vendredi 3 mars 2023

Conflent : Baillestavy, 6 ruines sous la neige

 Tout a commencé le 8 janvier, en revenant du Massif du Canigou, j'ai scruté le pan de montagne qui domine la rivière Lentillà, en aval de Baillestavy (auquel je préfère le nom de Vallestàvia) et j'ai aperçu dans ces plis de roches striées de ravins, une ruine imposante.


Que j'ai envoyée à un ami connaissant bien le secteur. C'est ainsi que commença l'histoire bien qu'elle se suspendit quelques semaines, jusqu'à hier où nous avions convenu de partir en exploration; il avait,  au préalable, bien arpenté le site  constitué de trois ruines, mais j'amenais dans mon sac une ruine supplémentaire qui lui était inconnue. Une belle ruine repérée sur le cadastre de 1831 ! Cortal dal Pé.

                                                              ----------------------------

Il fait très froid quand nous quittons le parking de Vallestàvia, à 573 m. De la neige saupoudre le sol, par places, et l'onglée me ronge les doigts. Sitôt partis, nous traversons la Lentillà par un joli pont médiéval et nous empruntons une piste (GR 36) correspondant au tracé de l'ancienne voie Estoher / Baillestavy (cadastre de 1831).


 Au niveau de l'église St André, joliment restaurée, je découvre de nombreuses scories sur le sol, c'est une trace éloquente de ce qui fit l'économie principale de cette vallée aux 18 eme et 19 eme siècles, l'extraction du fer. Depuis l' Antiquité. L'église fut construite sur l'emplacement d'un bas fourneau de l'époque romaine (source André Balent).

Eglise St André 11 eme,
Le fer

La nouvelle église St André : 17 
   

 Hauts fourneaux, forges, tours de grillage, mines, transport par wagonnets, mulets ou à dos d'hommes et...de femmes (44kg de charge), le paysage de la " Grande Vallée du Fer" est un imposant livre d'Histoire enfoui sous les forêts qui ont repoussé après leur exploitation intensive pour le charbon de bois. C'est en périphérie de l'exploitation minière que nous allons avec Paul à la recherche du Temps Passé, le temps paysan. Quelques vaches nous saluent aimablement dans ce matin glacé en bord d'eau. Un beau mur longe la piste, peut être l'ancien chemin, le froid émousse ma curiosité, j'oublie de vérifier.


Ancienne "route"













Après environ 1.5 km on quitte le GR 36 pour un sentier qui va s'élever rapidement et réchauffer les marcheurs. Nous entrons dans ce qui va devenir le paysage forestier du jour, les futaies de chêne vert, ce chêne au tronc ramifié pour cause d'exploitation intensive jusqu'à la fin du 19 eme. Des traces de neige étoilent les sous bois alors que se profile la première ruine, le Mas d'en Taix. Ce sera le 1er contact avec les bâtisseurs du secteur : construits en schiste, les murs d'une beauté parfaite semblent après construction avoir été tranchés d'un trait de scie tant pas un caillou ne dépasse, ni à l'intérieur ni à l'extérieur! 

Le cadastre informe que terres et pâtures 
entouraient le mas.







Le chemin s'enfonce ensuite dans une vallée, celle du Xuri, ravin qui m'avait tant attirée vu de la route, avec sa gorge étroite et sa pente impressionnante. Le passage est barré de murettes, flanqué d'une source captée, tout indique la proximité de Fanfaina, le mas ruiné par lequel toute cette histoire a commencé.

Le Xuri


Traversée du Xuri et anciennes cultures

Tel que je le découvris en ce 8 janvier : 



Et aujourd'hui, cerné de neige, ruine imposante, véritable belvédère et somme toute proche de la route ; une piste (barrée) y conduit directement . Il aurait été abandonné au début du 20 eme siècle.

Au soleil levant








Four à pain







La lecture du cadastre de 1831 nous dit qu'à la place de ce paysage boisé se trouvaient des terres, des champs, des pâtures, un paysage ouvert. Les bois ne prenaient possession de la nature, encombrés de rochers, quebeaucoup plus haut, à l'étage des cortals et donc des estives.

Situation de Fanfaïne 630 m

Ainsi sur cette image, le mas était bien dégagé et tout en haut de la photo, indécelable, un cortal, celui de Xuri accueillait les bêtes, à 835 m d'altitude, que nous visiterons plus tard. Pour l'heure, nous allons essayer de gagner le cortal dal Pé. Je sais son nom, son altitude (900m), Paul sait un sentier qui s'enfonce vers l'inconnu, à nous l'aventure. La neige est à présent continue et nous marchons dans du feutre. Il ne fait pas froid, je suis en tee shirt, la montée est agréable et douce, toujours sous un épais couvert végétal barré de ci de là de murettes, témoignages du passé agricole. Puis nous décidons de quitter le sentier pour prendre de l'altitude, nos GPS vont nous donner la direction dans cette pleine pente bien sévère mais immaculée. Grand silence dans les bois, pas un oiseau, de toute façon nous savons que pour le cortal, ce sera côté soleil et à l'abri des vents du nord : justement un beau mur nous accueille. Nous avons parcouru 4.5 km.


Murettes de cultures

Un beau sentier muletier



Il fait chaud !

Petit Canada

Précieux viatique

17 m x8.5m



C'est un bâtiment de belle taille, ouvrant au sud, avec un joli point de vue sur la vallée. Tout près se devinent des murets, une large étendue consacrée aux pâtures et aux cultures : de belles terres bien dégagées que dévoile encore la vue aérienne des années 60.

Angle des murs



Le toit fut de tuiles et s'est effondré



Un des piliers intérieurs




                                                  

Tous ces bâtiments de montagne avaient un toit de tuiles qui
s'effondra sous le poids des ans ou de la neige




Extérieur
Intérieur


Nous quittons le site par un sentier de chasseurs reconnaissable à des points verts mais nous allons vite le perdre et nous enfoncer dans la pente, où nous allons plus d'une fois rectifier la trajectoire à cause de la déclivité et des barres rocheuses : ici il faut jouer la prudence, une glissade et....l'au delà nous attendrait sans vergogne.



On navigue avec aisance dans ce paradis blanc et le sentier (842 m 4.83 km) recueille deux explorateurs sains et saufs. On va donc s'accorder une pause casse croûte, de préférence au soleil, au sec, en belvédère, soyons exigeants ! Et, ma foi, cela valait le coup. La journée est d'une luminosité parfaite, la vue porte loin, sur les pentes de la rive droite, des ravins, des mas, des sous bois épais et les crêtes que caresse la neige.




La vallée de la Lentilla et la D13. Le mas Fanfaïna (zoom ci dessous)


Je crois qu'ion n'a pas tout vu




















A présent, direction le Cortal Xuri. Celui ci  a un sentier bien tracé, bien enneigé et, ma foi, escarpé, 150 m de dénivelé et nous atteignons une ruine...bien ruinée ! (835 m, 5.92 km). Celui ci a été construit avec beaucoup moins de soin que les autres, le résultat est flagrant. mais comme ailleurs, des tas de tuiles bien rangées semblent dire "on vous attend".





Mur extérieur




Adossé à un rocher




Nous, on n'attend pas, à présent le retour s'impose et je me laisse toujours guider avec délices : pour une fois je ne dois pas réfléchir, prendre de décision, côtoyer l'inquiétude, être attentive sans cesse, comme dans mes randos solo. Je savoure, j'apprécie, je deviendrais vite paresseuse, de cette manière là !
Nous suivons encore un moment un sentier bien enneigé quoique tracé, car nous grimpons sévèrement jusqu'à dépasser les 900 m et nous sommes à présent en RTT (Rando Tout Terrain). Il faut faire sa trace dans un espace vierge mais non dépourvu d'embûches, taillis, ronces et autres délices, pour rejoindre le long et confortable sentier balisé qui nous ramènera .



En mode RTT

Et le sentier, balisé de jaune


Ce sentier sera plutôt long mais comme je les aime, tantôt en balcon, tantôt en pierriers ou en corniche, avec de belles déclivités, des passages escarpés, des points de vue éblouissants, un silence sépulcral et de belles surprises à la clé.

Puig dels Moros 1211 m

C'est là dedans que l'on va se glisser


Je vais le savourer, malgré des passages glissants qui requièrent l'attention : le corps commence à s'ankyloser, à cause du froid. Je suis toujours en T shirt mais, insidieux, le froid de la neige remonte depuis mes pieds et grippe mes articulations. J'y prête une attention légère, le lendemain sera une autre chanson ! Les passages de ravins sont une glacière et j'encaisse de jolis chocs thermiques sans broncher.

El Rocatas
Vers l'amont



Ou glacé

En corniche



Une belle succession de ravins brutaux se jetant dans le vide plaisent à mon regard. 


Une ruine se dore au soleil, celle de Can Tosseire . Malgré le relief très escarpé, en 1831 le mas était cerné de terres cultivées et complètement dégagé de ce fouillis végétal qui l'enserre.

La 4 eme ruine du jour : Can Tosseire



Au zoom
Vu du ciel



Nous atteignons la ruine que je visite avec plaisir: elle respire encore un peu de vie avec sa cheminée, ses étagères sous plafond béant, ses poutres hérissées  de pointes ayant cloué les planchers; on croirait presque voir des rideaux aux fenêtres, ce ne sont que des grillages.
La ruine, flanquée d'enclos à bestiaux, voire d'un poulailler ou d'une soue à cochons est imposante et belle, à 697 m d'altitude. (8.64 km)
Toute proche est la fontaine quasi tarie. 















Notre descente sera désormais faite de passages très inconfortables car glissants : feuilles, boue ou neige se relaient sans pitié.
Jusqu'au premier vrai cours d'eau, la Coume, qui croise notre chemin, encombré de barres métalliques parlant d'une débâcle de la mine de la Coume. Sitôt passé le ravin glacé, deux ruines vont nous faire cadeau de leur présence, une sans nom, la suivante, plus importante, flanquée d'un vaste cabanon : c'est la Comassa (600 m) que jouxte un petit enclos à bétail sans toiture, un corral. 6 eme ruine.

La coume



Toujours étranges ces murs, hauts et brefs

Le roc dels Moros coiffe le maquis
Celui là j'irai un jour le coiffer !


Ruines du petit mas de la Comassa

Très ruiné et encombré

Son orri, vaste à l'intérieur

Nous amorçons alors la dernière descente, celle qui va nous mener en quelques instants au GR 36 parcouru le matin, dans l'haleine glacée de la rivière, sous le regard placide de nos vaches, un beau périple qui s'achève,  merci Paul pour ces belles découvertes et cette clef offerte vers de nouveaux chemins.





En chiffres : 

Distance: 11.4 km

Dénivelé positif évalué : environ 800 m

Temps de marche : 4 h 47

La route : 96 km AR

Cadastre 1831







6 commentaires:

  1. Encore une belle rando, quoique rendue assez délicate au vu des conditions saisonnières ! Mais de belles récompenses que ces ruines, vestiges de temps où des familles pouvaient vivre (ou survivre) en autarcie ! Si les murs pouvaient parler (...) ! Je me muerais bien en vieux hibou nocturne pour essayer de capter quelques secrets cachés en ces lieux mystérieux ! en fin de printemps ou début d'été, on y bivouaquerai bien (bonne idée, tiens) ! Merci à vous deux pour ce singulier périple agrémenté de belles photos et de descriptifs incitatifs !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as bien saisi l'âme qui rôde encore autour de ces ruines. Elles me murmurent des choses aux oreilles parfois et je sais entendre quelques secrets...mais je les garde bien secrets. Elles pourraient se venger !

      Supprimer
  2. Magnifiques mas et cortals, on imagine comme la vie devait être rude en ce temps là. Tes recherches sont toujours fructueuses, merci pour ce reportage, bises Josy.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un régal pour moi de revisiter le passé, pourtant dans la vie je me tourne plutôt vers le futur...euh un peu plus proche vu l'âge ! Je vais continuer à fouiller le secteur mais trop de neige pour le moment. Bises

      Supprimer
  3. Tu as bien du faire le sanglier dans cet environnement !
    toujours aussi agréable à lire tes découvertes. amitiés

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non, justement tout est en sentiers, très peu en mode sanglier par contre les sentiers ne sont pas marqués sur la carte; souvent sentiers de chasseurs. Amitiés

      Supprimer

Votre commentaire: