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1951 |
Quand je suis née, au beau milieu de XX ème siècle, je n'ai pas reçu en héritage dans ma corbeille de nouvelle née la vocation de la montagne.
De ma mère j'ai reçu le goût des mots, de la lecture et de l'écriture, mais pas celui de l'obéissance, voire de la soumission , je veux dire du conformisme.
De mon père j'ai reçu le goût de l'action, du bricolage, de la terre et de l'hyperactivité. De la fantaisie sans doute aussi.
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1949 |
J'ai été une petite fille très vivante, et toujours en mouvement. Il paraît que j'avais un goût très prononcé pour la liberté.
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Le sourire, déjà...1954 ? 1955? |
L'adolescente a grandi dans cette même veine, bonne élève sans le goût de l'effort, très active, rebelle, garçon manqué. Très sportive.
La montagne n'était pas au rendez vous : j'étais une cycliste assidue.
Mon premier vélo - une routière- fut payé avec mes premières vendanges, je courais les routes, même la nuit, sans éclairage, au retour de prison : l'école. Me défouler, évacuer le trop plein d'énergie emmagasiné en captivité : en classe.
Je n'étais pas un cancre, loin de là. L'école en plein air m'eut conduite très loin.
En guise d'"autopunition" je choisis de passer ma vie en captivité : je fus enseignante.
Et la montagne ?
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30 ans : 1980 |
J'avais une trentaine d'années, un mari et un enfant, la vie m'avait rangée dans la norme, une norme qui m'allait. J'y étais bien car c'était une vie vivante avec un mari aussi actif et vivant que moi.
Des voyages, des travaux dans les vignes, de belles années derrière moi et à venir.
Dans mon village un groupe randonnait beaucoup et un jour il nous fut donné de les accompagner. Pour une première fois, ce fut riche : partir 2 jours avec le "barda", plus de 1200m de dénivelé, vers un décor sublime : les lacs de Carança. une révélation!
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Image septembre 2014: lacs de Carança |
Pour mon mari une impossibilité à recommencer pour des raisons d'effroyables crampes musculaires.
Pour moi un appel vers ce grand large aérien.
Je me rangeai à "la majorité conjugale" et ne remis pas les pieds à la montagne. je n'ai aucune photo de cette randonnée, curieusement.
Plus de 10 ans plus tard, je partis, un soir de grande solitude et de canicule, vers ce Canigou qui domine la plaine . Quelques affaires embarquées dans la 2cv, 70 km de route difficile dont 22 de mauvaise piste et j'ai ma nuit sous les étoiles, dans la 2cv bivouac.
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La 2 CV au Canigou 1993 |
Et un lever de soleil sur la mer....
Mon premier contact en solo avec la montagne, capote ouverte sur les étoiles, c'est ce 21 août 1993, j'ai 43 ans. Dès lors je sais ce que signifie ce slogan lu plus tard "La montagne ça me gagne".
Mais je ne pratiquai pas pour autant la montagne.
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le Pic du Canigou, face est 1993 |
Je fis deux ou trois escapades supplémentaires qui me ravirent , cependant je restai dans le rang de la vie.
Un jour, la vie a de ces détours qui vous jouent des tours et je me retrouvai simultanément en retraite et en solo. En vrac, en pièces détachées (pas par la retraite) et au fond d'un gouffre.
C'était vivre ou survivre, c'était sombrer ou rebondir.
Mon choix fut vite fait et je filai bon train en cet août 2006 vers les montagnes d' Ariège, département voisin, département de coeur. Pour m'enfouir dans la vallée la plus "paumée " sur la carte.
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Ariège : le Soulcem 2006 |
Mon destin se joua là...
J'avais 56 ans, il y avait du monde partout , c'était un lieu mythique de randonnées...
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2006 : 56 ans |
Une page s'ouvrait, du nouveau livre de ma nouvelle vie, et j'ouvris grand ce livre que je n'ai pas refermé.
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Eté 2006 : premiers pas |
Et que je n'entends pas refermer de sitôt.
Ce jour d'août, ravagée par les douleurs d'une hernie discale, je suis simplement la piste sur une longue distance, pour voir...Ce que je peux espérer . Et je commence cette longue route qui m'a menée jusqu'à aujourd'hui, demain et j'espère après demain.
Au début, je fis des parcours modestes : 500m de dénivelé était un exploit, sentir, respirer, goûter la montagne, Juste en été. En solo. Une passion naquit ainsi. De sentiers en découvertes, de lacs en rochers, de pics en vallées, je finis par grimper les 900 m, mon rythme de croisière et marcher 15 km.
Ariège multicolore
Puis je m'enhardis à randonner en automne, les chemins s'étaient vidés, ma première randonnée sans rencontrer âme qui vive ne fut pas une épreuve mais un stress quand même.
J'apprivoisai l'hiver, la marche dans la neige, le grand blanc, le silence, le manteau qui couvre toutes les couleurs, les bruits et la vie. Qui étincelle, scintille et resplendit. Qui met le feu au visage et l'onglée aux doigts.
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2007 |
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2010 |
Je quittai l' Ariège pour les montagnes de Catalogne ou de mon département : j'élargis mon champ d'investigations en largeur, en hauteur, en distance et en difficultés.
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Sierra del Cadi |
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La Pedraforca |
Je fis des rencontres aussi : animales, certes, mais humaines, de courte ou longue durée, à la journée parfois, enrichissantes, un vrai enseignement.
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2009 |
Car j'appris au fil du temps à lire la montagne: c'est un long apprentissage qui demande attention, intuition, prudence et prise de décision ; on se forge un physique mais aussi un mental. Peu à peu, lentement mais sûrement.
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Ariège 2007 |
La montagne est une belle école où on ne finit jamais d'apprendre, d'étudier. C'est une école d'humilité avant tout.
Je ne me considère pas comme une montagnarde, je suis toujours modeste et en apprentissage.
Cependant cela demande une telle concentration, surtout lorsqu'on est seul, que les soucis et problèmes sont relégués à leur juste place et, pendant la marche, aux oubliettes même. Relativisés.
Voici 10 ans maintenant que j'arpente monts et vallées, les centaines de km sont devenus milliers.
Lison chatte m'a accompagnée pendant de grandes marches : ce fut un grand bonheur de marcher avec cette chatte, une vraie équipe nous faisions. Elle ne vient plus car elle a peur des gens .
En montagne je marche à mon rythme, ni trop lent ni trop rapide, je prends surtout le temps : de voir, de scruter, d'écouter, d'écrire parfois dans mon cahier qui ne me quitte jamais, dans ma tête énormément. Pendant longtemps j'ai réfléchi, travaillé mon mental, mes douleurs et mes blessures, j'ai parlé à mon père aussi. A présent je me laisse simplement porter par le bonheur.
Les chaussures, au fil du temps se sont accompagnées de raquettes, puis de crampons et de piolets.
Je me suis lancé - et je me lance toujours - des défis de plus en plus sévères, juste pour me faire plaisir, me prouver que si j'ose je peux . Me construire une confiance en moi que je n'avais jamais eue.
Peut être aussi, avant qu'il ne soit trop tard, rattraper un peu des années perdues...
Je cultive secrètement quelques regrets ...escalade, alpinisme...auxquels les ans ne me donnent plus accès. Enfin presque...Avec mon guide je peux encore tutoyer quelques défis de roche et de glace...
Après tout, je n'ai QUE 65 ans , non ?
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2015 |
Surtout je n'oublie jamais que du jour au lendemain tout peut s'arrêter.