Conflent : Chapitre 5.
Je recherchais un chemin perdu et je me suis retrouvée à faire une splendide traversée intégrale du massif de St Père, en dessous du Roc Campagna. Un trajet époustouflant mais très difficile, autant par des passages aériens et instables que par l'orientation puisque je me refuse à utiliser un GPS. J'ai un sens de l'orientation assez poussé et je le cultive.
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Un trajet époustouflant |
Cette traversée correspond a un ancien sentier militaire, du 17 ème siècle, un des sentiers Vauban.
C'est une randonnée pas facile, qui convient aux personnes aimant les lieux sauvages, loin de tout, ayant de l'endurance, pas le vertige, du flair et de l'intuition (sauf avec GPS) et, malgré une altitude modeste (moins de 1000 m) peut faire concurrence à des grosses randonnées montagne.
Alors suivez moi ! Je préviens mes lecteurs, l'article sera long car documenté de renseignements inédits et riche en images. La balade le valait bien.....
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Départ (474 m) dans un matin givré, depuis le parking de la voie de terre latérale aux 4 voies de Villefranche de Conflent.
Etape1) : Je pars du petit mas qui conduit directement au sentier grimpant à travers des terrasses jusqu'aux vestiges du canal, je tourne à gauche sur le canal, traverse ensuite le Ravin dels Horts et je gagne le sentier qui monte à travers le sous bois de chênes verts. Lieux qui me sont devenus familiers depuis 18 jours.
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Partie 1. (Trace non GPS)
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Mon trajet traverse ce ravin de droite à gauche et remonte sous les arbres |
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Dans le ravin, les terrasses que je dois explorer Elles partent de la rivière et montent très haut |
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Les voilà étagées sous les chênes: belle visite en perspective |
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Sous le couvert de chênes verts |
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La grande falaise ou saut de l'eau |
A la côte 747, un cairn signale une bifurcation, je replonge vers le ravin dels Horts, au site que je nomme la Grande Falaise, d'où le ravin se jette dans le vide. Le passage à gué est bien marqué, un sentier le prolonge et file sur Sant Père, je l'ai parcouru récemment pendant 200 m, à présent, le but du jour est de le poursuivre. Je mets en batterie mon flair, il ne peut continuer à l'horizontale puisqu'il n'y a plus de terrasses mais de la roche, il suit donc les terrasses: pari gagné, non seulement je retrouve son assise et ses murets mais encore il a été cairné.
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Vallée de la Têt dans l'ombre et sommet de Pomerjane (735 m). Vallée Rocs Llisos sur la droite |
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Le sentier est visible |
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Ici, il est terminé, je le perds |
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Virage sec à gauche dans les murs et je le retrouve (visible sur la photo) |
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Il suit le pierrier et les terrasses |
Cette montée est efficace, pleine pente, comme les murs, dans un pierrier et la dernière murette, ocre, semble davantage abriter un ancien corral (bergerie sans toit) que des cultures. Les sols sont d'une pauvreté effarante. Le point de vue, par contre est magnifique, servi par une journée "estivale".
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Dernier mur : un corral semble t'il |
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Vue vers l'est et Canigou |
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Vers le sud, vallée sans nom |
Je poursuis mon chemin au gré des cairns, ils s'éloignent même du sentier, pour rejoindre un gros cairn enrubanné de jaune, 934 m. Il a sans doute son mot à dire celui-ci, est il un carrefour avec un sentier venu du profond ravin dels Horts ? Peut être.
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Vers l'ouest : vallée du Ravin dels Horts |
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Croisée de chemins ? |
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Repère : l'assise du chemin |
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Les repères ! J'ajoute le mien |
Etape 2 ) Je n'ai plus qu'à me laisser guider par les cairns, les rubans jaunes délavés, les rares murets de l'assise du sentier. Le paysage est ouvert, lumineux, coloré, les sommets couverts de blanche neige, les bleus des montagnes rivalisent de nuances, il fait chaud, c'est silence et majesté. Seule au monde ? Ici sans aucun doute. Je marche quasi en courbe de niveau, cela n'a rien d'épuisant, le parcours rivalise de beauté avec la météo, c'est le Bonheur. Pour le moment, je me crois sur un sentier muletier. Simplement je me demande vers quelles contrées et à quel usage pouvait il servir, il n'y a plus aucune trace de cultures.
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Partie 2 ; dans le cercle, mes "errances"
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Dans le grand pierrier, paysage de rêve |
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Le paysage est dégagé le sentier lisible |
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Eté indien |
Quelques passages soulèvent mon enthousiasme au point de vue architectural. Déjà se profilent des falaises et les contreforts du Roc Campagna, Toujours invisible quant au pic sommital, 1134 m.
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A flanc de muraille |
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Les murailles |
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Il se profile : Roc Campagna |
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Canigou |
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Gallinas et autres |
Quand mon sentier, à 946 m, pique du nez vers le bas, un doute m'effleure, je descends quand même sur une cinquantaine de mètres puis je remonte et vais me livrer, à travers bois, éboulis, falaises, à une quête effrénée de l'accès au Campagna; rien n'y fait. Un seul cheminement, vaguement cairné, m'effraie, il pique droit sur un mur rocheux énorme, alors je renonce, ce sera pour une prochaine fois.
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Le trajet est sans doute à gauche dans le couloir d'arbres et mes errances se sont déroulées trop à droite, face à la falaise |
Etape 3) :Bien usée par ces vaines recherches, je lâche prise et retourne à la partie descendante de mon trajet; ce ne sera pas la plus facile .
Mais qu'est ce qu'elle sera belle !
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Etape 3, la plus belle |
Belle par les paysages, les points de vue, par le relief, mêlant forêts de chênes verts à végétation arbustive, passages au ras de la falaise et au ras du vide, ou bien carrément taillés dans la falaise, par les alternances de passages aériens, voire dangereux et de secteurs où il faut vraiment deviner sa route, ce sera le temps fort de la balade, c'est là qu'on n'a pas droit à l'erreur. Ne pas se perdre. Et surtout garder en mémoire le trajet parcouru au cas où on se perdrait, afin de revenir en arrière et faire le chemin à l'envers.
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Vue plongeante sur la pente de Sant Père |
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Même chose |
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Là dedans "c'est chaud" : ne pas trébucher |
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Il me nargue ! 2 eme échec |
Là, je vais sortir mon cerveau, le dépoussiérer d'un coup, l'agiter et le mettre au boulot.
Lire le moindre indice, et ils sont quand même nombreux : un cairn, un ruban délavé, une coupe à la tronçonneuse, une tache de peinture, un vieux mur. Un véritable musée de la signalisation !
Auquel j'ajoute quelques rubans rouge et blanc.
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Tout est langage |
Oui je peux en rire à présent que j'en suis sortie, mais toute seule, au milieu de ce capharnaüm, ce n'est pas évident. J'y ai connu le doute, l'angoisse et l'exaltation, le soulagement et l'ivresse.
Il m'en reste un goût démesuré de revenez-y.
Je perds parfois le chemin, surtout quand il est enseveli sous les arbrisseaux. Alors pas d'hésitation ; revenir en arrière et étudier avec soin en y ajoutant la cohérence du sentier qui est en courbe de niveau, sauf en deux ou trois endroits.
Surtout ne jamais poursuivre si on n'est pas sûr !! C'est la règle d'or.
Et me voilà contemplant de loin une falaise verticale où se lisent une grotte, un mur et un sentier. Pour y arriver, quelques hésitations dans le pierrier (900m) car il y a les vrais cairns et les autres, un ruban sera salvateur!
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Le pierrier : mur anti éboulis (sentier Vauban) |
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Le trajet : difficile à trouver au niveau du pierrier |
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Je croyais un abri sous roche c'est le sentier Vauban |
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Dorénavant le sentier va osciller entre falaises et arbres , en courbe de niveau |
Pour accéder au sentier en falaise, il faut franchir un glissement de terrain, jambes sûres sur le dévers violent et enfin, falaise bleue et ocre, sentier juché sur son mur, tracé taillé en corniche, Vauban savait faire et je me pose pour un déjeuner en l'air !
La route 500 m en contrebas m'envoie son silence animé, sa rivière muette, et le versant, son à pic vertigineux. Moi, petit point sur son observatoire, je me délecte, même pas faim, je me nourris du paysage. Et puis il y a la grotte, 930 m. Ah la grotte, elle aussi me happe tel un bivalve, frisson à l'idée qu'elle pourrait se refermer, je suis fille des grands espaces....
Alors qu'y a t'il sinon ce panorama sur les montagnes dont le Canigou est excentré?
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Le veilleur |
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Panorama depuis la grotte : excellent poste d'observation au 17 eme S |
Et bien il y a l'histoire de l'eau qui, voilà des millions d'années, avant que cette grotte ne fut fermée par effondrements, cataclysmes et dépôts de toutes sortes, fut un lit de torrent ou de fleuve, sans doute la Têt, enfin une perte de la Têt, comme à ND de Vie.
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Le fond obstrué de la grotte |
Cette grotte, pour qui s'est documenté par des publications scientifiques, ce que j'ai fait, parle de banquettes, sortes de terrasses creusées par l'encaissement du lit, parle de dépôts de sédiments, plus ou moins grenus, lisses, colorés, de matières différentes. Parle du chemin d'eau qui dégagea la roche la plus dure et la polit comme marbre. Moi, petit point minuscule à l'échelle de ce temps millionnaire en années, je lis et relis les parois, le sol, l'ouverture. Et vous l'offre, en très simplifié. (Liens en fin de texte). A cet étage de la montagne, 930 m d'altitude, l'histoire de l'eau s'inscrit entre 9 et 14 millions d'années. Actuellement, elle coule 500m en contrebas, notre Têt qui creuse son lit inexorablement de 1/2 cm par siècle....
Ces grottes plus étagées (et d'autres encore plus haut), ont souffert de l'érosion du profil de la vallée qui les a tronquées et du comblement de leur cours qui les a obstruées, mais celle où je me loge ici a peut être un ancien réseau de 20 km derrière son mur du fond ? Quel mystère, alors que je me terre contre ce fond ! Dans une fine terre grise, fine comme cendre, qui est leur point commun...
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Dépôts de strates, sables et galets agglomérés |
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Même chose sur l'autre côté |
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Sur le sol, l'eau a rongé le calcaire |
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Et l'a joliment lustré et poli |
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Les strates de dépôts |
Et chacune des grottes de ce massif, plus de 50 grottes étagées sur 1000 m de dénivelé, est un livre de sciences de la terre.
Actuellement, au niveau proche de la Têt, 3 grottes ouvrent sur 26, 26.5 et 17 km de réseaux souterrains. En tout, ce sont plus de 70 km de réseaux souterrains qui ont été identifiés et en grande partie étudiés par les chercheurs.
Du niveau de la Têt jusqu'au Campagna puis à Roquefumade pour la plus haute et la plus ancienne, ces grottes ont fait l'objet d'étude. Cependant les chercheurs se sont concentrés sur les réseaux souterrains non comblés de l'étage actuel (En Gorner, Fuilla Canalettes, Lachambre) (en rive droite et gauche de la Têt) études très poussées allant jusqu'à la thèse de Doctorat d' Amandine Sartegou (2017).
Forte de mes lectures, je découvre l'insoupçonné. L'insoupçonnable.
C'est cette forte évocation qui me fait m'attarder dans ce nid pas si douillet !
Elle a quelques voisines que je n'irai pas voir...et pour cause !
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Un habitant ! |
Quittons la grotte et revenons à mon chemin; le parcours continue en falaise, étroit et escarpé, murs construits sur le vide: comment oeuvraient donc les bâtisseurs, suspendus par des cordages? Un escalier de 13 marches est même taillé sur un passage!
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En falaise |
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En sous bois |
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Parmi les 13 marches |
Les passages en corniche sont certes les plus beaux et impressionnants. Les passages en sous bois sont plus inquiétants, parce que les sous bois de chênes verts sont obscurs, figés, "perdifères", même si le soubassement du sentier y est souvent présent.
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C'est le sentier !! Pas évident |
Les sous bois correspondent aux multiples branches de ravins qui vont converger vers un seul et unique ravin sans nom qui se jette vers la route dans une folle descente pétrifiée. De rares pierriers coupent le chemin, sinon la falaise est omniprésente. Pas un bruit ne me parvient sauf celui de mes pas et des végétaux que je maltraite.
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Passage à travers les ravins puis dans la falaise, en alternance |
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Mur de soutien dans la falaise ci desssus |
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Un parcours "géant" |
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Et toujours le génie de Vauban |
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En plongée |
Je sais depuis un moment que la sortie n'est pas loin, le paysage rocheux devient familier.
Et sans m'en apercevoir, avec une pointe de déception mêlée au soulagement, je débouche sur un angle du Chemin Vauban venu de Fort Libéria. 951 m.
Cette sortie est marquée par un gros rognon de roche qui figure un gardien de pierre à tête ronde. Il paraît qu'il abriterait peut être un puits à glace...à vérifier mais j'en doute. Une grosse faille peut être...
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Le rognon et le Canigou qui m'a accompagnée tout le jour |
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Au rognon |
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Du haut du rognon vue générale : Sant Père et son versant, la Têt en bas, la route |
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Le clin d'oeil de la vallée |
A présent me voilà sur l'avenue propre et large signée Vauban, que c'est reposant ! Et pour ne pas lui faire d'infidélité, au 3 eme lacet, 836 m, je bifurque sur l'autre sentier Vauban, celui qui frôle ND de Vie. Depuis mon dernier passage, il a été entretenu, plus lisible .
Etape 4)
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Angle du sentier Vauban |
Du chemin, quelques vues sur les autres ouvrages militaires de Vauban, dans le verrou de Villefranche :
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Fort Libéria |
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Villefranche de Conflent
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Les murs sont de facture identique aux précédents, construction militaire en gros blocs bien équarris alors que les murs civils sont faits du matériau brut trouvé sur site. Oui j'apprends même à lire l'architecture militaire dans ces montagnes
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Avec murs |
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Ou sans murs |
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Toujours dans un grandiose décor |
Après ses gros efforts mon cerveau se repose, c'est en mode automatique que je rejoins le sentier de ND de Vie, 643 m. Où je m'empresse de monter pour aller voir la grotte (790 m). Elle est vaste, profonde, colorée, ouvrant sur la belle vallée de la Rotja, toute vêtue de teintes chaudes à cette heure. Ici passait la Têt voilà 6 millions d'années. La Têt se perdait et les chercheurs imaginent derrière le mur du fond un ancien et vaste réseau de galeries. Sauront ils un jour?
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Grotte de ND de Vie |
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Le fond, obstrué a empêché les chercheurs |
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Ils sont beaux !! |
Lorsque la Têt se perdait, c'est une partie de ses eaux qui s'en allait au gré des failles et fissures, en galeries qui détournaient vers le nord son cours d'ouest en est. Toutes les grottes étudiées ont ce profil là. Chaque étage de grottes (9 étages de la rivière jusqu'à Roquefumade) a par contre ses dépôts différents, selon l'érosion et les époques. Ainsi les matériaux de ND de Vie sont différents de ceux de ma précédente grotte. Quartzites, gneiss, granites en galets eux aussi bien soudés.
A présent, après avoir fureté grâce à ma lampe dans deux galeries adjacentes, je file vers la vallée et le chemin qui doit me ramener au parking. Un peu de spéléo au passage dans un joli boyau (à 556 m) d'où je ressors toute "enfarinée" et après un sérieux dépoussiérage, me voilà en train de redouter la partie la plus périlleuse du parcours, les quelques centaines de mètres de route où je ne peux juste qu'espérer être sous protection de ma bonne étoile ! Ce qui sera le cas, puisque je rédige. Mais ce fut "chaud" !
Enfin, dans la douceur d'un soir d'automne qui tourne le dos à l'été, je rejoins ma voiture. Point final d'une merveilleuse journée. Presque sans manger tant j'ai été sous le charme.
En chiffres
Distance 12.04 km
Dénivelé positif cumulé : env 770 m
Temps effectif de marche : 4 h 22
La route 110 km AR
Liens divers : pour les retrouver taper sur google "relief karstique villefranche conflent
Publication de Messieurs Hez, Calvet, Jaillet, Delannoy, juin 2015
https://www.researchgate.net/publication/317956976_Un_enregistreur_exceptionnel_de_l'incision_de_la_vallee_de_la_Tet_le_karst_de_Villefranche_de_Conflent_Pyrenees-Orientales_France
Thèse d' Amandine Sartegou 2017
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01708921/file/these_Sartegou_2017.pdf