dimanche 20 octobre 2024

Espagne, Aragon, La Sierra de Guara

 Cette montagne située dans la partie la plus au sud des Pyrénées, une sorte de piémont, se trouve au nord de la ville de Huesca, et à la longitude, à peu près du Département des Hautes Pyrénées françaises. De l'autre côté des Pyrénées on trouve Pau, Tarbes, Lourdes.

Sierra de Guara versant sud



El salto de Roldàn (légende de Roland de Roncevaux)

Image internet


Ceci précisé, je suis partie visiter cette région, un très vieux projet, mais je suis partie sans en rien connaître, me laissant ainsi le goût de la surprise et de la découverte, ce que j'aime le plus. On dira "un premier contact", et pour ce premier contact, il fut réussi, au fil de l'eau, des falaises, des canyons, des vieux chemins et villages, de murettes en grottes aux peintures rupestres, de traversées aquatiques en ponts médiévaux élégants, j'ai parcouru 92 km à pied (sur 10 jours), sans carte ni GPS, juste avec quelques indications touristiques glanées sur un classeur dans un salon d'hôtel, et mon instinct, ma curiosité, mon goût d'aventure ont fait le reste.

Dans mon sac, une lampe et une corde, un sécateur, indispensables. Je ne conterai pas mes randonnées , elles furent toutes éblouissantes !

Mes outils de rando


Style de plan













Je suis restée abondamment sur ma faim, j'avais tant d'autres choses à voir, j'ai laissé un sac plein de regrets à la consigne pour un prochain séjour et j'ai ramené des moissons de beaux souvenirs.

Mon trajet d'environ 400 km pour m'y rendre fut simple, pratique et confortable, 400 km d'autovia, soit autoroute, gratuite évidemment, mais que j'ai désertée pour aller visiter une ou autre forteresse. 

Partie par le Perthus, Gérone, j'ai bifurqué sur la C25 (autovia) direction Vic et Manresa, Lerida (Lleida) et enfin Huesca, où l'autovia achève sa construction. 

Le nom Alquezar m'a interpelée, il résonnait comme un écho de rivières et eaux vertes, c'est ainsi que je plongeai en Guara pour un enchanteur séjour.

Alquezar 


Il pleuvait et il plut souvent pendant mon séjour, mais entre deux averses ou sous la grisaille je parvins à parcourir des km.  Il n'y eut que deux jours pleins, de grand bleu, couleurs flamboyantes et eaux turquoises. Les eaux restent turquoise sous la pluie, la roche devient glissante, le maquis embaume et griffe encore plus, les falaises s'éteignent, et le plaisir reste.


Secteur Alquezar et Rio Vero


Je n'ai pas beaucoup roulé, juste pour rallier différents lieux mais si je me suis offert des sentiers de randonnée, anciens chemins de communication ou chemins paysans, je me suis aussi aventurée sur d'autres destinations plus confidentielles échappant au tourisme, de loin ma préférence. Me retrouver  seule au milieu de nulle part, dans un paysage aussi grandiose qu'angoissant, avec des difficultés à franchir, grottes à escalader, arête à arpenter, chemins à créer, espaces à débroussailler, murs à décrypter, descente vers un canyon dans un site grandiose, au fond de gorges, cairns à décoder, me tendant leurs rocs indicateurs d'une ou autre curiosité, baignades en eaux vives, ouvertures en plein ciel en haut de falaises etc...Si chez nous les chemins de chasseurs sont mes alliés, là bas j'ai fait miens les chemins de grimpeurs ou de canyoning, pour mon plus grand bonheur.


Tout au fond d'une grotte


Arête face à Alquezar et abri sous roche (bas droite) protégé par un muret


Au zoom, l'abri sous roche


Pont médiéval de Vilacantal, Rio Vero



Pont médiéval de Fuendebaños Rio Vero


Puente de las Cabras Rio Mascun


Pont du Diable, Barranco de Fornocal

Comme partout où je passe, j'ai ramené des séries d'estafilades, quelques hématomes, mais des images plein les yeux, images qui ne semblaient appartenir qu'à moi.

J'ai dormi près des gens mais aussi loin de tout, seule avec mon camion, mon chat, le vent et les étoiles (ou pas). De mon lit, je vois le ciel, à travers le lanterneau, la Grande Ourse me faisait ses clins d'oeil les nuits sans nuage, la lune s'étant absentée.

Bivouac solo

J'ai fait des rencontres insolites, humaines, animales, minérales et végétales, j'ai eu souvent l'impression de faire partie du vent, de la pluie, de la roche, des falaises et des eaux vertes, j'ai eu l'impression souvent qu'il n'y avait que la Sierra et moi. Et les lieux nommés Lecina, Colungo, Rodellar, Vadiello, Salto de Roldàn, et j'en passe.

Rodellar sous la pluie


Autre visage de Rodellar

Santa Eulalia la Mayor

Les rencontres furent amusantes, étonnantes, parfois. Jeunes grimpeurs avec leur vans et leurs cordes, semi nomades avant que d'être hommes araignées, vieux français aux allures compassées de camping caristes avertis et sur équipés, une jeune femme vagabonde comme moi, un cycliste espagnol dont la bonhomie et la simplicité cachaient l'étoffe d'un écrivain aventurier, ayant parcouru la Sierra de Guara de fond en comble sur les chemins oubliés, qu'il a consignés et dessinés tout au long d'un ouvrage, un peu mon âme soeur. Et puis, cette jeune femme circulant avec son chat drapé dans une étoffe comme un bébé africain, ce couple de néerlandais ayant quitté leur plat pays pour les 300 m verticaux de falaises et grottes rupestres que l'on grimpe par une sorte de via ferrata. Les moins sympathiques de ces rencontres furent assurément les français, un genre peu convivial, peu amène et plutôt coincé. Et puis les animaux, les vautours qui tournoient autour de moi et semblent, à la fin du jour, me défier sur les fines arêtes où ils se posent. Les chèvres cornues, élégantes et curieuses, les chats hardis et curieux, les oiseaux qui emplissent les falaises de leurs cris et tout un petit monde que je ne vois pas et que je devine dans les sous bois. 

Vautour fauve


Néerlandaise au pays vertical


Royaume du vertical


Néerlandais hors de son plat pays













D'autres rencontres ont de quoi surprendre : un chêne millénaire protégé comme une couvée de poussins, des peintures rupestres au fond de grottes défendues par de solides barreaux, des moulins ruinés enchâssés entre les parois de profonds canyons, avec leur prise d'eau d'origine médiévale et leurs canaux semi ruinés, des oliviers millénaires au ventre creux et à la vaillance sans faille, des barrages plus sinistres que le dernier jour du monde, des monolithes à donner le vertige, juste vus d'en bas, des traces de la crue de la semaine précédente, crue qui m'eut interdit la moindre sortie, que sais je encore ?


Le chêne millénaire de Lécina (donnait 700kg de glands)



Olivier à Alquezar


Art rupestre   (-5000 à -15000 ans)


Moulin, canyon du Rio Vero


Art rupestre  : grottes protégées

Ah oui, ces dialogues en espagnol avant que de s'apercevoir que nous sommes deux françaises qui conversons ainsi ! 

Et ce cep de vigne au bord du chemin presque au fond du canyon, témoin d'une vie agricole passée : une source, une masure, des oliviers abandonnés, des terrasses rendues à la friche et lui, seul survivant, encore vaillant, avec sa récolte desséchée au bout de ses sarments étiques. Bien sûr il m'attendait et je l'ai réconforté.

Le cep du canyon du Rio Flumen

Il y a la musique, celle du vent, celle de l'eau qui tournoie dans la pénombre des gorges, qui mugit et résonne, l'écho se heurtant sur les falaises qui le renvoient sans cesse. La musique du silence qui emplit parfois l'espace, traversé soudain par le hurlement d'un grimpeur décrochant de sa falaise, et la musique de la langue de ce peuple exubérant qui chante fort son art de vivre, en terrasse de café, sur les sentiers, au ras de l'eau ou dans les rues d'un de ces villages que l'automne a dépeuplés comme une plage de Méditerranée.

Barranco de Barrasil, Rio Alcanadre

Rio Alcanadre, Canyon de Barrasil

Canyon du Rio Flumen, Salto de Roldan














Dans la Sierra de Guara, il y a mille trésors cachés, dont je n'ai entrevu l'éclat que de quelques uns et encore fugacement. Mais ces éclats imprègnent mes souvenirs aussi intensément qu'ils ont frappé mon regard. La pluie a habillé les sols des sous bois de myriades de champignons, a fait ruisseler de mini torrents entre les murs des chemins d'avant, a recouvert les falaises d'écharpes luisantes, et a grossi les cours d'eau, entravant les nombreuses traversées qui furent celles des "gens d'avant" et sont celles des touristes d'aujourd'hui.


Gargantas de Barrasil sous la pluie

Sous le soleil

Ces chemins...chemins de vie, de village en village, de communication, d'exploitation, de paysans et de bergers. Dans un cadre immuable, fait de châteaux de pierre calcaire, ces chemins pavés, taillés dans le roc, nantis de marches d'escalier, de calades, de virages serrés et de déclivités redoutables sont un ancien fond marin vieux de 50 millions d'années, mer chaude tropicale où les animaux marins se sont solidifiés en petits fossiles  bien serrés les uns contre les autres comme pour se préparer à une si longue postérité. Nummulites, alvéolites, de petite taille mais concentrés font un séduisant tapis de sol couleur ivoire.










Les sqatteurs de murs



Chemin à Otin


Chemin à Otin


Le sol, vers l'altitude 800 et plus : pavage vieux de 
50 millions d'années


Cette Sierra de Guara, allongée d'Est en Ouest, est striée de canyons entre des falaises de près de 300 m de haut. Aucune route ne la traverse même si des routes l'entament sur une faible profondeur. Ainsi la plupart des villages du sud sont tout en bout d'une route qui finit là, brutalement. Ils se nomment Alquezar, Betorz, Rodellar, La Almunia, Las Almunias, Santa Eulalia. 

Las Almunias de Rodellar


Haute vallée du Mascún


Falaises du Barrasil



Haute vallée du Mascún


Calcaires ou conglomérats, les roches sont spectaculaires

Je ne suis pas allée au nord, ici aussi une route entame le piémont nord mais se termine sans l'achever. Je n'ai pas vu les sommets, dont le culminant Tossal de Guara 2077 m. Je reviendrai. Je n'ai pas de goût pour l'inachevé. J'ai vu le village abandonné de Otin, à 9 km du premier point habité, dominé par sa petite église étêtée, aux murs colorés de fresques et au sol semé de persil sauvage. Otin entouré de terrasses, de murs, de bâtiments imposants, un important lieu de vie que la vie a déserté. Le dernier habitant a quitté les lieux voilà un demi siècle. Il n'est plus que chèvres, touristes, vents et pluie pour hanter les demeures éventrées, le four à pain glacé, les écuries aux plafonds voûtés, les pièces béant sur le vide au bout d'un escalier bancal, les balcons de fer grinçant au vent. Une ruine de guerre? Non, une ruine d'exode. Rural.

Four à pain Otín


La très belle demeure de Otín




Eglise de Otín (alt 1000 l)


Vestiges de fresques


Les lieux sinistres se nomment Canyon de Fornocal (et autres), où un mince fil d'eau coule en cascades et bassins sous les ventres des conglomérats couleur bordeaux, dans des antres où ne pénètres pas le soleil et si peu le jour. Qu'est ce que j'aimerais m'y aventurer ! J'ai essayé sans succès. Ici, je n'ai pas trouvé l'accès, là je n'ai pas su descendre à la corde fixe. Les topos descriptifs donnent le frisson.

Canyon

Canyon du Fornocal près de colungo














Alors j'ai grimpé vers le ciel pour me loger dans des grottes ou des fenêtres voire sous une arche aux airs de toit du monde. J'ai traversé et retraversé les eaux fraîches et vives, j'ai pris des bains frisquets et tonifiants, j'ai profité à souhait de ce que j'ai côtoyé.

Grotte, vallée du Rio Vero



Cueva de Andrebot



Arche, Rio Mascún


Arche inaccessible, Rio Mascún



Gorges de Barrasil



L'eau est de cette couleur partout


Ce que je n'ai pas aimé ? Au fait est il une chose que je n'ai pas aimée ? J'en suis encore à me le demander.


J'ai tellement  aimé que je poursuis mon cahier de vacances !




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