Plusieurs personnes m'ont dit "Le Rodó ne se fait pas en rando et il n'existe aucun topo".
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Le Rodó face ouest, au matin |
Alors, je me suis dit "Un pic inaccessible en rando, ça existe, mais...j'en veux la preuve".
Donc, il fallait le prouver car j'étais sûre (par intuition) que j'y trouverais un accès.
Il y a quelques années, j'avais regardé ce pic et un certain couloir face ouest, un certain couloir face est...c'est un vieux projet.
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Le Rodó face est |
Je n'étais pas encouragée d'autant qu'un superbe orage de grêle m'accueillit la veille à l'arrivée au parking....Grrr
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Déluge |
Le lendemain, 6 h 26, (1646 m) avec mes fidèles et motivés Alain et Christelle, on décolle dans une aube pure.
Trajet identique à la semaine passée, la rivière est un peu plus gonflée mais on traverse sans souci.
Un cerf détale à notre passage, s'enfuit à travers bois et crie en puissance : "Des intrus ! Des intrus! "
Des blocs énormes qui nous ravissent, amuse bouche du menu espéré. Altitude 2264 m
Le couloir est ravissant : ensoleillé, tapissé d'herbe et de fleurs, cerné de rocs puissants, très pentu mais facile, un régal.(Ce couloir mesure 300 m linéaires et 169 m D+, 35°). Des isards nous regardent monter. Vers le col, le vent nous assaille, rien de plus normal. Etonnant col (2433 m)qui bascule sur un couloir jumeau, le couloir ouest, symétrie parfaite !
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Couloir ouest |
Pour nous c'est gauche toute en évitant les sentiers cairnés qui conduisent aux voies d'escalade, ne pas tomber dans le piège mais chercher sa propre route.
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ça grimpe allègrement : mise en jambes |
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La gestuelle parfaite !! Ph Alain |
C'est là que mon instinct, très aiguisé ce matin, me fait foncer, bifurquer et choisir un tout droit se terminant par une entaille dans la muraille : la montée est sportive dans les falaises, je trouve une variante au cas où mais ce goulet m'attire comme un aimant. Je m'y faufile, grimpe sans problème la cheminée et débouche à l'air libre, douce pelouse, et sapin nanti ...d'une sangle de rappel. Donc c'est parfait au cas où...
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On va se faufiler dans la muraille, je trouve la brèche au loin |
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La brèche : un III (ou II sup) je pense,
peu de prises et assez vertical |
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La sortie des Sioux, 2582 m |
Mes amis suivent sans rechigner, le pied sûr, les mains aussi, le sommet ensuite se gagne, on se croit arrivé mais non !
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Je retourne sur mes pas à la sortie de la goulotte : le paysage est sublime, rencontre des 2 vallées Photo Christelle |
Alain file en tête et nous accueille avec un vent glacial, le sommet, curieusement est bien calcaire, dallé de blanc ! Mystères de montagne...Mystère que cette calotte de pelouse comme un étang, dans un univers minéral.
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Sur fond de Roc del Boc (2774 m) |
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Le sommet (2645 m) sur fond de Neufonts (2861 m) |
La vue est splendide, vallée de l'Orri, de la Valleta, cernées du Malaza (Roc del Boc) , des Neufonts, des Racó et autres, le Rodó est comme une île en plein océan, mais seul le vent en rappelle le chant puissant.
Alors imaginons...
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Aspect du Rodó |
Le Rodó est comme un immense crocodile, allongé dans le sens nord/sud. La tête, où est le sommet, tout doux, arrondi et couvert de pelouse, regarde vers le nord et les dents furent notre première muraille vaincue.
Sa queue, immense, sinueuse, ondulante, austère est l'arête qui rejoint le col Bernat, plus de 2 km.
De chaque côté de son corps, ses flancs et pattes sont les murailles est et ouest, que l'on ne franchit pas sinon en quelques voies d'escalade. Une forteresse aux mille visages de montagne austère et imprenable.
Déjà arriver au sommet en rando est un défi !
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En ligne au Rodó, 2645 m |
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Erreur de 1 m |
Mais pari gagné.
C'est désert, pas étonnant...
On ne s'attarde pas, tout s'envole au vent et on va parcourir l'arête.
On sait qu'il y a un passage difficile qui ne se descend qu'en rappel, alors on va voir, quasi certains du demi tour assuré mais...j'ai pris une corde de 20 m, à mettre en double...sait-on jamais ?
L'arête est magnifique, escarpée, aérienne, rocheuse à souhait, avec du vide de part et d'autre, juste comme on aime avec Alain et Christelle qui s'est prise à aimer ! Celle là n'a pas fini de nous étonner !!
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Départ de l'arête : cap au sud |
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L'Estagnol, vallée de l'Orri, 300 m en contrebas |
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Panorama de l'arête qu'on a parcourue dimanche dernier : les Racó et le Monellet, le Pas del Porc |
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C'est parti !! 2 km devant nous |
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En bas on devine Alain |
On va donc suivre au plus près (en puristes que nous sommes ...lol) le fil de l'arête, en évitant lorsqu'on ne peut faire autrement, tantôt en nous gelant côté ouest ou en nous étouffant face est ! Ah ce vent ....
On louvoie, on varappe, on s'amuse, que dire,une arête c'est sportif, vertige s'abstenir, faut avoir pieds et mains sûrs, et être vigilants, une chute ne pardonne pas. Une arête ne se met pas entre toutes les mains, cet article est une invitation à la prudence !!
Cette arête empruntée essentiellement par les grimpeurs est très peu fréquentée, aérienne et exposée en maints endroits, il faut une certaine expérience, le retour en cas de demi tour est plus malaisé que l'aller
Le décor est splendide, tout entouré de montagnes puisque nous sommes une "île en plein océan".
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Photo Alain ou Chris : J'adore cette photo "au milieu de nulle part" |
Nous voilà arrivés au "rappel", une faille avec descente brusque et verticale qui se négocie avec une corde et assurage . Quelques mètres.
J'ai la corde dans mon sac, mais personne ne sait pratiquer le rappel, nous n'avons pas le matériel adéquat de toute façon ni surtout la technique . Je me penche sur le vide en disant "Oups!...Mais ça n'a pas l'air difficile cette descente !" Alain confirme, il "le sent" aussi. Et Chris ? Et bien...elle est partante! Cette battante, nous allons l'encadrer. J'accroche ma corde en double, vérifie qu'elle ne se coince pas dans la fissure qui nous empêcherait de la récupérer (je la cale avec une vieille corde fixe toute effilochée à ne surtout pas utiliser).On fait le point : je descends ce qui veut dire que s'ils ne me suivent pas, je continue et eux reviennent sur leurs pas, chemin à l'envers.
Et c'est parti. Ma pratique de la corde cet hiver dans mon bois suite à la mini tornade me fait bien maîtriser l'outil, de toute façon il y a des prises pour mains et pieds partout, la corde ne sert qu'à rassurer.
En images:
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Sangles de rappel, en rouge ma corde |
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J'installe la corde en double |
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La hauteur de plusieurs mètres que nous descendrons sans rappel |
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Tel qu'on le voit d'en bas, au zoom |
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Je descends la 1ere ; départ à la corde, ensuite aux prises |
Arrivée en bas, je tends la corde au maximum pour qu'elle ressemble un peu à une rampe et Chris descend avec aisance, se tenant d'une main à la corde, le reste avec les prises, et la voilà en bas, radieuse !!
Alain, à son tour descend pareillement, la roche ne le dérange en rien et nous voilà réunis, le passage clé est au dessus de nous, c'est gagné ! Instant de fierté quand même !
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Christelle en second : ph Alain |
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Chris avec aisance ; la corde blanche ? éviter !! |
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Christelle |
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Alain dans son élément : le caillou ! |
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Yess ! On a réussi ! |
Je tire la corde qui désescalade sans entrave. (Sinon je serais allée la chercher).
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Je ramène la corde |
Et on peut continuer le voyage. Sur la queue de notre saurien immobile et venté.
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Vallée de la Valleta |
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Le Neufonts, 2861 m |
Belle arête sombre qui nous offre encore quelques belles pages d'escalade, fort aériennes au dessus d'un somptueux décor. Nous prendrons notre repas sur un petit col abrité avec vue panoramique imprenable, quel belvédère, mais chaque pas est un belvédère !
Nous repartons, une énorme falaise se dresse devant nous : on monte ? On contourne ? Je décide: "on monte!" et c'est musclé mais j'aurai fait le bon choix, car....
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On va gravir cela, c'est du calcaire |
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En haut, sublime panorama, Vallée de l'orri, Estagnol et Malaza, Tour d'Eyne etc.. |
Soudain Alain nous appelle, nous rebroussons chemin, qu'a t'il trouvé en ce lieu désert ? Ohhhh...un nouveau né isard dont la mère s'est cachée. Le bébé dort à poings fermés, toute petite peluche rousse. Il s'éveille, se lève et nous fait cadeau de ses premiers pas, pattes qui partent en tous sens, yeux étonnés sur le monde. Quelle belle venue au monde pour celui-ci, instant rare...Nous évitons de le toucher, mais il veut obstinément téter nos jambes nues, s'ensuivent des contorsions/évitement et il ne nous lâche plus, ce sera au pas de course que nous nous enfuirons, Alain le raccompagne à son rocher protecteur et s'enfuit, le bébé suit puis rebrousse chemin et va sagement attendre sa maman. Instant de grâce et d'émotion....
On n'en sort pas indemnes....
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Eterlou ou eterle, nom donné au petit d'isard |
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La main sert à donner l'échelle, certes pas à toucher ! |
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La fin de l'arête...Alain et moi nous planons..Ph Christelle |
L'arête à présent descend en douceur vers le col Bernat qui signe le bout de la queue du saurien, avec sa civilisation, le sentier de Nuria, les randonneurs, les nuages qui s'amoncellent sur le Neufonts voisin et c'est pour nous le signal du retour, le joli Estagnol, la rivière, la face ouest tourmentée et austère du Rodó que nous aurons admiré sous toutes ses coutures, ses blessures, ses aspérités.
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Toute l'arête...elle semble si molle... |
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face ouest du Rodó |
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Veau et Roc del Boc (un rappel de 15 m) On le fait ? Chiche !!!
2774 m, le Roc |
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On a bien gagné le bain de pieds !! |
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Dernier regard... |
Une mention spéciale à Christelle qui, il y a dix jours à peine, avait encore l'appréhension du vide et qui, à présent, me pousse sur les arêtes et à l'assaut des murailles que je n'ai même plus le loisir d'éviter...lol. Celle là, alors !! C'est ma grande fierté de lui faire tutoyer les arêtes. Quant à Alain il semble, comme moi, né dedans ...Et personne n'est Poissons !!!
Grand merci à mes amis qui me permettent des escapades que seule, je n'oserais peut être pas.
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Le Bonheur...et la distanciation sociale...MDR
Un petit coup de pub' pour cette bière locale (Céret, 66)
(A consommer avec modération) |
En chiffres :
Distance: 12.2 km
Dénivelé : env 1100 m
Route : 160 km AR
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Tracé GPS Christelle |
Ho que je me suis régalée ! Sans toi je ne l'aurais pas fait. Ce circuit est le plus aérien et acrobatique que j'ai fait, moi qui rêvait de faire de l'escalade je suis aux anges. Cette petite merveille croisée sur l'arrête un cadeau du ciel, pour des amoureux de la nature que nous sommes. Je me répète mais je ne te remercierai jamais assez, tu es au top. Merci Bisous
RépondreSupprimerAmédine doit vous amenez à présent sur l'arête du Roc del Boc, aérien à souhait. Rappel du Violoncelle facultatif, il suffit de revenir sur ses pas.
SupprimerLudo, j'y pense mais d'abord la torturée arête du Pedros (66), c'est un monument en son genre. Quant au Malaza et Roc del Boc, incontournable mais du facile à côté de tout ça....Sauf si on s'entraîne pour le violoncelle ...hihi
SupprimerEt tu en feras d'autres ma Belle, tu as trop d'appétit pour te laisser sur ta faim et pour moi c'est pas encore la fin malgré mes 17 ans de +++Tu m'époustoufles et ton homme aussi, alors GO, WE CAN !!
SupprimerTant que je peux je fonce enfin au râlenti, mais je suis partante dirons-nous :D
SupprimerPA-SSIO-NNANT !!! Je ne vois pas d'autre mot. Ah non, il y a aussi bravo, exceptionnel, intrépide(s), ingénieux, touchant !!! En fait les mots manquent. Cette aventure il fallait la vivre. Vous êtes formidables. Une pensée pour ceux qui ont pavé le mur vertical à moins que ce soit le fruit de la nature ? ...hihihi Et cette rencontre tellement inattendue. Merci pour la trace GPS qui permet de mieux visualiser si besoin était, ce fameux couloir de montée.
RépondreSupprimerQue dire ? Qu'ajouter ? Tu es toujours dans mon sac à dos, toi qui es mon modèle, mon moteur, avec une génération de moins que moi; 3 X HELAS....Et moi je suis le moteur de Christelle, de ta génération, la vie est bizarre non ? En tout cas ton commentaire me (ré) conforte : continuons !
SupprimerJe peux tenvoyer la trace gpx si tu veux mais je pense que tout comme Amédine tu connais les lieux et les repaires sont enregistrés ;)
SupprimerBonjour Lison :) c'est l'Auvergnat , Gilles DST m'a donné ton lien :) , magnifique tout simplement est très physique , bravo à vous 3 !!!! moi là je reste en bas , j'avais fait d'escalade mdr , merci pour ce superbe récit , et la raconte avec le bébé isard wow !!! , bonne journée d'un Auvergnat :)
RépondreSupprimerhihi, oui nos échanges amusants sur FB, merci de ton passage "virtuel" sur nos cimes Pyrénéennes, l'Auvergne est plus douce malgré les noms, ex Puy Violent que j'ai gravi avec mon chat randonneur en 2010. Bon c'est le Cantal mais j'adore l'Auvergne en entier !! Amitiés on risque de se suivre par blog interposé me manque juste le tien
Supprimerhabile ,maline et motivée ,tu nous as enchanté ,moi qui suis passé tant de fois devant ce pic , j'ai l'impression de le connaitre un peu plus , l'histoire du petit isard je l'ai vécu avec des marcassins un hiver en forêt , touchant !!
RépondreSupprimerc'est un coin exceptionnel!
Jean, je me suis enchantée et j'ai enchanté mes amis....Alors si je fais ça aussi avec mes lecteurs, c'est au top, j'aime conter mais pas inventer des récits. Ah ces bébés j crois que même un bébé dinosaure nous ferait craquer... Amitiés et je le referai car trop exceptionnel ce lieu
SupprimerDifficile d'être original après tous ces commentaires élogieux et mérités.
RépondreSupprimerLe Rodo en mode Rando c'est du costaud...
Il faut être du signe randonneur-varappeur ascendant escaladeur pour réussir un tel exploit.
Je suis admiratif et regrette de ne plus être en mesure de tenter l'aventure. Mais à travers ton récit et vos photos, je vous accompagnes pas à pas cartes à l'appui. Merci à vous trois pour ce moment d'anthologie.
Oui tu as raison pour le signe, c'est l'astro montagnarde car en fait je suis "douce Vierge" mais paraît qu'après 50 ans cela devient "Vierge folle" : vérifié !
SupprimerMerci pour ton joli commentaire , le but était de faire mais aussi de faire partager. Amitiés
Rien ne semble impossible pour Amédine. Elle attend même ses 80 ans pour grimper le Mont-Blanc :-)
SupprimerMince alors !! J'avais prévu 85, tu me décourages, je prends un coup de vieux là...
SupprimerEterlou s'en souviendra, lui n'aura pas besoin de cordes. Une autre belle rencontre ,celle de trois amis qui ont partagé un moment fabuleux .Félicitation à vous trois!
RépondreSupprimerOui on s'est bien trouvés là aussi...j'en connais d'autres trop éloignés pour partager hélas....Merci Didier de t'être penché sur notre circuit toi qui fais des trucs fabuleux sur des hauteurs autrement tourmentées que celles du 66. J'ai des projets pour m'entraîner !!A bientôt
SupprimerL'Eterlou n'est pas un jeune isard sevré mais pas encore adulte ? Là j'aurai dit un cabri, mais je peux me tromper.
SupprimerJean Claude Riéra, mon ami chasseur à Sansa et compteur d'animaux (on avait compté ensemble, j'avais pas dépassé 10 je dois revoir les maths)m'a donné ce renseignement alors je pense qu'il a raison, mais à vérifier !!
SupprimerCC... Formidable, époustouflant, fabuleux... rien ne vous fait peur... et vous savez nous enchanter, nous faire rêver !!!
RépondreSupprimerBRAVO à tous les 3.
Belle semaine, gros bisous, gros câlins à tes Félins ;)
Merci ma Belle, là c'est repos ! alors c'est câlins aux félins qui adorent ça ! Avant que je ne reparte sur les cimes et on fera rêver !! Bisous
SupprimerMagnifique rando, tu nous tiens en haleine avec un récit passionnant, les photos sont superbes, bravo ! Elle est très belle cette vallée, j’ai adoré ton reportage tout en crêtes. Une sublime rencontre avec un bébé isard, que d’émotions, et quel beau souvenir cette journée. Bises Amédine, tu m’épates.
RépondreSupprimerCe parcours nous a laissé un superbe souvenir, et je pense le refaire car vraiment je m'y suis sentie bien...et puis faut vérifier la bonne santé du bébé devenu grand !! Celui là il ne nous saluera même pas si on le rencontre un jour ! Oui une belle balade...
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