Cartes anciennes et cadastre napoléonien sont une inépuisable source pour la curieuse que je suis. Après avoir apprivoisé un peu les Albères, ma chaîne de montagnes natale, j'ai compulsé les cartes anciennes de part et d'autre de la frontière géographique naturelle qu'est ce point final des Pyrénées et j'ai déjà exploré un chemin entre Espagne et France aujourd'hui disparu (clic). C'était en février dernier.
A présent le chemin que je vais présenter se nomme d' "Espagne à Argelès" et il a son alter égo, le chemin d' Espagne à Collioure, sauf que, issus chacun d'un même village du sud, Espolla, ils se rendaient soit à Collioure, soit à Argelès, par deux voies différentes, les cols de Pal et de Carbassera. C'est à ce dernier que je vais m'attacher, bien que je ne l'aie pas parcouru en entier, loin s'en faut.
Espolla est un village catalan, au pied des Albères, côté sud. D' Espolla à la crête s'étageaient de nombreux mas, des familles entières vivaient dans ce piémont aride, étoilé de sources cependant. Les Mas de la Llosa et de Gamarus en faisaient partie, le premier existe toujours, le 2nd est ruiné.
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Mas Gamarus |
De ces mas, aujourd'hui desservis par des pistes, des chemins "volaient" jusqu'à la crête et se dispersaient côté français, l'un en rive droite de la Massane, nommé de Collioure, l'autre en rive gauche, nommé d'Argelès, les deux presque en crêtes. Un seul rencontrait la rivière. Ensuite ces deux chemins se rejoignaient sur quelques dizaines de mètres avant de filer chacun vers son destin, en vive descente.
J'ai d'abord exploré le secteur avec le regard neuf du visiteur avant que de me lancer dans des recherches inspirées par le cadastre de Novembre 1815.
La rivière Massane qui naît presque sur les crêtes des Albères descend paresseusement puis, en dessous des Couloumates, fonce en une gorge tourmentée et magnifique, sinueuse et escarpée jusqu'à Lavail (Sorède) où elle va s'épanouir jusqu'à la mer.
Le chemin qui m'intéresse naissait à Espolla (124 m) montait jusqu'à Gamarus (562 m), franchissait le col de Carbassera (972 m) et descendait jusqu'au col de la Place d' Armes (677m) avant de terminer à Argelès (17 m). Un parcours relativement long qui ne se faisait pas en un jour. Des relais devaient exister sur le circuit, j'en ai trouvé un .
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Côté sud une série de Mas et le col de Carbassera |
Je n'ai suivi qu'une faible partie de ce chemin : du refuge des Couloumates au Col de la Place d' Armes, soit 2 km mais cette distance est caractérisée par sa quasi disparition sur le terrain, ce qui en fit, évidemment, l'objet de toute mon attention.
C'est le cadastre de 1815 qui fut grand bavard; le terrain fut bien plus discret puisqu'il me fallut trois sorties pour amadouer les 1.5 km explorés et surtout les faire parler.
Allez donc faire parler des terrains vierges de toute trace, pentus au possible, couverts de forêts et de ronciers, de quelques amas de cailloux, de barres rocheuses, une rivière marquée par ses caprices et crues dévastatrices, un terrain qui fut voué aux travaux de bûcheronnage et de charbon de bois, arpenté aujourd'hui par des bovins mais si peu par des humains; aucun sentier de randonnée, aucun repère touristique, aucun accès par un "sentier civilisé" et on a le tableau muet que je dois réveiller. Le tout dans une réserve naturelle classée au Patrimoine, qu'il ne faut donc pas déranger.
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Vestiges en bord de rivière |
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Au temps où la forêt fut exploitée |
Et pourtant....Les trois randos, seule ou accompagnée, ont bien voulu murmurer à mon oreille...Alors voici.
Du Col de Carbassera, où je ne suis pas allée, le chemin, en suivant longuement la rivière, gagnait le refuge des Couloumates, nommé alors "baraque des Couloumates" un ensemble de deux bâtiments en pierres, superbe décor, superbes site et architecture. Sur le terrain, point de restes je pense de ce parcours d'à peine 2 kms. Les Baraques devaient être une étape après la rude montée des Pyrénées, une paire de sources étant les bienvenues.
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Du col de Carbassera à la rivière |
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De la rivière aux Baraques des Couloumates |
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Secteur Col de la Carbassera, versant sud Une piste d'éleveurs s'en approche |
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Baraque des Couloumates, versant nord |
Aujourd'hui le sentier de randonnée passe aux Baraques, d' Ouest en Est, jadis le chemin était Nord Sud, donc le randonneur le croise sans le savoir, et surtout sans rien en voir.
Le chemin continuait en courbe de niveau en suivant une longue crête d'où les points de vue sont beaux mais où, par vent du nord, la position verticale est pure utopie.
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De la baraque des Couloumates à la Baraque du Ginester |
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Les points de vue |
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sont beaux. |
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La ligne de crêtes en dessous de laquelle passe le chemin Sur la gauche de l'image, dans le vert tendre de la hêtraie |
Quelques mètres en dessous de la crête, très abrité, le chemin suivait son cours en dévers, surplombant la rivière de 100 m de hauteur (et 500m linéaires).
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Sous la crête |
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La suite en dessous de la crête |
Les voyageurs surplombaient une hêtraie amplement exploitée pour le bois et le charbon de bois, aujourd'hui devenue forêt musée soumise à un plan drastique de protection.
Le voyageur avait croisé une baraque nommée du Ginestet dont il ne reste que deux ruines que seul un oeil averti peut déceler, un vrai tas de cailloux informe.
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Reste de mur de la cabane |
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Les murs ruinés |
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Un petit orri à quelques mètres |
Je ne vois pas la rivière masquée par la pente et les arbres immenses mais j'ai moultes fois envie de dévaler et remonter, explorer ce versant qui doit bien cacher quelques reliques! Tant d'activité s'y déroulait alors et si je n'entends que le bruit d'ouragan du vent, les bruits d'autrefois étaient ceux du labeur. Ces chemins devaient davantage être dédiés au travail du bois qu'aux voyages! Je ne parlerai pas des contrebandiers....je ne parlerai pas du temps où les deux pays ne faisaient qu'un, je trouve dommage que l'oubli ait envahi ces chemins, cependant dans ce site classé, cela se comprend aussi.
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Envie de descendre puis de remonter |
Du chemin je ne verrai presque rien, une esquisse de muret, un muret mieux conservé dans un passage en roche juste sous la crête, en fait j'imagine que ce chemin n'était pas construit avec des murs de soutien, mais juste un tracé dans le dévers donc très soumis à l'érosion.
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Vestige |
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L'endroit le mieux marqué |
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Passage dans une barre rocheuse juste sous la crête |
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et dans le dévers de la pente |
Pendant ce kilomètre de marche sous la crête, le voyageur allait voir se rapprocher la rivière puisque au final seulement une trentaine de mètres l'en séparaient bien qu'il soit toujours en crête mais la crête s'abaissait. Il rencontrait alors un solide bâtiment au toit de tuiles, fait de trois petites pièces aux murs larges, en pierres. J'ai exploré cette ruine, très basse aujourd'hui, l'ai mesurée, dessinée , trois pièces sur une trentaine de m2 extérieurs, c'est petit, vu l'épaisseur des murs (0.7 m murs extérieurs et 0.4 m murs intérieurs intérieurs. Un tesson de jarre ou de pichet m'a dit "halte relais" mais il n'y a plus rien à boire ici ! C'était la Baraque de l' Auxina, qui n'est déjà plus marquée sur les cartes de l'Etat Major . (Géoportail, 1820/1866)
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De la toiture |
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Et de l'hospitalité |
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Deux pièces, la 3 eme est après la porte d'entrée (7 m2) |
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Deux petites pièces : 5.3 m2 et 3.5 m2 |
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Porte d'entrée : murs de 70 cm de large |
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Notes sur mon carnet de route |
A cet endroit le chemin virait sec et se lançait dans une descente tout aussi sèche dont je n'ai trouvé nulle trace, pour traverser la rivière à gué, un gué dont il ne reste rien que la cohérence au vu de la remontée sur l'autre rive.
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La suite du trajet, descente sur la Massane, remontée et rencontre avec l'autre chemin (en rouge) |
Justement l'autre rive garde bien la trace de ce chemin. Une source s'y trouve à la limite de la partie expérimentale de la Réserve. La Cabane laboratoire Arago est proche.
Les scientifiques sont absents, la rivière chantonne, elle va bientôt entrer dans les gorges. Comme les voyageurs, j'emprunte le chemin remontant, devenu plan incliné rectiligne, saignée dans la forêt aux troncs pâles et au sol aussi pâle. 250 m plus loin je rencontre l'autre chemin, venu aussi d' Espolla mais bien plus long (par le col de Pal et le col de Verderol).
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La remontée vers la Place d' Armes |
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Même chemin mais vu en arrière |
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Arrivée au petit col taillé dans la roche |
Ces deux chemins franchissent un passage taillé dans la roche au sol bien inégal qui dut être aplani par le passé, pavé peut être. Ces chemins vont vite se séparer, celui de Collioure file dès le Col de la Place d' Armes en descente, l'autre poursuit vers la tour de la Massane mais basculera au bout de 400 m vers Roc del Corb, Font Andreu et Valmy qui n'existait pas sur la cadastre napoléonien (bâti de 1888 à 1900). C'est aujourd'hui un chemin de randonnée, accès à La Massane. Je ne l'ai pas (encore) parcouru.
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Le petit col dans la roche |
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Les deux chemins se séparent très vite En rouge, Espolla Collioure En jaune, Espolla Argelès |
Ces chemins balisés et empruntés ne me parlent guère et à vrai dire ne me passionnent pas. C'est vers l'âme des anciens que je me tourne, dont il ne reste que de rares traces tangibles et beaucoup d'âme en suspens.
J'ai encore du chemin à parcourir. Si loin, il se mérite, mais n'en a que plus de saveur. C'est curieux, quand je rêvais si fort au chemin conduisant à Gamarus, je n'imaginais pas qu'il ne faisait qu'un avec celui ci. Ici on ne peut dire "tous les chemins mènent à Rome" mais "tous mènent à Espolla". J'en ai la preuve.
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Le site vu depuis la Tour de la Massane |