jeudi 4 novembre 2021

Serdinya (66) - Du côté d' Els Horts.

 Conflent, chapitre I

Préambule

J'ai décidé de parcourir au maximum, explorer pourrais-je dire, cette montagne abrupte qui domine les 4 voies de la 116 entre Villefranche et Serdinya. Aussi étonnant que cela paraisse, cette montagne appartient presque en entier à la commune de Fuilla, pourtant bien excentrée.

Cette montagne, sur les publications géologiques se nomme Massif du Coronat et elle en est la face sud.


Le site d'els Horts

Cette montagne est calcaire et a un relief tourmenté, fait de falaises et d'aiguilles calcaires, creusées de grottes, de barres rocheuses, de couleur ocrée et grise, entaillée de ravins abrupts. On n'y trouve aucun habitat, aucune culture, et pourtant, en regardant bien, des centaines de murettes soutenant d'anciennes parcelles, grimpent à l'assaut de la montagne. Impressionnant patrimoine qui parle d'une effervescence agricole passée. Il n'y a pas d'eau, pas de chemins, juste d'improbables sentiers oubliés et quelques uns encore, confidentiels, pas forcément portés sur la carte IGN, qui mènent à bon port le promeneur curieux. Quel port ? J'espère être de ces promeneurs curieux récompensés par leur quête comme je le fus dans d'autres sites conflentois.

J'avais besoin d'une motivation, ces temps derniers, je l'ai trouvée. Je ne sais vivre qu'avec des passions.

Je commence cette exploration par la partie la plus fréquentée, la Soulane de Serdinya, des chemins de randonnée balisés sont au menu. J'avais fait une incursion tout à fait à l'autre extrémité pour le Roc Campagna (1134 m) où je reviendrai puisque je n'ai pas atteint ce point culminant, altitude modeste, relief compliqué.

Allons donc à Serdinya, du côté du village abandonné dels  Horts (les jardins). Hélas les photos comme le paysage manquent de lumière

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8 h 53 : je quitte le petit parking (546 m), en bord de 116, à l'entrée du village et immédiatement, le sentier dels Horts grimpe dans les terrasses abandonnées, soutenues de murettes de belle facture mais fortement endommagées par l'usure du temps . Des grenadiers au feuillage d'or bordent le chemin mais leurs fruits sont amers, ils ne feront pas mon dessert. 

Entre térébinthes et genadiers


Un étagement de terrasses

Rapidement je prends de l'altitude, Serdinya s'efface dans mon dos, les bruits de la route aussi, je croise un étroit canal à sec, le Rec Nou (neuf), une ou autre piste et je parviens à Marinyans, 710 m, 1.37 km, un hameau très dispersé mais fort ruiné. Les restes d'une église étonnante se dressent encore mais de nombreuses pierres ont été réemployées dans les constructions avoisinantes. Ce village, édifié au 10 eme S se vit accompagné de l'église Ste Marie (11 eme) qui fut détruite en 1895. Un seul habitant fut enterré à Marinyans, en 1641. 


Marinyans



La même maison


L'église


Son bénitier








L'église

La plus belle des maisons

Et sa vieille treille


De Marinyans, perdu au milieu de vastes parcelles, le sentier suit sa route nord puis oblique plein est, vers la montagne et entre dans un décor plus sauvage qui sent bon l'herbe sèche et affiche les belles couleurs rouille et or des térébinthes.


Le site de Marinyans


Le long du sentier qui s'escarpe tant et plus, des tuyaux noirs parlent de conduite d'eau...mais qui viendrait d'où ? Du ravin dels Horts sans doute.



Sentier pour l'homme et pour l'eau


A 807 m, (1.97 km), le sentier franchit des barres rocheuses, c'est sa partie pittoresque, en zigzag, véritables escaliers construits de main humaine et pavés par places. Quelques chênes émaillent le circuit et, d'un promontoire, je devine en dessous, les restes du Castell, un château féodal en ruines.



Le sentier en zigzags



Serdinya et le site encore cultivé de Marinyans



Le site du Castell

Détail au zoom


Les hauteurs de cette montagne se perdent dans des écharpes de brume , c'est journée grise ce matin. Cela éteint hélas  un paysage qui devrait flamboyer

En marche vers un ciel très bas


A présent je change de direction, plein nord, dans des sous bois de chênes verts, qui préfigurent l'arrivée à Els Horts. Le sentier descend doucement vers le ravin.

Reconnue commune en 1790, Els Horts fut rattachée à Serdinya en 1822 et s'éteignit en 1850, à cause de la disette. Les Horts ne fut jamais beaucoup peuplé : malgré sa source et ses captages dans le ravin, les parcelles étaient maigres et ne procuraient pas de belles récoltes. Les habitants descendaient chaque jour à Marinyans pour cultiver et remontaient le soir, 4 km aller retour; en 1791, 9 familles y vivaient, la population a toujours compté entre 30 et 50 habitants.


Le site abandonné dels Horts

Els Horts au 19 eme S


845 m, 3.36 km, C'est un village fantôme qui accueille le promeneur, avec ses beaux murs ocres, de petites maisons aux murs solides, étagées sur le flanc de la montagne de part et d'autre d'un ravin, le correc dels rocs llisos (le ravin des roches lisses). 

Le long de la "rue" principale


Il existe deux ravins portant le nom dels Horts, ce qui prête à confusion : le Torrent dels Horts est celui qui aboutit au village abandonné et se nomme aussi le Correc dels Rocs Llisos, tandis que plus à l'ouest, derrière les barres rocheuses et falaises existe le Ravin dels Horts. C'est un détail qui va me perturber car je n'ai que des fragments de carte.

Le site d'Els Horts a été récemment débroussaillé par les chasseurs, sans qui les montagnes ne seraient pas bien entretenues : ils sont ceux qui les parcourent le plus, c'est bénéfique. Ainsi toutes les parcelles autour du village sont propres et l'accès aux maisons en permet la visite extérieure ou mieux.






En images:                                                                                   



                                                                                           

Une maison a un magnifique escalier extérieur, avec une lauze gravée, une autre a deux belles arches de pierre à l'intérieur. Je n'ai vu aucune trace de four à pain, par contre une belle fontaine flanquée de deux abreuvoirs est sans doute LA source sans laquelle le village n'eut pas existé. Un peu plus haut, le ravin alimentait deux bassins ainsi qu'une vaste citerne, eau venue du ravin par un canal, dont on dit aussi qu'il fut abreuvoir, et une fontaine semblait compléter l'ensemble. De nos jours il n'y a plus d'eau nulle part, même si la présence de joncs dit que ...parfois...oui, quand les pluies sont abondantes, ce qui s'estompe dans le passé.



Inscription sur une marche



Beaux murs et belles ouvertures




C'est toujours impressionnant de déambuler dans un village ruiné, fantôme.

Penser à la vie qui s'y déroulait, si loin dans le temps et dans l'espace, aux sombres journées de pluies et aux noires soirées glacées d'hiver...

En fait ce ne sont pas les moments de joie que m'évoquent des ruines mais toujours les moments d'angoisse, de dureté, de tristesse, de douleur ou de peine. 

Pourtant, la joie y régnait aussi, et les longs conciliabules entre les habitants, les plaisirs partagés, les travaux des champs , les enfants qui s'amusaient...

Alors pourquoi ne me viennent que des images austères ? 

Parce qu'un village ruiné évoque d'abord la mort?


Je déambule à pas feutrés comme si je devais y réveiller des âmes...Ces âmes qui s'activèrent si fort dans ces collines, pour si peu de chose.




Voici la fontaine source de vie; tarie mais encore humide. Avec son long et double abreuvoir comblé fde feuilles.


Et tout en haut du village, à deux pas du ravin sec, une fontaine, deux bassins, une vaste citerne enfouie autour d'un arbre qui a eu le temps de pousser vu son opulence, et l'amenée d'eau du ravin, canal ou abreuvoir.
 

Les deux bassins

La vaste citerne

L'amenée d'eau

Au sommet du village une magnifique bâtisse est de loin la plus riche du village, ruinée évidemment. Une longue poutre tend encore sa carcasse vers le ciel.



Un autre aspect, vu de plus haut, dans son cadre paysager



Au dessus de moi, le ciel se déchire un instant

En voilà un appel !

De là, je vais redescendre par un petit sentier vers le ravin et je découvre les "roches lisses" avant d'en connaître le nom : deux superbes cascades ont lissé le calcaire et y ont déposé une fine couche blanche.

Je parviens à descendre la première une hauteur d'environ 4 m, mais la suivante sera inaccessible, une bonne vingtaine de m de profondeur. Un peu plus tard, après avoir dévalé prudemment le sentier jusqu'au ravin, je vais essayer de remonter le cours de ce ravin, parcours accidenté s'il en est, je me faufilerai même dans un goulet comme une anguille mais comme c'est une succession de cascades, je ne parviendrai pas à la grande. Par temps de grosses pluies cela doit être remarquable. 

Vue d'en bas

Vue d'en haut




La très haute cascade

Style anguille pour descendre
de celle ci

Arrivée en haut en escaladant 
le talus sur le côté droit
Et terminus...

A présent je poursuis un sentier qui n'était pas au programme, tout le reste de la rando sera de l'impro!

Mais quels paysages vont ainsi se dessiner dans ce fil que je tricote et détricote au gré de mes vagabondages... 


ravin dels Rocs Llisos



Le sentier
                                                                                                                   


Bordé de murs élégants

Un rognon que je me plais à escalader



Juste pour la vue depuis le sommet


Autre vue : à droite le ravin des Rocs Llisos



Au zoom, las covas



J'avance à l'aventure, avec mes morceaux de cartes muettes et je vais ainsi m'offrir un joli parcours entres las Coves (les grottes) et Els Horts, superposition de sentiers de chasseurs, vieux sentier d'exploitation, qui me ramèneront aux Horts, me conduiront dans des falaises, se perdront dans le maquis, me feront traverser une invraisemblable caverne à 910 m et finalement m'enverront une meute de chiens accompagnant un jeune chasseur. Le seul humain du jour...



Le sentier en pointillés jaunes se perd après la flèche rouge (mais pas pour les chasseurs
donc j'y retournerai). La flèche rouge pointillée est l'ancien sentier , grotte traversante

Dans cette grande grotte traversante je ne comprenais pas pourquoi le sol était poli comme marbre et même les appuis des mains, à présent je sais: le sentier était là jadis, et cela dut être un très long temps de passage, et très fréquenté pour que les roches luisent comme marbre! Qu'est ce que la montagne peut parler dans son silence fait de vent et de chants d'oiseaux...Et rien ne se lit pourtant à la sortie...

Les habitantes sont parties, maisons vides
Nids d'hirondelles


Dans la grotte

Cela se nomme les coves. Celle ci  me fut accessible. Mais je ne dérange pas les habitantes


J'échouai à gravir celle là, regrets.


Ainsi, de découvertes en surprises, d'escalades en leur contraire, je reviendrai sur mes pas, à els Horts.

A présent, j'amorce le retour, en faisant la boucle. Je vais naviguer  en ligne de crête entre les deux ravins des Horts, jonglant entre murailles et sous bois.



Sur la ligne de crêtes. Je n'approcherai jamais le ravin en bas, Torrent dels Horts

Par deux fois je ferai une infidélité à mon sentier pour emprunter des bifurcations qui me conduiront à deux sites époustouflants; le Ravin des Horts va me dévoiler deux lieux sauvages. Une première chute d'eau, brutale falaise blanchie de dépôt calcaire, un vrai saut de l'eau d'une impressionnante hauteur. Le chasseur m'avait dit "Le ravin dels Horts se jette du haut d'une grande falaise"; ça m'avait intriguée.  Le sentier qui y conduit est quasi illisible mais il traverse la rivière sur un muret qui a résisté à tout et file sur l'autre rive où je m'interdis d'aller. Je me suis donné pour consigne de ne pas dépasser ce jour cette limite.
Mais j'y reviendrai puisque à présent je sais où il va...


Le saut du ravin

Vu d'en bas

Vu d'en haut


 Un peu plus bas (747 m) , c'est un sentier bien propre qui me conduit à ce même ravin et je découvre avec stupeur une immense cascade (sèche) équipée pour l'escalade, des câbles distendus d'un pont de singe ou d'une tyrolienne la traversent comme pour une via ferrata abandonnée et une série de câbles fixes permettent de remonter la falaise, ce que je fais sur une partie, après usage de cordes fixes en qui j'ai une confiance limitée. Je redescends, je reviendrai équipée pour m'assurer. Mais ici aussi le sentier file sur l'autre rive, le versant nommé Sant Père, aride, sauvage, attrayant à souhait avec ses murettes grimpant à l'assaut des pentes : mais que pouvait on y cultiver ? Tout y est ingrat...

Vue sur Sant Père et le Roc Campagna qui le surmonte



Remarquable cascade! Ravin dels Horts


Cela reste à faire..

                                                                                                

ça c'est fait !


Deux jours plus tard : le site est occupé, un guide et des ados viennent de terminer l'escalade, ainsi la via sera pour moi; rien n'est abandonné, le guide m'explique que c'est lui qui a équipé ces voies. Quel regard porte t'il sur ma curiosité et sans doute mon incompétence ? Je reste discrète, j'attends leur départ et je m'élance, je bricolerai plus haut mon "assurage presque maison"!


Equipement "bricolage"
Pourtant j'ai le vrai! Plus encombrant

Le principe : être toujours assuré 


Haut perchée

Je viens d'en  bas

Je monte ferme




Mais ravie, j'adore ça!

Le dernier tronçon...brrr, je n'ose pas


Pourquoi je fais ça ? Mais pour m'amuser évidemment, parce que j'aime et que depuis mon enfance je grimpe partout.
La descente vers la 116 est belle, dans un sous bois de chênes verts qui témoignent d'une ancienne exploitation (il y avait des forges dans la vallée), mais aucune trace de charbonnières, bien que des murettes étayent la grosse déclivité . Une hésitation, à une intersection, je tente le passage mais  il est "perdifère", j'imagine qu'il accède au sommet de Pouméjane et je parviens au terminus, en bord de la 4 voies de la 116. (Quelques jours après, pris à l'envers, ce sentier est bien celui de Pouméjane, pas du sommet mais des falaises et murettes. Chapitre 3).

Sous bois qui témoigne d'une exploitation


Les murettes aussi témoignent



Ravin dels Horts avant sa confluence avec la Têt
Pas en pente douce !!

Il me reste à regagner le parking, ce sera de loin la partie la plus dangereuse de la randonnée que de marcher au bord de cette route à grande circulation, sur 1.3 km, sans aucune protection. A éviter à l'avenir.


En résumé une très belle randonnée qui ouvre sur de belles perspectives, encore plus sauvages et qui sans doute feront beaucoup appel au sens de l'orientation et à l'intuition du parcours. ( A suivre)

La suite sera "Le Rec Nou".

En chiffres

Dénivelé positif cumulé, 450 à 500 m

Distance parcourue: 11.3 km

Temps de marche /découverte hors arrêts: 4 h 13

La route : 110 km AR


Le trajet fléché du jour, en jaune





11 commentaires:

  1. merci Amedine pour ce récit d'une aventure plus sage que quelquefois.
    Bizzz

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    1. Je ris...Plus sage mais super fatigante, ça je l'ai pas dit. Bon ça reste raisonnable, la fatigue c'est un autre sujet. Bises Guy

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    2. Bonjour. Nous habitons Fuilla depuis deux mois, tout à côté de votre aventure, nous avons fait une boucle dans le même secteur, mais en remontant le còrrec des Horts. Il y a, c'est vrai, beaucoup de vieux chemins que nous commençons à découvrir. Si vous repassez dans le coin, nous serions ravis de partager nos chemins de traverse. Bonne journée à vous.

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    3. J'ai fait depuis une 2nde sortie, le point de départ était un récit de remontée du Correc dels Horts, qui est aussi à mon programme. Je compte remonter ce we dans le secteur; d'abord terminer le Rec Nou et ensuite j'ai un projet de boucle sur le Serrat de San Père d'après un récit de randonneur. Et puis...et puis...il y en a tant...Mon adresse :lison066@gmail.com

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  2. Mon long commentaire a encore disparu !!! Pfou ! Bravo Amédine et merci !ASP

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    1. Dommage car tes commentaires me vont droit au coeur, même si tu me dis "ets boja"...hihi. Bises

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  3. Vu de la 116 j’imaginais que ce pan de montagne était habité jadis, je ne pensais pas qu’il était aussi beau. Le village abandonné est magnifique ainsi que les cascades asséchées, l’automne et ses couleurs chaudes donne à tes photos la gaité qui manque au décor fantôme. Bravo, j’adore. Un peu effrayée par l’escalade tout de même… Apolit ! Bises.

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    1. Si vous avez envie de le faire, je vous accompagne, vous dites...Pas d'obligation, mais le plaisir d'un partage. L'escalade est en option (rires). Je suis sûre que Roxane la fait! Bises

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  4. Inépuisable secteur de découverte ou les traces nous emmènent vers des errances sans cesse renouvelées. Je croyais avoir presque tout parcouru dans ce coin, mais non ! Voilà que tu trouves une trace qui traverse une grotte...Ta flèche rouge donne accès au fameux Ravin des horts. Si tu le remontes en entier, jusqu'au sentier du tour du Coronat continue sur 300/400m direction N vers la falaise pour voir le remarquable Roc Punxut. Tu as le topo dans mon blog.

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    1. Encore une fois tu es l'instigateur de mes errances (et j'ai en mémoire aussi le Ravin de la Sorda). J'ai relu ces derniers temps ton correc dela horts, comme j'ai une approche méthodique et méticuleuse, je pars de bas en haut (moitié)de gauche à droite de cette montagne et enfin ce sera la cerise convoitée, le haut. J'ai trouvé aussi un récit et topo en partie hors sentier, sur Puig de la Cova et un autre plus haut. Mais d'abord, m'approprier un peu relief et terrain avant de partir à l'aventure puisque je marche sans gps. Je pars ce matin pour Pomerjana, mon gros rhume m'empêche du long cheminement. Bises

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