jeudi 26 novembre 2020

Le Ravin du Sang (ou de la Liberté) : 2 ème

Le Correc de la Sanch ou Ravin du Sang est celui du Puig Sangli.



Le Ravin du Puig Sangli vu d'en haut




 Après le Sentier de la Liberté à Tresserre, mon village, j'ai profité du confinement me tenant loin de la montagne pour me lancer sur d'autres pistes. Dans le cadre légal autorisé évidemment...

Ainsi le Correc de la Sanch a eu ma visite. je le connaissais mais n'y étais pas retournée depuis vingt ans. 
Ce ravin au nom évocateur de Ravin du Sang aurait de quoi faire frémir....Entre légende et réalité, plus près de la réalité toutefois, il était en cette fin 18 eme siècle, le théâtre de combats faisant rage entre Français et Espagnols, lors de cette bataille inscrite sur l'Arc de Triomphe: la Bataille du Boulou.


Donc je pars à la re découverte du Correc du Puig Sangli ou de la Sanch. 

                                                                                      

             

                               

C'est comme tous les ravins d'ici un étroit chemin d'eau, qui ne coule que par fortes pluies, et qui serpente entre des falaises d'argile jaune, en recevant une kyrielle de petits ravins adjacents. 

On se  croirait même dans les canoles du Larzac !

L'ensemble se trouve dans une cuvette aux bords relevés de hautes falaises infranchissables et enseveli sous une épaisse et étouffante futaie de chênes verts et chênes liège qui habillent un sous bois touffu, inextricable et agressif. Autrement dit, hormis le ravin ou une sente de chasseurs il est impossible de circuler.

Sur la falaise



Lorsqu'on y pénètre on entre dans le monde de l'ombre, des rais de lumière épars, du silence si le vent ne mugit pas tout là haut, le monde des parfums puissants, et aussi un monde quelque peu oppressant, angoissant. Cela ne me déplaît pas. Un parcours aseptisé n'y aurait aucun charme.

Oasis de verdure,  été comme hiver


De hautes falaises enserrent les ravins. 










De temps en temps je m'arrête, j'écoute, le coeur battant...y rencontrer un sanglier n'est pas ma priorité !

Ce ravin , je ne pourrai le remonter que sur 350 m c'est à dire même pas la moitié. Malgré le balisage des chasseurs, et la belle flèche orange, le ravin est obstrué par un arbre effondré, infranchissable.

Le demi tour s'impose, j'essaie d'escalader une falaise, mais je stoppe avant le haut, la redescente sans corde est trop périlleuse, le sol est comme tapissé de billes!



Ce n'est donc qu'un essai à transformer dès que possible : la prochaine fois j'irai plus haut par un sentier tracé dans le maquis, sur les hauteurs.

                                                             ............................................

La prochaine fois c'était hier. Cette fois j'ai pris une corde!

Je délaisse sur ma droite l'antre sombre et touffu du ravin et vais rejoindre le départ du sentier de chasseurs qui monte gaillardement dans le maquis, épais buissons "à hauteur d'homme" soit plus haut que moi. Quelques chênes émaillent ce parcours où je ne vois rien, que la fine ligne brune du chemin, c'est deux murs parallèles parfaitement piquants. Heureusement j'ai repris ma tenue de loqueteux !

Creusé par les ravinements, envahi de végétation : le sentier

Au bout de 1 km, le sentier se termine et ouvre sur de vastes friches, anciennes vignes abandonnées. Des hectares couvraient ce plateau à 150 m d'altitude, vignes qui furent gagnées sur le maquis puis arrachées pour cause de crise viticole. 

Anciennes vignes : friches 
Et tout au fond serpentent les ravins.


Le vacarme pénible de la gravière parvient à moi, et un vent violent de sud souffle en tempête. Un coupe feu ancien part sur la droite, ce n'est pas mon chemin mais la curiosité m'entraîne . Des postes de chasse longent le tracé et soudain je me trouve au sommet d'une falaise dominant le splendide et mystérieux parcours des ruisseaux enfouis dans la forêt 30 m en dessous. Une corde fixe m'invite à plonger et de corde en corde je me retrouve juste à mon point d'arrivée de l'autre jour, au pied de cette falaise que j'avais tenté de gravir à mains nues en m'agrippant aux troncs d'arbres. Bien dissimulé ce sentier que j'avais pris pour un "corriol" de sangliers n'était autre que chemin de chasseurs !


Chemin avec cordes fixes pour la falaise
L'ancien coupe feu 

Je sais donc que je ne peux pas continuer en bas et je remonte prestement à ces vignes abandonnées, la corde est aussi utile en montée qu'en descente, ce sol semble fait de billes !

Sitôt en haut je vais suivre une longue et monotone piste, en plein vent, plein bruit, pleine poussière sur plus de 1 km , jusqu'au Puig Sangli, 208 m.  Autrefois le site était une colline; cette colline fut arrasée pour faire un vignoble mais si le sommet perdure sous forme de butte, car c'est un point géodésique, les vignes n'existent plus. La friche envahit tout.


La piste
Démasclage du chêne liège
Le liège mâle est ôté, c'est le liège femelle
qui servira aux bouchons


Citerne de piste DFCI

Détail : l'artiste est mon vétérinaire
Pascal Burq (une de ses nombreuses spécialités)


 

Mise en valeur du site



Les Albères, Le Boulou et la gravière

Le Puig Sangli, côte 208 m

Je poursuis à présent mon chemin dans un triple but . D'abord voir que sont ces étranges lignes géométriques vues du ciel. Je serai vite confortée dans mon hypothèse, ce sont des passages débroussaillés par des engins puissants mais dans quel but ? Déjà ensevelis sous la végétation ils ne mènent nulle part. Même le rôle de coupe feu ne semble pas valable. 


Etrange paysage 

Second objectif rallier le mas en ruines que j'ai repéré en vue aérienne. M'y voilà, une solide et belle bâtisse en pierre d'ici, qui, avec ses deux piliers ressemble davantage à un cortal qu'à une habitation, d'ailleurs aucune trace de cloisons à l'intérieur ne subsiste. La toiture était en tuiles toutefois.


Ruine du mas ou cortal

Ancien Mas Llauzy



 

Chaîne d'angle en cailloux
de garrigue
Un des piliers
                                                                                               











 Dernier but et pas des moindres, que je poursuis depuis le début du chemin, redescendre dans le correc. Peine perdue, chaque esquisse de sente se perd dans un enchevêtrement de buissons .


Le plus décevant ? Ma voiture est à 150 m en ligne droite et je vais refaire ...à l'envers....plus de 3 km  de pistes et sentier, dans l'humidité du soir qui tombe. La gravière clôt ses portes, le soleil a refermé la sienne, demain sera un  nouveau jour...de confinement. 

Ma voiture est au virage : inaccessible !

Evidemment je ne rencontrai aucun humain....Si ce n'est mon ombre.

 


La gravière range ses engins, le vent fou continue sa courses vers le nord, le soleil illumine
la fin de jour : demain il pleuvra.


Arrivée à la voiture, deux chevreuils curieux, à bonne distance, regardaient cette humaine qui venait de fouler leur Royaume.
 Enfin ils pénétrèrent dans la broussaille des ravins, clôturant une belle et modeste balade.



Pour ma part, d'autres portes se sont encore ouvertes, des ruines, des ravins, des nulle part et des partout qui se chevauchent à l'infini de collines, et ravins embroussaillés. Où mes pas se plaisent à se perdre.




                                  A bientôt...au prochain rayon de soleil et au rayon de 20 km !!


mercredi 18 novembre 2020

Sentiers de la Liberté à Tresserre (66). 1er


 Préambule : Cette randonnée n'est pas le fruit du confinement. Quoique....

 C'est une balade faite et refaite plusieurs fois, à plus de 20 ans d'intervalle, le chemin des Soldats de l'An II, lorsqu'ils combattaient en cette fin de 18 eme siècle pour les toutes nouvelles idées de la République. C'est un mélange d'hier, d'autrefois, de l'Histoire et de mon histoire, oui finalement c'est le fruit du confinement qui m'a amenée, sans bouger, au fil de mes souvenirs et archives.

Je vous invite au voyage...Nous irons tous dans les bois....




                                        ..............................................................

 

 Là où je vais conduire mes lecteurs, c’est dans un "royaume" que je pourrais dater de 1793, novembre par exemple, car c’est en novembre qu’ici se passèrent des choses importantes et impressionnantes. Mon âme pourrait s’en souvenir et en restituer la marche. J’y étais.

Il pourrait se passer 210 ans après quand dans le silence des sous bois, une femme quasi en loques, chargée dans une main d’une pioche et dans l’autre d’un détecteur à métaux, se frayait un chemin à la recherche du passé. Et qu’elle le retrouvait.

Il pourrait se passer de nos jours où une femme ayant pour seul viatique un opinel, un appareil photo, une bouteille d’eau et un sauf conduit, se cacherait de la pandémie et de tout ce qui l'accompagne. Pour respirer un bon coup loin de tout.

Et bien non, il se passa un jour, pas si lointain, une journée ordinaire de semaine ordinaire, d’année ordinaire, d’avant que tout ne devint d’un coup extraordinaire.

C’est un récit du proche passé, où l’on avait encore un présent pas trop compliqué, un futur pas trop incertain, un avenir pas trop malmené et, ma foi, des rêves encore plein la tête…C’était un jour de novembre de l’année 2019. Il y a un an, il y a un siècle.

Oh ce n'est pas une randonnée comme les autres, je n'ai pas pris la route de la montagne, je n'ai pas campé dans la nuit froide d'automne, je n'ai pas respiré la forêt, la rivière et l'odeur d'un village roulé en boule, je suis juste partie près de chez moi avec pour tout bagage la quête de souvenirs.

A 2 km de chez moi, altitude 197 m, je vais rentrer dans le royaume qui n'appartient qu'aux sangliers, chevreuils et autres animaux, à moi aussi. Car je pars sur les traces de ma jeunesse. D'il y a plus de 20 ans. D’avant ce nouveau siècle.


En bas là bas


Je retrouve dans un de mes cahiers de vie un condensé de cette balade. Les souvenirs font le reste.

C’était un jour de grande tempête intérieure…ça arrive.

                                    ---------------------------------------------------

Ce jour là, le temps est clair et un vent aigre et humide souffle du sud, ce vent exaspérant et fatigant qui irrite et énerve comme l'Autan.


Le Pla del Rey et le Canigou

Après 800 m de marche, sur le plateau, je bifurque à gauche, il n'y a aucune indication mais je connais, là, un joli sentier de chasseurs qui fonce vers les "profondeurs du monde", ce monde dont on peut s’extraire de façon brutale.


Départ de sentier, en fait  ancien chemin
marqué sur le cadastre 1821

Sentier? Ravine ? Les deux

























Surprise, le sentier est quasi invisible, embroussaillé, raviné, le maquis a repris le dessus et je vais faire ma première rencontre : un chien armé d'un GPS, affolé, le grelot battant au rythme effréné, je siffle pour annoncer ma présence à un chasseur.

Le sentier s'enfouit dans les épineux

ça commence bien ! Je redescends ainsi 70 m de dénivelé, dans un désert (ou enfer) vert dont dépasse encore ma tête et enfin je débouche dans le Royaume de l'Ombre. 


C'est le monde des ravins, de la lumière glauque, des arbres et buissons qui cherchent la lumière, moi je vais chercher la sortie, elle sera à 90 m d'altitude, vers une piste et une rivière. En bas là bas...

Chemin  et ravin






De pierre et de mousse


Pas comestibles

Le charme des sous bois. Et le parfum.


Lumière de ciel

Dans cet immense parc naturel où je suis petite chose, un lacis de ravins converge vers une rivière, ravins parfois bordés de falaises abruptes, brèves et brutales. Ce pays d'argile et de rocs s'est construit dans un ancien plateau et l'érosion féroce a entaillé ce matériau peu solide de profondes ravines, d'une manière spectaculaire puisque en quelques mètres on passe du plateau à de profonds canyons dont on ne pourrait remonter. L'ensemble est dissimulé par une épaisse chevelure verte sur les hauteurs et un fouillis indescriptible dans les profondeurs. Quitter le sentier est impossible mais de sentier il n'y en a pas, c'est juste le ruisseau principal, large de quelques dizaines de centimètres qui est devenu chemin. 


Rencontrer un animal n'y offre aucun échappatoire, les sangliers viennent fouir le sable du ravin et ils ont, pour ce faire, tracé des tas de "corriols" petites sentes brèves qui, du sous bois plongent dans le ravin. C'est le domaine des parfums, ceux des sous bois dont je raffole.

Je marche le long du ravin dans un silence parfait et une lumière apaisante. Tous mes sens sont aux aguets, une rencontre n'y serait pas enviable. 



Cheminées de fées miniatures

Comme des sculptures
Patrimoine géologique et érosion














Pourtant c'est un domaine que je connais bien : je marche sur les anciens chemins des Soldats de l'An II, qui se battaient pour la Liberté, pendant ces guerres révolutionnaires des années 1793/1794.

Les falaises parlaient encore
voilà plus de 20 ans



J'ai arpenté ces ravins, il y a plus de 20 ans à la recherche des traces de leur passage, sachant que les ravins et le territoire, propres et nets à cette époque (j'ai étudié le cadastre de 1821), était leur lieu de bivouac, de combats et de chemin d'un camp à l'autre. En cette fin 18 eme, ces lieux étaient "pâtures" soit sous bois exploités par l'homme et les troupeaux de caprins, porcins et ovins. A présent c'est un fouillis. Ainsi, détecteur en mains, j'avais recueilli des indices qu'il fallait chercher  non pas au sol, à cause de l'érosion et du flux violent des gros orages mais sur les parois des falaises, un ou autre boulet de canon et de la mitraille avaient fait leur apparition sous mon piochon. C'était une période solennelle, je ne pensais pas alors aux sangliers, j'entendais et voyais vivre ces soldats qui m'accompagnèrent au cours de mes quatre années de fouilles. 



Aujourd'hui je n'entends plus leurs voix ni leur course effrénée, j'entends le vent qui enfle 70 m plus haut, sur les végétaux et les arbres, j'entends le silence de ma tempête intérieure apaisée.

Un ou autre rai de soleil curieux des profondeurs illumine un merisier esseulé, et fait briller les cailloux luisants d'humidité du ravin, ces fameux "rocs foguers" qui, lorsqu'on les heurte, allument des étincelles et sentent la poudre.

Un rai de soleil sur un merisier 

Les rocs foguers

Mon chemin quitte parfois le ravin, en un bref raccourci, trait rectiligne enchâssé dans les buissons agressifs qui ont déjà strié mes bras nus.

Sinon, il est impossible de quitter le sentier sauf en rampant.... Peu après le demi tour s'impose, le chemin est encombré, je n'irai pas plus loin dans ce fouillis végétal, la bagarre s'avère aussi épuisante qu'inutile. 



Terminus


Je reviens sur mes pas, je connaissais dans le secteur un autre sentier de chasseurs qui me permettrait de faire une boucle. Un ravin affluent m'invite à le suivre, je comprends vite, il s'élève, doublé d'un "sentier". Lorsque je la vois! La corde ! Jadis une solide corde fixe permettait aux chasseurs de désescalader la falaise et j'adorais emprunter ce passage. Mais la corde est pourrie, dangereuse; je la remets en place, rattachant ce qui est possible et j'émerge à l'air libre où je comprends vite : le sentier n'est plus, envahi de végétation épaisse et piquante sur 1.50 m de haut.



Rafistolage






Là était un sentier

 Ma mémoire me restitue le passage en crête entre deux canyons. Y tomber ne serait pas grave malgré la hauteur, la végétation ferait matelas, mais en remonter sans aide en est impossible. Y descendre de son plein gré est tout autant impossible. Je suis donc les traces intactes de ma mémoire et je parviens, dans un dernier effort, sur la piste le long de laquelle nous avions édifié une branche de notre Sentier Historique en 2006.


Le paysage de petits canyons où se trouve le sentier disparu

                                                                                          

Ce fut un sentier
Attention à la chute



C'est enfoui là dedans : sentiers, ravins et canyons




Attention  à la chute
Sol friable

La piste domine le paysage mais est tant ravinée que même les 4x4 y ont des difficultés. Je la parcourais alors avec mon AX qui se faufilait malgré le cabossage de la piste.

                                                                                 

Un des panneaux du 1er Sentier
 (2006)

Erosion 

Paysage du site de la Bataille du Boulou (1793/1794)

Un VTT me fait sursauter dans ce désert et je pousse ma balade vers l'ouest, vers la vallée de la rivière La Valmanya et ses redoutables falaises verticales, de sable compressé, où en cette fin de 18 eme des soldats combattant pour les idées de la République menèrent pendant plusieurs heures des assauts furieux. Ma fureur s'est écroulée comme ces falaises qui se délitent et offrent au regard des pans entiers prêts à s'ébouler, un chenal vertical invincible et une rivière qui a les parfums de  rivière, humus, vase, mais pas d'eau, elle est juste sous la surface, je le sais, je le sens.




Falaise de la Valmanya

Falaise de la Valmanya













Je remonte la falaise par la piste et, à sa naissance, où la rivière n'a pas encore perdu ses eaux, un chemin de sangliers souligne la verticale: je grimpe, mais aller trop haut supposerait une corde pour étayer la descente, on ne commence pas à mon âge une carrière de sanglier.

Alors je reviens sur mes pas, je laisse la partie ouest de la rivière, soit sa rive droite à une prochaine exploration, son "ravin du sang" qui charria voilà 226 ans les affres sanglantes des combats, je rentre chez moi, par la piste tranquille. Le Canigou s'apprête à accueillir le soleil couchant, les Albères sont coiffées des brumes du vent sauvage, mes bras sont griffés, mon pantalon troué, et mon âme en paix. J’émerge des 18 eme et 20 eme siècles mêlés. Un soir de novembre du 21 ème siècle.

Le Canigou

Et les Albères coiffées de brume

Chêne kermès: le délice des mollets et des bras nus!

Prochainement, toujours en souvenirs, je vous inviterai à parcourir le "Correc de la Sang", le ravin du sang . Tout un programme.