Un si bel écrin : la vallée de Planès. Tour d' Eyne au fond. |
Depuis un moment déjà j'avais en tête un projet original et j'ai réalisé mon souhait,
aller poser mes pieds (et mes mains) sur ce projet.
Un projet pas facile mais que je savais à présent réalisable.
Gagner le Roc del Boc, 2774 m, tout au bout de la longue crête de roche du Malaza.
Le Massif du Malaza |
face ouest du Malaza |
Face est, un sentier qui n'a de sentier que le nom est une voie de délestage pour qui n'ose la balade en crête ou, à certains passages, doit pratiquer l'évitement.
Face est du Malaza, en 1er plan au soleil (et pics de Raco) |
Le seul moyen de parvenir au Roc del Boc en n'ayant pas les capacités d'escalade est celui ci, qui oscille entre équilibriste, funambule et danseur des cimes.
Sinon le Roc del Boc (2774 m) est accessible par escalade, en une paroi verticale nommée joliment le "violoncelle".
Je m'étais essayée l'an passé à ce parcours qui était une première du genre pour moi, afin de tester mes capacités : essai concluant.
Me voici donc, depuis mon retour des 3014 m, avec cette idée en tête, aller me promener en crête.
L'expérience de l'an passé me fait ajuster le tir, c'est une randonnée courte mais très longue en temps, très physique, donc c'est du temps qu'il faut gagner.
Je pars la veille au soir dans mon "bivouac" de substitution, le land rover somptueusement aménagé pour la circonstance, ainsi je gagne 2 heures de route. Je peux aller au bout de la piste forestière abîmée, je gagne une heure de marche. Le temps, là haut, c'est de l'argent. Le silence y sera d'or.
Et la nuit magique sous les millions d'étoiles que je contemple de mon lit, du cobalt émaillé de diamants
Belles étoiles pour ciel de lit : Planès |
Jusqu'à ce que nos routes divergent, lui c'est la vallée et la Tour d'Eyne, moi c'est les crêtes et le Roc, juste en face, on risque de se revoir de part et d'autre de la Conque.
D'abord, un peu de carburant, les festivités en ont besoin : le troupeau de vaches vient assister en entier à mon pt'it dej' , à 2000 m, et les veaux minuscules, nouveaux nés, gambadent sous l'oeil indulgent des mères au spectacle : une humaine assise sur un rocher en train de ruminer. Mystères de la nature bovine....et humaine...
Le couloir, pente écrasée par la photo (au retour) |
Je salue les vaches, et quitte leur plancher pour attaquer le seul chemin possible, un couloir de ravinement pentu à 35° / 40 ° qui va me mener en 800 m à la côte 2600. Dénivelé 600 m, en un peu plus d'une heure. Un dévoreur d'énergie dont on ne voit jamais la fin. J'aime ce type de terrain et de prise rapide de dénivelé, depuis l'an passé je mesure mes progrès, pas en vitesse mais en assurance.
L'ombre continue à m'envelopper et le silence, ponctué des clarines du troupeau déjà minuscule. Le soleil m'habille soudain d'une chaleureuse lumière et j'émerge sur la cime du Serrat de las Esques, les jambes usées par la dernière partie de la montée, interminable et raide.
La montée : photo rajoutée ultérieurement cliché du 16 octobre 2016 |
Me voici au départ de ce pourquoi je suis venue: 1,03 km de cailloux ...et retour....
Tout est silence. Un isard solitaire et courageux, s'est enfui, le diable aux trousses.
Je vais par delà l'éperon tout au bout là bas: le décor est planté pour plus d'1 km. Vers l'amont |
La chanson du torrent de la vallée de la Ribérole arrive à moi et je me sens bien, en pleine forme pour ce parcours inhabituel.
Je mets le casque , seule précaution sans doute inutile : aucun caillou ne peut me tomber sur la tête...mais je peux tomber tête la première sur un caillou. Et je dois faire les vendanges dans peu de jours, j'aurai donc besoin de ma tête. Aussi.
Et puis c'est LA rencontre fascinante : à mes pieds , mon regard est attiré par une splendide vipère aspic, sinueuse et immobile. Le temps de dégainer l'appareil photo elle s'enroule sous une pierre. Je n'ai pas peur, ma phobie des serpents a disparu récemment , mais je devrai redoubler de prudence pendant le trajet car je vais aussi marcher avec ...les mains. Mon aspi venin me rassure à peine.
Pour sourire, mais quelquefois ce fut pire et pour de vrai |
Je souris en pensant à mon exaltation enfantine de l'an passé (clic) mais je me morigène : il ne faut pas ôter à une première fois ce qui en fit le charme, l'instant magique et exceptionnel, cette première fois dont on garde mémoire toute la vie, quel qu'en soit le domaine sauf, hélas, l'instant des premiers pas. Dommage d'avoir oublié cet instant là...
Et moi, j'ai la chance ineffable d'évoluer sur une allée étrangement pavée, en désordre, en dalles, en blocs, en jeux de cartes, en fausses marches, en éperons, en mille feuilles, d'une largeur allant de près de 2 mètres à quelques dizaines de centimètres, une allée avec un vide de 500 m d'un côté, abrupt, déchiqueté, éboulé, saigné, lacéré, et un vide de 700 m de l'autre côté, lisse, doux, fait d'herbe et de terre, mais si pentu que c'est roulé boulé garanti. J'ai cette chance-là.
Relief et physionomie du parcours; vers l'aval |
Le décor est fantastique.
Pics des Raco, Pic Rodo, vallée de la Riberole, versant est |
Ombre portée sur le couloir du "spaghetti" |
Versant ouest du Malaza |
variations sur la crête |
Là aussi et c'est joli, on dirait que
je suis à la fenêtre
|
Progression facile |
Quelques rares passages , cette fois, m'obligeront à dévier de l'arête. Autant que possible, à l'aller comme au retour, pour mieux savourer et peaufiner mon plaisir de la roche, je contournerai par le versant de pierre plutôt que par le versant de terre, par le côté ombre froide et dure que par le côté soleil incandescent . Pourquoi ? Pour tester mes capacités. Dans ces moments là, c'est de l'escalade facile, Mains et pieds participent : chercher une prise, répartir les forces sur les appuis et gagner du terrain, soit en escalade soit en son contraire, un vrai plaisir.
Je ne pense pas à ce qui est au dessous, (ou n'est pas), je ne connais ni l'angoisse du vide ni le vertige. je suis comme en mon jardin, j'ai cette chance.
Je prends le temps de pourvoir mon corps en carburant : la progression est très énergivore et, on le sait, la concentration aussi. Je prends le temps de regarder. Surtout d'admirer et d'écouter, Je prends le temps de vivre au maximum mes sensations. Plus que dans la montagne je suis dans mon élément. Ce même plaisir qu'aux pics de Comalesbianas, d'où ma présence ici...J'ai peut être l'enthousiasme facile et puéril, j'ai l'enthousiasme de celle qui savoure ce à côté de quoi elle est passée toute sa vie.
J'ai dépassé largement mon parcours de l'an passé : la brèche en U que je désescalade ne perd pas de son mystère: il me poursuit encore et je cherche en vain. Pourquoi cette brèche avec ses minerais qui semble avoir été taillée de toutes pièces par l'homme : à 2700 m d'altitude , avec ses teintes fauves, jaunes et vertes ?
A un certain moment du parcours, l'éperon est si pentu, si étroit, si dur que j'ai une pointe d'angoisse.
Cette fois je contourne, par force, côté soleil,
Je fournis un dernier gros effort et soudain le sommet est là, à deux pas, désert, noyé de lumière, dardant ses éperons métalliques et son drapeau déchiqueté !
Je prends le temps de pourvoir mon corps en carburant : la progression est très énergivore et, on le sait, la concentration aussi. Je prends le temps de regarder. Surtout d'admirer et d'écouter, Je prends le temps de vivre au maximum mes sensations. Plus que dans la montagne je suis dans mon élément. Ce même plaisir qu'aux pics de Comalesbianas, d'où ma présence ici...J'ai peut être l'enthousiasme facile et puéril, j'ai l'enthousiasme de celle qui savoure ce à côté de quoi elle est passée toute sa vie.
Je suis en mode rattrapage.....
La brèche en U |
Minerai de cuivre en affleurements ? |
Teintes fauves de la brèche |
A un certain moment du parcours, l'éperon est si pentu, si étroit, si dur que j'ai une pointe d'angoisse.
Là je passe pas ! Et je ne contourne pas à droite ! Evitement sur la gauche par un sentier d'isards (et d'humains) |
Cette fois je contourne, par force, côté soleil,
2774 m |
Je fournis un dernier gros effort et soudain le sommet est là, à deux pas, désert, noyé de lumière, dardant ses éperons métalliques et son drapeau déchiqueté !
Terminus mais personne ne descend!
Sur mon promontoire perchée, je vais tourner comme un derviche, le paysage est grandiose.
Quelques vues du panorama, en silence, en couleur, en relief et en majesté: silence je tourne !
Il est des sommets de moins de 3000 m qui se méritent, celui ci en est un. Je ne peux m'en arracher. Face à moi, Juan arrive à la Tour d' Eyne. Me voit il ?
Sur le cahier caché au sommet, j'appose mes coordonnées, un petit mot pour Ludo et Yannick qui m'ont précédée de quelques jours; le cahier est surtout écrit en catalan, nos voisins prisent ce circuit. La légende du Roc del Boc y est collée, celle de l'église de Planès aussi.
Mes pieds sont nus sur les roches tellement la douleur est insoutenable. Je cherche en vain une voie pour redescendre, j'aimerais faire une boucle mais il n'y a aucun échappatoire, ce sera retour en crête. Je ne sais pas jouer du violoncelle...
Parlons en du retour : même vitesse, même trajet, même énergie, un peu plus de fatigue et un pied qui crie au scandale ! C'est lui qui me fera éviter le Pic de l'Orri, n'en rajoutons pas!
La vitesse n'est pas remarquable : un peu plus d'un kilomètre / heure, mais rien ne sert de vouloir courir sur ces reliefs là ! L'important est de ne pas trouver le temps long et d'aimer autant le retour que l'aller. Pas un humain, quelques vautours très haut dans le ciel, un isard apeuré, les vipères font la sieste et des paysages superbes en décor. Même ceux posés sur la roche.
Je quitte même la roche à regret avant de plonger dans ce vide qui semble aller nulle part...Comme un grand entonnoir qu'il est en réalité. Et qui va me déposer au bout de son bec, sur le plancher des vaches, 600 m plus bas, une heure plus tard, en douceur, en douleur, en bonheur.
En chiffres :
dénivelé : environ 1000 m (positif cumulé)
distance : environ 9.5 km AR
A revoir, pourquoi pas ? la randonnée à la Tour d' Eyne en un clic
Sur mon promontoire perchée, je vais tourner comme un derviche, le paysage est grandiose.
Quelques vues du panorama, en silence, en couleur, en relief et en majesté: silence je tourne !
Vallée de Planès, vers l'aval |
La sierra del Cadi, Catalogne |
Les pics vers l' Est : Raco, Rodo et autres: vallée de la Riberole |
Face au sud : La Conca à droite, la Tour d' Eyne en face, le Pic d' Eyne, la coma d'Infern (gauche de la croix) |
Conca (coquille) et son verrou glaciaire en 2nd plan et Tour d' Eyne, 2831 m |
Juan "à sa tour monte , mironton, mironton.." etc... |
Sans légende.... |
Au revoir el Boc |
La vitesse n'est pas remarquable : un peu plus d'un kilomètre / heure, mais rien ne sert de vouloir courir sur ces reliefs là ! L'important est de ne pas trouver le temps long et d'aimer autant le retour que l'aller. Pas un humain, quelques vautours très haut dans le ciel, un isard apeuré, les vipères font la sieste et des paysages superbes en décor. Même ceux posés sur la roche.
L'herbe retrouvée :je viens de tout au bout là bas |
Où je pourrai enfin délacer mes souliers et délasser mes pieds....
Ensuite ? Oh ensuite, la voiture n'est plus très loin, je marche un grand moment les souliers autour du cou, et je retrouve mon land rover pour une pause détente : repas, lecture , repos, car...je suis bien fatiguée cette fois . Autrement que pour le 3014 m !! Mais tout aussi heureuse !
Déjà je me demande: où vais je trouver une autre arête ??
Euh...pause....vin muscat sec....en apéro |
dénivelé : environ 1000 m (positif cumulé)
distance : environ 9.5 km AR
A revoir, pourquoi pas ? la randonnée à la Tour d' Eyne en un clic