samedi 29 août 2020

Le Besiberri Nord, 3009m, Val d'Aran (Pyrénées espagnoles)


Comme la mule du pape d'Alphonse Daudet j'ai attendu 7 ans. 7 étés....

Un jour de l'année 2014 je posai mon doigt sur une carte et décidai : "ce sera Lui!".
Un jour de l'été 2014, je me trouvai devant Lui, j'avais fait 400 km de route pour Lui,et plus de 1 km de dénivelé à pied, pour Lui et, devant cette imposante muraille, deux jeunes hommes, cordes aux épaules, dirent à ma naïveté: "Ce n'est pas pour toi ça !".
Depuis, je vécus d'autres histoires, d'autres rêves, d'autres aventures. De plus en plus musclées. Lui, il était là, en filigrane, jamais oublié.
Un jour de confinement je décidai : si je survis, je prends un guide et ce sera Lui, si je meurs, les amis iront m'y déposer.
Je survécus, ne pris pas de guide puisque Didier s'offrit à le remplacer et, en ce mercredi 26 août, me voilà devant Lui. Prête à en découdre...
Lui ? Le Besiberri Nord, 3009 m.


Au sommet

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 Didier m'a proposé de le gravir ensemble . Comme l'an passé il me dit "on prendra la corde mais je suis sûr que tu n'en auras pas besoin". Et comme l'an passé il ajoute: "on partira à la frontale et on va aller lentement, profiter de la journée, prendre le temps". Finalement il a raison, au lieu d'aller s'asseoir en terrasse devant une boisson fraîche et discuter, pourquoi ne pas s'octroyer une journée touristique en montagne ? Touristique elle le sera, riche aussi, au delà de mes espérances...
Pourtant à 1 h 30 du matin l'angoisse m'éveille et c'en est fini de ma nuit ! J'écris pour la dissiper, rien n'y fait.




1546 m : 4 h 10, noire nuit, ciel étoilé dans le petit espace que lui laissent là haut cimes et sapins, on prend le chemin de la forêt, celui qui monte tant jusqu'à l'étang de Bésiberri. Les cascades s'épanouissent dans le noir, le sentier révèle son joli pavage pour muletiers d'antan, à la lueur des frontales, et toute la vie nocturne et silencieuse apparaît, crapauds énormes et longues et fines araignées. Sinon, tout dort et il fait déjà chaud, le  sentier est très escarpé, je me souviens de tout comme si c'était hier. Il y a deux ans déjà, je montais seule au Bésiberri sud.

L'étang de Besiberri signe une page de repos, à 1985 m ; on va le suivre et remonter tranquillement la prairie jusqu'à l'Estagnet, 2158 m. 




Le beau paysage est dans notre dos, le soleil dore les cimes de la Maladetta puis de ses voisins, peinture orangée sur de la roche et des arêtes, une vraie galerie d'art. On avance et on parle, surtout : des pauses, du temps devant soi, on se voit une fois l'an, on comble les silences!




La remontée du sentier au dessus de l'Estagnet est difficile, un glissement de terrain a tout ravagé mais je connais le circuit. Quand je passe quelque part une fois....
A présent il faut choisir un itinéraire pour partir hors sentier rejoindre la muraille : on étudie et discute comme devant l'étal du boucher, mais quoi que l'on choisisse ce sera du steak dur comme une semelle, en dalles, en pavés, en lit de ruisseau, mais tout en roche, il n'y a pas un poil d'herbe ni une poussière de terre. Et ça , j'aime !! Mais c'est crevant.


Tout en haut, mais que de caillou! Quand on aime on compte pas !!

L'avenir est devant nous, une muraille de granit gris virant au fauve, avec la lumière, striée de fissures, crevasses, cheminées minuscules, hérissée de blocs, falaises et rocs, avec un rare jardin de mousse et d'une austérité à faire fuir les moins hardis. Que nous sommes loin d'être.


C'est là haut ...faut juste trouver le chemin
 Tout en regardant où nous mettons les pieds dans des blocs monstrueux, on scrute la façade de l'immeuble : par où l'attaquer ?? Chaque dizaine de pas, on scrute . Et on suppute sans fin.
Didier y est déjà venu, mais devant cette forteresse, il ne sait plus où fut son chemin.
En images la montée jusqu'au pied de la muraille :


Une idée de la déclivité sur laquelle on grimpe

Austère et magique à la fois

Energivore et envoûtant


Dans notre dos



Comité d'accueil : Tête de Mort ?



Quant à moi, novice en la matière mais dotée d'une solide intuition, je choisis un passage...caché...!
Qui ne parle qu'à mon instinct puisque je ne vois rien, sinon une diagonale qui se devine derrière un mur et qui pourrait...comme mes chemins secrets de Vingrau...Merci à mes falaises qui dominent à 600 m..là c'est 5 fois plus mais pourquoi pas ? Allons donc voir...
Et c'est tout vu !

Les repères dans les ellipses
En bleu la partie cachée

 2800m :bâtons dans le sac on entreprend la montée d'un petit couloir escarpé, jardin d'altitude au sol moussu égayé de fleurettes . C'est beau mais le sol est croulant, le granit qui se délite fait un joli billard à consommer avec prudence faute de modération. Et ça monte, allègrement, le paysage prend de la splendeur, les falaises en imposent, vrais murs verticaux, les mains s'accrochent aux murs et les bâtons de Didier s'envolent, tant pis, on les récuperera au retour !
Les deux bavards continuent à deviser, à l'aise comme en terrasse, devant une...faut pas citer !Pas correct...

Le départ de la voie


Chemin facile mais croulant

Dans la muraille

Selfie
Le décor : étang de Besiberri

Massif de l'Aneto
De vire en vire nous voilà devant ce qu'on avait épié en bas, un énorme roc coincé. Je suis en tête et je m'exclame ! S'il n'y avait aucune trace de passage voilà une sangle de rappel! Donc cette voie est empruntée..oui mais...en descente ! Que va dire la montée ? Un rappel se fait à la corde et nous on monte. Mais on a le matériel et si on ne peut monter et bien on redescendra et adieu le Bésiberri.
Là, en plus du bloc coincé impraticable, et du signe de vie, il y a un joli goulet étroit qui m'attire : c'est sûr on passe! Je laisse Didier passer devant et il coince, son sac ne passe pas. Il redescend et se lance dans une acrobatie aérienne avec brio, sur un mur exposé, sous mon regard affolé, le voilà en haut. Prêt à me faire monter en corde. Sauf que pour moi c'est "Pas question, je tente d'abord! "Je le vois (à juste titre) inquiet. Si je manque le coup ce peut être le coup fatal. Mais je me sens sûre de moi. Le mur exposé me fait peur, c'est non et non, reste le goulet, faussement sécurisant parce qu'il est en creux. Evidemment, sitôt engagée le sac me gêne et Didier me reparle de sa corde. Je me débarrasse des meubles (sac et APN) au prix de quelques tortillements périlleux , lui tends tout ça et me glisse dans le goulet , c'est passé, je suis ravie.



C'est par là que je passerai
en montée et descente

Acrobatie ! 


On continue et le parcours devient ludique. Des jardins suspendus, des pelouses de mousse, des tapis roulants (croulants) des murs de roche à grimper, et s'il y avait des curieux ils nous auraient entendus exclamer notre joie : on est bien, on s'amuse, on se régale, c'est ça la vie, on existe, on est vivants,  etc..etc...comme si on inventait la 9 eme merveille du monde.
J'ai une pensée pour Christelle et Alain qui aimeraient tant....



Grimpe facile
Et vide vertigineux


On a le choix de l'étage et du tapis de sol


Il y a aussi des couleurs jaunes et
roses chez le fleuriste du Bésiberri


























Les merveilles sont dans nos murs : voilà que le granit austère parle; il nous présente ses entrailles et ses entailles. Des cristaux de quartz, des rivières de cristaux de toutes tailles, des dessins, des petits coeurs, enfin il nous séduit du mieux qu'il peut, on a quitté l'étal du boucher pour les écrins du joaillier.


Le coeur du Bésiberri
Du quartz enchâssé dans le granit


C'est ça le Besiberri si on sait le comprendre. Et on s'y sent si bien. Le paysage on ne l'oublie pas, bien qu'il soit toujours le même, mais on se croirait en avion, : d'un côté les austères falaises qui nous engloutissent, de l'autre un vaste panorama de plus en plus aérien, et pour faire la jonction, des falaises redoutables plongeant dans le vide vertigineux sauf que vide et vertige, on connait pas.


Pic de la Mine

Vers le Grand large...Vallée que l'on a empruntée et, en fond, Aneto

On attend de rencontrer un nouveau passage difficile mais non, c'est juste une balade plutôt verticale, on garde pieds et mains bien sûrs; car si les prises minérales sont aussi nombreuses que dans une vitrine de quincaillier, elles lâchent aisément, donc...prudence !
Nous voici déjà haut, on joue depuis longtemps avec les 2800 m, les 2900 m. Un solide "gendarme" nous attend, on le salue au passage, il garde un croisement de voies (enfin des cairns) et regarde inlassablement la goutte bleue des Etangs Torts de Riu.

Le gendarme et son décor : enfin de l'eau !!

On lui tourne le dos, ah non, on n'est pas en haut! Le paysage change, à présent on se dirige sur l'arête qui est monstrueuse : blocs monstrueux, aiguilles acérées, éboulis gigantesques, une tempête passa un jour et démolit ce château de cartes ! Chaque bloc ferait un toit de cabanon!

"l'ultim tram" le dernier morceau

Le toit d'ici
  Soudain, devant mes yeux, rien que du bleu : bleu du ciel, plus de roche, ce n'est pas le sommet, c'est le fil de l'arête. A près de 3000 m. Et pour du fil, si on n'est pas à la mercerie, c'est du fil ! On se penche au balcon vertigineux, on s'assoit sur le fil si étroit qu'ils est sans pitié pour notre arrière train, un "salto del caballo"  fabuleux.

Sur la crête : Didier l'a parcourue voilà 2 ans, autrement musclée que notre montée
Il y retrouve ses sensations et il est heureux !

La crête qui conduit au Bésiberri Sud, au Comaloforno, ou à l'Abellers,
en passant par le Besiberri del Mig

Penchés au balcon







Et  assis sur la rambarde...

...du balcon, entre les 2 faces du Besiberri



  Le sommet il faut encore aller le chercher et arpenter une arête facile, quoique tourmentée, à contourner, à chevaucher...et ça y est, les breloques d'un sommet sont là : une boite vide avec un briquet (???) rouillé, une plaque à un jeune défunt, un cairn, un disque de scie gravé et une plate forme de terre pouvant accueillir un bivouac. A 9 km du mien de bivouac.



"Ce qui ne te tue pas te rend plus fort"

Le sommet...de la joie
Le bout...de mon rêve

J'en ai rêvé, je l'ai fait et pourtant la larme me viendra à l'oeil des heures plus tard, dans mon lit, car le panorama à 360° d'une rare beauté, me fait oublier les 3009 m. Et le mythe du Besiberri nord que j'attends depuis 6 ans
Quel panorama !
Là on en prend plein les yeux, on tourne comme des derviches tourneurs dans leur sultanat turc du 13 eme Siècle. On reconnait nos pics, nos parcours, nos voyages qui sont aussi des voyages intérieurs...
Juste en images et en légendes...


Vers l'est, côté barrage de Cavallers, mes sites familiers car parcourus
Etang de Malavesina (2500 m), Etang Noir (2130 m), Punta Alta de Comalesbienes (3014 m)
et Pic du même nom (2993 m)

Le splendide Estany del Mar, 2250 m

Lac Tort de Rius, 2350 m

Là d'où l'on vient et le Massif de la Maladetta, l'Aneto

Vers Etang Tort de Rius


La longue crête conduisant au Comaloforno (3029 m) au Comalestorres (2807 m) et
 aux Espadats de Comalestorres

La crête qui conduit au Comaloforno et au-delà
C'est dans cette cuvette alors enneigée que j'étais arrivée en 2014
Le petit lac 2856 m était sous la neige...si j'avais persévéré je pouvais passer au travers !

Le clocher et l'horloge du coin

Dans l'ombre, Tuc des EStanhets 2887 m

Les mots ? Ils diraient si mal notre bonheur, notre émotion, notre émerveillement, communs, car on a tous deux cet amour là. Comme une évidence toujours : on dirait qu'on a grandi ensemble sur les mêmes arêtes ! Pourtant des années nous séparent. Mais la montagne est un ciment .
Le restaurant n'attend pas, on choisit son panorama, personne ne nous disputera la place.
Le temps passe, mais il faut s'arracher (oui c'est le mot) et se forcer à quitter les lieux.


Faut songer à rentrer ! Au bout du lac il reste encore des km
de descente vive dans la forêt

La descente, c'est décidé se fera par le même chemin; malgré des cairns, l'ailleurs est trop aléatoire, la corde n'est pas très longue et s'il me manque de la ficelle, que ferai-je ?
Au revoir le gendarme, je pense ne jamais te revoir...



Je choisis la voie du milieu, évidemment! En désescalade

Les fainéants du jour (ph Didier)

Didier, prudent,  recommence à me parler de sa corde pour le passage difficile et moi, je voudrais bien passer comme ça.
On retrouve nos cristaux, nos jardins, nos fleurs jaunes roses ou mauves, les chevelures de mousses, qu'on dérange le moins possible; mon sac s'alourdit de quelques cailloux et nous voilà au passage clé. Non! Pas de corde ! Pourquoi ? Peut être par prétention? Non, sans doute parce que je sens que je suis capable. Ou alors par inconscience?....En fait ,  il y a si peu de chemin à faire et tant de manipulations avec la corde...Et j'avoue que je ne sais pas descendre avec un gri gri...L'apprentissage  me  fait plus peur que le petit passage exposé, car si je ne sais pas faire,dans ma tête c'est plus dangereux (ce qui est faux)! Je me glisse dans le goulet, sac sur le dos, me voilà couleuvre m'allongeant à souhait, Didier me suit, c'est bête j'ai peur pour lui, alors que le pro c'est lui. Mais la descente s'achève sans souci, on regrette presque que cela fut fini, on en redemanderait  comme d'une pâtisserie !



(Photo Didier)

Les bâtons sont restés sages et le pierrier nous ouvre toutes ses dents mais on va essayer de l'éviter en allant chercher des éboulis plus fins et moins énergivores.


Pic de la Mine 2706 m (trident à droite)
Un clin d'oeil à Christelle qui eut aimé (peut être) ce parcours !








Un parcours plus reposant, une vitrine de la géologie : cet étonnant granit, austère comme tous les granits, révèle des poches en son ventre pleines de magnifiques cristaux de quartz, de toutes tailles, polis et taillés façon orfèvre, de surprise en surprise. Ou alors des faces luisantes comme passées à la cire, le travail des glaciers peut être ?

Cristaux de quartz dans une enveloppe de granit

 Soudain je plonge dans l'enchevêtrement de roches, le choc est d'une rare brutalité, je me vois déjà hélitreuillée mais je me relève, rien de cassé. 5 morceaux de moi sont presque hors d'usage, un ongle saigne et crie, mais je me mets vaillamment en route en choisissant chacun de mes appuis, négociant chaque roc en désescalade, avec lenteur et douleur. Je regarde le sol, dès que je lève les yeux c'est la montagne qui devient derviche et tourne vertigineusement.



ça tourne à me jeter au sol si je regarde en l'air mais l'APN reste stable...
 Les cristaux de  mes oreilles ne sont pas ceux du granit ! J'arme mon mental, dévale sans le vouloir le glissement de terrain, en ressors couverte de terre, dans un état proche de l'épave et finis ma course dans les eaux fraîches de l'Estagnet où je refais peau neuve, noyant terre et douleurs, le retour sera presque confortable. Juste un souvenir qui ne ternira même pas cette belle, cette fabuleuse journée.


L'Estanyet devenu cabinet médical : on y soigne nos maux !!
Et ça fonctionne...

Pousière de lumière
Je suis allée au bout de mes rêves, encore une fois...
Et avec désolation je m'aperçois que je n'en ai plus aucun dans mon sac à dos...
Et alors ??
Oh...Didier m'en trouvera bien un !!

 Merci à toi pour ces cadeaux, non pas tombés du ciel, mais que nous allons ensemble
 décrocher plus près du ciel


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Mise en garde : ce périple n'est pas de la randonnée, c'est à réserver aux personnes expérimentées, n'ayant pas le vertige ni la peur du vide, ayant une excellente condition physique (quel que soit l'âge).
D'après mon partenaire c'est de la haute montagne. A consommer en étant responsable et prudent.

En chiffres
Temps d'absence (touristique) 16 h
Distance : environ 20 Km
Dénivelé : 1575 m
Et la route ? 727 km aller retour (faits en 2 jours)


Sur mon 2nd blog, les coulisses de cette ascension ou "Nuit d'Angoisse" ( en un clic)