mardi 24 août 2021

Conflent : le défilé des Graus, un site d'exception.

 Le défilé des Graus ne manque pas d' histoire ou d'histoires.

La toute première histoire, il la doit à la géologie. C'est celle d'un site rocheux, où des roches différentes se mêlent et s'emmêlent, dans lequel une rivière, la Têt, a creusé son lit en se frayant un passage difficile. Ensuite, les hommes se sont mis de la partie et y ont écrit l'Histoire.


Mars 2018, depuis Canaveilles



Vue d'ensemble, même lieu, tout au fond, la Têt


Où est ce ? Entre Olette et Fontpédrouse, à l'à plomb de Canaveilles, aux portes de Thuès, enfin, de part et d'autre de la Têt. A l'entrée du tunnel, dans le sens montant.

Traversé par la départementale 116 et la voie ferrée du petit train jaune.

Mais quelle y était la vie avant la route et le train? C'est ce que j'ai essayé de comprendre au fil de trois ou quatre investigations. Je me suis déjà penchée sur ce site en étudiant l'histoire de la station thermale de Canaveilles les Bains, qui fut suivie par l'exploitation d'un exceptionnel hôtel restaurant, le relais de l'Infante, le tout ruiné après un dramatique incendie. Ne subsistent que des ruines envahies de broussaille et une source d'eau thermale brûlante....Je n'y reviendrai donc pas par écrit . (Liens en fin de récit).

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Le Défilé des Graus se présente comme deux falaises abruptes entre lesquelles coule un fleuve, la Têt. Long de 115 km ce fleuve en est à peu près ici à son 23 ème km, donc sous régime de montagne.



Le défilé des Graus commence au tunnel de la 116, juste après l'embranchement de Canaveilles et finit au pont sur la Têt, à Thuès les Bains.  Très court trajet, qu'une route sinueuse et étroite traverse, en suivant la rive gauche du fleuve, parcours protégé par des grands filets métalliques destinés à retenir les éboulements. Le conducteur, pressé ou pas, voit les virages, les falaises sombres, la blancheur de l'établissement thermal; à la rigueur il claxonne dans le tunnel pour s'amuser, il franchit le pont étroit sur la Têt et file grand train sur la route vers Thuès entre Valls, 2 km ludiques où l'on sait des bassins d'eaux chaudes cachés dans la montagne et où l'on coupe à l'envi les virages serpentins. Il risque aussi de voir de curieuses murailles...


Défilé ; la 116, la petite route désaffectée allant aux bains ruinés
Et la Têt tout en fond, au sortir du défilé


Mais le reste, la face cachée, il faut aller la chercher....

D'abord, les châteaux. Oui deux anciens châteaux et une tour, invisibles car ruinés.

Sur la rive gauche du fleuve, donc de part et d'autre de notre route, tout près du tunnel, se trouvent les ruines de Cérola ou Sérola, 763 m altitude,  petit château qui gardait le défilé bien avant que la route existe. Du 9 ème au 14 ème siècle ce château exista, accompagné de son proche voisin, Niobol (ou Nioule), 775 m altitude, dont j'ai pu voir, deviner presque, les ruines quasi accolées à l'ancien tunnel.

Emplacement du château de Niobol et ses ruines (près des tunnels)


De l'autre côté de la rivière, rive droite, cet ensemble était complété d'une tour, inaccessible et bien ruinée, 5 m x 3 m, (il resterait deux bouts de murailles) et on y accédait à partir de Cérola par un pont de cordes qui franchissait la gorge étroite du fleuve.


De l'autre côté: on y accédait par un pont de cordes


De la route, le voyageur attentif peut voir, disais-je, une solide muraille, en gradins, ce sont les fameux "Graus" qui menaient au château de Cérola et au village bâti à ses pieds, l'ancêtre de Canaveilles. Ce village du nom d'Exalada, avait quelques maisons et une église dont on voit encore la forme et la dimension. 

La muraille des Graüs

Eglise ruinée de Exalada

Eglise


Vestige du château de Cérola


Ruines de Exalada, l'ancien Canaveilles
Canaveilles est en haut



Exalada: l'église et le pont sur le Correc de Com



Pont sur le Correc de Com




Sur le pont et l' ancienne Route Royale

Ce village était sous la protection de Saint Galdric (Gaudérique) qui faisait la pluie et le beau temps, il suffisait de lui tremper les pieds dans le ruisseau qui coule ici, le Correc de Com. Un jour, St Galdric resta sourd et aveugle alors, excédés, les habitants le plongèrent jusqu'au cou ; il se fâcha et provoqua un tel orage et un tel débordement du ravin que le village fut anéanti...Canaveilles naquit de ce désastre, bien perché sur les hauteurs...Ainsi dit la légende...


Canaveilles actuel


Ici, en ce site, passait la Route Royale de Cerdagne !

La Route Royale de Cerdagne fut carrossable jusqu'à Olette et parcourue en diligence. Mais à partir d'Olette, ce n'était plus qu'un chemin muletier, escarpé, accidenté, pittoresque mais dangereux. Les muletiers accompagnaient bêtes et gens, les bandits et brigands faisaient leur oeuvre notamment dans les sites aussi dangereux que Els Graus.

La route moderne exista à Olette, après moultes polémiques en 1837 : les habitants ne voulaient pas de cette voie qui allait détruire leurs jardins, ou leurs caves (on cultivait la vigne à Olette), chacun essayant de la faire passer chez le voisin, seuls les muletiers profitaient de ces temps de querelles leur travail étant encore assuré !


Les tunnels modernes n'existaient pas, évidemment et le site était infranchissable sauf en le contournant, grimpant jusqu'au château de Niobol : j'ai retrouvé le passage, il empruntait ce petit col qui était les fossés du château. Certains écrits la feraient passer à flanc de montagne en dessous de Canaveilles, tout est possible, elle peut aussi avoir changé de place. 

En images, le tracé ancien


La route contournait les tunnels actuels, passait en haut (petit col) et redescendait
à la sortie des tunnels actuels 


De là elle piquait droit vers la falaise, traversait ce qui est la sortie des 2 tunnels et grimpait dans la paroi en pente douce vers le château de Cérola. Ici se trouvaient des étages de murettes jusqu'au sommet de la montagne (le Canaveilles actuel), on les voit encore, ces terrasses, vestiges de cultures où courait l'eau des canaux venus du ravin et où les bassins se remplissaient. Vestiges de bassins aussi et peut être encore des canaux, je n'ai pas exploré. (Entre les tunnels et la grande muraille)

Assise de la Route Royale


Montée vers Cérola et Exalada
Si, par contre comme l'attestent certains écrits la Route Royale passait en dessous de Canaveilles, cette description ci dessus serait erronée. Je me plais à supposer qu'elle a eu les deux parcours. Ainsi, en 1862, est décrit le "parcours Canaveilles" :

Guide Adolphe Johanne 1862

1862, le tunnel de la route existe donc




La Route Royale traversait Exalada, frôlait le château de Cérola,  passait devant l'église et fonçait par un chemin en zigzags, pavé, escarpé, franchissant le ravin del Com par un pont, jusqu'à l'actuelle 116 toute en virages, c'était les Graus, les gradins. 

Les "Graus" (degrés, gradins) vus d'en haut

et vus d'en bas

Ici les mules et leurs passagers vivaient l'endroit le plus difficile de leur parcours. A la fois à cause des accidents et du grand banditisme.

Une fois parvenue au bas de ces gradins, la Route Royale piquait en diagonale vers la rivière tout en bas, (elle serait donc sous notre 116), longeait la falaise face à Thuès les Bains (qui n'existait pas encore) où est aujourd'hui logée la 116 et remontait doucement, j'ai vu la rampe, vers le pont actuel, qui n'existait pas, et partait en direction de Thuès entre Valls et la suite de son parcours. Sans jamais traverser la Têt. D'ailleurs la Têt, ici, avait un cours différent de celui de nos jours et la Route Royale était vraiment coincée entre eaux et falaises, souvent emportée sans doute aussi.


La supposée rampe de l'ancienne route


Ce n'est qu'en 1850 que se construisit la route moderne, celle où nous passons aujourd'hui, et le pont. Cela dut être un travail titanesque !

Toutefois, il faut savoir que ce Défilé des Graus, ne fut pas toujours emprunté par la Route Royale: dans des temps plus reculés encore, elle l'évitait et passait sur les hauteurs, par les bois de Llansades ou Llançades, au dessus de Canaveilles, Llar etc,  (1700/1900m altitude), ce qui devient la fameuse "Route des canons au 18 eme siècle. 

Thuès les Bains ne fut pas établissement thermal mais monastère au 9 eme siècle, très vite englouti par une crue monstrueuse de la Têt, et il partit se loger ailleurs, ce qui donna St Michel de Cuixa.  Il se serait logé un temps à San Culgat près d' Escaro. Les thermes y virent le jour au 19 eme siècle.

Bien qu'il y ait eu d'anciens thermes romains.







Récit de la disparition du monastère
"Guide en Roussillon" 1842


Un petit pont permettait à ce niveau là de traverser la Têt, avant la route moderne.

La Route Royale de Cerdagne se parcourt dans son intégralité entre Thuès les Bains et Thuès Entre Valls; c'est un sentier balisé de jaune, qui suit la falaise en rive gauche du fleuve.

Mur de soutien de la Route royale
entre les deux Thuès

 Il reste des passages bien lisibles, avec des murs de soutènement édifiés à la perfection, inclinés, mais aussi des grands morceaux de cette voie sont engloutis sous de monstrueux éboulis : la 116 avait une prédécesseur soumis aux mêmes aléas qu'aujourd'hui



C'est au niveau de Thuès entre Valls qu'on peut lui trouver les plus beaux vestiges. mais nous sommes déjà éloignés de 2 km des Graus.






Le chemin de fer du petit train jaune au début du 20 ème siècle trouva lui aussi passage dans ce défilé; se démarquant de la route, pour trouver un peu de place, il est sur la rive opposée et franchit le défilé par un pont sur un ravin nommé Correc de la Vall, ce ravin se jetant dans la Têt par une fine cascade. Deux tunnels complètent ce passage du défilé, autant dire que le site est tourmenté !

Chemin de fer (début 20 eme) au dessus de l'établissement thermal

Train jaune et viaduc dans le défilé des Graus

Train jaune dans le décor du défilé


Revenons donc au secteur des Graus, il y reste tant de choses (cachées) à voir.

Dans ce secteur fut exploité un gisement minier d'importance : le cuivre.


Guide A Johanne 1862


A l'entrée du tunnel, on peut voir deux ouvertures murées, ce sont les galeries de mines. 


Entrée murée des 2 galeries

Une petite ouverture pratiquée dans le mur permet de voir l'intérieur si on est nantis d'une bonne lampe. Un vent frais saute au visage, pression de l'air qui s'échappe. Si un peu de couleur verte est visible près de l'entrée, des couleurs vives chatoient dans la mine. Ces mines furent vite abandonnées, le cuivre n' y fut pas rentable car mêlé de fer et surtout plus on s'enfonçait dans la montagne, plus le gisement s'appauvrissait. En 1842, l'exploitation était déjà stoppée.

L'intérieur de la galerie

             Couleurs cuivre, sur les parois :                                                                                                                                          

Ou dans les rejets :


Extrait du "Guide en Roussillon" 1842

Une plus ancienne mine existe à la sortie du Défilé, proche du pont sur la Têt. Depuis la rédaction de cet article, cet hiver, j'ai pu faire connaissance avec cette mine et en découvrir des aspects les plus insolites. Voir article précédent.  Liens en fin d'article

Ce document est l'ordonnance de concession attribuée en 1830 pour cette mine. Ce qui est extraordinaire, en fin de document est la délimitation, le bornage géographique de cette concession. Ahurissant, vu depuis le 21 eme siècle, très précis pour l'époque !


Il existe une autre mine, bien plus haut, en dessous de Canaveilles, à 950 m d'altitude, que j'ai approchée. Ruinée mais avec des vestiges, c'était une mine semble t'il de gypse, les débris de déjections en attestent. Une galerie murée n'a pas livré son mystère mais une petite indication peinte sur un rocher pourrait donner une indication : SNCF, serait-ce un captage d'eaux pour la ligne électrique du Train Jaune ? On peut le supposer....


Gypse

Entrée de galerie

Sur le carreau de la mine, vieille chaussure


L'eau disais-je ! Elle n'est pas le moindre des éléments importants de ce Défilé des Graus

Eau thermale, d'abord, qui abonde sur la rive droite de la Têt et un peu moins sur la rive gauche. Il y eut le renommé établissement thermal de Canaveilles, déjà en service dans des temps très anciens, dans une sorte de grotte au pied des falaises, puis noyé, ruiné, reconstruit en hôtel de luxe qui périt sous les flammes.

Descriptif de cet établissement en 1862
par Adolphe Johanne
Guide de voyage


Etablissement ruiné de Canaveilles les Bains devenu Relais de l'Infante

Depuis les ruines de Niobol


Eau thermale aussi de Thuès les Bains, ancien monastère converti en bains et actuellement devenu une M.A.S. La montagne regorge de sources chaudes jusqu'à 78 °, captées, conduites au site thermal et rejetées dans la rivière. Outre les bains sauvages dans les falaises, on trouve un torrent, le Fayet, qui cascade sur 30 m et permet du canyoning en eaux chaudes !

Guide A Johanne 1862



L'ancien


Le moderne


Captage d'eau chaude

                                                                              
Captage encore
Espace ludique : bain sauvage
Guide A Johanne 1862

                                                                                         




Vestiges : ancienne canalisation



La même, de loin

Remarquable cascade chaude du Fayet 
                     













                     











                  
Canyoning à la cascade

Eau de la Têt, gonflée des fontes des neiges qui en font un torrent bondissant et glacé que certains adeptes des bains chauds doivent traverser d'abord! Dans le lit de la Têt, des sources chaudes se manifestent par des bulles et des filaments blancs. Je n'ai jamais tenté de descendre le Défilé en suivant la rivière. Les pêcheurs connaissent le site, mais j'ai eu pris des bains d'eau chaude dans la rivière froide.

Défilé des Graus à ras de l'eau ...froide ou chaude

Source thermale dans la Têt



Source thermale en falaise de la Têt


Eaux de résurgences enfin, entre la sortie du Défilé et Thuès entre Valls, sur les bords de la Route Royale souvent engloutie sous des m3 d'éboulis. Comme sait le faire la 116 de nos jours. Cette montagne aride qui va des Graus à Querangles et même au delà, est une montagne de falaises agressives, escarpées, qui peuvent dégringoler sans vergogne, sèches à souhait mais contiennent de l'eau qui ressort au bas des falaises. J'ai rencontré deux résurgences, une puissante et laiteuse, l'autre douce, et paisible, les deux colonisées par l'homme et jadis exploitées pour les cultures du lit de la rivière, une vaste étendue plate aujourd'hui délaissée.


Résurgence 


Je ne prétends pas avoir tout vu, mais j'ai esquissé beaucoup de choses et ce site des Graus où je me précipite comme tout un chacun les yeux rivés sur la route sinueuse et difficile, gardera en moi, en surimpression, les jolis et édifiants parcours que j'ai pu y faire, au dessus des voitures pressées et des coups de claxon. Un ou autre automobiliste a eu la surprise de voir arriver d'un nulle part perché, une randonneuse vêtue de rose, s'aventurer aux risques et périls de sa vie ! 

Carte et liens vers de précédents articles consacrés à ce site : 



Articles précédents sur le même site ou presque...En un clic sur le titre.

LES BAINS :

Bains de Canaveilles 

Etablissement thermal 1ere

Etablissement thermal 2 eme

Ces deux articles se nomment "Là où le temps s'est arrêté " et relatent l'histoire du site ruiné du Relais de l'Infante

LE CUIVRE

Ces articles sont consacrés à la galerie de Canaveilles, dans la montagne de Carangles et au puits de Santa Barbara

De Thuès à Sta Barbara

De Thuès à Sta Barbara 2 eme