Sougraigne, près de Rennes les Bains, petit village de l'Aude, surplombe la Sals et est le dernier village de la vallée avant la source salée, dont la teneur en sel avoisine celle de la Mer Morte, 60 g/l.
En cette saison, la rivière est marron et écumeuse, ce n'est pas de la pollution, c'est le sel.
A Sougraigne, je viens compléter mes deux sorties, toujours pour observer des fossiles. Je sais par lectures qu'ils sont difficiles à trouver depuis que la friche a tout envahi. Je fais confiance à ma perspicacité. Le but est les rudistes et les hipérites issus du Crétacé, moins 145 à moins 65.5 MA.
Fossile |
Je vais donc voyager dans le temps !
9 h, moins 5 °, il faisait moins 4 dans ma chambre / fourgon cette nuit, ainsi j'ai renoué avec le froid dont la pandémie m'a tenue éloignée. Je quitte mon camion givré comme un citron posé sur une mousse de glace. Bonne remise en jambes! Sauf que les moins 4 étaient à 2100 m, ici à moins de 400 m !
Je vais marcher dans l'ombre d'une vallée, celle de la Coumo, petit ruisseau affluent de la Sals. Le soleil arrivera plus tard, il dore les cimes mais la vallée encaissée entre deux flancs abrupts et complètement boisés promet froideur ! Mes pas crissent sur le sol gelé dès que je quitte Sougraigne blanchi aux toits fumants.
Sougraigne blanc de gel |
La piste de la Coumo |
Même lieu mais au retour |
Il faut suivre une piste étroite qui longe la rivière, chemin de chasseurs, ancien chemin d'exploitation, des champs en friche seront sur ma route. Cette rivière a un cours d'à peine 2 km. Mais quel cours !!
Il fait froid, rien ne bouge, quelques oiseaux chantent dans les arbres nus et du sang gelé étoile la piste, il y a eu chasse hier, je surveille avec attention, je crains la rencontre d'un animal blessé.
Hormis le sentier ce ne sont que forêts inextricables et broussailleuses, alors les fossiles, là dedans...
Hier j'ai remonté cette même vallée par la crête, sur un sentier de chasseurs, la vue aérienne n'a rien donné: des forêts inextricables en pente telle que le chemin de chasseur que j'empruntai lorsqu'il plongea dans la pente me découragea vite : devoir le remonter? Ce matin je trouve sa sortie en bas dans la rivière, la boucle est donc possible. Un petit 130 m de dénivelé.
Depuis ma piste devenue sentier, je fais quelques incursions à la rivière stupéfiante. Un filet d'eau, une falaise noire et un sol entièrement dallé de marnes noires, compactées, comme une ruelle goudronnée qui serpente. Un joli passage tobogan m'attire, je débroussaille les ronces mais le sol est si glissant d'argile que je renonce. Dommage. L'eau est trop glacée pour le bain, mais déjà mon cerveau en ébullition prévoit de suivre le cours en été (débroussaillage garanti).
Une rivière semblable à une route |
Le petit tobogan |
Le dallage est fait de marnes feuilletées (argiles compressées) |
Dallage de rivière |
Chacune de mes incursions y trouvera ce dallage, émaillé de fossiles, quel décor ! Près du village, la rivière quitte sa tenue bizarre et redevient cours d'eau normal, elle garde ses excentricités pour ceux qui vont y fureter.
U n cours d'eau qui devient normal |
Pour ne pas glisser sur la glaise de la rive, je suis descendue à la corde |
Fossiles :
Dans l'eau |
Jeux d'eau reptiliens
Je suis toujours à l'ombre et nulle trace de fossiles, silence dans les fourrés, la houle du vent tout en haut dans les flancs de la vallée évoque cette mer qui occupait tout le site et qui laissa ses strates et ses rivages tout en haut, tels que j'ai pu les entrevoir hier.
Je suis venue ici car je veux accéder au site de falaises que j'ai vu d'en haut la veille. Une jolie balade à 650 m d'altitude, avec de superbes points de vue sur le Bugarach, LE célèbre "pech".
On ne peut l'ignorer, saupoudré de givre |
Ce que je cherche... |
Le site est invisible d'en bas. Je sais qu'il est proche et inaccessible. Le sentier se perd à un confluent avec un autre petit ruisseau que je vais remonter car il y a une ébauche de passage, mais différencier un passage humain d'un passage animal ...Ce n'est évident que si les buissons sont refermés à hauteur d'homme. Soudain je me trouve sur une pente dégagée couverte de petits rocs assez lisses et polis, habillés de fossiles. Certes pas ceux que je cherche mais ma joie est aussi grande. Il y a une ancienne zone de cultures, une ruine bâtie de calcaire et de grès, couverte de mousse. C'est à la fois sépulcral et fascinant. De temps en temps je parle seule pour prévenir d'éventuels sangliers. Je suis presque au bout de la vallée, il y a bien du sentier indiqué sur la carte mais sur le terrain... Je pose sac et bâton et je "ratisse", m'émerveillant à haute voix sur de dérisoires et banales trouvailles...sauf une: des oursins. Mais si je voulais explorer chaque caillou, il ne me suffirait pas de la journée. Je repose chaque roc à sa place, je n'aime en rien déranger la nature, ni cailloux ni végétaux.
Chaque roc est fossilifère |
Tout au bout du sentier |
Oursin ? |
Un peu plus tard, récupérant mes affaires abandonnées, je reviens sur mes pas, même chemin.
Le soleil, enfin ...Il est 11 h. Alt 553 m |
Je sais qu'un autre parcours se trouve en parallèle, un peu plus haut en altitude et je le rencontre. Je vais suivre un large sentier, chemin d'autrefois, bordé de murettes, de deux ruines de bâtiments, et même balisé de jaune. Comme dans un conte pour enfants, j'arrive alors à une clairière, où ont poussé d'immenses hêtres, au sol tapissé de feuilles rousses et de gros blocs moussus détachés de...la falaise que je cherchais tant. Un vrai conte de fées...
Anciennes bâtisses |
Le chemin d'autrefois |
La magnifique hêtraie et les éboulis de la falaise |
En dalles |
En pavés |
Et en fossiles ! |
Je remonte la hêtraie, j'observe les blocs un peu fossilifères et j'arrive au pied de la falaise, haut perchée mais rien ne va m'arrêter, d'ailleurs ce n'est pas difficile quoique escarpé (c'est un cône de déjection) sauf que c'est une patinoire de glaise et que mon faux piolet plus rassurant qu'efficace va me conduire à la corniche.
Piolet paysan |
La grimpette à la falaise |
La falaise est faite de différents strates au fur et à mesure du recul de la mer, gros blocs, fines tranches de couleur, dépôts végétaux en strates ou en inclusion, couleurs variées au gré du temps, un vrai livre de lecture que je déchiffre avec maladresse. Je ne connais pas cette écriture du temps vieux de plus de 100 millions d'années. Mais qu'importe, faut il tout savoir, tout comprendre, tout interpréter ? L'imaginaire et quelques souvenirs de lectures habillent cette falaise. Je vais en faire mon QG, haut perchée. En face, de l'autre côté de la Coumo, la sévère pente de plus de 100 m de haut où se mêlent côté soleil (adret) chênes, hêtres et conifères. Une crête de calcaire dentelle le sommet où je me baladais hier. La rumeur sourde du vent ténu et de l'eau monte à moi, comme une mer intérieure. Le versant où je suis (ubac) est un peu plus embroussaillé.
586 m altitude |
Mon QG comporte une corniche, résultante sans doute de l'ouvrage de la Coume au fur et à mesure qu'elle a creusé sa vallée, sapé les parties faibles de la falaise et provoqué des effondrements, qui gisent dans la forêt de hêtres au dessous de moi.
La rive opposée (rando la veille sur la crête) et la hêtraie à mes pieds |
Cette corniche continue à s'effriter, qu'elle attende donc un peu ! Lorsque je lève la tête ce n'est pas toujours rassurant !!
Ronciers, étroitesse et surplombs |
Des habitants ont envahi ce passage étroit donnant sur un vide pas très haut mais où la chute n'est pas souhaitable : des ronces... Alors mon sécateur va prendre du service et ainsi je vais parcourir la courte corniche, par places en reptation ou contorsion. Ce n'est pas que cette falaise soit brève, c'est que cette zone d'effondrement l'a mise à nu ce qui n'est pas le cas pour tout le restant de la vallée.
Alors que vois je ? D'abord mon estomac qui crie famine. Une fois bien calé, je vais pouvoir explorer strate par strate, en illettrée émerveillée. Peut être à cause de mon illettrisme...
Des fossiles sont inclus, je ne les connais pas, qu'importe. J'ai même oublié de dérouler mon mètre ruban! Je touche avec respect ces survivants de pierre, je ne dérange rien à cette vieille ordonnance du long temps. Je caresse des millions d'années du bout de mes doigts terreux.
Quelques spécimen |
Inclusions végétales fossilisées ? |
Le livre de la création de la terre, pages noires, pages blanches |
C'est un calcaire gréseux dans lequel je trouverai une seule et unique inclusion de charbon (lignite ?).
Un filon de charbon |
Par places je rencontre quelques conglomérats, et puis tout restera mystérieux car je ne sais pas lire ce temps là. Je passe exactement une heure sur mon mince perchoir, une véritable inspection en allers retours, tandis qu'au dessus de moi quelques mètres de calcaire resteront inviolables.
Conglomérats |
Je suis hors du temps, du temps humain, car rien ne me le rappelle; ni une voix, ni un aboiement, ni un son, il est si facile de s'extraire du monde, juste la banalité d'une falaise à qui, normalement, on n'accorde pas un regard.
La banalité d'une falaise ? Quand elle devient oeuvre d'art abstrait ?
Je redescends, à la corde cette fois, à la faveur d'un chêne vert aussi incongru que moi ici, et pas à pas je reviens vers le siècle auquel j'appartiens.
Retour au 21 eme S |
Le sentier balisé se perd sans préavis, je vais bifurquer par un sentier animal, ils sont nombreux et toujours efficaces (sauf à hauteur d'homme, :-)) en direction de la rivière.
Le sentier se perd... |
Pour retrouver mon chemin du matin, celui des anciennes cultures, de la rivière pavée de marnes feuilletées.
Bouquet final |
Cette clôture m'a offert 2 fois l'électricité gratuite |
La gadoue |
Retour à Sougraigne |
Retour, celui ci ne deviendra pas fossile ! |
En chiffres:
Rando jour 1 : 6 km
Dénivelé insignifiant
Rando jour 2 : 6.8 km
Dénivelé insignifiant
La route : 220 km AR
En bleu, balade Jour 1 En rouge, balade Jour 2 |