J'ai eu envie après ces semaines passées sous les arbres à chercher des chemins, des ruines, des gorges, des murs, envie de ces grands espaces frontaliers au dessus de Mantet, petit village en "cul de sac" ouvrant sur de belles vallées et des espaces infinis . Sur cet immense plateau à 2400 m, pas un arbre ne pousse, des sentes rectilignes filent vers des hauts sommets, 2600 à 2883 m, un plateau d'herbe rase battu des vents et des pluies, où par brouillard glacé et sans GPS on peut trouver la mort. Sinistre et splendide à la fois. Pourtant, pour y accéder, il y en aura des arbres.
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Gra de Fajol Gran : 2717 m |
J'ai beaucoup randonné dans ce secteur, remonté chaque vallée, même la plus sauvage et ignorée, celle du Rec dels Clots, mais il était un chemin de crêtes qui manquait à mon histoire. C'est lui, qui, de Caps de Rocs, ondule sur la crête vers Portelles Tancades et Collets Verts jusqu'à la Portella de Morens surplombant la station de ski de Vallter 2000.
Mon trajet sera en boucle, tout est possible là bas, et les possibles sont immenses en nombre et en distance. Seule la météo fera la différence. La pluie annoncée au petit matin n'est pas venue, mais je pars à 7 h ( 1751 m ) sous un ciel mitigé, sans aucun vêtement de pluie, marcher sous la pluie est une perspective attrayante.
Personne sur mon chemin dans un vert éblouissant où chaque végétal est étincelant de gouttes d'eau. Je connais le chemin, je marche d'un bon pas, je descends vers le torrent grondant, que je traverse sur la passerelle et j'amorce la montée en forêt, en "sèche" reprise du dénivelé perdu. Enfin voici le "belvédère" (à 2.1 km et 1739 m) où je troque pantalon contre short et direction Cap de Rocs, par Clot d' Espantallops, montée souple en forêt, agrémentée de deux jolis cèpes vite confisqués, et de genêts purgatifs dont le parfum puissant n'a pas résisté à mes covids, dommage, il me faut mettre le nez dedans pour en sentir quelques effluves rescapés.
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Le Ressec, et sa passerelle, endroit et...envers. |
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Au " Belvédère" |
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Les aviateurs du matin |
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Le genêt purgatif |
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Les forêts d'ici |
Me voici à Cap de Rocs, première prairie d'altitude (1950 m, 4 km). Le sentier de randonnée file le long du Ressec vers Campmagre, j'opte pour celui des cimes qui n'est autre qu'un ancien sentier pastoral.
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La vallée du Ressec où se trouve le sentier et la prairie de Cap de rocs où se cache la cabane |
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La cabane de Cap de Rocs 1950 m |
Cap de Rocs (tête de rocs), 2058 m) comporte quelques arbres morts, dont un, un peu terrifié par ses voisins et son devenir, des gros rocs en équilibre vers le ciel et deux cabanes pastorales dont une du plus bel effet. A mon avis il doit y en avoir d'autres mais je ne les verrai pas.
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Le vivant est effrayé |
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Une cabane pastorale |
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Et la seconde |
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Vue d'en haut, le terminus de la vallée de l' Alemany et la Portella (col) de Mantet Ainsi que la Coma de la Portella (vallée revêtue de quartz blanc) |
Je vais à présent, sous un ciel gris, remonter cette crête et la redescendre puisqu'une crête sait onduler. Le sentier est peu visible mais le tracé reste cohérent, malgré les nombreux rocs. Je ne vois rien des deux vallées en contrebas, Ressec et Alemany, les arbres sont toujours là; un sérieux toilettage leur a été imposé par des tronçonneuses. Il en sera ainsi dans tout le secteur.
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Prairies de Cap de rocs |
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Plus haut |
L'air est figé, immobile, dans le grand silence d'avant la pluie. Le ciel est strié de nuées noires mais rien ne m'arrêtera; les premières gouttes commencent à danser, je demande à la pluie d'aller ailleurs et elle m'obéit sur le champ.
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La pluie |
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Entre les gouttes |
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Entre les branches, le Canigou |
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Portelles tencades (les cols fermés) |
J'ai dépassé les 2200 m. Aucune trace de vie jusqu'au moment où un marcheur surgi de nulle part me salue et file d'un bon pas, droit devant moi.
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Collets verds, les cols verts. Et le randonneur |
La pluie, le vent du sud et le froid me rattrapent, cela crépite sur le sac et le kway alors que je passe en dessous de la Baga de la Portella à plus de 2300m . Le sentier évite la crête aride et semée de rocs. Les vaches couchées au bord du ruisseau me regardent, placides, groupées autour des mâles.
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Le Callau et le Campmagre |
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La steppe |
Je retrouve avec Bonheur ces vastes étendues d'où émergent les sommets mythiques. C'est une étrange atmosphère j'ai changé de pays, mais aussi de continent, me voilà sur l'altiplano andin, sans lamas, sans bétail. Quelques rares humains filent sous la bourrasque.
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Chemins transfrontaliers |
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Les deux Gra de Fajol |
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Le Bastiments 2883 m |
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Le massif du Canigou |
Je détone avec mon short et mes cuisses mauves de froid mais me rhabiller est impossible, je n'ai "plus de doigts" (prendre des photos relève de l'exploit), je n'ai plus de pieds, je suis un corps non gelé (je n'ai pas froid) terminé par quatre rondins glacés.
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Sous la pluie, le vent et le froid |
La pluie légère cingle et rien n'arrête le vent. La station de ski frissonne dans ses teintes grises, l'altiplano tremble sous sa couverture brune et le vent s'amuse dans sa lugubre musique. J'adore, cela a le goût des grands espaces, il me manque le parfum glacé de la pluie. 2420 m, plus de 10 km au compteur, c'est la météo qui décide de la suite. Depuis la Portella de Mantet (2412 m, borne 511, 10.22 km), la vue s'étend sur la vallée de l' Alemany et au loin le Col de Mantet où il pleut.
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La vallée de l' Alemany et la pluie sur Mantet |
Donc la boucle sera par le retour direct. Le froid m'y invite. Je bascule dans la vallée et aussitôt le vent se calme. Je prends le temps d'aller visiter la source de l'Alemany, tout le secteur n'est qu'un immense château d'eau. Le ruisseau me salue et s'enfouit aussitôt dans son sable gris, il me faudra attendre longtemps pour le voir renaître. Le haut de la vallée de l' Alemany est une prairie jonchée de rocs étincelants d'une veine de quartz poussée par une ancienne moraine. Eparpillés comme des morceaux de sucre dans l'herbe verte. La forêt que je retrouve a été toilettée, pour régénérer les pâtures m'a t'on dit. Quelques marcheurs se hâtent en montant, ils font le plein de calories tandis que mes cuisses ont chaud comme après un bain glacé et reprennent couleur humaine!
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Naissance de l' Alemany |
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Et il s'est déjà perdu |
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Le voilà dans cette pente : Portella de Mantet et ruisseau de l' Alemany |
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Une idée de la pente |
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Coma de la Dona et moraine de quartz |
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Bloc de quartz |
La vallée est l'un des parcours les plus empruntés, c'est la voie directe, 7 km. Trois vallées adjacentes la rejoignent, les Comas de la Portella, de la Dona et de Bacivers; il y a longtemps que je rêve de les arpenter. Aucun sentier ne semble les parcourir, elles se terminent en abrupte muraille. Mais pourquoi pas les visiter ? Allez ça me reprend ! J'en avais essayé une en hiver, un enfer sublime de beauté !
Telles qu'on les voit depuis les crêtes :
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Coma de la Dona à gauche et de Bacivers, à droite |
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Coulées de roche |
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Tapis de rhododendrons |
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Toilettage forestier |
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Re-naissance de l' Alemany |
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L'Alemany |
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Quelle signification ? |
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Jaça dels Xais, cabane |
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Et un ancien ustensile |
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Reste d'orri |
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Ici aussi |
Je m'offre au retour un sentier balisé mais peu emprunté : une petite ruine qui fut "grand" bâtiment proche d'un câble enroulé autour d'un tronc mort donne le LA : c'est un ancien chemin de débardage. J'en retrouve la physionomie tout au long de la descente "sauvage", plan incliné, plate forme de réception avant une descente brutale. Ce n'est pas un sentier esthétique, petit vallon étroit et encaissé où bondit l' Alemany, mais il est intéressant car il me raconte son histoire, jusqu'au moment où il bifurque vers la civilisation, les vaches, les chevaux, les anciennes terres agricoles, une autre Histoire. Le chemin de débardage, abandonné, continue sans moi sa course et me laisse avec quelques miettes de curiosité.
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Câble pour le débardage ? |
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Ruine du bâtiment : baraque des Allemands |
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Le chemin du bois vers l'aval |
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Et vers l'amont |
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Les derniers |
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L'Alemany |
Ce site des Pradets, anciennement cultivé abrite des cortals, des parcelles en terrasses, des murs, des chemins clos, un petit bijou qui mérite à lui seul une "errance".
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Els Pradets
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Cortal |
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Cortal |
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Une "calade" du chemin muletier |
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Explosion florale et papillon goulu |
Mantet est un de mes coups de coeur, point trop loin de chez moi (la route du retour à présent me fatigue), et un panel sans fin de paysages, de vallées, d'eau et de coins secrets qui attirent l'aventurier et le solitaire.
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Mantet |
Mantet est un purgatoire : quasi toutes les randonnées se terminent par 100 m de dénivelé positif à regagner : selon la forme, c'est en tout droit, par les rues du village ou par une piste en lacets. Je vais puiser l'énergie à l'eau glacée de la rivière que je traverse à gué : le soleil est là, narquois et brûlant.
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Un moment de fraîcheur bienvenue Le Mentet |
Le comité d'accueil m'attend au camion alors que je m'apprête à déguster du cèpe : une Nina un peu boudeuse, épuisée de sommeil, et des dizaines, des centaines de mouches dont je finirai par repeupler mon village avec une colonie voyageuse.
En chiffres
Distance 18.2 km
Dénivelé positif cumulé : 1100 m
Temps de marche : 6 h 20
La route : 140 km AR
je vois que tu reviens dans le Conflent et que tu trouves des cabanes que je ne connais pas bien qu'ayant fait plusieurs fois cette rando, elle doivent être vers Caps dels rocs que j'ai évité plusieurs fois
RépondreSupprimerAmitiés
Elles sont effectivement à Cap de Rocs, elles valent le coup et je t'ai fait photos et relevés coordonnées. Amitiés
SupprimerMerci Amedine de me faire rêver... cette rando que nous avons fait tant de fois et à laquelle nous devons renoncer, poursuivis par l'âge, elle est dans mon coeur... je suis heureuse pour toi de te voir si forte, si aventureuse et volontaire. Tu n'es pas catalane pour rien... Tes photos sont toujours très belles et le texte dit tout du bonheur fou de parcourir ces vallées ... les plus belles pour moi. Profite ! Amitiés ... Roberte
RépondreSupprimerOh Roberte mon commentaire n' a "pas pris" malgré tout le soin que j'y ai mis. Tu sais, nos âges sont un frein, pour moi aussi mais tu n 'as rien à m'envier tu as fait récemment des sorties (tour d'Eyne par exemple) que j'ai enviées et admirées. Nous irons au bout de nous mêmes , nous sommes faites du même bois. bises
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