dimanche 7 novembre 2021

Serdinya- 66- Le "Rec Nou"


 Chapitre 2 : le canal d'irrigation de Serdinya à Sant Père.

Préambule : quand on regarde la carte, ce canal, venu de très loin, semble s'arrêter au Ravin dels Horts. Quand on lit les topos de randonnée qui abondent dans ce secteur assez austère, ce canal s'étend au delà dels Horts (ravin) et traverse le versant austère de Sant Père jusqu'à Villefranche. Mais ces topos précisent bien que si ce canal s'est perdu en tant que tel, il est devenu sentier de randonnée, toutefois impraticable à partir du ravin dels Horts jusqu'à Serdinya.


Le canal est dans ce décor

Ainsi, il me suffit de lire que ce canal s'est perdu par places pour que je n'aie qu'une envie, le retrouver.  Je vais donc faire le chemin inverse des randonneurs, je pars de Serdinya et "on verra quand on y sera " selon ma formule préférée.

Et me voilà quittant  Serdinya sous un temps  magnifique, rien à voir avec l'avant veille. Court vêtue mais nantie de matériel (corde, sangle et dégaines, cette fois), je vais rejoindre le canal, bien visible, qui croise le sentier d' Els Horts, à 300 m du village.

Serdinya depuis le sentier

Ce canal, je vais parvenir à le suivre au final sur plus de 3 km, avant qu'il ne devienne "carrossable", si l'on peut dire, et que je l'abandonne de mon plein gré, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai. C'est sa partie sauvage qui m'intéresse, au départ de Serdinya. Sauvage, elle ne l'est pas du tout. Bien tracé, avec de l'eau dans son lit d'horrible toile plastique noire, il révèle, bien qu'il soit à sec (c'est la période pour tous les canaux) une trace tangible d'activité : vannes, tuyaux, pompages, il est encore utilisé. A des fins agricoles. Relativement propre mais pas très joli, habillé de matériel hétéroclite, bâches noires, ciment, zinc, il n'a pas d'unité et a perdu son caractère authentique 19 eme j'imagine.

3 des aspects

Le "Rec Nou" : le canal neuf, que devait donc être le vieux, l'ancien, si toutefois il y en avait un. Sans doute oui, un plus ancien qui fut rénové.

Comme tous ces canaux en voie de perdition, il n'était ni très large ni très profond mais sans doute efficace et bien entretenu, son travail étant d'irriguer les parcelles en contrebas, soit ces terrasses qui montaient à l'assaut de la montagne. 

12 minutes de trajet et le canal est fermé par une clôture grillagée qui me donnera du mal pour la franchir avant que de me retrouver sur la suite du parcours. Là commence le parcours du combattant. Je dois traverser une propriété, un champ, un troupeau , presque, je ne suis pas très rassurée. Ouf, la civilisation éphémère est derrière moi, la suite ne va pas être de tout repos mais je ne le sais pas.


Barré !


En jaune son cours au niveau du mas de La Guardia
(Elevage bovin et d'autruches, vente directe de produits)

Revoilà mon canal qui m'offre un sol abominable, encombré de végétaux, de ronces, d'éboulis, avec quelques jolis passages bien propres. Heureusement j'ai un sécateur. Parfois il me faut presque chercher son parcours, une grande partie est sous terre, tubée d'un horrible tuyau en plastique cannelé ainsi protégé du soleil, mais affleurant dans toute sa laideur. sinon, c'est pas mieux, des canalisations cimentées et ruinées. Il faut arriver à suivre ce trajet faisant alterner éboulis, sentier, piste large (pourquoi donc ?), sur un sol bien plat ou semi suspendu en dévers...je suis contente de le parcourir mais il ne me donne en rien l'envie de revenir par là, je serai condamnée à la route et ses 1.3 km de danger! C'est préférable.


Enseveli de broussailles

Enfoui dans un horrible tuyau

Ou à l'air libre : impraticable

Les sécateurs me sont utiles

Ou super propre par tronçons



En parallèle à une piste



Permettant l'accès à une parcelle

Ouvrant son eau sur une parcelle













J'arrive au premier ravin celui des Rocs Llisos, tourmenté entre ses falaises comme tout bon ravin de là bas. Un ravin ? Une gorge que doit franchir mon vaillant petit canal fait de bric et de broc

 Et bien là, quelle aventure! Il est presque suspendu sur le vide, tube noir cannelé exposé depuis des lustres à toutes les intempéries. Pas question de le passer debout, la falaise est en dévers, la seule solution est à califourchon. Un gros animal s'enfuit dans un craquement de branchages, dans les fourrés, je suspends mon souffle, mais affolé, il s'éloigne à grand fracas. Je réfléchis, comment passer ? Je tente à califourchon et j'angoisse car c'est acrobatique, il n'y a pas de place pour la jambe gauche et la droite pédale dans le vide! Et puis...si le canal s'effondre sous mon poids ? Oups, je recule en vitesse, je bats en retraite mais je cherche une solution, elle est sous mes pieds : désescalader le talus éboulé et descendre vers le lit du ravin. Une belle désescalade sous couvert végétal et j'arrive sur un ancien chemin muletier qui va traverser facilement le ravin, sur une plate forme construite il y a des décennies, beaux murs bien agencés, peut être même y poussait-il un jardinet ! Bien sûr, pour aller travailler, les mulets ne marchaient pas sur le canal !




Passer par là ? Finalement, non

Le sentier muletier

Le passage à gué du ravin, une plate forme a été aménagée
Murs de soutènement 

De l'autre côté la remontée est facile et je retrouve, sagement posé, mon canal .


                                                                                         
Juste quelques tronçons


Par curiosité je  remonte son cours jusqu'au passage difficile mais ne peux guère voir comment il croisait le ravin et la belle chute d'eau du coin. Le tout est enfoui dans une broussaille indescriptible, il faut presque deviner qu'on est au coeur du ravin !
Une jolie plate forme construite en blocs de roche est le lieu de croisement. Du cours de mon canal il me manquera ces quelques mètres ensevelis dans la jungle ou suspendus sur le vide : je comprends que ce ne soit pas un sentier de randonnée ! Heureusement j'ai du flair et une bonne lecture de terrain. Ici aucune carte ne sert à rien.
Sur les cartes le canal s'arrête à ce ravin


Le ravin : un fouillis indescriptible

Le croisement canal / ravin, aménagé




Rencontre entre canal et Ravin des Rocs Llisos



La jungle du ravin des Rocs Llisos

Je continue donc le cours aérien cette fois, de ce petit canal bien content qu'on le sorte de l'oubli : il n'a plus de canal que le nom, enseveli, comblé, abimé, mais soutenu de murets vaillants. Même la carte l'a abandonné, on n'en parle plus

Le canal sous un tronçon de piste 



Il est lisible avec son parcours à plat et
ses murs de soutènement


Ces murs là sont ceux des parcelles omniprésentes

Arrivée à l'aplomb de la saignée de la route, avec un beau paysage bien ouvert, ensoleillé, propre et rocheux je décide de faire la halte repas. J'ai parcouru 2.33 km, il y a une heure que je marche, il est midi et demie, la pause s'impose.

Et dans pareil décor, la pause....est gourmande

Ce sera pause repas , pause contemplation, pause studieuse du site environnant, vraie lecture et pause investigation, je suis au niveau de Pomerjane et il y a des terrasses qui montent à l'assaut de la gorge que fait le Ravin tourmenté des Rocs Llisos. C'est impressionnant de beauté, de solennité, de vestiges de la vie agricole des temps passés, franchement, aller ériger des murettes et de petites terrasses dans ce site relève presque de l'hallucination. 







D'où je viens : la canal parcourt ce flanc de montagne 




Le ravin et sur la droite, le site de Pomerjane et ses anciennes terrasses


En gros plan

.

 Déjà naît une idée aller voir de plus près, je grimpe, mais je comprends vite que l'accès est ailleurs: je le trouverai !(Depuis, je l'ai trouvé, sur les cartes, donc j'irai, chapitre 3).
En rouge le canal, en jaune, un chemin au-dessus, qui mène à Pomerjane

A présent il va me falloir rejoindre et traverser le Ravin dels Horts, pas très éloigné qui sera peut être encore le terminus du jour.

Le canal a été taillé au pied d'une barre rocheuse au dessous de laquelle se profilent des terrasses descendant jusqu'à la route. En une élégante courbe, il contourne ces falaises qui lui donnent un caractère nouveau, plus sauvage, plus rebelle, et soudain je dis "ohhh"! Et je me retrouve sur le croisement de mon sentier d'avant hier. 


Longer les falaises

Traverser les sous bois



Les deux se croisent par un petit pont démoli dont j'avais pressenti l'utilité. 

Croisement sentier/canal


Il n'y a plus qu'à descendre au ravin et tout s'explique, le sentier qui y conduit  n'est autre que le canal, et ce muret qui m'intriguait, sur l'autre rive, n'était autre que le canal filant vers Villefranche. Non porté sur les cartes.
Je fais un crochet par la cascade dans un but bien précis ; un groupe plie bagages, ados et guide, tant mieux, je pourrai me livrer à mes activités assurées pour une fois.


De l'utilité de la sangle et des dégaines : la voie câblée

Voici le croisement actuel du Ravin dels Horts et du canal; j'aimerais savoir comment était aménagé ce passage. Je ne saurai jamais...


Je  franchis "la frontière" que je m'étais imposée, trop curieuse de suivre mon canal. Pourtant je vais vite lui fausser compagnie, je le retrouverai dans un prochain chapitre, j'en profite pour aller à la rencontre de la voie d'accès à mes prochaines excursions dans le secteur aride, escarpé et habillé de terrasses des pieds à (presque) la tête : Sant Père, coiffé du Roc Campagna.

 Il entre dans ce décor aride. Et si à présent il s'agissait du "Rec Vell", ce supposé vieux canal d'avant le Rec Nou ? Un vrai jeu de pistes.

Ou tout ouvert


Tout couvert


Voilà Sant Père, hérissé de rocs entrecroisés de murettes et terrasses


Villefranche se devine




Quel travail pour le construire, et quelle solidité !


Je laisse le Rec Nou à son destin qui finira par se noyer sous les filets de protection, puis frôle le petit oratoire au bord de la route, et va se perdre je ne sais où, sur les cartes, il y a bien longtemps qu'il s'est perdu. Un canal s'est perdu au Ravin des Horts et s'est pendu au Torrent dels Horts ou des Rocs Llisos...on se croirait au Plat Pays de Brel alors qu'on est au pays vertical de la face sud du Massif du Coronat.



L'essentiel des terrasses est au dessus du canal

Mais d'où vient il ce canal avant de croiser Serdinya ? De longues et peu fructueuses recherches m'ont conduite à son nom d'avant : le Rec Jando, venant des hauteurs de Jujols, voire de Nohèdes où démarre la canal de Jujols pour 15 km d'anciens bons et loyaux services. 15 km ?  Assurément le Rec Nou en est un bon tronçon...Faudra que j'aille voir cela de plus près ! Il va me faire marcher, ce canal!

Allez, le trajet en bord de route sera plus facile cette fois, j'ai appris à le négocier, non pas avec plus de sécurité mais avec moins de stress.

La 116

En chiffres:

Dénivelé : presque aucun, courbes de niveau entre 583 et 540 m

Distance : 7.39 km

Temps réel de marche hors arrêts: 2 h 32 

La route : 110 km AR 

En jaune pointillé : la partie parcourue
En jaune fléché, les prolongements du canal
En blanc, le retour de rando







6 commentaires:

  1. merci pour vos reportages et indications tres detaillees

    RépondreSupprimer
  2. Moins impétueux mais tout aussi intéressant. Merci Amedine.

    RépondreSupprimer
  3. C’est un véritable jeu de piste ! Le canal Vell est beaucoup plus classe que le Nou ! Pendant cette recherche intéressante, n’as-tu pas rencontré quelques reptiles ? En te lisant il me semblait les voir dans les broussailles….
    Les murs de soutènement ont résisté au temps et sont encore très beaux, quel dur travail pour les construire avec une telle pente !
    Tu es un vrai sanglier tout terrain, bravo ! Apolit aux chasseurs…

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les serpents étaient de sortie, ailleurs. Quant aux chasseurs je m'habille comme eux mais là bas ils n'y vont pas, c'est trop ingrat. Sinon s'ils y allaient ce serait propre. Quant aux murs de soutènement, c'est ce qui me fascine le plus. Bises; là bas je ne vous y emmènerai pas, Als Horts, oui.

      Supprimer
  4. J'étais à un enterrement ! celui d'un canal mort

    RépondreSupprimer

Votre commentaire: