit clôturé....je....chut ! "Et ne chute pas surtout" me dis-je en examinant cette béance, ces plantes exubérantes. Je n'y voyagerai pas par procuration, internet ne m'offre rien.


Béance de l'aven









Et un étonnant rocher bien planté (naturellement ?), un bon 4 m de haut sinon plus (je sers d'échelle)

A présent je file bon train vers mon camion, à travers Causses, clôtures et champs, un parfait tout droit qui ne manquera certes pas de piquant !
Du cynorhodon


Hures, vue générale du minuscule village ...et mon camion
Densité de la commune, 2,9 hab / km 2, une des plus faibles de France.
Quand je dis que j'aime les déserts !!

Mais...je n'en suis pas restée là !


J'avais repéré sur ce même Causse une autre enceinte près de st Pierre des Tripiers mais c'est excentré et ne me tente plus, d'autant qu'elle n'a pas de beaux restes.Ma mémoire se souvient alors d'une lecture: il existe un site près de St Côme, perché comme il se doit, en pas très bon état mais encore lisible. Je suis tout près, allons voir.

St Côme et Le Tourel (à sa gauche)
St Côme se dresse frileusement au  rare soleil sur une hauteur. Un peu plus haut une colline m'attire et c'est parti pour 100 m de grimpe tout droit, un chemin de quads et puis plus rien, j'arrive au pied d'une muraille, voici Le Tourel (ou Le Tourelle); là aussi je vais faire le tour mais l'enceinte est moins bien conservée que sa proche voisine; toutefois une partie domine un à pic et la vue porte très loin; cela s'apparente à un site défensif, ce qu'il n'est pas mais du moins on pouvait surveiller !
Je fais le tour, ne traverse pas l'intérieur, encombre de moults arbres et rocs, le sommet de la colline étant proéminent. Cependant je ferai une trouvaille : une boule de grès, matériau importé sans aucun doute, de la taille d'un ballon, devait servir de meule manuelle pour moudre du grain.
Je laisse ma trouvaille et je reprends le chemin du retour, pas grand chose à voir assurément, mais heureuse d'avoir vu. Ah cette meule....

La grande muraille, sur le côté bien conservé






Comité d'accueil ici aussi





St Côme



Autrement

Une meule de grés (je suppose)


N'oublions pas le froid sur les monts de Lozère...


Le site vu du ciel 


Quant à celle de Mont Buisson, St Pierre des Tripiers, l'aurais-je seulement trouvée ? Elle paraît si peu visible...

Un jour, peut être...