mardi 17 décembre 2024

Cerbère (66) : La mer, un rêve au bout d'une corde.

 

Aux confins des Pyrénées Orientales, derrière un cimetière marin, tout dernier habitat français, se trouvent de hautes falaises plongeant dans la mer. Des falaises impressionnantes qui luisent au soleil car faites de schistes gris ou noirs, plongeant abruptement dans des eaux aux reflets changeants en un  enchevêtrement de rochers énormes battus par les vagues. Ici rien n'est calme, ou rarement : la lumière change, la vague se creuse, éclate sur les rochers, bouillonne ou murmure, c'est la mer dans tous ses états. Cette côte dite Vermeille est, jeu de mots facile, une vraie Merveille que l'on découvre à chaque virage de la route en corniche. Au sud se profile le magnifique Cap Creus.



Là où je vais

Aucun sentier ne conduit au bas de cet ensemble de falaises  en demi cercle et, plus encore, il s'y loge, quasi invisible d'en haut,  une étroite et minuscule plage dite "de la mine" ou "du minerai", accessible seulement par la mer. J'en ignorais l'existence et le nom aussi curieux que peu poétique.

Plage du minerai



Paradisiaque !

Mon vieux rêve était de descendre au bas de cette falaise, j'ignorais même qu'il n'y avait pas d'accès. Je suis donc allée visiter depuis le haut et seul un couloir très long et escarpé pouvait en permettre l'accès. Le lendemain sous un temps plus que maussade, tramontane violente et giboulées cinglantes, je suis revenue nantie de cordes. Le site est "sous le vent", donc abrité.

 Je n'ai pas réalisé un exploit ni une "première", d'autres y sont descendus, ce couloir logé entre les falaises se descend sans difficulté pour un bon montagnard. J'ai opté pour la corde afin de me rassurer, je n'ai plus 50 ans !

Je me suis donc rendue au départ du couloir de descente, un vrai couloir de montagne, avec un arsenal de cordes à nouer les unes aux autres. En espérant qu'un promeneur ne me les "piquerait" pas en passant. Mais vu le vent violent et glacé, aucun promeneur ne se serait aventuré ici.


Au départ : portion de sentier littoral, il grimpe ensuite
là haut


ça décoiffe ce matin !
ça "giboule" ce matin



70 m dans mes bagages


J'ai lié la 1ere corde à la rambarde en bois du sentier littoral battu du vent et sitôt partie en désescalade, ce fut calme plat. Sous le vent. Je suis descendue en marche arrière, plus facile. 


Cerbère en fond


Départ


Le couloir ne présente aucune difficulté majeure: c'est du schiste croulant et glissant, c'est très pentu, mais "orné" de moults tessons de bouteilles (ancienne décharge) et de figuiers de barbarie avec leurs attributs de fines épines insupportables ; donc je garantissais mon confort plus que ma progression. Le ciel mitigé s'éloignait au dessus de moi et la mer avec ses rocs agressifs se rapprochait à chacun de mes pas.

                                                                                      


Je nouai la 2nde corde, plus fine, puis la 3 eme et, au bout de ces 70 m, je m'aperçus qu'il me manquait un long morceau de descente, plus étriqué et plus escarpé. Bien sûr j'étais capable de descendre mais mon récent voyage aux urgences et sur le billard m'ayant refroidie sec, je suis remontée chercher dans mon camion un rouleau tout neuf d 30 m de fine corde offerte par un copain, Johany, qui en a marre de me voir prendre des risques. Le vent glacé m'a assaillie alors que ce sport me faisait presque transpirer.



La mer se rapproche !!



En descente

 Je redescendis, face à la mer cette fois, avec ce boudin de corde fine et là, quelle galère, ce fut à coup sûr le moment le plus difficile, libérer cette corde vrillée comme un chapelet de saucisses. Je faillis abandonner mais je pensai à Johany et, confortablement assise sur une plaque de schiste, je dévidai la corde avec un chapelet de jurons de corps d'armée !



Quel plat de spaghettis!


 Très fine la corde, mais confortable: elle me permit de descendre quelques goulets pas très larges et elle arriva à sa fin, avant le terminus. Malgré les 100 m de longueur mis bout à bout,  il manquait encore 10 m. 




Alors je déviai ma trajectoire et terminai en sécurité en longeant la grande dalle de schiste gris pâle.


Le couloir d'où je viens

                                                                                         

Structure des falaises


Je fus au bord de l'eau, enfin, mais point de plage. Qu'une montagne de rocs arrachés à la falaise, polis par l'eau, striés, veinés de quartz blanc contrastant avec la roche grise ou noire. Magnifique décor....Des falaises impressionnantes, une mer changeant de teinte et de reflets sans arrêt, au gré du ciel, du soleil et du vent, un paysage austère et enchanteur à la fois. Je m'aventurai autant que possible dans le secteur où gisaient des vestiges métalliques rongés et sculptés par la mer, dont une vieille voiture. Je ne savais pas encore que j'étais tout près de la petite plage bien cachée.


Mon rêve est à mes pieds 









Quartz



Travail marin sur le schiste






Vers le Cap Cerbère




Lumières changeantes vers le sud et le Cap Creus






Sculpture marine


Evidemment je ne pus résister à la baignade sur un petit fond de sable entre deux rochers, l'eau que j'évaluai entre 15° et 17°, était finalement à 16°; très acceptable car l'air était bien plus frais. Et puis l'eau froide ne me rebute pas. La montagne m'y a habituée.


Ce n'est pas la tenue de bain

Je séchai sur un rocher en mode cormoran avant de remonter tranquillement me faire bousculer par le vent mauvais. En remontant confortablement, (merci les cordes), j'enroulai au fur et à mesure mes anneaux de corde, évitant ainsi l'inévitable coinçage dans le schiste ou...les cactus ! Oh, ces gredines de corde me gratifièrent bien de quelques piquants qu'elles avaient ratissés au passage .


La fausse douceur 

Je profitai de la remontée facile à la corde pour m'intéresser à la flore du couloir : 


Persil me dit "PlantNet " ? Euh...faudra que je retourne vérifier...                                                                                                                                                                                                                                      

Tout est prêt pour le retour, on ajoutera 10 m !

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  Alors cette Plage du Minerai ? Internet vante ses charmes et sa non accessibilité sinon par bateau. Et oui, je n'y ai pas accédé; je pourrai peut être en été et à pied, en progressant dans les rochers, ce sera un défi, ou plutôt à la nage, prenons patience, juste quelques mois à attendre! A moins qu'un couloir discret ne me permette de descendre comme une araignée au bout de son fil ? Je ne perds pas espoir ...mais le secteur est infesté de cactus. Hautes et raides falaises, je ne veux courir aucun risque, renoncer, je sais faire. De plus en plus.


En jaune, emplacement du couloir
En rouge, plage et improbable accès


Plage de la Mine et improbable accès


Le minerai serait "un indice de fer-cuivre dans des filons de quartz à pyrite chalcopyrite", au Cap Cerbère. Google précise aussi que cette plage accessible uniquement par mer, désertée des touristes même en haute saison,  serait fréquentée par les requins. Info ou intox ? Requins...il y a des requins humains aussi sur terre, je crois.

Dans tous les cas, pour l'heure, je n'ai quasi rien vu de cette plage sinon une alléchante photo aérienne sur mon site de cartographie préféré !








Mais j'ai adoré cette balade musclée et originale qui faute de me faire filer aux urgences, m'a conduite d'urgence de l'autre côté de la frontière me restaurer allégrement : je l'avais bien gagné, non ? 






samedi 7 décembre 2024

Py & Sahorre(66) Conflent : Le chemin perdu de Barballeixa

 Barballeixa, un lieu dit dans les montagnes est aussi le nom d'un ravin affluent de la rivière La Rotja. Barballeixa signifie mauvaise herbe, herbe de mauvaise qualité. C'est tout dire !

Barballeixa : un nom qui me plait et m'amuse.

Pour atteindre Barballeixa, il y a un joli sentier de randonnée qui mène jusqu'à Escaro, si l'on veut, ou à Sahorre, Thorrent; on a même le choix de revenir par le canal. Une très belle rando. Un chemin en balcon avec vues superbes dans un décor rocheux assez tourmenté, voire "sauvage". 

Point de vue sur la vallée de la Rotja depuis le chemin 
de Barballeixa

Et puis il y a l'autre, un étage en dessous, en pointillés noirs sur la carte et qui va jusqu'au ravin de Barballeixa, son terminus : c'est sans doute, me dis-je, un ancien chemin agricole menant à un ravin dont l'eau permettait des récoltes. Il devrait alors rester des vestiges de ce passé paysan : des terrasses et sans doute quelque habitat pastoral car c'est loin du village. Bien que ce soit commune de Sahorre, l'accès se fait par Py.


En pointillés noirs surlignés de rouge, ce chemin

Car si accès il y a encore, cela doit être bien dégradé; et en découdre dans du terrain dégradé, cela me plait!

 En ce 1er jour de décembre, je prends le départ à 9 h 26. C'est tard, mais le trajet n'est pas long en km. En temps ce sera une autre histoire.

Je pars du "Veïnat" soit le hameau de Py. Le temps est beau, le soleil brille et dore déjà les hauteurs.

Sitôt passé le beau mas en rénovation, le sentier de randonnée grimpe et bifurque vite sur la droite, c'est ma direction, on ne voit rien sur le terrain hormis une petite croix orange quasi effacée, je quitte la civilisation. Il ne faut pas manquer le départ, ensuite le chemin est bien tracé, entre deux murs, large, dans un paysage de terrasses, mais illusion fugace, tout de suite le chemin ressemble à un vague cheminement, je vois ce qui m'attend.

Le point de départ au dessus de Py

Début du chemin


En suivant, dans La Solana


Py s'étire au soleil

Le paysage familier d'en face, Bareu, Soteilles, est dans l'ombre grise et froide des arbres nus. Je marche au soleil. Le chemin reste lisible en courbe de niveau . C'est La Solana. Rapidement, en m'éloignant du village il sombre dans un fouillis végétal : c'est normal les cultures proches du village ont perduré. La lecture de la carte m'a dit que d'ici au ravin, le paysage sera stérile et sans cultures donc le chemin sera bien abimé. Ensuite il y aura une longue traversée d'un secteur très rocheux, c'est lui que je redoute car j'imagine le trajet complètement démoli.


Toujours dans la Solana

Le décor change


Le chemin suit transversalement les replis du terrain, quasi en courbe de niveau (économie de fatigue pour les travailleurs d'autrefois) et bien qu'il soit enfoui dans un couvert végétal très fouillis, il est lisible pour une raison très simple : il fut entretenu par les chasseurs, abandonné il y a quelques années, cela se voit aux coupes des végétaux. Ils ont bien repoussé, m'engloutissent parfois mais les chasseurs ont cairné, je n'ai même pas besoin du GPS. Ce n'est pas un boulevard, c'est un taudis semi lisible .


Reliques du chemin

Vestiges des chasseurs



Le chemin dégradé

Tout autant dégradé



Quelques passages plus lisibles

Je traverse ainsi Le Marcenil, toujours dans la commune de Py puis j'entre dans celle de Sahorre. Le paysage est beau, ouvrant sur la vallée de La Rotja, les lointains noyés de brume, ou les hauteurs de forteresses de roches. Pas un bruit, pas un animal, le monde végétal m'a engloutie et je me sens bien. 


Sur la rive en face : sous les fumées, l'élevage du bord de route



La brume noie la vallée de la Têt


J'ai même oublié le trauma de ma chute et de ma blessure, j'ai replongé dans ce qui est mon monde...rassurant !

Rassurée mais prudente, j'avance, j'ai hâte d'aborder la roche, que j'observe de loin, j'essaie de deviner le chemin, j'entrevois sa cohérence, un ou autre mur, il est peut être encore existant ? Si les chasseurs l'utilisaient...il devait exister !


Que va me réserver ce terrain rocheux ? 



J'y devine le sentier à quelques murets

Et il existe ! Au delà de mes espérances : quel décor, quel parcours...mon enthousiasme ferait rire les chasseurs ! Je fais une découverte stupéfiante, deux scories de forge à bras médiévale. Même ici ? 


Il passe en éboulis

Il garde quelques beaux restes





Veillé par deux sentinelles

Dans les lointains




Le décor dans lequel il se faufile


LA trouvaille ; scorie de forge à bras médiévale

Des murs soutiennent le chemin, d'autres se sont effondrés, j'imagine en évitant les rocs, les végétaux, entraversant des éboulis, à quoi devait ressembler ce joli parcours en balcon, propre et bien carrossable...Des bribes de murs étayent encore cette sente.

J'entrevois le canal coulant quelque peu en contrebas.

Passage en roche



Escarpé et beau



Vestiges de marches



A flanc de falaise



                                                                                   
La route de Sahorre à Mantet
Le chemin


Petit col taillé dans le rocher

Le ravin de Barbailleixa creuse son sillon devant moi, plongeant vers la Rotja : la face sud est aride et stérile, la face nord boisée et sombre


On distingue le route, dans l'ombre et au soleil, la saignée du ravin de Barballeixa

Un dernier virage et le chemin descend, en s'enfonçant en forêt, vers le ravin de Barballeixa.




La végétation et le climat changent

Le balisage aussi


Je ne vois rien, sinon le chemin qui a changé d'aspect, propre, entretenu, dévié de sa trajectoire d'origine et balisé de rose : chemin de chasse. Il traverse le ravin où coule de l'eau glacée et un air aussi glacé. Une ébauche d'ancien canal se devine, mais nulle trace de cultures. Je délaisse le chemin de chasse qui entame sa remontée, je me restaure un peu et je repars en sens inverse, bien décidée à ne pas reprendre ce chemin fatigant. Les chasseurs, ils sont bien arrivés par un "chemin rose",  donc je dois le retrouver ! Et je n'y arriverai pas...

Dans la vallée 

A mon avis, ils venaient par le canal Py Thorrent. Qui coule en contrebas

Alors je tente un pari un peu fou, piquer droit dans la pente, en évitant les barres rocheuses, pour gagner le canal. Je balise le départ, je me lance sur une sente animale et, surprise, je trouve une série de petites terrasses, hautes et superbes. Je cesse de baliser, la pente est très raide mais facile...enfin...escarpée toutefois et très sale. Et j'atterris sans m'en apercevoir dans le canal vide.








Une descente de 100 m linéaires

Et le canal, bien à plat
























Je reste sur ma faim, je n'ai pas vu ce que j'espérais. Je vais voir le croisement entre canal et ravin, je reconnais les lieux et là se trouvent les points roses...évidemment. Un petit canal adjacent amène de l'eau du ravin de Barballeixa au grand canal, en complément.


Suivons la trace !

Alors je vais remonter, soyons folle, revenons à Barballeixa, c'est un chemin tracé par et pour les chasseurs, donc direct dans la rivière, puis direct dans la pente ! Je souffle, je grimpe et j'arrive à la balise que j'ai posée.
Ma balise

Arrivée en haut


Vue vers l'amont du ravin de Barballeixa : le "vrai" sentier" de rando passe là haut


Mission accomplie, d'autant que j'ai rencontré les terrasses, les anciennes cultures et, cerise sur le gâteau un magnifique cortal . Pari gagné, je suis ravie, je visite. L'obstination a été payante !

Les terrasses cultivées


Le cortal



Immense cortal 


 Je redescends et, arrivée au ravin, prise d'une intuition, je vais visiter le lieu, en amont. Là aussi je vais trouver : une ruine, et une cabane. Consulté plus tard, le cadastre napoléonien reste très peu loquace sur ce secteur.


Ravin de Barbailleixa





La porte de la maison

Les ruines de la maison


Et la jolie cabane bien conservée


A présent, je sais que j'ai fait le tour du domaine, que j'ai rempli ma mission et que je peux "rentrer à la maison". En suivant le canal. Barballeixa m'a livré ses secrets enfouis sous les arbres, la mousse, les ronces et les feuilles mortes ...et l'oubli.







Le trajet  : en rouge le chemin, en jaune mes recherches, en blanc le retour par le canal. 7. 5 km




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