vendredi 25 avril 2025

Sentier direct Canaveilles /Thuès entre Valls!

 Il n'y a pas de sentier direct pour aller de Canaveilles à Thuès entre Valls, sinon en empruntant le classique sentier de Llar. Et pourtant...il en exista un jadis, au 19 eme siècle, vraisemblablement. Peut être même avant. Mais depuis, il est tombé dans l'oubli, la décrépitude et l'abandon.



Il n'est pas un parfait inconnu: les cartes en gardent la trace et les chasseurs en utilisent au moins une partie, semble t'il. Quatre années séparent mes premiers pas sur une partie de ce chemin et les derniers il y a très peu de jours.

Pourquoi ce grand laps de temps ? Amis lecteurs, suivez moi.

Donc voilà quatre ans je découvris  un zigzag noir sur la carte IGN et le défi à relever était de retrouver cela sur le terrain. D'autant que ce tracé semblait ne partir de nulle part et n'arriver nulle part !

Comment ai je pu trouver une entrée et une sortie? Je m'en étonne aujourd'hui.


La carte dressée dans les années 50 m'aida davantage: 

Le zigzag noir (surligné de blanc)
 conduit quand même à la route 

Le cadastre napoléonien de 1824 ne dit absolument rien. Les parcelles de Querangles et du Fornàs sont indiquées; ce sentier n'était pas cadastré.

Tout commença en mars 2021, et je racontai cette histoire dans deux articles de ce blog : liens en fin de texte.

Je restai sur ma faim car je n'en pus parcourir la fin.
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Donc voici comment 4 ans après je réussis la jonction . 
Tout en bas, à Thuès entre Valls, près du parking du pont, on peut deviner le départ d'un sentier sous le taillis de chênes verts.

Le cadastre
Il fait gris et il a plu en ce jour d'avril 2025, je viens de laisser le groupe que j'ai accompagné aux mines de cuivre, et j'ai envie, avant de partir, d'aller "jeter un coup d'oeil" à ce départ de sentier que j'avais repéré en 2021.
Rien de plus simple, et, comme les filets anti éboulis sont proches, je ne pars qu'avec un bâton et le téléphone.

Départ discret




I



















Le sentier étroit et appuyé sur un mur est d'abord facile et je le suis sans problème par quelques longues obliques qui grimpent bien, traversent un petit ravin et vont zigzaguer entre un grand ravin profond sur ma gauche et une crête sur ma droite.

Le profond ravin 

La ligne de crêtes

 La pente est sévère, le chemin plutôt bien tracé et marqué de points bleus par les chasseurs, ou les poseurs de filets . Les averses se préparent et je monte assez vite, la pente est pourtant sévère. Un gros sanglier qui fait sa sieste détale à grand vacarme, affolé et me laissant stupéfaite, il est devant moi mais un étage plus haut tant ça grimpe. Par chance il file vers le haut, il n'y avait guère de place pour le croisement des deux patauds que nous étions !



Végétation et murs


Je continue à grimper, la prise de dénivelé est sévère, je reste à la verticale du parking : toujours ce profond ravin à ma gauche, pour le reste, la crête est sur ma droite et mon chemin en lacets serrés au centre;  les murs y sont bien visibles, le terrain fort éboulé et dégradé mais les filets en place depuis des décennies ont régulé cette dégradation. La partie haute, moins escarpée en mon souvenir avait moins résisté.
Thuès, la D66 (anc 116) et la pente !

Murs du sentier


Murs du sentier, de vrais étages





Sur le sentier, ouvrage prévu pour l'écoulement des eaux de pluie


J'arrive aux filets convaincue de la fin de mon trajet. Et bien non ! Les ouvriers ont utilisé l'ancien sentier pour accéder au chantier et l'ont bien protégé.




Entre les filets





Entre les mailles des filets



Sur mon trajet je rencontre la ligne électrique complètement abimée : à quoi a t'elle pu servir ? 
Je rencontre des câbles et de la ferraille, à présent j'imagine davantage qu'ils furent dévolus au transport du bois. La montagne est un peu plus bavarde...





Outillages et repères colorés
Câbles



 Ainsi je me faufile sans peine entre les filets et, en peu de temps j'ai grimpé les 250 m de dénivelé, retrouvé les lieux où je m'étais arrêtée, la belle falaise et son point de vue, les lacets bien serrés et intacts.


Le dernier filet



La belle falaise et le paysage



Paysage vertical au zoom



La succession de lacets, mon terminus du jour


 Je stoppe à 1050 m, il pleut. Je ne continuerai pas plus haut, la jonction est faite et j'en conçois une joie sans limite. Je reviendrai parcourir l'intégrale et surtout (re) baliser la partie haute. Il me manque 150 m de dénivelé mais le temps est trop mouillé, et je reviens à mon véhicule trempée jusqu'aux os, cependant cette jonction valait bien ce baptême .

Pluie battante 



J'avais alors baptisé ce chemin "le sentier de la cohérence" parce que, tellement détruit, j'avais utilisé la cohérence du terrain pour retrouver ses bribes.

Mais à quoi servait donc ce sentier ? Certainement à aller travailler les parcelles de Querangles, mais aussi à l'exploitation de bois et son transfert dans la vallée. 

Les récits précédents : 



En partant de Canaveilles :

On démarre dans le village en suivant " chemin des canons", soit le chemin Canaveilles Llar. Que l'on poursuit jusqu'après le ravin de Querangles. On rencontre un passage un peu effondré matérialisé par 3 balises; peu après le chemin tourne brusquement à droite (alt 1124 m) et, juste avant, sur la gauche on rencontre un cairn. On plonge alors dans un sentier qui mène au roc de Quérangles (à voir absolument). Avant le roc (alt 1182 m)  un chemin part sur la droite étroit mais assez lisible. Il file vers le correc de Sant Génis. Mais au bout de 350 m (alt 1154 m) on rencontre sur la gauche un embranchement bien visible, en angle très aigu. C'est le départ de  ce sentier direct pour Thuès. On va le suivre (très éboulé près du départ, désescalader quelques rocs ) sur près de 400 m en 150 m de dénivelé négatif, peu lisible mais on rencontrera un joli belvédère et enfin une série de lacets bien conservés dans leurs murs de pierre. Ici, cela ne s'arrête pas, avec un peu de chance on rencontrera mes cairns à travers le filets et on parviendra, en une rude descente, au pont de Thuès.
La remontée peut se faire par le classique sentier de Llar ou par le même chemin, un retour offre toujours des surprises !

(Je vais y retourner pour cairner sommairement l'intégralité, ce serait un joli parcours , bien que confidentiel, car il peut présenter un danger de chutes de pierres).




Le trajet :
en rouge, depuis Canaveilles
                 en jaune, la partie supérieure faite en 2021
                  en blanc , la partie inférieure (filets) faite en 2025

Distance totale Canaveilles / Thuès entre Valls : 5.5 km




    
Même chose : le trajet compte de très nombreux lacets




Trajet approximatif et sans lacets

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ADDITIF : quelques jours plus tard je réalisai le tour complet en montant par le sentier du cuivre, puis le chemin des bûcherons avant que de traverser le Fornàs et ses terrasses agricoles abandonnées; enfin je me lançai dans la pente raide du sentier de thuès dont j'effectuai le balisage intégral . Belle rando épuisante de 7 km.


Sur une photo de Michel Prats, vue d'ensemble du trajet approximatif :




mardi 15 avril 2025

Canaveilles : le Fornàs, quelques mystères résolus



 Rencontrer une montagne ou un site de cette montagne, c'est comme rencontrer une personne. Il y a le premier regard, bienveillant, indifférent ou hostile, pourquoi pas ? Le feeling aussi. On engage la conversation et des traits se dessinent, une esquisse, une ébauche, une impression. Une envie de mieux la connaître. Alors on l'écoute, on l'observe, on échange mots et regards, on la respecte, une curiosité trop vive ne lui plait pas. Il faut savoir multiplier les rencontres et, peu à peu, elle se livre. Mais elle garde une part de soi même très secrète que l'on n'atteindra jamais. Ce sera notre part de regrets, ou de rêves inachevés .

Chêne vert ayant été exploité

Il en est ainsi, parmi des centaines de sites avec lesquels j'ai sympathisé, du Fornàs de Canaveilles. Lluis Basseda, éminent toponymiste catalan, précise bien la définition de ce mot : un grand four, quelque soit ce qu'il cuisait (chaux, verre, fer etc...). Mais le site n'a pas voulu me livrer son secret. Bien que je sois convaincue qu'un grand four existât jadis pour cuire le gypse local, j'ai usé yeux et jambes dans le terrain escarpé, en vain . Alors je vais laisser au Fornàs sa part secrète. Les environs du site m'ont toutefois livré des bribes d'une ancienne exploitation qui était expédiée dans la vallée tout en bas par un système de câbles montés sur des pylônes de troncs de pin. Exploitation de gypse ou plus vraisemblablement de bois ? Le gypse aurait pu être une petite exploitation confidentielle.



Gypse


Cependant il m'a raconté bien d'autres choses, ce site, alors que je soliloque souvent sous ses futaies. Et le mystère s'éclaircit : pourquoi en ce sévère et escarpé site, domaine du chêne vert, 9 belles terrasses agricoles virent elles le jour au siècle dernier ou même avant ? 

Longues de quelques 200 m, larges de quelques mètres à peine, je les ai décrites dans un précédent article . Qui dit agriculture dit eau . Et de l'eau il n'y en a pas .

Ma 3 eme visite fut un peu plus prolifique, car je trouvai la trace d'une petite et étroite amenée d'eau bien canalisée par des pierres et dallée au fond de ce miniature cours d'eau. Lequel semblait provenir d'un petit ravin lui aussi endigué par places. Il pleuvait davantage en ces temps lointains.

La petite niche dans le dernier mur ? Une éventuelle arrivée d'eau, ou une source, à ses pieds un chêne monumental pourrait attester qu'il a bu jusqu'à plus soif.


La visite suivante, avec Michel Prats spécialiste des cabanes en pierre, amena un indice supplémentaire : sur les terrasses agricoles, on retrouva des câbles et des pièces métalliques indiquant qu'une exploitation de bois vraisemblablement passa sur le site après que les cultures eurent été abandonnées. Donc l'histoire commence à se dater frileusement et nous à chercher un peu plus furieusement.


Dans une parcelle del Fornàs

Un tout droit dans la pente très forte pour regagner le sentier nous montra quelques câbles échoués. Les chênes verts, l'arbre d'ici, ont rarement un tronc unique mais plusieurs, signe qu'ils on été coupés pour exploitation et ont ensuite repoussé en rejets multiples; l'exploitation de ce bois ne fait aucun doute. Elle se livre cette montagne!

Ancienne exploitation des chênes verts


Michel entreprit seul, quelques jours après, la visite musclée d'un autre site , le Garrigail,  anciennement dévolu aux cultures en terrasses, terriblement escarpé et que trouva t'il, entre murettes et vestiges d'habitat pastoral ? Des traces d'un canal, étroit, et pentu, venu d'on ne sait où. Alors jaillit une idée, devant son relevé de trajet : et si ce "petit truc pavé et endigué" du Fornàs provenait de ce canal bien au dessus ? Une prise d'eau, une dérivation, un canal, et me voilà partie à la dérive ...

Nous y retournons ensemble et nous allons débusquer ce canal du Garrigail (le tracé bleu foncé fléché en bleu clair de la carte ci-dessous) près d'un maset ruiné, flanqué de trois bassins et d'un cabanon. Suivre ce canal étroit et embroussaillé, oublié depuis des lustres ne sera pas une sinécure mais comme je le suppose venu du canal principal creusé entre 1877 et 1885 sous l'égide du curé de la paroisse , le Canal dit de Canaveilles (Mont Louis, Sauto, Fontpédrouse, Llar et Canaveilles, plus de 13 km), et bien nous allons user bras et jambes, suer, mais remonter ce canal. J'apprends ainsi qu'un canal n'est pas forcément en courbes de niveau mais peut dévaler une pente ! La balade sera musclée, superbe, enrichissante, l'irrigation des pentes se précisait, on rencontra des terrasses superbes,  et Sonny, un habitant du village, nous apporta quelques précisions, concernant de curieuses citernes enfouies dans le sol. Les mystères s'évaporent.

Fléché en rouge, le canal de Canaveilles
Fléché en bleu clairle canal dels Garrigails que nous avons remonté 
 (les flèches sont en sens inverse de notre trajet)


Canal dels Garrigails

Même canal















Près de la prise d'eau de celui du Fornàs

Canal de Canaveilles















Le "grand" canal de Canaveilles et en blanc le site de la prise d'eau
 desservant toutes les terrasses du Garrigail et du Fornàs


Je reprends la route et retourne là haut, seule, bien décidée cette fois à éclaircir le mystère de l'eau du Fornàs. Les habitants le définissent comme "fournaise" ce qui n'est pas faux. Quelle chaleur là bas ! Et...pas une goutte d'eau. Je retourne sur le canal supérieur (en bleu sur la carte) bien sec, et enfoui, voire effondré : il doit y avoir une prise d'eau pour irriguer le Fornàs; je ne me griffe ni ne me crève en vain et je trouve sans trop de mal, avec un petit cadeau en prime, un autre petit canal (en jaune), tous deux nés presque au même endroit. Du Canal bleu. Le débit de l'eau n'était guère important mais tous ne coulaient pas en même temps, un "reguer" distribuait l'eau aux paysans en un tour de rôle bien établi. 

Et ainsi, après l'avoir suivi scrupuleusement dans une descente infernale (parcours blanc), je parvins au Fornàs au chant de l'eau que seul mon imaginaire recréait dans ces pentes desséchées et érodées.

En blanc le canal del Fornàs, en jaune un petit canal adjacent



Départ du canal del Fornàs : droit devant
 pour la pente!
Même lieu


Et c'est dans cette pente que se lançait le canal ! Pour 166 m de trajet rectiligne.



Tantôt à la manière d'un petit ravin, tantôt endigué ou pavé, il était relativement étroit, une 30 aine de cm, et ne devait pas avoir un très fort débit.


Un joli tronçon pavé


Tronçon pavé
Passage en roches




Près de son terminus



Arrivée du canal au Fornàs : est ce une ancienne citerne ?

Mais...je n'en restai pas là !

Je voulais une dernière expédition ...le four, toujours. Et plus tard je m'aventurai en des lieux non explorés. Une belle expédition qui me fit longer au plus près les falaises, à partir de les Estallades, au ras du vide et du vertige, rencontrer des câbles, mais point de four.


Descendre au maximum

Contempler les replis des falaises

















Vraiment au bord de la falaise ; vertige. Les Estallades

(Ici se trouve une plate forme donnant sur le vide, évoquant le départ de billots de bois par voie aérienne câblée vers le bas de la falaise et la réception sur une plate forme en contrebas de la route.  Des vestiges que nous avons trouvés en allant aux mines de cuivre semblent en témoigner.)


Mes pas me ramenèrent en aval du Fornàs.

Remontant un étrange petit ravin, écrasée de chaleur et de lassitude, je découvris trois indices, un câble, un morceau de piquet et un outil très lourd. 


La "tira" ou chemin de débardage du bois


                                                                                    
Support en pin, très ancien









Alors le Fornàs voulut bien me confier un autre de ses mystères. Mais bien sûr ! comment n'y avais je pas pensé ? J'étais sur une "tira" soit un chemin de débardage, lequel devait expédier ses troncs ou ses rondins dans le vide des falaises. Je ne pris pas la même direction, mais en sens inverse je montai car j'avais un dernier mystère à résoudre. J'avais trouvé un étrange chemin rectiligne, emmuré d'un seul côté que j'avais d'abord pris pour un canal : cette fois je compris que c'était "una tira" et je la rejoignis dans la continuité de celle où j'étais. Facilité enfantine mais usante : ce chemin n'était endigué que d'un côté, le côté déversant, empêchant ainsi les rondins de filer dans la nature. Il avait effectué un léger virage que je mesurai à la boussole et je finis par arriver à une plate forme qui était son point de départ pour le grand voyage vers en bas, au bas des falaises. Comment franchissaient ils les falaises ces rondins ? En sautant ? Ainsi on était sûr d'avoir du petit bois à l'arrivée ! Ou alors en transport aérien suspendu ? C'est éprouvant ces questions à la fin.

La "tira" en plan incliné




Mur latéral














Peut être ancienne plate forme de réception  au bord de la route
de l'autre côté du fleuve ? 

(Des emplacements comme celui-ci il y en a trois (ou quatre) dont un, face aux Estellades, situé en contrebas de la route et deux sur la route, un au niveau de la tira que j'ai trouvée, et un autre au niveau de Querangles. Cela me conforte bien dans l'idée que c'était la réception par câble du bois.)

Il ne me resta plus qu'à regagner le chemin de randonnée au terme de quelques acrobaties griffantes et me laisser enfin admirer le paysage à loisir. 


Sur le sentier : en fond le Canigó


Puis d'aller explorer un autre site, un peu plus haut, nommé Caussines, tout "pelé", délavé comme par une avalanche et j'y découvris...quoi ? Des câbles ! Un autre chemin de débardage, venu de 1300 m d'altitude (ou plus encore? ) et qui, à son tour, irait se perdre dans le plan très incliné d'un ravin. 

On n'en finira donc Jamais ? Surtout de brasser des hypothèses plus que d'obtenir des certitudes....

Sur le site de Caussines, une pente calcaire complètement érodée


Sur une photo de Michel Prats, la "tira" de Caussines

Jamais puisque en face, à la Carança existe un autre Fornàs et pas des plus simples d'accès.


Le Fornàs de la Carança


Ainsi Canaveilles m'a livré quelques secrets, le cuivre, le bois, l'eau, et, non négligeable, la sympathie de certains habitants.
A qui je dédie mes élucubrations sur leur territoire !

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Sur cette carte, en blanc le canal d'arrosage du Fornàs
En rouge, les trajets d'évacuation du bois (ou tiras) dont on a trouvé des tronçons