mercredi 26 avril 2023

Albères : l'ancien chemin d'Espagne à Argelès.

 Cartes anciennes et cadastre napoléonien sont une inépuisable source pour la curieuse que je suis. Après avoir apprivoisé un peu les Albères, ma chaîne de montagnes natale, j'ai compulsé les cartes anciennes de part et d'autre de la frontière géographique naturelle qu'est ce point final des Pyrénées et j'ai déjà exploré un chemin entre Espagne et France aujourd'hui disparu (clic). C'était en février dernier.




A présent le chemin que je vais présenter se nomme d' "Espagne à Argelès" et il a son alter égo, le chemin d' Espagne à Collioure, sauf que, issus chacun d'un même village du sud, Espolla, ils se rendaient soit à Collioure, soit à Argelès,  par deux voies différentes, les cols de Pal et de Carbassera. C'est à ce dernier que je vais m'attacher, bien que je ne l'aie pas parcouru en entier, loin s'en faut.

Espolla est un village catalan, au pied des Albères, côté sud. D' Espolla à la crête s'étageaient de nombreux mas, des familles entières vivaient dans ce piémont aride, étoilé de sources cependant. Les Mas de la Llosa et de Gamarus en faisaient partie, le premier existe toujours, le 2nd est ruiné.

Mas Gamarus

 De ces mas, aujourd'hui desservis par des pistes, des chemins "volaient" jusqu'à la crête et se dispersaient côté français, l'un en rive droite de la Massane, nommé de Collioure, l'autre en rive gauche, nommé d'Argelès, les deux presque en crêtes. Un seul rencontrait la rivière. Ensuite ces deux chemins se rejoignaient sur quelques dizaines de mètres avant de filer chacun vers son destin, en vive descente.


J'ai d'abord exploré le secteur avec le regard neuf du visiteur avant que de me lancer dans des recherches inspirées par le cadastre de Novembre 1815. 

La rivière Massane qui naît presque sur les crêtes des Albères descend paresseusement puis, en dessous des Couloumates, fonce en une gorge tourmentée et magnifique, sinueuse et escarpée jusqu'à Lavail (Sorède) où elle va s'épanouir jusqu'à la mer.

Le chemin qui m'intéresse naissait à Espolla (124 m) montait jusqu'à Gamarus (562 m), franchissait le col de Carbassera (972 m) et descendait jusqu'au col de la Place d' Armes (677m) avant de terminer à Argelès (17 m). Un parcours relativement long qui ne se faisait pas en un jour. Des relais devaient exister sur le circuit, j'en ai trouvé un .

Côté sud une série de Mas et le col de Carbassera

Je n'ai suivi qu'une faible partie de ce chemin : du refuge des Couloumates au Col de la Place d' Armes, soit 2 km mais cette distance est caractérisée par sa quasi disparition sur le terrain, ce qui en fit, évidemment, l'objet de toute mon attention.

C'est le cadastre de 1815 qui fut grand bavard; le terrain fut bien plus discret puisqu'il me fallut trois sorties pour  amadouer les 1.5 km explorés et surtout les faire parler.

Allez donc faire parler des terrains vierges de toute trace, pentus au possible,  couverts de forêts et de ronciers, de quelques amas de cailloux, de barres rocheuses, une rivière marquée par ses caprices et crues dévastatrices, un terrain qui fut voué aux travaux de bûcheronnage et de charbon de bois, arpenté aujourd'hui par des bovins mais si peu par des humains; aucun sentier de randonnée, aucun repère touristique, aucun accès par un "sentier civilisé" et on a le tableau muet que je dois réveiller. Le tout dans une réserve naturelle classée au Patrimoine, qu'il ne faut donc pas déranger.



Vestiges en bord de rivière


Au temps où la forêt fut exploitée


Et pourtant....Les trois randos, seule ou accompagnée, ont bien voulu murmurer à mon oreille...Alors voici. 

Du Col de Carbassera, où je ne suis pas allée, le chemin, en suivant longuement la rivière,  gagnait le refuge des Couloumates, nommé alors "baraque des Couloumates" un ensemble de deux bâtiments en pierres, superbe décor, superbes site et architecture. Sur le terrain, point de restes je pense de ce parcours d'à peine 2 kms. Les Baraques devaient être une étape après la rude montée des Pyrénées, une paire de sources étant les bienvenues.

Du col de Carbassera à la rivière


De la rivière aux Baraques des Couloumates


Secteur Col de la Carbassera, versant sud
Une piste d'éleveurs s'en approche



Baraque des Couloumates, versant nord


Aujourd'hui le sentier de randonnée passe aux Baraques, d' Ouest en Est, jadis le chemin était Nord Sud, donc le randonneur le croise sans le savoir, et surtout sans rien en voir.

Le chemin continuait en courbe de niveau en suivant une longue crête d'où les points de vue sont beaux mais où, par vent du nord, la position verticale est pure utopie. 

De la baraque des Couloumates à
la Baraque du Ginester
Les points de vue



sont beaux.


La ligne de crêtes en dessous de laquelle passe le chemin 
Sur la gauche de l'image, dans le vert tendre de la hêtraie


Quelques mètres en dessous de la crête, très abrité, le chemin suivait son cours en dévers, surplombant la rivière de 100 m de hauteur (et 500m linéaires). 

Sous la crête


La suite en dessous de la crête


Les voyageurs surplombaient une hêtraie amplement exploitée pour le bois et le charbon de bois, aujourd'hui devenue forêt musée soumise à un plan drastique de protection. 





Le voyageur avait croisé une baraque nommée du Ginestet dont il ne reste que deux ruines que seul un oeil averti peut déceler, un vrai tas de cailloux informe. 


Reste de mur de la cabane

Les murs ruinés

Un petit orri à quelques mètres


Je ne vois pas la rivière masquée par la pente et les arbres immenses mais j'ai moultes fois envie de dévaler et remonter, explorer ce versant qui doit bien cacher quelques reliques! Tant d'activité s'y déroulait alors et si je n'entends que le bruit d'ouragan du vent, les bruits d'autrefois étaient ceux du labeur. Ces chemins devaient davantage être dédiés au travail du bois qu'aux voyages! Je ne parlerai pas des contrebandiers....je ne parlerai pas du temps où les deux pays ne faisaient qu'un, je trouve dommage que l'oubli ait envahi ces chemins,  cependant dans ce site classé, cela se comprend aussi.


Envie de descendre puis de remonter


Du chemin je ne verrai presque rien, une esquisse de muret, un muret mieux conservé dans un passage en roche juste sous la crête, en fait j'imagine que ce chemin n'était pas construit avec des murs de soutien, mais juste un tracé dans le dévers donc très soumis à l'érosion.

Vestige

L'endroit le mieux marqué

Passage dans une barre rocheuse
 juste sous la crête

et dans le dévers de la pente



Pendant ce kilomètre de marche sous la crête, le voyageur allait voir se rapprocher la rivière puisque au final seulement une trentaine de mètres l'en séparaient bien qu'il soit toujours en crête mais la crête s'abaissait. Il rencontrait alors un solide bâtiment au toit de tuiles, fait de trois petites pièces aux murs larges, en pierres. J'ai exploré cette ruine, très basse aujourd'hui, l'ai mesurée, dessinée , trois pièces sur une trentaine de m2 extérieurs, c'est petit, vu l'épaisseur des murs (0.7 m murs extérieurs et 0.4 m murs intérieurs intérieurs. Un tesson de jarre ou de pichet m'a dit "halte relais" mais il n'y a plus rien à boire ici ! C'était la Baraque de l' Auxina, qui n'est déjà plus marquée sur les cartes de l'Etat Major .  (Géoportail, 1820/1866)






De la toiture


Et de l'hospitalité




Deux pièces, la 3 eme est après la porte d'entrée (7 m2)


Deux petites pièces : 5.3 m2 et 3.5 m2





Porte d'entrée : murs de 70 cm de large

Notes sur mon carnet de route


 A cet endroit le chemin virait sec et se lançait dans une descente tout aussi sèche dont je n'ai trouvé nulle trace, pour traverser la rivière à gué, un gué dont il ne reste rien que la cohérence au vu de la remontée sur l'autre rive.


La suite du trajet, descente sur la Massane, remontée et rencontre avec l'autre chemin (en rouge)

Justement l'autre rive garde bien la trace de ce chemin. Une source s'y trouve à la limite de la partie expérimentale de la Réserve. La Cabane laboratoire Arago est proche. 


Les scientifiques sont absents, la rivière chantonne, elle va bientôt entrer dans les gorges. Comme les voyageurs, j'emprunte le chemin remontant,  devenu plan incliné rectiligne, saignée dans la forêt aux troncs pâles et au sol aussi pâle. 250 m plus loin je rencontre l'autre chemin, venu aussi d' Espolla mais bien plus long (par le col de Pal et le col de Verderol).

La remontée vers la Place d' Armes

Même chemin mais vu en arrière



Arrivée au petit col taillé dans la roche


Ces deux chemins franchissent un passage taillé dans la roche au sol bien inégal qui dut être aplani par le passé, pavé peut être. Ces chemins vont vite se séparer, celui de Collioure file dès le Col de la Place d' Armes en descente, l'autre poursuit vers la tour de la Massane mais basculera au bout de 400 m  vers Roc del Corb, Font Andreu et Valmy qui n'existait pas sur la cadastre napoléonien (bâti de 1888 à 1900).  C'est aujourd'hui un chemin de randonnée, accès à La Massane. Je ne l'ai pas (encore) parcouru.

Le petit col dans la roche


Les deux chemins se séparent très vite
En rouge, Espolla Collioure
En jaune, Espolla Argelès


Ces chemins balisés et empruntés ne me parlent guère et à vrai dire ne me passionnent pas. C'est vers l'âme des anciens que je me tourne, dont il ne reste que de rares traces tangibles et beaucoup d'âme en suspens.

J'ai encore du chemin à parcourir. Si loin, il se mérite, mais n'en a que plus de saveur. C'est curieux, quand je rêvais si fort au chemin conduisant à Gamarus, je n'imaginais pas qu'il ne faisait qu'un avec celui ci. Ici on ne peut dire "tous les chemins mènent à Rome" mais "tous mènent à Espolla". J'en ai la preuve.


Le site vu depuis la Tour de la Massane




samedi 15 avril 2023

Albères : la Massane, chemin secret (acte 3)


 Il y a quelques jours, j'avais remonté en solo le cours de la rivière Massane (clic) dans ses gorges tourmentées et j'avais été impressionnée par la beauté sauvage du lieu mais aussi par la sensation d'isolement. Une très grande solennité parait ce lieu devant mon regard tout neuf. Un peu angoissé.

En ce samedi, je vais finir le parcours avec Nicolas qui a proposé de m'accompagner. Il a fait ce "voyage aquatique" récemment, invité par ma découverte,  et a bien envie de le recommencer.



Sur la piste, je lui présente tous ces chemins qui partent vers l'inconnu, que j'ai parcourus et qui parlent du travail des bûcherons et des charbonniers du temps passé.

Crosses de fougères

Puis nous abordons aux rivages du torrent, le remonter va être presque un jeu d'enfant puisque nous connaissons. Il y a toujours quelque chose à découvrir. Une roche, une caverne, un végétal  et aussi quelques changements.


L'aisance du grimpeur














et de fleurs


Bouquet de couleurs


Des mousses vertes envahissant l'eau, des lentilles d'eau colonisant la surface, il m'explique les roches, leur formation, les inclusions, les couleurs, l'érosion, j'aime apprendre et découvrir.


Mousses et reflets


Cette fois, je n'emprunterai pas "la vire des pêcheurs" pour éviter un passage difficile, guidée par lui, je le franchirai. Cela aussi est plaisant, oser ce qu'on ne tente pas seule.


Le trajet paraît familier, plus court, pas du tout stressant, j'en profite bien mieux; quelques passages qui me parurent un peu difficiles semblent avoir été aplanis, sécurisés, c'est stupéfiant comme le ressenti peut différer alors que rien n'a changé...Sinon qu'on est accompagnée...



Décor grandiose depuis le petit col dans une arête



Finalement elle était facile.



Nous arrivons au passage où je m'étais arrêtée faute de temps, deux murs de roche plongeant dans l'eau; il faut escalader la petite falaise sur la droite et contourner la difficulté par une vire un peu encombrée de végétaux, passage très facile toutefois.

Là où j'avais stoppé


Le passage vu depuis l'évitement



Un tronc




Derniers franchissements



La roche




Derniers goulets


Alors on aborde une belle cascade qui sera le dernier obstacle du parcours. L'aurais-je osée, seule ? Je pense que oui, quitte à mettre les pieds dans l'eau car le départ est impressionnant mais finalement c'est presque un jeu d'enfant pour moi. 

Aisance

et aisance














Nicolas, bien plus jeune que moi est un compagnon attentif et attentionné pour "mon grand âge", faire avec lui ce trajet sauvage et inédit est un vrai régal.  C'est un sportif, un grimpeur, je me sens très à l'aise. Le temps est superbe, lumineux, estival, on bavarde entre amis, on se connait depuis longtemps à présent. On mesure l'importance de la sécheresse cette année, le danger à faire un parcours dans ces reliefs l'été, vu les risques d'incendie.

Le passage délicat et ludique franchi, à présent, on va baisser le son des conversations, on rentre in "vetiti terra", en terre interdite. 



Elle se devine


Ou presque, puisque on aborde la réserve naturelle. On n'en est quand même pas à avancer à pas de sioux mais bon...Et pourtant, si le parcours "musclé" s'achève dans de doux murmures d'une rivière apaisée qui va se jeter dans le vide, et changer d'aspect, pour nous commence une autre étape, rechercher ce que Nicolas nomme "le chemin historique" et moi la route d' Espagne à Argelès, portée encore sur le cadastre napoléonien et la carte d'état major. Ici il faut élargir le champ visuel et chercher la cohérence du chemin, en observant du sol au ciel. Ce chemin venu des crêtes et de la cabane des Couloumates descendait à la rivière, la franchissait et remontait sur le col de la Place d' Armes. Il fallait donc que ce parcours évitât les falaises, les barres rocheuses, les pentes trop raides et mon regard furète, évalue, jauge, je remonte sur la crête envahie d'arbres et buissons ne laissant aucune visibilité, rive gauche de la rivière. On se concerte. Une cohérence se dessine, nulle trace sur le terrain mais on y est, c'est sûr. On ne partira pas sur la crête, on laisse ce trajet pour une prochaine fois, on se concerte encore sur la suite, on fait un choix drastique dans nos curiosités, ce sera rive droite, vers le col.


La Massane assagie : pour elle le parcours des gorges va commencer

Dans ces forêts de frayait "la route"

Aucun scientifique ni garde n'arpente le coin, la cabane laboratoire est muette, la source proche, tarie.

Cabane laboratoire


 C'est avec une facilité déconcertante que se profile l'assiette de cet ancien chemin qui monte en diagonale, assiette exempte de ces hêtres qui vivent ici. Un vrai plan incliné, rectiligne qui nous conduit à ce petit col qui m'avait surprise à double titre : une jolie cabane en pierre et une assiette de chemin taillée dans la roche. Deux "routes" se rencontraient ici, issues d' Espagne toutes deux, des Couloumattes toutes deux, une en rive droite et l'autre en rive gauche : ce tronçon sera la prochaine recherche...


Peut être était il ici le gué ? 


La source muette

L'assiette du chemin d' Espagne

Ici on le voit bien avec même un muret transversal pour le stabiliser

Rencontre des deux chemins, un petit col taillé dans la roche

Toute proche était cette cabane


La suite du chemin sera "terra cognita", la montée à la tour de la Massane, un petit en cas sur ce lieu de villégiature qui va nous inciter à la fuite, malgré la beauté du panorama. Nicolas ne descendra pas en courant, ce qui est un de ses moyens de locomotion favoris, il va m'accompagner tranquillement et je lui ferai ainsi découvrir le joli sentier du Pomer,  celui qui traverse l'élevage et est plus ou moins interdit à la circulation piétonne, mais...chut...l'interdit, on y est rôdés.










Dans le sentier du Pomer

Escalade

Moins haut pour moi


La suite de l'histoire se noiera entre groupe élargi d'amis et bulles, telles ces bulles bouillonnantes des cascades de la Massane, un peu plus blondes, un peu plus fruitées....La Massane en Liberté le valait bien !


                                                                                                         Merci Nicolas !

Bon voyage...


En chiffres 

Distance : 12 km environ.

Dénivelé positif cumulé : 700 m environ