Préambule : Cette randonnée n'est pas le fruit du confinement. Quoique....
C'est une balade faite et refaite plusieurs fois, à plus de 20 ans d'intervalle, le chemin des Soldats de l'An II, lorsqu'ils combattaient en cette fin de 18 eme siècle pour les toutes nouvelles idées de la République. C'est un mélange d'hier, d'autrefois, de l'Histoire et de mon histoire, oui finalement c'est le fruit du confinement qui m'a amenée, sans bouger, au fil de mes souvenirs et archives.
Je vous invite au voyage...Nous irons tous dans les bois....
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Là où je vais conduire mes lecteurs, c’est dans un "royaume" que je pourrais dater de 1793, novembre par exemple, car c’est en novembre qu’ici se passèrent des choses importantes et impressionnantes. Mon âme pourrait s’en souvenir et en restituer la marche. J’y étais.
Il pourrait se passer 210 ans après quand dans le
silence des sous bois, une femme quasi en loques, chargée dans une main d’une
pioche et dans l’autre d’un détecteur à métaux, se frayait un chemin à la
recherche du passé. Et qu’elle le retrouvait.
Il pourrait se passer de nos jours où une femme
ayant pour seul viatique un opinel, un appareil photo, une bouteille d’eau et
un sauf conduit, se cacherait de la pandémie et de tout ce qui l'accompagne. Pour respirer un
bon coup loin de tout.
Et bien non, il se passa un jour, pas si lointain,
une journée ordinaire de semaine ordinaire, d’année ordinaire, d’avant que tout
ne devint d’un coup extraordinaire.
C’est un récit du proche passé, où l’on avait encore
un présent pas trop compliqué, un futur pas trop incertain, un avenir pas trop
malmené et, ma foi, des rêves encore plein la tête…C’était un jour de novembre
de l’année 2019. Il y a un an, il y a un siècle.
Oh ce n'est pas une randonnée comme les autres, je
n'ai pas pris la route de la montagne, je n'ai pas campé dans la nuit froide
d'automne, je n'ai pas respiré la forêt, la rivière et l'odeur d'un village
roulé en boule, je suis juste partie près de chez moi avec pour tout bagage la
quête de souvenirs.
A 2 km de chez moi, altitude 197
m, je vais rentrer dans le royaume qui n'appartient qu'aux sangliers,
chevreuils et autres animaux, à moi aussi. Car je pars sur les traces de ma
jeunesse. D'il y a plus de 20 ans. D’avant ce nouveau siècle.
En bas là bas |
C’était un jour de grande tempête intérieure…ça arrive.
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Ce jour là, le temps est clair et un vent
aigre et humide souffle du sud, ce vent exaspérant et fatigant qui irrite et
énerve comme l'Autan.
Le Pla del Rey et le Canigou |
Après 800 m de marche, sur le plateau, je bifurque à gauche, il n'y a aucune indication mais je connais, là, un joli sentier de chasseurs qui fonce vers les "profondeurs du monde", ce monde dont on peut s’extraire de façon brutale.
Départ de sentier, en fait ancien chemin marqué sur le cadastre 1821 |
Sentier? Ravine ? Les deux |
Surprise, le sentier est quasi invisible, embroussaillé, raviné, le maquis a repris le dessus et je vais faire ma première rencontre : un chien armé d'un GPS, affolé, le grelot battant au rythme effréné, je siffle pour annoncer ma présence à un chasseur.
Le sentier s'enfouit dans les épineux |
ça commence bien ! Je redescends ainsi 70 m de dénivelé, dans un désert (ou enfer) vert dont dépasse encore ma tête et enfin je débouche dans le Royaume de l'Ombre.
C'est le monde des ravins, de la lumière glauque, des arbres et buissons qui cherchent la lumière, moi je vais chercher la sortie, elle sera à 90 m d'altitude, vers une piste et une rivière. En bas là bas...
Chemin et ravin |
Lumière de ciel |
Dans cet immense parc naturel où je suis petite chose, un lacis de ravins converge vers une rivière, ravins parfois bordés de falaises abruptes, brèves et brutales. Ce pays d'argile et de rocs s'est construit dans un ancien plateau et l'érosion féroce a entaillé ce matériau peu solide de profondes ravines, d'une manière spectaculaire puisque en quelques mètres on passe du plateau à de profonds canyons dont on ne pourrait remonter. L'ensemble est dissimulé par une épaisse chevelure verte sur les hauteurs et un fouillis indescriptible dans les profondeurs. Quitter le sentier est impossible mais de sentier il n'y en a pas, c'est juste le ruisseau principal, large de quelques dizaines de centimètres qui est devenu chemin.
Rencontrer un animal n'y offre aucun échappatoire, les sangliers viennent fouir
le sable du ravin et ils ont, pour ce faire, tracé des tas de
"corriols" petites sentes brèves qui, du sous bois plongent dans le
ravin. C'est le domaine des parfums, ceux des sous bois dont je raffole.
Je marche le long du ravin dans
un silence parfait et une lumière apaisante. Tous mes sens sont aux aguets, une
rencontre n'y serait pas enviable.
Cheminées de fées miniatures |
Comme des sculptures Patrimoine géologique et érosion |
Pourtant c'est un domaine que je connais bien : je marche sur les anciens chemins des Soldats de l'An II, qui se battaient pour la Liberté, pendant ces guerres révolutionnaires des années 1793/1794.
Les falaises parlaient encore voilà plus de 20 ans |
J'ai arpenté ces ravins, il y a
plus de 20 ans à la recherche des traces de leur passage, sachant que les
ravins et le territoire, propres et nets à cette époque (j'ai étudié le
cadastre de 1821), était leur lieu de bivouac, de combats et de chemin d'un camp à
l'autre. En cette fin 18 eme, ces lieux étaient "pâtures" soit sous
bois exploités par l'homme et les troupeaux de caprins, porcins et ovins. A
présent c'est un fouillis. Ainsi, détecteur en mains, j'avais recueilli des
indices qu'il fallait chercher non pas au sol, à cause de l'érosion et du
flux violent des gros orages mais sur les parois des falaises, un ou autre
boulet de canon et de la mitraille avaient fait leur apparition sous mon
piochon. C'était une période solennelle, je ne pensais pas alors aux sangliers,
j'entendais et voyais vivre ces soldats qui m'accompagnèrent au cours de mes
quatre années de fouilles.
Aujourd'hui je n'entends plus
leurs voix ni leur course effrénée, j'entends le vent qui enfle 70 m plus haut,
sur les végétaux et les arbres, j'entends le silence de ma tempête intérieure
apaisée.
Un ou autre rai de soleil curieux des profondeurs illumine un merisier esseulé, et fait briller les cailloux luisants d'humidité du ravin, ces fameux "rocs foguers" qui, lorsqu'on les heurte, allument des étincelles et sentent la poudre.
Un rai de soleil sur un merisier |
Les rocs foguers |
Mon chemin quitte parfois le
ravin, en un bref raccourci, trait rectiligne enchâssé dans les buissons agressifs qui ont déjà strié
mes bras nus.
Sinon, il est impossible de quitter le sentier sauf en rampant.... Peu après le demi tour s'impose, le chemin est
encombré, je n'irai pas plus loin dans ce fouillis végétal, la bagarre s'avère
aussi épuisante qu'inutile.
Terminus |
Je reviens sur mes pas, je connaissais dans le secteur un autre sentier de chasseurs qui me permettrait de faire une boucle. Un ravin affluent m'invite à le suivre, je comprends vite, il s'élève, doublé d'un "sentier". Lorsque je la vois! La corde ! Jadis une solide corde fixe permettait aux chasseurs de désescalader la falaise et j'adorais emprunter ce passage. Mais la corde est pourrie, dangereuse; je la remets en place, rattachant ce qui est possible et j'émerge à l'air libre où je comprends vite : le sentier n'est plus, envahi de végétation épaisse et piquante sur 1.50 m de haut.
Rafistolage |
Là était un sentier |
Ma mémoire me restitue le passage en crête entre deux canyons. Y tomber ne serait pas grave malgré la hauteur, la végétation ferait matelas, mais en remonter sans aide en est impossible. Y descendre de son plein gré est tout autant impossible. Je suis donc les traces intactes de ma mémoire et je parviens, dans un dernier effort, sur la piste le long de laquelle nous avions édifié une branche de notre Sentier Historique en 2006.
Le paysage de petits canyons où se trouve le sentier disparu |
Ce fut un sentier |
Attention à la chute |
C'est enfoui là dedans : sentiers, ravins et canyons |
La piste domine le paysage mais est tant ravinée que même les 4x4 y ont des difficultés. Je la parcourais alors avec mon AX qui se faufilait malgré le cabossage de la piste.
Un des panneaux du 1er Sentier (2006) |
Erosion |
Paysage du site de la Bataille du Boulou (1793/1794) |
Un VTT me fait sursauter dans ce désert et je pousse ma balade vers l'ouest, vers la vallée de la rivière La Valmanya et ses redoutables falaises verticales, de sable compressé, où en cette fin de 18 eme des soldats combattant pour les idées de la République menèrent pendant plusieurs heures des assauts furieux. Ma fureur s'est écroulée comme ces falaises qui se délitent et offrent au regard des pans entiers prêts à s'ébouler, un chenal vertical invincible et une rivière qui a les parfums de rivière, humus, vase, mais pas d'eau, elle est juste sous la surface, je le sais, je le sens.
Falaise de la Valmanya |
Falaise de la Valmanya |
Je remonte la falaise par la piste et, à sa naissance, où la rivière n'a pas encore perdu ses eaux, un chemin de sangliers souligne la verticale: je grimpe, mais aller trop haut supposerait une corde pour étayer la descente, on ne commence pas à mon âge une carrière de sanglier.
Alors je reviens sur mes pas, je
laisse la partie ouest de la rivière, soit sa rive droite à une prochaine
exploration, son "ravin du sang" qui charria voilà 226 ans les affres
sanglantes des combats, je rentre chez moi, par la piste tranquille. Le Canigou
s'apprête à accueillir le soleil couchant, les Albères sont coiffées des brumes
du vent sauvage, mes bras sont griffés, mon pantalon troué, et mon âme en paix.
J’émerge des 18 eme et 20 eme siècles mêlés. Un soir de novembre du 21 ème siècle.
Le Canigou |
Et les Albères coiffées de brume |
Chêne kermès: le délice des mollets et des bras nus! |
Prochainement, toujours en souvenirs, je vous inviterai à parcourir le "Correc de la Sang", le ravin du sang . Tout un programme.
On s y croit
RépondreSupprimerBises
Merci ! A bientôt...qui ?
SupprimerAmédine, tu es une merveilleuse conteuse, on s'y croit dans ce fouillis magnifique et on pense aux soldats de l'an II. un souvenir me revient, ma première visite à l'Arc de Triomphe et les noms gravés des braves de l'armée du Boulou. Je les avais lu un par un avec tellement d'émotions.. des noms de chez nous. Ces randos de sangliers ont un charme et un parfum d'aventure et tu restitues si bien l'ambiance, les découvertes comme ces si jolies cheminées de fées miniatures.. et les chemins perdus.
RépondreSupprimerRoberte
Joli témoignage que le tien! A la fois sur mes chemins cachés et sur les traces des soldats de l'An II. Nous avons fait avec Pierre mon ex conjoint, deux Sentiers Historiques sur le site, ils font partie à présent du paysage pour la pérennité. Bises
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